II.2.1.b Les sources de revenus des femmes
Quelles sont les véritables sources de revenus
individuels de la femme ?
On peut distinguer deux sources de revenus.
D'une part, le revenu est généré par
l'activité familiale. La riziculture permet aux femmes du
ménage de se constituer un revenu individuel, à travers les
activités de rebattage et de glanage. Ces deux étapes consistent
respectivement à récupérer les épis ou les grains
laissés par la batteuse et à les récupérer dans les
champs. Ainsi,
27 Notamment selon l'article 45, 46, mais aussi 83.
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le paddy récupéré leur revient. À
la fin de la récolte, elles peuvent également recevoir des
cadeaux. Ils ne sont pas obligatoires et dépendent du bon vouloir du
chef d'exploitation ; il peut s'agir de cadeaux en nature ou de
rémunérations directes (Lalande 1989).
D'autre part, elles peuvent se constituer un budget individuel
de manière plus autonome, notamment à travers la manne
salariale. En effet, en zone ON, le repiquage est « l'affaire des
femmes ». Elles se regroupent très généralement pour
réaliser les étapes d'arasage des plants de la
pépinière, le transport des plants de la pépinière
au champ et enfin le repiquage dans les champs. Elles gagnent donc un salaire.
Le rabattage et le glanage sont aussi réalisés en dehors de la
sphère familiale et sont source de revenus autonomes. Outre la
riziculture, elles sont souvent commerçantes. Elles vendent les produits
qu'elles transforment elles mêmes, comme l'échalote
séchée, le soumabala 28 , la pate d'arachide. Elles
revendent parfois dans le village des produits achetés en gros à
Niono. Enfin, le maraichage est véritablement l'activité
génératrice d'un revenu individuel pour la femme, au point
d'être présentée en zone ON comme une activité de
genre, très pratiquée par les femmes, qui en font une
activité professionnelle et complémentaire contribuant au revenu
du ménage (A. Touré, S. Zanen, N. Koné, 1997).
II.2.1.c Le maraichage, véritable levier
économique pour les femmes
C'est en cela que le maraichage devient un véritable
enjeu pour les femmes. Il représenterait « la première
ressource de revenu pour les femmes en zone Office du Niger » (Maïga,
2013). Le caractère plus individuel de l'activité permet à
ces femmes d'acquérir une certaine indépendance vis-à-vis
du chef de famille, qui est généralement producteur de riz, en
commercialisant une partie de leur production, la seconde partie servant pour
l'autoconsommation du ménage. La femme complète le « prix de
condiment » donné par l'homme et diversifie l'alimentation de la
famille du point de vue nutritionnel, avec l'ajout par exemple de la pomme de
terre. Celle-ci rentre progressivement dans les habitudes culinaires
maliennes.
Ainsi, ces femmes sont soutenues pour pouvoir elles aussi
devenir des actrices bénéficiaires du développement et
jouir d'une certaine liberté. Les partenaires du développement
ainsi que les politiques agricoles mènent des actions de
28 Épice à forte odeur. Issues des graines de
l'arbre néré
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discrimination positive envers les femmes. La loi
d'orientation agricole témoigne de la volonté de l'État
malien de faire de cette activité un moyen de favoriser
l'égalité entre hommes et femmes. Ceci est favorisé par le
développement des coopératives dans ces villages de la zone de
Niono. Faire partie d'un groupement leur offre une visibilité, leur
permettant de bénéficier d'aides liées à leur
activité, à l'image de la coopérative de Djicorobougou
(Koulambawere).
Les femmes de cette coopérative sont aujourd'hui
célèbres dans le monde paysan malien. Si l'on envisage la culture
de pomme de terre notamment en zone ON, on pense forcément à ces
femmes. Grâce aux nombreuses formations qu'elles ont reçues, elles
sont devenues des références en la matière. « La
culture de pommes de terre est la spéculation qui nous a permis
d'évoluer, d'améliorer notre quotidien. Certaines ont pu se payer
des motos, d'autres sont parvenues à se payer des terrains, ou comme moi
d'améliorer le confort de mon foyer grâce à cette
spéculation », indique Assa Diarra, présidente de la
coopérative des femmes de Djicorobougou. En effet, cette
coopérative, à partir des enquêtes de terrain, a
réalisé une production d'environ 1,8 tonne de pomme de terre sur
des superficies variant de 0,5 à 0,1 hectare durant la campagne
maraichère 2016-2017. Un tonnage qui leur procure des
bénéfices moyens de 430 000 FCFA (656 euros), pour la production
de 1,8 tonne de pommes de terre. Celle-ci n'est d'ailleurs pas l'unique
spéculation produite. L'échalote, la tomate, l'ail, le gombo sont
également cultivés, ce qui représente pour ces femmes
rurales une somme conséquente.
Par ailleurs, ces chiffres ne prétendent pas être
objectifs ; ils résultent de l'affirmation des exploitantes, qui donnent
des chiffres approximatifs et selon leur convenance. Une fourchette valable
également pour l'échalote. Largement produite par les femmes, il
faut en soustraire les cadeaux, et la part réservée à
l'autoconsommation, ce qui ne leur permet pas de connaître leur gain
exact.
Elles pratiquent cette activité sur des sols maraichers
situés en zones réaménagées (Projet Rétail)
sur une base de 0,02 hectare par personne active du ménage (15 à
55 ans), qui est ensuite redistribuée entre les membres du ménage
par le chef d'exploitation, dans les casiers rizicoles (pour les parcelles de
type double culture), ou encore sur les « sols » maraichers. Cette
répartition des terres s'appuie sur une logique très
hiérarchique, priorisant le droit d'ainesse et le sexe masculin. Dans le
cas des grandes familles, souvent polygames, les personnes priorisées
sont les hommes, conscients de cette rente maraichère, ainsi que les
premières épouses et
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les belles-mères encore en âge de travailler. Les
terres restantes, s'il y en a, sont reparties entre les plus jeunes du
ménage. (Lalande, 1989), obligeant ainsi ces femmes moins «
chanceuses » à louer des terres29 ou se faire
prêter des parcelles « gratuitement » par des membres du
village (Pasquier, 1996).
Cette activité relais contribue donc d'une part
à l'amélioration de la qualité alimentaire du
ménage à travers la femme, dont le but principal est de
diversifier l'apport en légumes (Lalande, 1996). D'autre part, elle
permet de compléter le prix de condiments et d'amoindrir une certaine
domination masculine tout en en devenant plus autonome. Les femmes peuvent
ainsi assumer leurs propres dépenses (vêtements,
évènements sociaux, etc.). À l'image de la
coopérative, elles prennent part aux prises de décisions du foyer
grâce à ces revenus.
II.2.2. Le maraichage, une source de revenus pour
les plus jeunes.
Cette fonction anti discriminatoire (Jamin, 1989) du
maraichage s'applique également pour les jeunes. Il est vrai que le
monde rural au Mali est très marqué par l'exode des jeunes vers
la capitale ou vers les chefs lieux régionaux, pour y travailler durant
la période sèche. Ils reviennent au village en hiver, pratiquer
leur agriculture pluviale. C'est le cas de la région de Sikasso.
La culture de rente qu'est le coton implique une main-d'oeuvre
importante ; elle est pratiquée par l'ensemble des membres actifs du
ménage. Elle est donc collective, au même titre que la riziculture
pratiquée à l'ON.
Après cette agriculture hivernale, le manque de moyens
d'irrigation rend difficile la pratique de l'agriculture irriguée
(Koné, 2002). En l'absence de possibilité d'activités
complémentaires dans le village, les jeunes, filles comme
garçons, se rendent en ville pour souvent travailler dans le «
secteur tertiaire » informel du pays.
Ils sont souvent embauchés comme domestiques chez les
citadins. Les filles peuvent alors se constituer elles-mêmes leur
trousseau de fille « Kognon minai », incontournable pour le mariage.
Un migration rurale, qui certainement est le reflet de la destruction du socle
social avec la monétarisation et la spécialisation des cultures
de rente. Il est difficile pour la famille d'acheter le trousseau de
mariée. Déjà, elles répondent aux besoins
essentiels du ménage, véritable défi au quotidien.
29 Procédé, qui théoriquement est
formellement interdit par l'ON. Mais, dans les faits est très
répondu dans ces villages de l'ON.
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Les garçons peuvent, eux, acquérir un
début d'indépendance vis-à-vis du chef d'exploitation.
Cela représente probablement le « job d'été »
des jeunes ruraux du Mali.
Par ailleurs, l'abondance en eau de la zone ON toute
l'année permet d'autres alternatives. De plus en plus, les
périodes s'inversent.
Les jeunes se rendent en ville en période hivernale,
afin de revenir en période sèche, pratiquer le maraichage.
D'une part, cela est lié à la demande forte en
main-d'oeuvre en ville. La majorité des ruraux reviennent dans leurs
villages en hivernage, ainsi, les migrants de l'ON peuvent
bénéficier de nombreuses offres de travail.
D'autre part, la riziculture est collective ; le gérant
et bénéficiaire principal des revenus rizicoles est le chef
d'exploitation. C'est différent pour le maraichage : « En
effet, la culture individuelle permise en maraîchage (à la
différence de la riziculture) permet aux dépendants
d'acquérir un revenu personnel et donc une indépendance
financière vis-à-vis du chef d'exploitation ».
(Pasquier, 1996). Car le maraichage dans cette zone de l'ON est pratiqué
dans les casiers rizicoles, ou sur les sols maraichers du chef d'exploitation.
Ce dernier distribue à chaque membre de la famille un lopin de terre,
sur lequel il mène une culture de spéculation de son choix. Pour
des jeunes non mariés, sans enfants et non prioritaire lors du partage
des terres maraichers, cela représente un gain individuel plus
conséquent que la pratique de la riziculture.
C'est en outre un facteur limitant l'exode des jeunes vers les
villes. Le maraichage, source de revenus (Maïga, 2013), leur permet de
rester au sein du village en période sèche, et en hivernage de
pratiquer la riziculture avec le reste des membres actifs du ménage. Il
faut toutefois noter que l'exode rural est encore très marqué
dans ces villages maliens. Les ménages se vident toujours de leur bras
valides, pour ainsi remplir les rangs de nombreux citadins. Le processus est
toujours en marche, ce malgré les nombreuses contraintes existant dans
les villes (Bastin, Fromageot, 2007).
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3 Dans un contexte d'urbanisation galopante, le
maraichage, perçu comme l'aboutissement de l'inéluctable
changement des régimes alimentaires.
II.3.1 L'urbanisation galopante et l'exode rural :
une réalité
S'il est vrai que l'ensemble dans lequel se trouve le Mali,
à savoir l'Afrique subsaharienne, est le continent le moins urbain au
monde, il n'empêche qu'il est sujet au processus d'urbanisation, de plus
en plus rapide. En effet de 1950 à 2000, le nombre de citadins a
été multiplié par 16 en Afrique, alors que sur une
échelle mondiale, il a été multiplié par 5. Ainsi,
le Mali ne cesse de voir ses villes se densifier et s'étaler. Le secteur
tertiaire devient le second secteur porteur de l'économie malienne, avec
38,08 % du PIB en 2014. Il est dominé par « les branches "commerce"
et "administrations publiques", qui représentent près de 50 % de
la valeur ajoutée du secteur » (INSTAT, 2015).
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