B. En droit interne
En France, la Déclaration des droits de l'Homme et du
Citoyen de 1789 ainsi que le préambule de la Constitution de 1946
fondent la liberté de conscience en général, de religion
en particulier. De fait, on retrouve dans le Code du travail deux articles qui
confortent ces deux normes supérieures :
L'article L.1121-1 : « Nul ne peut apporter aux droits
des personnes et aux libertés individuelles et collectives de
restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la
tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché
».
Et l'article L.1321-3, lequel précise en son
deuxième alinéa les dispositions que ne peut contenir le
règlement intérieur d'une entreprise : « le règlement
intérieur ne peut contenir : [...] 2° des dispositions apportant
aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives
des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la
tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché
».
Par ailleurs, l'article L.2313-2 du Code du travail relatif au
droit d'alerte du délégué du personnel permet à ce
dernier d'interpeller l'employeur en cas d'atteinte « aux droits des
personnes, à leur santé physique et mentale ou aux
libertés individuelles dans l'entreprise qui ne serait pas
justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni
proportionnée au but recherché ». En cas de carence de
l'employeur, le délégué du personnel peut saisir le
Conseil de Prud'hommes en référé ; il s'agit en effet de
faire cesser un trouble manifestement illicite au sein de l'entreprise.
Dans la pratique, la Cour de cassation se montre
particulièrement sévère à cet égard,
dès lors que tout licenciement par l'employeur en violation d'une
liberté fondamentale est frappé de nullité absolue. Encore
faut-il que la liberté en question soit appréciée comme
telle par le juge, mais cela ne fait aucun doute en la matière
religieuse.
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La Cour de cassation a ainsi posé pour la
première fois le principe de nullité dans l'arrêt
Clavaud123, rendu le 28 avril 1988 par la chambre sociale.
S'il n'est pas question ici de liberté religieuse - en l'espèce,
c'est la liberté d'expression d'un salarié qui était
visée - cette décision est tout à fait surprenante en ce
sens qu'elle revêt un caractère prétorien. En effet, aucun
texte ne pouvait fonder une telle nullité, hormis l'article civiliste
L.1131 qui dispose que « l'obligation sans cause, ou sur une fausse cause,
ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet ». L'arrêt
susmentionné, pour fonder une telle sanction à l'encontre de
l'employeur, s'est donc reporté au visa des articles 6 et 10 de la
Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés
fondamentales : « en raison de l'atteinte qu'il porte à la
liberté fondamentale de témoigner, garantie d'une bonne
justice, le licenciement prononcé en raison du contenu d'une attestation
délivrée par un salarié au bénéfice d'un
autre est atteint de nullité, sauf en cas de mauvaise foi de son auteur
». Ainsi, c'est l'atteinte même à la liberté
fondamentale qui est sanctionnée et qui emporte ipso facto
nullité du licenciement.
Dans un autre arrêt rendu par la chambre sociale de la
Cour de cassation, en date du 13 mars 2001124, il est
précisé encore qu'un licenciement ne peut être
annulé « en l'absence de disposition le prévoyant
expressément et à défaut de violation d'une liberté
fondamentale ». Cela suggère que, dès lors qu'une
liberté fondamentale a été violée, il convient de
prononcer la nullité du licenciement même si aucun texte
législatif ne le prévoit expressément.
Enfin, un arrêt plus récent125 fait
porter la charge de la preuve à l'employeur ; « lorsque la rupture
illicite d'un contrat à durée déterminée avant
l'échéance du terme comme intervenue en dehors des cas
prévus par l'article L.1243-1 du Code du travail, fait suite à
l'action en justice engagée par le salarié contre son employeur,
il appartient à ce dernier d'établir que sa décision est
justifiée par des éléments étrangers à toute
volonté de sanctionner l'exercice, par le salarié, de son droit
d'agir en justice ».
123 Cass. Soc. 28 avril 1988, n°87-41804
124 Cass. Soc. 13 mars 2001, n°99-45735
125 Cass. Soc. 6 février 2013, n°11-11740
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De fait, cela prouve que la Cour de cassation est
particulièrement attentive en matière de libertés
fondamentales des salariés, notamment religieuse, qu'elle veille
à protéger jalousement. Néanmoins, la question peut se
poser quant à l'articulation de celles-ci avec la liberté de
l'employeur, mentionnée dans le précédent chapitre.
D'où la nécessité d'instaurer un juste équilibre,
afin de garantir le maintien d'une cohésion sociale dans
l'entreprise.
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