II. Le maraichage source de richesse pour les
exploitants ?
1. Le maraichage une activité auxiliaire pour les
ménages P56
2. Une activité gage de justice sociale et
d'équité en genre et en âge P62
3. Dans un contexte d'urbanisation galopante, le maraichage,
perçu comme
l'aboutissement de l'inéluctable changement des
régimes alimentaires P67
III. Le maraichage de la zone ON : un succès en
demi-teinte.
1. Une pression foncière croissante : germe de la
théorie malthusienne ? P72
2. Des contraintes face à l'accès à l'eau,
aux semences de qualité et en quantité,
et aux engrais P79
3. La conservation et la transformation : de véritables
défis à relever P86
4. Une commercialisation peu rémunératrice pour
les producteurs ainsi que pour
les autres maillons de la chaine P96
IV. Perspectives : Immobilisme masqué pour les
maraichers ?
1. Le développement inclusif demeure un leurre pour les
exploitants sans
soutien de l'État P107
2. Le développement d'unités industrielles et
semi-industrielles P118
Conclusion P128
Bibliographie P130
Annexes P137
8
Introduction
L'utilité du maraichage n'est plus à exposer. En
France, depuis la loi de santé publique de 2007, il suffit pour s'en
rendre compte de regarder les publicités sur les produits alimentaires,
conseillant de « manger au moins cinq fruits et légumes par jour
» par exemple, pour rester en bonne santé.
Au cours de notre vie, les fruits et des légumes ne
manqueront pas de se trouver dans nos assiettes. L'Afrique n'y fait pas
exception, et le maraichage s'y développe à vitesse grand «
V ».
En ce sens, ces dix dernières années, le
maraichage connaît une véritable évolution en Afrique de
l'Ouest. Entre 2004 et 2014, les productions de fruits et légumes ont
augmenté de 50 %1 et ont été
accompagnées d'une augmentation des surfaces cultivées (+ quatre
millions d'hectares en dix ans). Ceci prouve les avancées de la
production de fruits et légumes en Afrique, qui sans conteste est
aujourd'hui une activité de rente pour les exploitants (Lalande, 1996).
Elle permet certes en partie l'autoconsommation, mais constitue surtout un gage
de gain monétaire par sa commercialisation.
Dans le cas du Mali, l'avancée de cette filière
porteuse est très visible dans la zone Office du Niger (ON). C'est un
grand bassin de production au Mali, disposant d'eau en abondance et de terres
arables. La culture commerciale de légumes s'est inscrite dans le
paysage de la zone. En contre-saison, les casiers rizicoles accueillent les
échalotes, tomates, gombos, piments, pommes de terre, entre autres. Car
les terres de l'ON sont aujourd'hui plurifonctionnelles, basées sur une
ou plusieurs activités (Adamczewski, et al 2013). On y trouve des «
sols » maraichers (MA) (Pasquier, 1996), des casiers rizicoles (R) ainsi
que des parcelles double saison (DS) qui sont occupées par le maraichage
ou la riziculture en contre-saison, et par la riziculture en hivernage.
C'est une activité d'une grande importance ; elle
génère un chiffre d'affaires de 30 milliards de FCFA dans la zone
ON (FAO, 2010), soit plus de 45 Millions d'euros, avec une
prééminence la culture d'échalotes. Spéculation
dominante, celle-ci est pratiquée dans toute la zone.
1 Douet, M (2017) Agriculture : Succès du maraichage en
Afrique Francophone, Jeune Afrique, [en ligne] 19 avril 2017.
9
Aujourd'hui, c'est une activité commerciale qui
s'inscrit dans une activité professionnelle ; c'est la raison pour
laquelle elle est qualifiée de maraichage. C'est une activité
gage de diversification des activités, d'amélioration des revenus
des exploitations agricoles, mais aussi d'amélioration de la valeur
nutritionnelle des ménages.
Elle est relativement récente en zone ON. La
coopération entre le Mali et le Pays-Bas a été le
véritable catalyseur de son émergence. Leur savoir en la
matière a permis de mettre en valeur des potentialités encore
aujourd'hui sous-exploitées, et de promouvoir une chaine de valeur
maraichère plus moderne.
L'échalote constitue l'assaisonnement de base dans les
plats maliens ; elle est donc très demandée par les
cuisinières maliennes. Elle provient à 100% de la zone ON de mars
à août. Aujourd'hui, dans un pays comme le Mali, le maraichage est
présenté comme une filière d'avenir, capable de relever
les défis liés aux problématiques alimentaires, qui sont
toujours une réalité. Le pays est toujours victime de la
malnutrition et de la pauvreté « ordinaire ».
En période de soudure, de juin à août
2018, plus de trois millions de personnes seront en situation critique. En
d'autres termes, 10 % de la population, si elle n'est pas aidée, n'aura
pas de quoi manger jusqu'à la récolte en septembre de cette
même année2. L'insuffisance de la production pour se
nourrir toute l'année entraine des carences alimentaires.
En février 2017, un peu plus d'un quart des
ménages maliens, soit 25,6 %, étaient en situation
d'insécurité alimentaire au niveau national3
(essentiellement dans sa forme modérée, 22 %, contre 3,6 % pour
la forme sévère). Ce qui reste considérable dans un pays
essentiellement agricole. En ce sens, « la situation nutritionnelle reste
préoccupante dans le pays du fait de l'insécurité
alimentaire, de l'insécurité civile et de la prévalence
des maladies liées aux mauvaises conditions d'hygiène »
indique le Food Security Cluster.
Les défis demeurent donc très nombreux.
L'agriculture malienne devra relever le double défi de la
sécurité alimentaire ainsi que celui de la sécurité
nutritionnelle. Ses exploitants doivent être mis au centre des politiques
s'ils veulent éradiquer la faim
2 Site de l'ON.
3 ENSAN « ENQUETE NATIONALE SUR LA SECURITE ALIMENTAIRE ET
NUTRITIONNELLE » Février 2017.
10
(Brunel, 2017). Le Mali doit assurer une augmentation rapide
de sa production agricole afin de pouvoir nourrir sa population, au regard de
sa démographie galopante. Il devra également envisager
l'inéluctable diversification des régimes alimentaires avec
l'émergence des classes moyennes et l'urbanisation croissante, dans un
contexte de changement climatique.
Au delà de la dimension nutritive, le Mali doit aussi
se doter d'un système de santé efficace, éduquer sa
population, la protéger et la maintenir sur son territoire ; autant de
défis difficiles à relever dans un contexte de conflits (au nord
et au centre du pays), hypothéquant le développement agricole du
pays.
Ainsi dans la théorie, l'agriculture est mise au centre
des préoccupations. On tente de minimiser l'exode rural en menant des
politiques visant à améliorer les techniques agricoles en les
modernisant et en les réhabilitant, afin d'augmenter les rendements et
atteindre une autosuffisance alimentaire.
Politiquement, des efforts sont faits ; des lois donnent des
directives et un cadre stratégique pour le développement
agricole.
Ainsi, les accords de Maputo datent de juillet 2003. L'Union
Africaine (UA) et la CEDEAO4 ont adopté le Programme
Détaillé pour le Développement de l'Agriculture en Afrique
(PDDAA). Il vise une augmentation de 6 % de la production agricole annuelle
(Brunel, 2014) ; les pays doivent en outre consacrer 10 % de leur budget
national à ce secteur. En ce sens, depuis 2013, le Mali consacre 15 % de
son budget au secteur agricole, selon l'ex-ministre de l'agriculture Kassoum
Dénon (2016-2017)
Le Mali s'est également doté d'une loi
d'orientation agricole (2006), d'une grande importance pour les plans d'actions
de développement agricole. La LOA a été promulguée
en 2006 et pause les jalons de la stratégie agricole du Mali. Elle
indique les directions à prendre et les actions à mener, et met
au coeur de sa stratégie les exploitations familiales et les entreprises
agricoles notamment les industries agroalimentaires. Son but est l'accès
à une agriculture compétitive moderne et durable, pour des
produits de qualité à des prix abordables. Afin de «
garantir la souveraineté alimentaire et à faire du secteur
agricole, le moteur de l'économie nationale en vue d'assurer le
bien-être des populations È (LOA, 2006).
4 Communauté Économique des États de
l'Afrique de l'Ouest.
11
Elle s'appuie sur une gestion décentralisée et
un désengagement de l'État au profit des acteurs locaux, LOA
donnera lieu notamment à une politique de développement agricole
en 2013 (PDA).
Ainsi, dans un cadre juridique, les objectifs et les plans
d'actions sont précisés. La diversification faisant partie de ces
objectifs, le maraichage est fortement soutenu en zone ON. De nombreux
partenaires de ce développement y mènent des projets pour la
valorisation de la chaine de valeur, concernant l'échalote notamment.
Toutefois, cette filière reste encore aujourd'hui confrontée
à des limites qui conditionnent son développement. En ce sens,
depuis 2000, on tente de minimiser la prééminence de cette
spéculation et de diversifier l'activité. C'est le cas avec
l'insertion de la culture de la pomme de terre. Les colons et l'organe de
gestion de l'ON la présentent comme une spéculation d'avenir. Sa
consommation est de plus en plus courante au Mali. Les principaux bassins de
production sont Sikasso et Kati. Ainsi, 204 000 tonnes de pommes de terre sont
produites au Mali, réalisées par plus de 50 000 exploitants
familiaux. La région de Sikasso à elle seule a produit 50 % de la
production nationale, soit 111 000 tonnes lors de la campagne
2016-20175. La zone ON ne représente encore qu'une infime
partie de la production, soit 28 938 tonnes. C'est une culture qui, par les
potentialités qu'offre l'ON, pourrait concurrencer le bassin de Sikasso
et relever le défi de l'autosuffisance alimentaire du Mali.
Car aujourd'hui, la consommation de la pomme de terre est
telle que la production ne suffit pas pour répondre à toute la
demande. Le manque est importé de Hollande ou encore du Maroc.
L'ON, fort des réussites des autres bassins de
production, s'oriente vers un développement de la spéculation
dans sa zone, à l'image de l'expansion des terres qui se produit. Lors
de la campagne 2012-2013, la production de pommes de terre a été
réalisée sur 200,39 hectares, contre 826,8 hectares lors de la
campagne 20162017. Les prix sont plus rémunérateurs que d'autres
spéculations comme l'échalote, ce qui incite de plus en plus
d'agriculteurs à cultiver la pomme de terre. Cependant,
l'échalote reste l'aliment le plus cultivé, du fait d'une
meilleure connaissance des techniques agricoles et de son accès
facilité aux semences.
5 Elle rapporte entre 10 à 13 Milliards de FCFA aux
maraichers de Sikasso. (Plus de 15 millions d'euros).
12
En ce sens, dans le cadre de ce mémoire, on se
demandera quel est la contribution du maraichage (échalote et pomme de
terre) aux revenus des exploitants dans la zone de l'ON ?
Cette question permettra de mieux cerner les
améliorations qu'il a engendrées et les perspectives pour les
colons de la zone, mais aussi d'identifier les contraintes auxquelles il fait
face. La zone de Niono étant un espace relativement bien
documenté, où le maraichage est répandu, les
enquêtes porteront sur trois villages dans son
périmètre.
Concernant la démonstration, nous présenterons
dans un premier temps le terrain d'étude et la méthodologie
adoptée ; dans une seconde partie, nous décrirons les apports du
maraichage dans la vie des colons ; dans une troisième partie, nous
exposerons les défis auxquels la filière est confronté ;
dans une dernière partie, il s'agira d'étudier les perspectives
pour cette chaine de valeur maraichère, au Mali.
13
I. Présentation générale du
terrain
d'étude et de la
méthodologie
d'enquête
1. État de l'art
Le maraichage est une activité qui consiste à
produire des légumes. À la différence d'un potager ou d'un
jardin, cette production a une visée commerciale, dont le but est
d'approvisionner en légumes les villes du pays ainsi que, souvent,
celles de la sous-région.
Aujourd'hui, il est fréquent de trouver dans les villes
des pays du nord, mais aussi du sud, notamment en Afrique, une production de
légumes dans les zones interstitielles (Alvin, 2015) ou
périphériques des villes. Un exemple en est le village de
Samanko, ou celui de Baguineda, près de Bamako. On peut alors parler de
maraichage urbain, plutôt que d'agriculture urbaine6, qui
permet de fournir à ces maraichers un circuit de commercialisation
« court ». La zone de production, proche des zones de consommation,
procure un véritable avantage comparatif aux maraichers urbains. Cette
activité est souvent le reflet de la précarité, du
chômage, de la quête d'une sécurité alimentaire et
d'une justice alimentaire, dans les villes du sud comme du nord (Alvin, 2015).
Si ce maraichage existe dans les espaces urbains il en est de même pour
les zones rurales. La superficie disponible permet à ces campagnes de
mener un maraichage sur des superficies viables économiquement.
Le maraichage en Afrique, notamment en Afrique de l'Ouest dans
des pays comme le Niger, la Côte d'Ivoire (Bastin, Fromageot, 2007) ou
encore le Mali, est une activité complémentaire à la
céréaliculture pluviale en zone rurale. Pour cette raison, elle
est souvent présentée comme une agriculture de contre-saison.
S'il est vrai que la pratique de culture de légumes a
toujours existé dans ces pays d'Afrique de l'Ouest, il n'en va pas de
même pour son caractère commercial, apparu il y a moins d'une
quarantaine années. Il s'agissait jusque-là d'un jardinage, dont
le
6 Site: Potage-Toit
14
but était principalement l'autoconsommation. On produisait
ainsi les condiments nécessaires pour les sauces qui accompagnent le
riz, le mil ou encore le sorgho. Progressivement, à partir du
début des années 1980, cet aspect commercial a pris de l'ampleur
dans des pays comme le Mali. Les politiques comme les exploitants ont pris
conscience de son potentiel, donnant lieu à une vulgarisation des
techniques culturales, à la création de terres à
destination du maraichage (Projet Rétail, 1984) et tout un ensemble de
politiques de développement pour la promotion des cultures
maraichères.
Ce changement, ce développement de la dimension
commerciale s'inscrit dans un contexte, pour ces pays d'Afrique de l'Ouest.
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