II : Types d'acteurs et usages de la nature en zone de
montagne.
Les personnes qui vivent en montagne ou qui la
fréquentent ne constituent pas un groupe homogène, on y
distingue plusieurs catégories d'acteurs qui ont des usages
différents de la nature. L'usage que les gens font de la nature
détermine largement la représentation qu'ils ont des
espaces naturels et de la faune et de la flore qui la compose, mais l'inverse a
aussi sa part de vérité car dans une certaine mesure
selon les représentations les usages diffèrent.
L'expérience que chacun a de ce qui l'entoure constitue son
environnement propre. Ainsi, lorsqu'il est en montagne, l'environnement du
paysan n'est pas celui du randonneur ni celui de l'agent chargé du suivi
des espèces animales ou de la gestion de la forêt. Car ce
qui constitue l'environnement d'un individu dépend en grande
partie du type d'activité qu'il y pratique ; quotidiennement
pour certains, dans le cadre de leur activité professionnelle. Leurs
visions ne sont pas les mêmes puisque chacun aborde la nature avec un but
et des pratiques spécifiques.
Adel Selmi (2007) dans le cadre des recherches qu'il a
menées sur le Parc National de la Vanoise a établi des
liens entre trois groupes sociaux et trois façons de catégoriser
le paysage. Le paysage « ouvert » est valorisé par les
associations à caractère touristique et il permet une
contemplation de la nature. Le paysage « fermé » est
valorisé par certains naturalistes pour lesquels la nature doit
être protégée de la manière la plus stricte qui
soit. Quant au paysage entretenu, nettoyé, « propre »
c'est celui que valorisent les éleveurs et il précède
l'idée même que la nature puisse et doive faire l'objet de
protection. Si le paysage « propre » et le paysage «
ouvert » recouvrent une même réalité physique, un
même état de la végétation, le paysage «
fermé » quant à lui correspond à un état du
couvert végétal associé à la
déprise agricole et il caractérise un espace naturel où
l'homme n'a plus d'influence, si ce n'est celle de laisser
délibérément cet espace revenir à une
certaine « primitivité » comme cela peut être
le cas dans la zone centrale d'un Parc National. Adel Selmi explique comment la
loi sur les parcs nationaux a trouvé un compromis entre ces
trois types de regards en mettant en
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place un aménagement en trois zones, chaque
zone correspondant à un certain degré de protection.
Dans son enquête sur l'évolution des populations
d'animaux sauvages, menée principalement en Vanoise, Isabelle
Mauz décrit deux grands types de monde, régis par des
couples d'opposition différents. Le premier est
structuré par une opposition entre sauvage et domestique et
d'une manière générale il regroupe les chasseurs, les
éleveurs et les agents du Parc National les plus anciens. Dans le
second, l'opposition se fait entre nature et artifice, il regroupe
principalement les nouveaux gardes du parc et les naturalistes. Or le sauvage,
dévalorisé dans le premier monde, correspond au naturel qui est
valorisé dans le second. Ceci apporte une explication aux conflits de
représentations que l'on constate notamment dans le cadre de la
mise en oeuvre de politique de protection de la nature.
Concernant la figure du montagnard, tout comme la
notion de montagne, elle échappe à la possibilité
d'une définition simple. Néanmoins, la perception des
montagnards par ceux de l'extérieur oscille souvent entre deux
pôles : les montagnards peuvent être vus, soit comme des
« sauvages », un « groupe autarcique à civiliser »
ou bien au contraire ils sont de « bons sauvages » ayant «
l'intelligence profonde des choses » et « le sens de
la vraie hospitalité » (Jean-Paul Bozonnet, 1992). Quant
à l'auto-désignation par les populations
elles-mêmes, elle semble avoir été plus tardive
dans l'histoire et elle apparaît généralement dans des
contextes de revendications ou d'affirmation. On met alors en
avant les caractères positifs associés à la figure
du montagnard. ( Bernard Debarbieux, 2008)
Lors de mon enquête de terrain j'ai pu rencontrer des
personnes correspondant aux principales catégories d'acteurs
évoquées. À Mérens j'ai pu rencontrer des
éleveurs, un chasseur, également propriétaire du
seul café du village, un accompagnateur en montagne, également
agent territorial, des personnes âgées, nées au village et
retraitées de différentes activités, etc. Lorsque
j'ai rencontré ces personnes, la discussion sur l'ours a toujours fini
par s'orienter vers la question de la
réintroduction des ours venus de Slovénie, à propos du
pastoralisme et de la vie des gens en montagne.
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