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Le droit à l'autodétermination pour les peuples autochtones - à la lumière de l'exemple australien

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par Paguiel KOHLER
Université de La Réunion - Master Relations Internationales, Mention Europe et océan Indien 2013
  

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II - L'exercice par les peuples autochtones du droit à l'autodétermination

Pilier du droit international contemporain, le droit à l'autodétermination est en vigueur depuis 1945, année de la signature Charte des Nations Unies. Il a été renforcé en 1960, lors de l'adoption de la Résolution 1514 sur la décolonisation et, par la suite, lors de la rédaction des Pactes relatifs aux Droits de l'Homme. Dans le cadre de la décolonisation, bon nombre de peuples ont exercé ce droit afin d'acquérir leur indépendance, et la structure politique mondiale s'en est trouvé profondément modifiée.

Le Rapporteur spécial de la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités Aureliu Cristescu affirmait que :

« En tant qu'un des droits fondamentaux de l'homme, la reconnaissance du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est liée à la reconnaissance de la dignité humaine des peuples, car il existe un rapport entre le principe de l'égalité de droits et de l'autodétermination des peuples et le respect des droits fondamentaux de l'homme et de la justice. Le principe de l'autodétermination est le corollaire naturel du principe de la liberté individuelle et la sujétion des peuples à une domination étrangère constitue un déni des droits fondamentaux de l'homme » 108.

Les violences exercées contre les populations autochtones, en particulier dans le contexte des conflits liés aux droits à la terre, sont les séquelles persistantes de plusieurs siècles d'assujettissement. Aujourd'hui les communautés autochtones revendiquent la restitution de leurs terres, le respect de leurs cultures ainsi que la reconnaissance de leur droit à l'autodétermination. En effet, juridiquement, les peuples autochtones n'ont pas bénéficié du processus de décolonisation tel qu'il est inscrit dans le cadre du droit international.

En vertu de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones adoptée par l'Assemblée générale en septembre 2007, les peuples autochtones ont le droit à l'autodétermination et les droits sur leurs terres et ressources. Ce n'est pas le cas des minorités ethniques, religieuses et

108 Cf. § 221 de l'étude intitulée Le droit à l'audodétermination : développement historique et actuel sur la base des instruments des Nations Unies, élaborée par Aureliu Cristescu, Rapporteur spécial de la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, 1981.

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linguistiques, dont le droit de jouir de leur propre culture, de professer et pratiquer leur propre religion ou d'employer leur propre langue est consacré à l'article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. À ce propos, les pratiques des États varient selon les pays. Certains nient même le statut de minorités à des entités qui constituent des peuples au sein de leur nation.

Nous allons donc traiter de l'élaboration de ce droit des peuples à disposer d'eux-mêmes en analysant ses contours (A), puis nous aborderons ensuite la réception du droit à l'autonomie gouvernementale des peuples autochtones (B). Enfin, nous reviendrons sur l'exemple Australien, en analysant la mise en place de la politique d'autodétermination des aborigènes (C).

A) Les contours du droit à l'autodétermination pour les peuples autochtones

Si l'indépendance et la naissance de nouveaux États a semblé être l'exercice normal du droit à l'Autodétermination pour les peuples sous domination coloniale ou occupation étrangère, dans le cas des peuples non soumis à la domination coloniale ou l'occupation, cet exercice doit se faire normalement dans le cadre des États, à condition que les conditions politico-juridiques nécessaires existent ou puissent être créées.

Nous verrons dans cette sous partie les différentes formes sous lesquelles se présente l'exercice de ce droit (i.). Nous verrons ensuite les raisons pour lesquelles ce droit est généralement assimilé à la notion de décolonisation (ii.). Enfin nous nous intéresserons à la portée juridique interne du droit des peuples autochtones à disposer d'eux-mêmes (iii.).

i. Les différentes formes de l'exercice du droit à l'autodétermination

Ce principe de « libre option des peuples » est la clé du programme du président des États-Unis Woodrow Wilson à la fin de la Première Guerre mondiale. Bien que la notion ne soit pas explicitement mentionnée dans son célèbre discours, plusieurs points sont clairement sous-tendus par le principe du droit à l'autodétermination, avec pour aspect essentiel le droit des peuples, à l'intérieur de l'État, de se gouverner eux mêmes. Son inscription parmi les buts de guerre américains a conduit à sa transformation en règle de droit international à travers les traités de paix, qui ont établi de nouvelles frontières étatiques dessinées autour de territoires réputés homogènes.

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Dans ce cadre, l'autodétermination apparaît comme la composante politique principale du droit des peuples 109.

Au moment de la création de l'ONU, l'autodétermination des peuples était conçue comme une aspiration de la communauté internationale. L'autodétermination relève du statut même de peuple, et du pouvoir qu'il a de décider quelles sont les responsabilités dont il a besoin pour gouverner. Le droit à l'autodétermination peut être défini par son essence, qui est le droit de choisir. L'ONU va donc considérer que de ce droit découle le droit de fixer librement son statut politique. Il est donc possible de faire une distinction théorique entre « l'autodétermination « externe », qui signifie l'acte par lequel un peuple détermine son futur statut au niveau international et se libère lui-même du joug de « l'étranger », et de l'autre, l'autodétermination « interne », qui a trait essentiellement au choix du système politique et administratif, et à la nature profonde du régime choisi.

Le droit à l'autodétermination a été réaffirmé dans l'Acte final d'Helsinki de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe de 1975 qui énonce que « les États participants respectent l'égalité de droits des peuples et leur droit à disposer d'eux-mêmes en agissant à tout moment conformément aux buts et aux principes de la Charte des Nations Unies et aux normes pertinentes du droit international, y compris celles qui ont trait à l'intégrité territoriale des États ».

Dans l'Acte final de la conférence la distinction autodétermination « interne », et « externe » a été également reprise :

« En vertu du principe de l'égalité de droit des peuples et leur droit à disposer d'eux mêmes, tous les peuples ont toujours le droit, en toute liberté, de déterminer, lorsqu'ils le désirent et comme ils le désirent, leur statut politique interne et externe, sans ingérence extérieure, et de poursuivre à leur gré leur développement politique, économique, social et culturel ».

Nous allons donc traiter de la dimension interne et externe du droit à l'Autodétermination (1.), avant d'aborder de manière spécifique l'exercice de ce droit par les peuples autochtones (2.).

1) L'autodétermination externe et interne

La Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux du 14 décembre 1960 va consacrer le droit à l'autodétermination externe, en rendant contraire à la Charte des Nations Unies toute domination et/ou exploitation étrangère d'un peuple. Bien que dénuée de valeur

109 FÉRON Élise , « Autodétermination », Encyclopoedia Universalis [en ligne], consulté le 15 janvier 2012

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obligatoire, cette Déclaration réaffirma avec vigueur le droit à l'autodétermination en refusant tout retard dans l'accession ou l'octroi de l'indépendance, sous quelque prétexte que ce soit

À l'époque, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes se rattachait aux idées de liberté, de justice, d'égalité et vise à redresser des torts, à défendre les faibles et à bâtir un monde meilleur. Mais ce principe peut s'avérer contradictoire, comme le démontre l'opposition entre le caractère révolutionnaire lorsqu'il soutient la sécession, ce qui met en présence l'État et une partie de sa population, et le caractère conservateur lorsqu'il protège les États, mettant ici en présence deux États. Il n'existe pas de droit de sécession unilatérale pour les communautés infra-étatiques, sauf dans certains cas particulièrement graves et irrémédiables de violation des droits de l'Homme. Faute d'être autorisée, une sécession est néanmoins possible si elle réussit à s'imposer.

Le droit à l'autodétermination externe peut s'exercer de plusieurs manières. Selon la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies adoptée par l'Assemblée générale de l'ONU en 1970 :

« La création d'un État souverain et indépendant, la libre association ou l'intégration avec un État indépendant ou l'acquisition de tout autre statut politique librement décidé par un peuple constituent pour ce peuple des moyens d'exercer son droit à disposer de lui-même ».

Il convient de constater que les États constitués en fédération ou en confédération offrent plus de possibilités aux peuples qui les composent d'exercer leur droit à l'autodétermination. Nous reviendrons plus tard sur ce point

Le droit à l'autodétermination interne sera lui consacré par une résolution de l'Assemblée générale du 14 décembre 1960, même jour que la Déclaration sur l'octroi de l'indépendance, qui énonce :

« Tous les peuples ont le droit de libre détermination ; en vertu de ce droit ils déterminent librement leur statut politique ».

Cependant, la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies dispose que c'est « chaque État (qui) a le droit de choisir et développer librement son système politique, social, économique et culturel ».

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Un compromis sera trouvé dans la Charte des droits et devoirs économiques des États du 12 décembre 1974 :

« Chaque État a le droit souverain et inaliénable de choisir son système politique, social, et culturel, conformément à la volonté de son peuple, sans ingérence, pression ou menace extérieure d'aucune sorte ».

La Déclaration d'Alger de 1976 viendra préciser dans son article 5 que tout peuple « détermine son statut politique en toute liberté, sans aucune ingérence étrangère extérieure ». Le droit à l'autodétermination interne c'est donc, au sens de cette déclaration, le droit pour chaque peuple « à un régime démocratique représentant l'ensemble des citoyens... capable d'assurer le respect effectif des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales pour tous ».

Ainsi, dans la Charte des Nations Unies et dans les déclarations adoptées dans les années 1960 et 1970, le droit à l'autodétermination a été consacré pour donner une base juridique à l'autodétermination des peuples colonisés. L'exercice de ce droit a donc une dimension externe/internationale, puisqu'il s'agit de permettre la décolonisation et l'indépendance des peuples colonisés.

En vertu des deux Pactes internationaux relatifs aux droits humains de 1966 et de la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États et conformément à la Charte des Nations Unies, les États ont des obligations à la fois négatives et positives.

Premièrement, tout État a le devoir de respecter le droit à l'autodétermination en conformité avec la Charte des Nations Unies. Deuxièmement, tout État a le devoir de favoriser la réalisation du droit des peuples à l'autodétermination et d'aider l'ONU à s'acquitter de ses responsabilités dans l'application de ce principe, afin de :

· Favoriser les relations amicales et la coopération entre les États ;

· Mettre rapidement fin au colonialisme en tenant dûment compte de la volonté librement exprimée des peuples intéressés 110.

Les événements consécutifs au démembrement de l'U.R.S.S. et de la Fédération yougoslave ont néanmoins mis en évidence la difficulté d'application du principe d'autodétermination lorsque de nombreuses minorités se partagent un même territoire. Le débat suscité par la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo à partir de 2008 révèle la vigueur des controverses que suscite encore le

110 Cf. résolution 2625 (XXV) de l'Assemblée générale de l'ONU, adoptée le 24 octobre 1970.

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droit à l'autodétermination.

Le Kosovo était une région autonome de la République populaire de Serbie, comprise jusqu'en 1989 dans le cadre de la République fédérale de Yougoslavie. Avec l'indépendance du Monténégro, la RFY a pris le nom de Serbie, et considère le Kosovo comme une des ses provinces. En février 2008, cet État a proclamé unilatéralement son indépendance, avec l'appui de certaines grandes puissances. Dans son arrêt rendu le 22 juillet 2010, la Cour internationale de Justice a conclu que la déclaration d'indépendance du Kosovo du 17 février 2008 n'a pas violé le droit international 111.

Tous ces instruments stipulent que « tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes », mais il n'a jamais été spécifiquement fait mention des peuples autochtones.

2) L'autodétermination des peuples autochtones

Les bénéficiaires du droit à l'autodétermination sont les peuples. L'État est l'instrument de l'exercice de ce droit entre les mains du (ou des) peuple(s) qui le compose(nt). Lorsqu'il est utilisé pour désigner un groupe titulaire de droits collectifs lui permettant d'assurer sa pérennité, le terme « peuple » comprend l'idée d'un droit, pour ce groupe, à sa libre disposition (autodétermination). Aujourd'hui, dans le cas des peuples autochtones, certains États ont pris le parti de contester que ce droit accorde le statut de peuple à ceux qui se réclament de l'appartenance à un peuple.

Les peuples autochtones revendiquent aujourd'hui leur droit à l'autodétermination dans un monde qui est devenu extrêmement interdépendant. Dans ce contexte, la majorité d'entre eux désirent aujourd'hui une forme de libre association avec les États dans lesquels ils se trouvent sous l'arbitrage du droit international. Certains États ont d'ailleurs profité de cette volonté sincère des peuples autochtones de négocier un partenariat pour exiger un rétrécissement formel de leur droit à l'Autodétermination. Le gouvernement américain, par exemple, défendait une position se disant disposé à accepter les termes « peuples » et « autodétermination » dans le Projet de Déclaration sur les peuples autochtones à condition que le premier n'implique en aucune façon l'exercice du droit à l'autodétermination, et que l'on formule le second de manière à préciser qu'il s'agit d'une autonomie ou d'une auto-administration à l'intérieur de l'État-nation existant 112.

111 Cour internationale de Justice, Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d'indépendance relative au Kosovo, avis consultatif du 22 juillet 2010

112 Séminaire Droit à l'autodétermination des peuples autochtones (New York, le 18 mai 2002 ; National Library of Canada, second quarter 2002.) p.20

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Cette position représente une menace pour les peuples autochtones. En effet, puisque aucun instrument juridique international ne définit les termes « autodétermination interne »,

« autonomie », « autonomie gouvernementale » ou « auto-administration », ils sont donc sujets à l'interprétation que les États leur donnent.

Dans son rapport sur la situation des peuples autochtones, Martinez Cobo distingue six types de politiques suivies par les États vis-à-vis des autochtones. Tout d'abord :

« la ségrégation , reposant en général sur la croyance en une hiérarchie des cultures, elle revêt souvent la forme inadmissible de l'apartheid et des réserves-ghettos. L'assimilation repose également sur l'idée de hiérarchie : l'autre est accepté... à condition qu'il abandonne ses spécificités en faveur de la société dominante. L'intégration représenterait une voie moyenne : elle n'implique que la suppression des spécificités qui, dans chaque culture contiennent des obstacles à l'unité de l'ensemble. Elle repose sur repose sur l'élimination des clivages purement ethniques, l'égalité juridique de tous les citoyens, à chaque groupe qu'ils appartiennent. Mais on peut observer que, dans la pratique, l'intégration est soumise à des rapports de force (les cultures en présence sont rarement sur un pied d'égalité in concreto), et a donc tendance à se muer en forme plus progressive d'assimilation. La fusion, " processus en vertu duquel deux cultures au moins s'associent pour en produire une autre qui diffère de façon marquée de chacune d'entre elles ainsi que de nouveaux éléments produits par le contact... " [...] Le pluralisme, quant à lui, "... vise à unir différents groupes ethniques dans un rapport d'interdépendance, de respect mutuel et d'égalité, tout en leur permettant de maintenir et de développer leur mode de vie propre. Il peut comporter une séparation physique, mais le plus souvent ce n'est pas le cas. Toute séparation existante est choisie volontairement : elle n'est pas imposée" [...] Enfin l'autonomie, corollaire fréquent de l'orientation précédente. Elle ne se confond pas avec la sécession, mais peut s'identifier à une autogestion interne des groupes autochtones. La plupart d'entre eux insistent sur le caractère déterminant des facteurs culturels dans le développement économique ; la nécessité de la reconnaissance juridique du caractère collectif de la propriété des terres ; la mise en oeuvre d'une autonomie politique » 113.

Jusqu'à récemment, le seul instrument international offrant une protection spécifique aux droits des peuples autochtones était la Convention n°169 de l'OIT, dont les articles 13 à 17, en particulier, consacrent les droits des peuples autochtones à leurs terres et à leurs territoires et leur droit de

113 Voir Rouland Norbert, Pierré-Caps Stéphane, Poumarède Jacques « Droit des minorités et des peuples autochtones », PUF, 1996, pp. 399-400 ; Chap IX « Politique fondamentale », Doc. E/CN.4/Sub.2/1983/21/Add.1, p. 4-10 ; §22, p. 6 ; §28 p. 8 ; §29 p. 9

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participer à l'utilisation, à la gestion et à la conservation de leurs ressources. Ils consacrent également les droits des peuples autochtones à la consultation avant toute utilisation des ressources situées sur leurs terres et l'interdiction de les déplacer de leurs terres et territoires.

L'adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones par l'Assemblée générale en septembre 2007, permet d'aller plus loin que la Convention de l'OIT. La Déclaration commence par reconnaître que les peuples autochtones ont le droit de jouir pleinement, soit collectivement soit individuellement, de tous les droits humains et de toutes les libertés fondamentales reconnus dans les instruments relatifs aux Droits de l'Homme. Puis elle reconnaît le droit des peuples autochtones à l'autodétermination et leurs droits sur leurs terres et ressources.

De par leur droit fondamental à l'autodétermination, les peuples autochtones ont le droit de promouvoir, de développer et de conserver leurs structures institutionnelles, le droit d'être autonomes et d'administrer eux-mêmes leurs affaires intérieures et locales, le droit d'appartenir à une communauté ou une nation autochtone, le droit d'acquérir une citoyenneté autochtone qui ne remette pas en cause leur citoyenneté nationale et le droit de participer pleinement à l'élaboration des mesures légales ou administratives susceptibles de les concerner. Ils ont le droit de posséder, de gérer et d'utiliser leurs terres et territoires, le droit de négocier ou de refuser tout projet d'exploitation de leurs terres, le droit d'obtenir la restitution des terres et des ressources qu'ils possédaient, occupaient ou exploitaient traditionnellement, ou à défaut, lorsque la restitution de leurs terres traditionnelles se révèle impossible, le droit d'être indemnisés de manière juste. Ils ont le droit de contrôler, développer et protéger leurs cultures, leurs traditions, leurs savoirs et leurs arts, le droit de conserver leurs lois et leurs pratiques juridiques à condition que ces dernières soient conformes avec les Droits de l'Homme, le droit de pratiquer librement leurs rites religieux, le droit de maintenir leur économie traditionnelle, le droit d'utiliser et de revivifier leurs langues, et le droit de recevoir une éducation dispensée dans leurs propres langues, conformément à leurs méthodes culturelles d'enseignement et d'apprentissage. Ils ont également le droit de bénéficier de mesures spéciales du fait de leurs désavantages socio-économiques, le droit de définir leurs priorités et leurs stratégies de développement, le droit d'élaborer les programmes économiques et sociaux qui les concernent, et autant que possible, le droit de les administrer au moyen de leurs propres institutions. Enfin, ils ont le droit de s'identifier librement en tant qu'autochtones et le droit d'être pleinement protégés contre toute forme de discrimination ou de génocide 114.

La réalisation du droit à l'Autodétermination consiste à engager un dialogue soutenu avec la

114 Ibid, p. 95

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population dominante, et à poursuivre les campagnes de sensibilisation auprès des organes gouvernementaux. Potentiellement, le droit à l'autodétermination des peuples autochtones et celui des États dans lesquels ils vivent pourraient entrer en conflit, surtout s'il n'y a pas de concertation sur les intérêts divergents des divers acteurs mentionnés, ni le respect des droits humains fondamentaux et des principes démocratiques. Il s'agit également de renforcer la solidarité entre les peuples autochtones du monde entier, et ce grâce à une participation active au sein des Nations Unies.

Selon Rodolfo Stavenhagen, Rapporteur spécial de l'ONU sur la situation des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales pour les peuples autochtones, il existe divers niveaux d'approche et d'analyse de la question du droit à l'autodétermination. Ainsi il parle d'approche verticale, de haut en bas, et d'approche pyramidale, de la base vers le sommet.

La première est celle que les États ont traditionnellement adoptée, parce que ce qui les préoccupe, c'est une application valide du droit à l'autodétermination tel qu'il est défini par les instruments nationaux et internationaux pertinents.

L'approche pyramidale, pour sa part, peut être considérée comme une approche constructiviste : « le droit à l'autodétermination entendu, en fait, comme un droit des peuples plutôt qu'un droit des États; comme un droit de collectivités organisées d'une certaine manière » 115.

Du fait de l'importance politique des différents textes internationaux, la doctrine estime que ce droit ne peut s'appliquer aux peuples autochtones qui ne sont pas soumis à la domination coloniale. Elle opère donc une dissociation entre le droit des peuples et le principe d'autodétermination hors les cas de domination coloniale.

ii. L'autodétermination assimilée à la décolonisation

Il apparaît que l'existence d'une situation de colonisation, présente ou passée, est un point commun à toutes les communautés autochtones. Selon la définition de l'ONU, un territoire non autonome, donc colonisé, doit être séparé par la mer de l'État qui l'administre. Les colonies ne peuvent donc qu'être en dehors du territoire national, au delà des mers. Les territoires qui satisfont à ces critères bénéficient donc du droit à l'autodétermination 116.

115 Séminaire Droit à l'autodétermination des peuples autochtones (New York, le 18 mai 2002 ; National Library of Canada, second quarter 2002.) p. 44

116 Résolution 1514 (XV), Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et peuples coloniaux, adoptée par l'Assemblée

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Toutefois, selon Marie-Claire Bertin, « cette définition de la colonisation a des conséquences différentes sur les peuples autochtones selon l'endroit où ils se trouvent. Elle circonscrit la qualification de peuples autochtones aux groupes qui vivent sous la domination d'États européens ou d'origine européenne. Ces États reconnaissent que des peuples autochtones vivent sur leurs territoires. La condition de la séparation géographique est satisfaite dans la mesure où ces peuples sont les descendants de ceux qui occupaient et contrôlaient les territoires au moment où les colons européens sont venus s'installer et les déposséder. En revanche, ils vivent maintenant sur le territoire métropolitain d'États indépendants, il n'y a donc plus de séparation géographique. Ces peuples vivent sur le territoire d'États indépendants et non dans des colonies, ils en constituent donc pas des populations non autonomes. Par conséquent, ces peuples autochtones ne peuvent pas obtenir la qualification de peuples au sens du droit international et donc ne peuvent pas prétendre exercer le droit à l'autodétermination » 117. Il faut donc assouplir cette conception, jugée par les Nations Unies comme trop restrictive.

Nous allons donc définir cette domination coloniale, qui peut avoir des formes différentes selon le territoire où elle est exercée (1.), avant de traiter de l'assimilation peuple autochtone/peuple colonisé (2.).

1) Définition de la décolonisation

La décolonisation est un mouvement de l'histoire résultant de la conjonction de forces diverses se renforçant mutuellement - affaiblissement des empires coloniaux dû à la guerre, prise de conscience de l'exploitation coloniale par une élite autochtone, rivalité Est-Ouest, tribune de l'ONU... - et rendant finalement intenable le maintien des dominations coloniales 118.

La décolonisation imposait deux exigences objectives : la rupture totale des liens qui maintenaient le territoire non autonome sous la domination politique de la puissance coloniale, et la sauvegarde de l'unité territoriale de l'ancienne colonie qui risquait de se désagréger en perdant le cadre colonial qui la maintenait de gré ou de force unie. Ces exigences ont été imposées aux peuples colonisés, au

générale des Nations Unies le 14 décembre 1960.

117 BERTIN Marie-Claire « Le statut des peuples autochtones en droit international » / Atelier National de Reproduction des Thèses / 2008 ; pp. 271-272

118 CHARPENTIER Jean, « Autodétermination et décolonisation » ; In : Mélanges Chaumont (Charles). - Paris : A. Pedone, 1984. - p. 119

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besoin contre leurs intérêts 119.

Il fallait donc distinguer les peuples colonisés des autres, en se basant sur plusieurs critères : la séparation géographique, la spécificité ethnique et culturelle, ou encore l'état de subordination. C'est donc une certaine qualification qui peut discerner ceux des peuples qui ont droit à l'autodétermination. Celle ci peut être opérée par un organe extérieur aux bénéficiaires des droits ainsi reconnus, ou encore par le peuple lui même qui témoignerait de son aptitude à accéder à l'indépendance. Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes devient ainsi, selon la forte expression de Charles Chaumont, le droit des peuples à témoigner d'eux-mêmes 120.

Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, le mouvement de décolonisation pris la forme d'une obligation coutumière de décolonisation, basée sur la situation objective des peuples concernés. Le problème se posait pour les peuples dépendants, que l'on appelle aussi « nations dans la nation », ou minorités nationales, qui restaient soumis à l'autorité des États. La reconnaissance de leur droit à l'Autodétermination impliquait que leur statut au sein de l'État soit revu dans un processus de décolonisation interne.

Aujourd'hui, si l'on suit le sens classique du terme, peu de peuples sont encore l'objet de la colonisation, mais on peut toutefois mentionner les Kurdes, les Saraouis ou encore les Tibétains.

C'est en ce sens que la Cour internationale de Justice a statué en 1975 sur l'affaire du Sahara Occidental, et a reconnu dans un avis consultatif « qu'on ne pouvait pas qualifier de Terra Nullius des territoires habités par des populations dont les critères d'organisation sociopolitiques, s'ils diffèrent de ceux des sociétés étatiques, n'en existent pas moins, et ne les disqualifient pas pour l'exercice d'un droit à l'Autodétermination » 121.

En outre, la Résolution 2625 ne restreint pas explicitement le droit à l'Autodétermination aux peuples sous domination coloniale dans la mesure où elle ne dit rien des États où persiste une domination de type colonial sous les apparences de l'unité politique, ce qui est le cas aujourd'hui de bon nombre de pays abritant des peuples autochtones sur leurs territoires. En effet, la domination de type colonial à l'égard des peuples autochtones peut se manifester à l'intérieur d'États qui sont eux même sortis de la situation coloniale 122.

La Charte de l'ONU contient plusieurs références à ce droit, ainsi que les Pactes de 1966 sur les Droits de l'Homme. Mais c'est l'Assemblée générale qui, au travers de ses nombreuses résolutions, a

119 Ibid, p. 124

120 Ch. CHAUMONT, « Le droit des peuples à témoigner d'eux-mêmes », i A.T.M., 1976, pp.15 et suiv.

121 ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane, POUMAREDE Jacques « Droit des minorités et des peuples autochtones », PUF, 1996, pp. 447 ; CIJ Avis consultatif sur le Sahara Occidental, 16 octobre 1975, §75 à 83

122 Cf. N. Rouland, Les colonisations juridiques : de l'Arctique à l'Afrique noire, Journal of Legal Pluralism, 29 (1990), pp. 39-136

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spécifiquement appliqué ce droit au contexte de la décolonisation. Les deux plus importantes sont la Résolution 1514 (XV), appelée la « déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux peuples et pays coloniaux », et la Résolution 2625 (XXV) « déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies ». Selon ces résolutions, le peuple non autonome peut déterminer librement son destin, soit en devenant un État indépendant souverain, soit en s'associant à un État indépendant ou en s'y intégrant. Dans sa Déclaration de 1970, l'Assemblée générale a circonscrit le droit à l'autodétermination dans la mesure où elle énonce que l'on doit considérer tout État souverain et indépendant, doté d'un gouvernement représentant l'ensemble de sa population, comme un État qui se conduit conformément au principe de l'égalité de droits et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, à l'égard de cette population.

Intéressons nous donc à l'assimilation qui est opérée entre peuple autochtone et peuple colonisé.

2) L'assimilation peuple autochtone/peuple colonisé

L'indépendance n'est qu'une des formes possibles d'exercice du droit à l'Autodétermination. Ainsi il serait possible d'envisager un cadre juridique international plus précis que celui qui s'appuie sur la Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et peuples coloniaux de 1960, et sur la Déclaration sur les relations amicales de 1970. La responsabilité des États est de rendre possible l'exercice de l'autodétermination des peuples, tandis que celle de la communauté internationale est plutôt de s'assurer que celui-ci s'effectue de manière pacifique. Il s'agit donc d'un défi pour les États de se démocratiser pour permettre aux peuples d'exercer leurs droits sans être soumis à la domination, et de fournir ainsi les conditions internes qui permettent l'exercice pacifique du droit à l'Autodétermination.

Selon Nina Pacari, députée à l'Assemblée nationale de l'équateur, la question de la reconnaissance du droit à l'Autodétermination aux peuples autochtones est une question politique.

« Il s'agit de peuples en situation d'exclusion au sein d'un État uninational hégémonique, dont le caractère mono-ethnique a, de fait, empêché les peuples autochtones de prendre part aux décisions concernant leur avenir. Dès l'origine, ces peuples s'inscrivent donc dans une continuité historique. Cependant, les États nationaux, en se constituant, ont oublié leur

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existence et imposé des institutions qui ne correspondent pas à la réalité nationale, si diverse et si plurielle. D'où un problème d'exclusion qu'il faut corriger en reconnaissant le caractère multiethnique de la société et de l'État, dans un cadre dépassant le déclaratif » 123

Il faut donc de nouveaux modèles d'États ; des États qui soient inclusifs et plurinationaux. Après que bon nombre d'États aient arraché leur indépendance aux puissances coloniales, le concept « une seule nation, un seul État » a gommé la diversité des peuples autochtones installés sur un territoire. La Convention 169 de l'OIT reconnaît aux peuples autochtones l'auto-affirmation de leur identité, et souligne le droit à l'identité autonome à laquelle ils ont droit. Cependant, il en coûte aux États de reconnaître pleinement cette auto-identification collective qui, par voie de conséquence, détermine le caractère plurinational d'un État 124. Ce principe de plurinationalité implique d'ailleurs des réaménagements territoriaux qui devront être effectués dans le respect de la diversité culturelle des différentes communautés autochtones. Ainsi, la participation et le contrôle des peuples autochtones ne seront possibles qu'à travers la décentralisation et les autonomies, en fonction des caractéristiques spécifiques de chaque État. Un État plurinational survit si son système politico-juridique est adéquat ou s'il s'adapte en vue de l'exercice de l'autodétermination de tous les peuples qui le composent.

La Charte des Nations Unies, en affirmant « le principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes », ne définit pas les bénéficiaires de ce droit. C'est l'Assemblée générale des Nations Unies qui va apporter les précisions nécessaires au travers de ses résolutions, attestant de ce fait que le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est une règle du droit coutumier international. Ces résolutions expriment l'opinio furis selon laquelle le colonialisme est contraire à la Charte.

Les modalités d'exercice du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes sont posées dans la résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960, intitulée Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et peuples coloniaux. Cette résolution confirme que le mouvement de décolonisation a donné ses caractéristiques au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes : « il concerne tous les peuples des territoires colonisés par des États européens, des territoires qui sont tous géographiquement séparés de ces États et il s'exerce dans le cadre des frontières coloniales, en vertu du principe de l'uti pussidetis furis » 125. Ce principe consiste à respecter les frontières tracées par

123 Séminaire Droit à l'autodétermination des peuples autochtones (New York, le 18 mai 2002 ; National Library of Canada, second quarter 2002.) p. 26

124 Ibid, p. 26

125 BERTIN Marie-Claire « Le statut des peuples autochtones en droit international » / Atelier National de Reproduction des Thèses / 2008 ; p. 322

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l'État colonisateur, et ainsi maintenir les délimitations territoriales administratives coloniales.

Considérée comme la Charte de la décolonisation, cette résolution pose problème lorsqu'on aborde la question de l'autodétermination, qui n'a été développée par l'Assemblée générale que dans le cadre de la décolonisation. Celle ci considère que l'exercice du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes amène nécessairement à l'indépendance, l'issue par excellence d'une situation de colonisation.

Lorsqu'il ne conduit pas à l'indépendance, mais aboutit sur une association ou une intégration dans un État indépendant, l'Assemblée générale exige un référendum, afin de prendre conscience de la volonté réelle du peuple colonisé 126.

Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ne peut donc être exercé que sur un peuple colonisé, et assimile l'autodétermination avec l'indépendance. Cette conception ne facilite pas son application en dehors du contexte colonial. Afin d'exercer pleinement ce droit, les peuples autochtones doivent démontrer qu'ils constituent des peuples au sens du droit international. Il n'existe pas de définition unique en droit international de la notion de peuple, mais au sens de la décolonisation un peuple désigne l'ensemble de la population colonisée d'un territoire, qui est géographiquement séparé de l'État qui l'administre. Cette définition implique que le peuple soit la population entière, et exclut l'idée qu'un groupe minoritaire puisse constituer un peuple. En effet selon cette conception, « lorsque le droit à l'autodétermination a été exercé, la population forme une unité, tous les individus ont la même nationalité ; il n'y a qu'un seul peuple, il ne peut y avoir au mieux que des minorités. Par conséquent, il ne peut pas exister plusieurs peuples sur le territoire métropolitain d'un État indépendant » 127.

La Commission interaméricaine des Droits de l'Homme confirme cette conception dans son rapport sur les Indiens Miskito du Nicaragua 128. Elle considère que ces communautés sont des groupes, des minorités ethniques et ne sont pas par conséquent bénéficiaires du droit à l'autodétermination. Toutefois, la Cour leur reconnaît un droit à l'autodétermination interne de manière implicite : constatant qu'ils n'ont pas pu se développer sur les plans culturel et ethnique, elle suggère à l'État nicaraguayen de faire en sorte qu'il puissent être consultés et qu'ils participent aux prises de décisions politiques. La Commission reste ici dans le cadre du droit interne de l'État, et respecte ainsi son intégrité territoriale.

126 Cette exigence est posée dans les principes VII à IX de la Résolution 1514 (XV)

127 BERTIN Marie-Claire « Le statut des peuples autochtones en droit international » / Atelier National de Reproduction des Thèses / 2008 ; p. 336

128 Report on the situation of human rights of a segment of the Nicaraguan population of Miskito origin, OAS Doc. OEA/Ser.L/VLII.62, doc.26 (1984)

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Il est extrêmement important de sortir du cadre de la domination coloniale ou de l'occupation étrangère et d'accorder au droit d'autodétermination l'attention qu'il mérite. C'est en effet hors de ce cadre que l'exercice de ce droit a donné lieu aux changements les plus importants et catégoriques au sein de la communauté internationale.

Il est donc indispensable de fournir un travail d'ordre technique plus poussé aux échelons national, régional et international afin d'appréhender les implications concrètes du droit à l'Autodétermination.

Analysons maintenant la portée juridique du droit des peuples autochtones à disposer d'eux-mêmes.

iii. La portée juridique interne du droit des peuples autochtones à disposer d'eux-mêmes

L'autodétermination, la souveraineté et l'autonomie gouvernementale sont inhérentes au statut juridique des peuples autochtones. Il en existe de multiples approches et interprétations.

Le rapport rendu par Martinez Cobo en 1986 concluait que l'ethnocide des peuples autochtones durant l'ère moderne était directement associé à l'absence d'un droit à l'autodétermination reconnu. Il est donc très important pour eux qu'ils acquièrent la personnalité juridique internationale que confère ce droit, de manière à ce qu'ils puissent :

1) négocier avec les États sur la base d'une égalité formelle;

2) faire appel facilement à la communauté internationale pour demander protection contre les abus des États le cas échéant;

3) participer comme il se doit aux instances internationales où, de plus en plus, se prennent des décisions qui ont des retombées énormes sur leurs communautés.

Pourtant, dans un très grand nombre de cas, les peuples autochtones cherchent à acquérir une personnalité juridique internationale sans pour autant chercher à devenir des États indépendants.

Il s'agit ici de traiter de la dimension purement interne du droit à l'Autodétermination pour les peuples autochtones (1.), avant d'aborder les limites posées par le respect des droits territoriaux des autochtones et de l'intégrité territoriale des États (2.).

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1) La dimension interne du droit à l'Autodétermination pour les peuples

autochtones

Il n'existe pas à proprement parler de dimension interne de ce droit, mais des conditions internes au sein des États permettant de l'exercer pacifiquement vis-à-vis de l'autorité dirigeante et de l'intégrité du territoire. Si ces conditions n'existent pas ou ne peuvent être générées, le droit d'autodétermination pourra justifier la rébellion ou la sécession et exigera des réponses externes ou internationales, à commencer par la reconnaissance.

Au cours de sa séance de 1997, le Groupe de travail de la Commission des droits de l'homme et les États ont alimenté un débat autour des notions d'autodétermination « interne » et d'autodétermination « externe ». Le but était de circonscrire le droit des peuples autochtones à disposer d'eux-mêmes dans les limites d'un droit prescrit par les autorités internes ou par l'État 129.

Pour les peuples autochtones le droit à l'Autodétermination ne peut être interprété comme un droit à la sécession, sauf en dernier recours. Il s'agit plutôt d'une part d'un droit à coexister pacifiquement à l'intérieur d'un État avec le reste de la population, et d'autre part d'un droit à disposer de leur destin, par l'intermédiaire de leurs représentants avec les autorités de l'État. Ainsi, après la décolonisation externe, visant des territoires qui aboutissent à leur indépendance, et qui était autrefois la seule prise en compte, va émerger un nouveau concept : la décolonisation interne. Elle concerne les territoires indépendants, et n'aboutit qu'à une autodétermination interne, sans sécession. Cela signifie donc pour les peuples autochtones l'auto-administration pour les questions les concernant spécifiquement, la participation de l'État aux décisions les visant à l'échelon national, ou encore la participation à la vie politique de l'État. Cette distinction a par ailleurs été reprise par Irene Daes, ancienne présidente du groupe de travail sur les peuples autochtones :

« En théorie, du moins, il est possible de faire une distinction entre, d'une part, l'autodétermination "externe", qui signifie l'acte par lequel un peuple détermine son futur statut au niveau international et se libère du joug de "l'étranger", et, de l'autre, l'autodétermination "interne", qui a trait essentiellement au choix du système politique et administratif et à la nature profonde du régime choisi. [...] La meilleure façon d'envisager le droit à "l'autodétermination interne" est de le considérer comme le droit d'un peuple de

129 Cette conception est assez controversée. En effet, les gouvernements ne peuvent pas déclarer que les peuples autochtones ont le droit de disposer d'eux-mêmes tout en affirmant qu'ils ne disposent que du droit à une autonomie interne ou à une autonomie gouvernementale.

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choisir son propre régime politique, d'influer sur l'ordre politique de la région dans laquelle il vit et de sauvegarder son identité culturelle, ethnique, historique ou territoriale. [...] Dès lors qu'un État indépendant a été créé et reconnu, les peuples qui le constituent doivent essayer d'exprimer leurs aspirations par l'intermédiaire du système politique national et non en créant de nouveaux États, sauf si le système politique national devenait si exclusif et si peu démocratique qu'on ne pourrait plus le considérer comme "représentant l'ensemble du peuple ". À ce stade, et si toutes les mesures prises au niveau international et diplomatique étaient impuissantes à protéger les peuples concernés de l'État en question, ils auraient sans doute raison de créer un nouvel État pour assurer leur sécurité [...] La communauté internationale et l'auteur du présent document dissuadent les peuples de recourir à la sécession pour remédier à la violation de leurs droits fondamentaux mais, comme le montrent des événements récemment survenus de par le monde, le recours à la sécession ne peut être entièrement écarté » 130.

Les États ont des positions diverses sur la question de l'autodétermination, et bon nombre d'entre eux s'opposent fortement à l'assimilation de l'autodétermination à la sécession.

Néanmoins, en 1993 lors de la réunion du Groupe de travail de l'ONU, certains États manifestaient leur soutien à l'autodétermination des autochtones. L'Australie, par exemple, admettait que l'autodétermination pouvait servir à la « réconciliation nationale ».

En outre, la question des titulaires du droit à l'autodétermination est un problème pour certains États qui croient que tous les peuples autochtones ne sont pas des peuples au sens du droit international.

Plusieurs États voulaient ainsi voir des balises inclues dans le texte du projet de Déclaration sur les droits des peuples autochtones : libre détermination interne, autonomie gouvernementale, respect de l'intégrité territoriale et/ou de la souveraineté des États démocratiques. Face à cela, il a été reconnu par l'ensemble des représentants autochtones à l'ONU que le droit à l'Autodétermination des peuples autochtones doit être reconnu sans qualification, limitation ou discrimination. Les peuples autochtones refusent en effet de se voir imposer des conditions différentes de celles auxquelles sont soumises les autres peuples, le but de la reconnaissance du droit à l'autodétermination des peuples autochtones étant celle de leur égalité avec les autres peuples. L'exercice de ce droit doit donc se définir au cas par cas, avec la participation pleine et entière, effective et directe des peuples concernés.

130 DAES e.i., Note explicative concernant le projet de déclaration sur les droits des peuples autochtones, Doc. E/CN.4/Sub.2/1993/26/Add.1, 19 juillet 1993, §17 p. 19, 21, 23

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Les peuples autochtones doivent donc concilier leur droit à disposer d'eux-mêmes et la nécessité d'une collaboration avec les États sans lesquels ils ne peuvent agir. Le droit à l'Autodétermination doit être exercé « en conformité avec le droit international ». Ainsi, selon cette conception, le droit à l'Autodétermination est un droit modifié qui ne donne accès qu'à une autodétermination interne, c'est à dire une certaine forme d'autonomie gouvernementale limitée à l'intérieur d'un État existant.

Selon Irene Daes, dans le cadre d'une autodétermination interne, les peuples autochtones concernés auront acquis un certain nombre de droits de manière progressive. Il s'agit donc de retrouver le droit au développement des sociétés autochtones selon leurs propres besoins. En effet, l'autodétermination inclut, en plus du domaine politique, le contrôle de l'éducation locale, de la santé et même des médias. Aujourd'hui, peu de peuples autochtones sont représentés politiquement et cela même lorsqu'ils constituent un pourcentage important de la population nationale du pays. L'exercice de ce droit est une condition essentielle et indispensable pour la protection de l'identité collective autochtone, ainsi que de leur intégrité culturelle.

Reconnaître aux peuples autochtones qu'ils aient le droit à l'Autodétermination est une façon de reconnaître que ce ne sont pas des peuples de seconde catégorie mais biens des peuples égaux en droits et en dignité, ce qui implique qu'ils se conforment aux normes des Droits de l'Homme, qu'ils négocient de bonne foi et qu'ils épuisent toues les voies de négociation possibles afin d'exercer leurs droits. C'est donc la reconnaissance du fait que les peuples autochtones ont le droit d'être partie prenante aux décisions qui les concernent et qu'ils ont le droit, comme entité collective, de choisir les arrangements qui garantiront leur pérennité en tant que peuple. Cela implique également des États qu'ils acceptent l'accession des peuples autochtones aux forums internationaux et qu'ils négocient en égaux avec eux.

Parmi les peuples autochtones, on constate une multitude de points de vue sur la question de l'autodétermination. Ils ont donc diverses conceptions de ce droit et de quelle manière il opère dans leurs communautés et sociétés respectives.

Pour certains, il s'agit d'ententes d'autonomie régionale comme la création du Nunavut ou le statut de territoire autonome du Groenland (Greenland Home Rule) ; d'autres ont évoqué la souveraineté tribale aux États-Unis, comme dans le cas de la Nation Navajo ; d'autres encore, comme la Commission des Aborigènes et des Insulaires du détroit de Torres (ATSIC), estiment qu'il est fondamental, pour l'intégrité de la déclaration, qu'y soit mentionné sans ambiguïté le droit à l'autodétermination.

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Conformément au droit international, ce droit ne doit pas être interprété comme autorisant ou encourageant une action, quelle qu'elle soit, qui démembrerait ou menacerait, totalement ou partiellement, l'intégrité territoriale ou l'unité politique de tout État souverain et indépendant se conduisant conformément au principe de l'égalité de droit et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et doté d'un gouvernement représentant l'ensemble du peuple appartenant au territoire sans distinction de race, de croyance ou de couleur.

Le droit à l'Autodétermination pour les peuples autochtones s'exerce dans le respect de l'intégrité territoriale de l'État. Analysons donc l'objet de cette garantie.

2) La garantie du respect des droits territoriaux et de l'intégrité territoriale de l'État

Par définition, les peuples autochtones sont les descendants des occupants originaires des territoires sur lesquels ils vivent ou vivaient et dont ils ont été dépossédés par un groupe d'origine différente. C'est sur la base de cette occupation originaire qu'ils revendiquent la reconnaissance de leurs droits territoriaux, autrement dit d'un droit territorial reconnu par le droit international et mis en oeuvre, protégé par les États 131.

La relation des peuples avec leurs terres et ressources est un élément essentiel du droit à l'autodétermination comme en témoigne le second paragraphe de l'article 1 des deux pactes :

« Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, sans préjudice des obligations qui découlent de la coopération économique internationale, fondée sur le principe de l'intérêt mutuel, et du droit international. En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance. »

La terre constitue donc une partie intégrante de l'identité autochtone, et leur relation particulière avec cette dernière est « au centre de leur existence » 132. Cette relation à la terre n'a cependant pas été comprise par les colons européens, les amenant à déclarer des terres comme inutilisées,

131 BERTIN Marie-Claire « Le statut des peuples autochtones en droit international » / Atelier National de Reproduction des Thèses / 2008 ; p. 389

132 Rapport du Groupe de travail sur les populations autochtones, E/CN.4/Subb.2/1999/19, §84

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inoccupées et donc appropriables. Ce refus de prendre en compte et de respecter le lien particulier entre les peuples autochtones et leurs territoires a donc eu des conséquences dramatiques. Le territoire est en effet pour eux source d'identité culturelle, de savoirs et de spiritualité. Il est étroitement lié à leur survie.

Deux articles de la Convention 169 de l'OIT, et neuf articles de la Déclaration des Droits des Peuples Autochtones, ainsi que le Rapport de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (Rio 1992) tiennent compte du lien particulier des peuples autochtones à la terre.

Aujourd'hui les peuples autochtones subissent profondément l'empreinte de la modernité et tentent donc de valoriser le lien territorial comme élément essentiel de leur définition. Le territoire est en effet essentiel à leur survie : la dépossession de ce territoire conduit à une assimilation. En 1985, le Conseil mondial des peuples autochtones rappelait que :

« La Terre est le fondement des peuples autochtones. Elle est le siège de notre spiritualité, le terreau sur lequel fleurissent nos cultures et nos langages. La Terre est notre histoire, la mémoire des événements, l'abri des os de nos prédécesseurs. La Terre nous donne la nourriture, les médicament, nous abrite et nous nourrit. Elle est la source de notre indépendance ; elle est notre Mère. Nous ne La dominons pas : nous devons être en harmonie avec Elle. Si l'on veut éliminer les peuples autochtones, le meilleur moyen de nous tuer est de nous séparer de la part de nous-mêmes qui n'appartient qu'à la Terre » 133.

L'intégrité et le développement culturels des peuples autochtones dépendent aussi de leur capacité d'exercer leur droit de définir leur rapport à tout ce que recèlent leurs territoires respectifs. Les autochtones peuvent éventuellement s'enrichir grâce aux subsides gouvernementaux ou encore en développant ou en vendant leurs forêts et leurs ressources minières, mais resteront privés d'un authentique droit de disposer d'eux-mêmes s'ils ne peuvent plus exercer un contrôle réel sur leur territoire et leurs ressources naturelles 134. Les peuples autochtones ont toujours soutenu que leur rapport à la terre ou au territoire était au coeur de leurs cultures respectives.

Cet attachement au lien territorial est toutefois fortement mis à mal par les spoliations dont sont victimes les peuples autochtones. Toutes leurs revendications ont en effet pour fondement les spoliations de territoires et de souveraineté, et portent notamment sur le droit pour les peuples

133 Doc. E/CN.4/Sub.2/AC.4/1985/WP.4, p. 5

134 Séminaire Droit à l'autodétermination des peuples autochtones (New York, le 18 mai 2002 ; National Library of Canada, second quarter 2002. ISBN: 2-922084-67-1.)

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autochtones à disposer d'eux-mêmes. Elles risquent donc de mettre en cause la souveraineté et l'intégrité de l'État, ce qui explique la difficulté de faire avancer le mouvement au sein de l'ONU 135.

Les territoires autochtones, vu qu'ils n'ont pas été exploités, sont souvent très riches en ressources. Cette richesse attire bon nombre de multinationales qui désirent donc s'approprier les terres afin d'en exploiter les ressources. Ainsi, à l'heure de la mondialisation économique, bon nombre de gouvernements sont submergés par les forces du marché. Seuls, ils ne sont pas en mesure de réglementer les activités des grandes entreprises ni de protéger les peuples autochtones contre des approches destructrices.

En résultat de la forte mobilisation autochtone, les États vont prendre conscience de la nécessité de protéger les droits des peuples autochtones sur leurs territoires traditionnels. La nature juridique et l'étendue de ces droits varient selon les États 136.

Les autochtones attachent donc beaucoup d'importance à la spécificité du lien territorial. Il est d'ailleurs pris en compte dans certains instruments internationaux, tels que la Convention 169 de l'OIT, dont les articles 13 à 19 s'y réfèrent ; ou encore, depuis peu, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, dans son article 25. Cette évolution dénote une prise de conscience de la nécessité impérieuse de protéger les territoires des peuples autochtones.

L'article 13 de la Convention 169 dispose que :

« les Gouvernements doivent respecter l'importance spéciale que revêt pour la culture et les valeurs spirituelles des peuples intéressés la relation qu'ils entretiennent avec les terres ou territoires, ou avec les deux, selon le cas, qu'ils occupent ou utilisent d'une autre manière, et en particulier des aspects collectifs de cette relation »

L'article 25 de la Déclaration dispose quant à lui que :

« les peuples autochtones ont le droit de conserver ou de renforcer leurs liens spirituels particuliers avec les terres, territoires, eaux et zone maritimes côtières et autres ressources qu'ils possèdent ou occupent et utilisent traditionnellement, et d'assumer leurs

135 En général, ces spoliations datent de l'époque des grandes découvertes où les conquérants soutenaient que les terres étaient inoccupées, ou inexploitées par les indigènes. Ces dépossessions de territoires se sont effectuées de diverses manières. En Amérique du Nord, elles ont par exemple pris la forme de traités qui entraînèrent cession de droits territoriaux.

136 Ainsi, certaines communautés autochtones disposent de titres de valeur constitutionnelle, comme c'est le cas au Brésil ou au Canada tandis que d'autres voient leurs droits reconnus par la loi ou par la jurisprudence. En outre, certains titres confèrent un pouvoir de gestion, tandis que d'autres sont des titres de propriété collective avec un régime juridique spécifique.

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responsabilités en la matière à l'égard des générations futures ».

Les droits territoriaux ont donc une place importante dans les revendications autochtones. Toutefois, ils ne peuvent être revendiqués que sur la base de l'occupation originaire ou parfois sur la base de traités signés avec les puissances coloniales. Le débat sur l'occupation originaire fut posé lors de l'élaboration de la Convention 169 de l'OIT. À l'époque, les peuples autochtones souhaitaient que l'occupation traditionnelle s'applique aux territoires qu'ils occupaient et dont ils ont été expulsés pour retrouver l'ensemble de leurs territoires traditionnels. Ce à quoi les États s'opposaient, arguant que cette conception s'applique à la quasi totalité des territoires de l'État.

C'est l'article 24 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones qui viendra apporter une précision sur les termes du débat :

« Les peuples autochtones ont le droit aux terres, territoires et ressources qu'ils possèdent et occupent traditionnellement ou qu'ils ont utilisé ou acquis ».

D'application très étendue, cet article ne concerne pas uniquement le sol, mais tout ce qui est nécessaire au mode de vie des autochtones. L'État doit donc respecter les systèmes juridiques autochtones.

Les droits territoriaux sont préexistants à l'État, car ils sont fondés sur l'occupation et/ou l'utilisation traditionnelle des territoires. Ainsi, « ce n'est pas ce dernier qui les accorde ou les octroie selon sa bonne volonté, il doit les reconnaître parce qu'ils existaient avant l'établissement de sa souveraineté sur les territoires dont il a dépossédés les peuples autochtones » 137.

Jusqu'au début du XXe siècle, les sociétés autochtones sont jugées arriérées, non civilisées, et leurs systèmes juridiques inaptes à leur conférer des droits sur les territoires qu'ils occupent. Ces territoires sont donc considérés « sans maître », et sont donc, comme tout territoire qui n'est pas étatique, des terra nullius. Cette conception a été remise en cause par la Cour internationale de Justice dans son avis consultatif de 1975 sur l'affaire du Sahara Occidental. La Cour a reconnu que des tribus nomades, socialement et politiquement organisées, pouvaient avoir des droits sur les territoires qu'elles occupent 138. Ainsi une simple organisation, même minimale suffit pour rendre inopérante la qualification de terra nullius.

Après l'avoir officiellement utilisée pour établir sa souveraineté, l'Australie a fini par dénoncer la

137 BERTIN Marie-Claire « Le statut des peuples autochtones en droit international » / Atelier National de Reproduction des Thèses / 2008 ; p. 395

138 CIJ Avis consultatif sur le Sahara Occidental, 16 octobre 1975, p. 12

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doctrine de la terra nullius. En 1889, le Conseil Privé de la Couronne britannique (Privy Council) avait déclaré le territoire australien terra nullius dans sa décision Cooper v. Stuart. Il faudra attendre 1992 avec l'arrêt Mabo, rendue par la Cour suprême (High Court) d'Australie, pour que cette doctrine soit remise en cause 139. Après avoir été saisi pour faire reconnaître les droits ancestraux d'une communauté autochtone, la Cour suprême déclare que l'Australie n'était pas une terra nullius lorsque sont arrivés les premiers colons en 1788, car elle était déjà occupée par le peuple aborigène. Nous reviendrons plus tard sur cette importante décision prise par la Haute Cour Australienne.

Les peuples autochtones ne peuvent cependant pas revendiquer tous leurs territoires ancestraux. En effet, les revendications sont limitées aux territoires avec lesquels ils ont maintenu un lien depuis qu'ils en ont perdu le contrôle. C'est ce que précise l'alinéa 2 de l'article 26 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones :

« Les peuples autochtones ont le droit de posséder, d'utiliser, de mettre en valeur et de contrôler les terres, territoires et ressources qu'ils possèdent parce qu'ils leur appartiennent ou qu'ils les occupent ou les utilisent traditionnellement, ainsi que ceux qu'ils ont acquis ».

Le droit aux terres, territoires et ressources que les peuples autochtones peuvent revendiquer est donc limité. En effet, ils ne peuvent revendiquer des droits que sur des territoires qui relèvent du domaine de l'État, et ne peuvent porter atteinte aux droits acquis par les colons et leurs descendants. Ils ne peuvent donc se voir reconnaître des droits sur des territoires sur lesquels une autre population s'est installée, même s'il les avaient autrefois occupés.

En Australie, le peuple aborigène ne peut revendiquer des droits que sur les territoires qu'il occupe et qui sont du domaine de la Couronne. C'est le Native Title Act de décembre 1993 qui fixe le cadre juridique dans lequel ces droits peuvent être exercés. Sont donc exclus les territoires qui appartiennent à des personnes privées, sur lesquels les droits des autochtones et des « propriétaires » doivent coexister 140.

L'exclusivité de la compétence territoriale est à la fois un attribut de l'État, une condition de reconnaissance d'un sujet comme souverain et un principe protecteur de l'indépendance ; aucune de ces caractéristiques n'est aujourd'hui susceptible d'être accordée aux peuples autochtones. Finalement, la question des terres et des ressources est clairement liée à celle de l'autodétermination et plusieurs craintes des États pourraient s'y loger.

139 Voir Infra, « La Révolution judiciaire avec l'arrêt Mabo ».

140 Ibid ; Arret Wik

120

En 1957 la Convention 107 de l'OIT, d'inspiration assimilationniste, garantissait aux autochtones des droits territoriaux tant qu'ils restaient distincts de la société dominante. Cette protection s'appliquait uniquement sur les terres traditionnellement occupées, sans prévoir les cas où l'occupation avait pris fin soit spontanément, soit par expropriation. L'article 11 de cette Convention reconnaît le caractère collectif de la propriété autochtone : « Le droit de propriété, collectif ou individuel, sera reconnu aux membres des populations intéressées sur les terres qu'elles occupent traditionnellement ».

C'est avec la Convention 169 de 1989 que les spécificités autochtones vont commencer à être reconnues et préservées. L'article 14 précise par exemple que « les droits de propriété et de possession sur les terres qu'ils occupent traditionnellement doivent être reconnus aux peuples intéressés ». Cet article contient donc les notions de propriété et de possession, et doit être lu conjointement avec l'article 13 qui souligne la relation collective que les peuples autochtones entretiennent avec leurs territoires. Les autochtones souhaitent que leurs droits soient reconnus dans la plus forte acception : celle de la propriété. L'article 16 traite lui de la question du déplacement des autochtones et de la restitution de leurs territoires. Ce déplacement ne peut être qu'exceptionnel et donne lieu à des indemnités. En outre, il n'éteint pas le droit au retour des populations qui occupaient le territoire. Le Comité d'experts de l'OIT sur l'application des Conventions et Recommandations insiste sur le respect de la propriété collective autochtone, et sur la nécessité de la respecter, afin de ne pas porter atteinte au modèle structurel des communautés autochtones.

Enfin, bien que son texte ait une dimension collective, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones ne reconnaît pas expressément la propriété collective. L'article 26.2 qui affirme que les peuples autochtones « ont le droit de posséder », mais aussi « d'utiliser », ne cite pourtant pas la propriété collective. Elle est toutefois sous entendue, au sens de l'article 27 qui demande que la reconnaissance des droits des peuples autochtones aux terres, territoires et ressources soit faite en « prenant dûment en compte les lois, traditions, coutumes et régimes fonciers des peuples autochtones ».

Voyons maintenant la limite posée par le respect de l'intégrité territoriale de l'État.

La notion d'intégrité territoriale fait partie intégrante du droit international. La Déclaration de 1970 relative aux principes touchant les relations amicales entre États insiste d'ailleurs sur ce point. Selon U.Umozurike « le but ultime de l'intégrité territoriale, c'est de protéger les intérêts des

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peuples d'un territoire ». 141

Ainsi, l'intégrité des peuples autochtones et leurs autres intérêts fondamentaux sont intimement liés à ce principe. Les revendications autochtones ne portent pas nécessairement atteinte à ce concept d'intégrité territoriale. Les peuples autochtones s'opposent simplement aux manoeuvres des États qui cherchent à modifier les principes juridiques internationaux quand ils s'appliquent aux peuples autochtones.

Les demandes autochtones ne sont donc pas forcément sécessionnistes. Il arrive également qu'elles visent leur inclusion dans la communauté internationale et dans les États dans lesquels ils vivent ainsi que la possibilité de se développer selon leurs propres valeurs.

Selon une grande partie de la doctrine, l'intégrité territoriale d'un État donné peut être mise en cause dans deux situations :

· Les menaces contre la paix et la sécurité internationale. Elles permettent au Conseil de sécurité de l'ONU d'intervenir dans les affaires intérieures d'un État donné.

· Des violations graves et systématiques des droits humains. De nombreux États, multiethniques, ne respectent pas leurs obligations en matière de droits humains en général et du droit à l'autodétermination en particulier.

La Déclaration et le Programme d'action de Vienne conditionnent en quelque sorte le respect de l'intégrité territoriale d'un État au respect « du principe de l'égalité de droits et de l'autodétermination des peuples et, partant, dotés d'un gouvernement représentant la totalité de la population appartenant au territoire, sans distinction aucune. » (chapitre I.2.§ 3)

La question de la conciliation du droit à l'Autodétermination avec les principes d'unité nationale et d'intégrité territoriale de l'État est abordée par l'Assemblée générale de l'ONU dans sa résolution 2625 (XXV). Elle y précise que l'exercice du droit à l'Autodétermination n'aboutit pas nécessairement à l'indépendance, tout en réaffirmant avec fermeté le principe de l'intégrité territoriale d'un État. Ainsi, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ne peut « démembrer ou menacer totalement ou partiellement l'intégrité territoriale d'un État ».

Toutefois, la résolution peut également être interprétée autrement, comme autorisant explicitement la sécession. Selon certains membres de la doctrine tels que Antonio Cassese, cette résolution dispose que l'intégrité territoriale d'un État est garantie s'il « se conduit conformément au principe

141 U.UMOZURIKE, Self-Determination in international Law (Hamden, Connecticut : Archon Books, 1972), p. 234

122

de l'égalité de droits et droit des peuples à disposer d'eux-mêmes (...) et dotée ainsi d'un gouvernement représentant l'ensemble du peuple appartenant au territoire sans distinction de race, de croyance et de couleur ». Ainsi, si l'État viole cette exigence d'un gouvernement représentatif, son intégrité n'est alors plus protégée et le peuple est en droit d'exercer son droit à disposer de lui même sur le plan externe 142. Il n'y a donc pas incompatibilité entre l'autodétermination et les principes d'unité nationale et d'intégrité territoriale de l'État.

La plupart des peuples autochtones vivant sur le territoire d'États indépendants, il s'agit donc de savoir s'ils sont bénéficiaires du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et donc d'un droit à la sécession.

« Les peuples autochtones peuvent revendiquer l'exercice de leur droit à disposer d'eux-mêmes dans le cadre de l'État à l'intérieur duquel ils vivent afin que ce dernier assure leur représentation et leur participation dans le système politique et qu'il leur permette de se développer économiquement, socialement, culturellement. » Cette conception peut donc être applicable aux peuples autochtones.

Certains États, comme les États-Unis et le Canada, soutiennent qu'une reconnaissance explicite du droit des peuples autochtones à l'autodétermination constitue une menace pour l'intégrité territoriale des États existants. Pourtant, au Canada, les actions menées par les peuples autochtones depuis une vingtaine d'années ont contribué à préserver l'intégrité territoriale du pays.

En fait, rares sont les peuples autochtones qui cherchent à déstabiliser ou démembrer les États-nations existants. Au contraire, de plus en plus s'efforcent d'établir des relations qui permettent aux tensions normales de la souveraineté partagée et des régimes et arrangements trans-culturels de protéger et de promouvoir leurs intérêts distincts 143.

Les peuples autochtones ont déjà avancé des arguments juridiques face aux craintes « non fondées » de démembrement nourries par les États. Certains États ont en effet soutenu que l'article 3 de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones devait être modifié de manière à y inscrire de façon permanente le principe de l'intégrité territoriale. Les peuples autochtones se sont opposés à ces propositions dans la mesure où elles ne sont pas nécessaires et qu'elles risquent de réprimer l'évolution naturelle du droit à l'autodétermination en droit international.

142 BERTIN Marie-Claire « Le statut des peuples autochtones en droit international » / Atelier National de Reproduction des Thèses / 2008 ; p. 329

143 Séminaire Droit à l'autodétermination des peuples autochtones (New York, le 18 mai 2002 ; National Library of Canada, second quarter 2002.) p. 53

123

Il s'agit dès lors d'aborder les conséquences du droit à l'autodétermination des peuples autochtones sur le plan international.

B) La réception du droit à l'autonomie gouvernementale des peuples autochtones : Autonomie et relations internationales

Au fil du temps la communauté internationale va prendre conscience de la situation des peuples autochtones. Les peuples autochtones ont désormais un statut international, et les questions concernant leur situation de peuples dominés sur le territoire d'États indépendants deviennent d'ordre international et non plus seulement interne. En outre ils sont consultés, et participent parfois à l'élaboration des décisions qui les concernent directement, ou même indirectement. Ils ont ainsi participé à la rédaction de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et ont une place importante au sein de l'Instance Permanente où ils siègent à égalité avec les États. Bien qu'ils ne soient pas reconnus comme sujets du droit international ils sont pleinement intégrés dans le système onusien. Les peuples autochtones vont donc être les bénéficiaires d'ensembles normatifs nouveaux, résultats d'un long processus de compromis entre représentants autochtones et les États.

Il s'agit ici de traiter de la réception du droit à l'autonomie gouvernementale des peuples autochtones. Nous évoquerons donc la récente Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui reconnaît pleinement leur identité internationale (i.), avant de traiter des difficultés de collaboration entre communautés autochtones et gouvernements étatiques (ii.). Nous terminerons cette sous-partie en abordant le rôle des peuples autochtones aux Nations Unies en tant que nouvel acteur international (iii.).

i. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones

« La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ce n'est pas la fin, ni le commencement de la fin, mais la fin du commencement. »

Irené Erica Daez, Présidente-Rapporteuse du Groupe de travail sur les peuples autochtones

124

Le 13 septembre 2007, l'Assemblée générale a adopté la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, après une vingtaine d'années de préparation. Dès sa première session, le Conseil des Droits de l'Homme, dans sa résolution 1/2 du 29 juin 2006, avait lui même adopté, par vote, le projet. Mais l'Assemblée générale avait rouvert le débat, avant de finir par adopter le texte non sans réticences. De manière tout à fait inhabituelle pour un texte de portée déclaratoire, la résolution 61/295 a fait l'objet d'un vote nominal, avec 143 voix pour, 4 voix contre - (l'Australie, le Canada, les États-Unis, la Nouvelle Zélande) - et 11 abstentions - (Colombie, Azerbaïdjan, Bangladesh, Géorgie, Burundi, Fédération de Russie, Samoa, Nigéria, Ukraine, Bhoutan et Kenya). Cette réticence d'États comportant en leur sein de nombreuses populations autochtones ne doit pas éclipser le pas historique qui est franchi, en reconnaissant les droits des « peuples » autochtones en tant que tels.

Il s'agit donc de traiter ici de l'adoption de cette déclaration (1.), ainsi que de son impact sur les résolutions prises par l'ONU (2.).

1) L'adoption de la Déclaration

Cette adoption tombe après 12 ans d'âpres discussions, certains États étant peu disposés à la reconnaissance de ces peuples et plus encore de leurs droits, surtout territoriaux. La longueur de ces négociations s'explique par le fait que les États sont réticents à évoquer les droits des peuples autochtones sur le plan international, car ils considèrent que cela relève de leur compétence interne. Se pose aussi la question très controversée de la reconnaissance de droits collectifs, et donc d'une identité collective des peuples autochtones. L'adoption de cette résolution par un vote démontre d'ailleurs l'impossibilité d'un consensus.

Le cheminement en a été particulièrement lent, et certaines questions comme les droits collectifs ou individuels, les terres et les ressources ont fait l'objet de débats approfondis.

En 1985, le Groupe de travail a commencé à préparer un projet de Déclaration sur les droits des peuples autochtones, qu'il a terminé en 1993, le soumettant à la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités. Celle-ci a approuvé le texte en 1994

144.

144 Le projet a ensuite été envoyé à la Commission des droits de l'homme des Nations Unies, qui a créé un groupe de travail chargé de rédiger un projet de déclaration sur les droits des peuples autochtones.

125

Le Sommet mondial de 2005 et la Cinquième session de l'Instance permanente en 2006 sur les questions autochtones ont proposé d'adopter la Déclaration le plus rapidement possible, ce qui sera fait en juin 2006 par le Conseil des droits de l'homme, et l'Assemblée générale a fait de même en septembre 2007. Une décision de compromis renvoya ensuite les instruments prêts pour l'adoption à la Troisième Commission et le rapport du Conseil directement à la plénière de l'Assemblée générale. Presque un an s'est écoulé entre l'adoption du texte à la Troisième Commission et le vote final de l'Assemblée générale le 13 septembre 2007.

Au niveau de l'engagement des États, il est possible de distinguer l'engagement à travers l'instrumentum c'est à dire le support formel de l'acte d'une part, et leur engagement à travers le negotium c'est à dire l'opération juridique qui constitue l'acte, d'autre part.

La Déclaration aborde les droits tant individuels que collectifs, les droits culturels et l'identité, les droits à l'éducation, la santé, l'emploi, la langue, etc...Elle établit que les peuples autochtones ont le droit, en tant que collectivités ou en tant qu'individus, à tous les droits de l'Homme et aux libertés fondamentales reconnues par l'ONU. C'est donc une nouvelle étape dans la reconnaissance des cultures et traditions spirituelles de plus de 300 millions d'individus dans le monde, et dans leur droit à conserver leurs propres institutions, leurs cultures et traditions spirituelles sans qu'elles soient victimes de souffrances dues au racisme et à la discrimination.

Recommandée par le programme d'action de Vienne, elle affirme notamment que les peuples autochtones ont le droit à l'autodétermination interne et qu'en vertu de ce droit ils déterminent librement leur statut politique et recherchent librement leur développement économique, social et culturel. Elle stipule que les peuples autochtones ne peuvent être expulsés de leur terre, et qu'ils ont droit aux ressources naturelles situées sur celle ci.

Le texte affirme en outre que les peuples autochtones peuvent jouir pleinement, collectivement ou individuellement, de l'ensemble des droits de l'homme et des libertés fondamentales reconnus par la Charte des Nations Unies, la Déclaration universelle des droits de l'homme et la législation internationale relative aux droits de l'homme. La Déclaration devient la référence de l'ONU pour le respect des droits des peuples indigènes ; elle permet d'évaluer l'attitude des États envers les peuples indigènes, mais n'est pas doté d'effet contraignant en droit international. Elle a néanmoins un poids normatif important qu'elle tient de la très forte légitimité dont elle bénéficie, et sa mise en oeuvre doit être considérée comme un impératif moral et politique 145.

L'adoption de ce texte a été obtenue grâce à la persévérance des représentants autochtones à

145 ANAYA James, « La déclaration sur les droits des peuples autochtones doit être un impératif moral et politique », Assemblée générale Troisième Commission - 18e et 19e séances ; AG/SHC/3982 ; 18/10/2010

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l'ONU, qui ont porté ce texte pendant toutes les négociations, et qui continuent aujourd'hui à le porter en veillant à ce que les États en appliquent les dispositions. Elle constitue une victoire considérable pour les peuples autochtones : elle énonce des droits existants, individuels, mais également collectifs, reconnus dans d'autres instruments internationaux, mais dont l'application leur avait toujours été refusée. Désormais, les organisations autochtones vont devoir travailler ensemble, à connaître leurs réalités mutuelles et à défendre leurs droits d'une façon globale.

Voyons donc l'impact sur la situation des peuples autochtones de l'adoption de cette Déclaration.

2) Les conséquences et impacts de la Déclaration

La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones constitue une grande victoire pour ces peuples car elle leur reconnaît un statut en droit international, et les qualifie juridiquement. C'est donc une reconnaissance de leur spécificité, qui requiert un régime juridique propre. Elle reconnaît en outre l'identité collective des peuples autochtones. Cette reconnaissance est essentielle, car à cette qualification est attaché le coeur des revendications autochtones : le droit à l'autodétermination.

Cette déclaration est pourtant un texte de compromis. Les peuples autochtones ont en effet été contraints de faire des concessions aux États pour permettre son adoption. Le texte reflète donc tous les débats et les oppositions suscités par la question de la qualification des peuples autochtones. Bon nombre d'États étaient en effet opposés à l'idée de l'auto-identification de ces peuples, sans aucun critère reconnu en droit international. Ainsi, bien qu'elle leur reconnaisse le « droit d'appartenir à une communauté ou une nation autochtone » (article 9) , et le droit de « décider de leur propre identité ou appartenance » (article 33) ; la Déclaration ne reconnaît pas expressément le droit aux peuples autochtones de s'identifier seuls, sans l'intervention de l'État. L'article 46 réaffirme en outre le principe fondamental de l'intégrité territoriale et l'unité politique des États souverains et indépendants. L'État est donc libre de définir lui même les peuples autochtones.

Bien qu'elle ne définisse pas les peuples autochtones, la déclaration donne plusieurs indications pour identifier ses bénéficiaires, et ce dès le Préambule : ils se caractérisent par leur lien historique, leur profond attachement aux territoires dont ils ont été dépossédés ; mais également par leurs institutions politiques, juridiques, économiques, sociales distinctes, ainsi que par leur culture différente de celle de la population dominante. On y retrouve également les critères de l'antériorité territoriale, de la continuité historique, et de la différence de culture. Elle reprend ainsi les différents

127

critères d'identification proposés par les experts internationaux, la doctrine et les peuples autochtones eux mêmes.

L'adoption de cette Déclaration implique qu'on aborde sous un angle nouveau des questions d'ordre mondial, comme le développement, ou la démocratie multiculturelle. Les États devront donc adopter une approche concertée pour les questions autochtones, avec de réelles consultations et la création de partenariats avec ces peuples. L'impact de la Déclaration dépendra en grande partie de l'énergie que mettront les différentes organisations autochtones et de droits humains à exiger de leurs gouvernements qu'ils la mettent en oeuvre.

Les débats suscités par les représentants autochtones depuis 20 ans ont porté leurs fruits. Ainsi, même avant son adoption finale, certains articles de la Déclaration ont été repris par des gouvernements, des instances internationales et des cours de justice. Ce consensus émergeant est qualifié par James Anaya de début de droit international coutumier. Selon lui ce droit international émergeant repose sur les principes suivants : « une reconnaissance de l'existence d'un droit à l'autodétermination, celle d'un droit à préserver et développer sa culture, un droit sur les terres et ressources et à une compensation dans les cas de dépossession sans consentement, un accès à des services de bien-être social sans discrimination, un droit au gouvernement autonome comme à un droit de participation à la démocratie nationale et une obligation particulière de protection de la part des états dans lesquels vivent les peuples autochtones », ou encore l'obligation de consulter sinon de chercher la participation des peuples, conformément à la Convention 169 de l'OIT 146.

Conformément à l'article 42, l'Instance permanente sur les questions autochtones est chargée de veiller à l'application de la Déclaration. Elle veillera donc par ses recommandations à ce que les principes qui sous-tendent la Déclaration sous-tendent également les politiques et programmes des différentes agences des Nations Unies.

Le Rapporteur spécial a quant à lui déclaré « qu'il s'emploierait à utiliser la Déclaration dans son travail d'enquête sur les violations des droits humains ». Les différents organes de surveillance des traités utiliseront aussi la Déclaration comme outil d'interprétation.

Toutes les étapes de cette déclaration auront été longues et ardues, et ce temps passé à débattre a eu un effet contradictoire. D'une part l'acharnement et la patience des peuples autochtones à faire reconnaître leurs droits a porté certains fruits. La reconnaissance de certains droits a indéniablement progressé. Par contre, pendant tout ce temps les peuples autochtones du monde n'ont pas eu droit à

146 LEGER Marie, « L'Histoire de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones », Recherches Amérindiennes au Québec, Vol XXXVII, NOS 2-3, 2007 ; p. 153

128

ce minimum de protection que constitue une déclaration.

L'esprit de ce texte est animé par la volonté de rétablir la situation des peuples autochtones en leur redonnant un statut en droit international. En reconnaissant leur identité culturelle spécifique, cette déclaration met un terme à la période d'exclusion de ces peuples, « oubliés » par le droit international de la décolonisation. Elle a donc pour objet de réparer les conséquences de cet héritage dont les effets affectent encore profondément les peuples autochtones. La Déclaration constate les injustices commises pendant la colonisation et évoque les menaces qu'implique actuellement la mondialisation. Elle protège les savoirs traditionnels, la biodiversité et les ressources génétiques et impose des limites aux activités que des tiers peuvent mener sur les territoires des peuples autochtones. Ainsi, elle permet d'envisager un dialogue où se réconcilient les spécificités des histoires des peuples et des États, et de travailler à l'amélioration des niveaux de vie des différentes populations autochtones. De plus, un réseau d'organisations de tous les continents s'est créé et sait maintenant utiliser les instances internationales pour défendre ses droits et pour forcer le dialogue avec les autorités.

Cette reconnaissance des peuples autochtones en droit international est une première étape avant qu'ils puissent retrouver leur capacité à décider d'eux-mêmes et de leurs territoires, et obtenir réparation de leur situation de peuples colonisés. Elle ouvre surtout la voie à la revendication principale des peuples autochtones, le droit à l'autodétermination.

Il s'agit dès lors de s'intéresser à l'exercice de ce droit à l'autodétermination des peuples autochtones difficilement conciliable avec les politiques des États.

ii. Une collaboration difficile avec les gouvernements

Partant du constat de leur propre situation, les organisations autochtones ont en premier lieu estimé essentiel la reconnaissance de leur droit à exister en tant que peuple. À ce titre, elles estiment que « le droit à l'autodétermination doit être admis et effectif non en vue de faire sécession (autonomie mais pas séparation) mais pour être destinataires de droits collectifs garantis et reconnus par les corpus juridiques des États sur la base des instruments internationaux pertinents (intégration mais pas assimilation) » 147.

Nous aborderons ici la limite entre autodétermination et autonomie des peuples autochtones (1.).

147 DEROCHE Frédéric, « Le mouvement international des peuples autochtones. Bilan, enjeux et perspectives » , (co-écrit avec Raphaël Porteilla), Les documents de l'IDRP, 2005 ; p. 8

129

Nous verrons ensuite que le droit à l'Autodétermination s'exprime plus facilement au sein d'un État fédéral (2.).

1) Autodétermination/Autonomie

En 1999, Luis Enrique Chavez, le président du Groupe de travail chargé par la Commission des droits de l'homme de l'ONU d'élaborer une déclaration des droits des peuples autochtones, a conclu qu'il y avait accord sur le fait que l'autodétermination était la pierre angulaire de la déclaration. La reconnaissance de ce droit est une condition essentielle pour les représentants autochtones.

Ce droit est affirmé dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dans deux articles, le 3 et le 4 :

« Article 3 :

Les peuples autochtones ont le droit à l'autodétermination. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel.

Article 4 :

Les peuples autochtones, dans l'exercice de leur droit à l'autodétermination, ont le droit d'être autonomes et de s'administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs affaires intérieures et locales, ainsi que de disposer des moyens de financer leurs activités autonomes. »

L'article 3 reprend, en ajoutant le terme autochtone, la formulation de l'article 1er, alinéa premier des deux Pactes internationaux de 1966. Mais l'exercice de ce droit, qui est pourtant la condition essentielle pour la protection de leur identité collective, est conçu de manière assez restrictive et n'a pas la même portée juridique que le classique droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

La reconnaissance de ce droit a en effet été longue et difficile en raison de la réticence des États qui craignaient une potentielle menace pour leur intégrité territoriale. Pendant près de 20 ans, cette question a suscité des débats au sein des conférences internationales entre acteurs gouvernementaux

130

et autochtones. Ces derniers, ayant la qualité de peuple au sens international, auraient donc pu exercer librement leur droit à disposer d'eux mêmes et éventuellement choisir l'indépendance. Apparaît ici toute la menace : les États craignent ce droit car son exercice peut potentiellement porter atteinte à leur intégrité territoriale.

Bon nombre d'États s'opposaient donc aux dispositions émancipatrices pour les peuples autochtones comprises dans la Déclaration ; et ce bien qu'elle n'ait qu'une valeur déclarative. Cette absence de force contraignante amène en outre à s'interroger sur la portée juridique du droit à l'autodétermination pour les peuples autochtones. Celle ci est conditionnée par la conception traditionnelle du droit à l'autodétermination, qui a jusqu'à présent été mis en oeuvre dans le cadre de la décolonisation et s'est traduite par l'accession du peuple concerné à l'indépendance. L'exercice du droit à l'autodétermination a donc été utilisé dans le seul but de mettre fin à la colonisation et de permettre aux populations colonisés de retrouver leur souveraineté.

Il convient donc de se demander dans quelles mesures le droit à l'autodétermination peut il être applicable aux peuples autochtones. Il y a unanimité parmi ces peuples quant à la nécessité de reconnaître leur droit à l'autodétermination sans autre qualificatif. Selon sa conception traditionnelle, et en l'état actuel du droit international, ce droit est limité et n'équivaut pas au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes consacré dans la Charte des Nations Unies.

La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones n'a pas de force contraignante, mais elle reflète l'engagement des États à avancer dans une certaine direction. Elle ne fait pourtant qu'interpréter les droits de l'homme définis dans d'autres instruments internationaux. C'est en ce sens que la Déclaration a un caractère contraignant pour la promotion, le respect et l'accomplissement des droits des peuples autochtones du monde entier. Elle les aidera, eux et les États, à lutter contre la discrimination et la marginalisation. Elle joue donc un rôle comparable à celui de la déclaration relative à l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, celui « d'un puissant catalyseur dans la formation du droit [...] parce que cette résolution a été précédée et suivie par une pratique abondante conforme aux règles qu'elle énonce » 148.

Le fait que le droit à l'autodétermination soit effectivement assimilé à la décolonisation, et donc à l'indépendance, explique la réticence des États à admettre que les peuples autochtones puissent en être bénéficiaires. Ces oppositions ont pourtant été dépassées via l'adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui reconnaît le droit des peuples autochtones

148 DAILLIER Patrick, PELLET Alain, FORTEAU Mathias, Droit international public, L.G.D.J. Lextenso Éditions, 8e édition, Paris

131

à disposer d'eux-mêmes, avec cependant quelques réserves. Cette évolution progressive des mentalités va amener à dissocier de plus en plus le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes de la décolonisation.

Toutefois, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est entendu dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones comme étant d'application interne, puisqu'il permet aux peuples autochtones de disposer d'eux-mêmes mais seulement dans le cadre de l'État. Ils ont donc « le droit d'être autonomes et de s'administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs affaires intérieures et locales » 149.

Le Comité des Droits de l'Homme a lui aussi une approche interne de l'autodétermination, lorsqu'il se prononce sur l'application de l'article premier du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il indique d'ailleurs dans son Observation générale n°12 que les États parties ont l'obligation d'appliquer le droit à l'autodétermination dans leurs systèmes politique et constitutionnel. Interprété de la sorte, l'article premier est plus à même de satisfaire les revendications des peuples autochtones que les résolutions de l'Assemblée générale, fortement marquées par la décolonisation.

Le Comité demande donc que les États fassent état de l'application de l'autodétermination interne aux peuples autochtones sur leur territoire, afin qu'il puisse donner son opinion. Il recommande également aux États parties de « prendre les mesures nécessaires pour que les Autochtones interviennent davantage dans la prise de décisions concernant leurs terres ancestrales et ressources naturelles (article premier, alinéa 2) » 150.

Le Comité a donc toujours examiné l'exercice du droit à l'autodétermination du point de vue interne et ne l'a jamais envisagé sous l'angle de la sécession. Cela ne paraît pas nécessaire, puisque les recommandations proposées par le Comité répondent à la plupart des revendications formulées par les peuples autochtones eux-mêmes : ils souhaitent disposer d'eux-mêmes et de leurs ressources naturelles dans le cadre de l'État sur le territoire duquel ils vivent.

Bien que le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes soit énoncé sans réserves à l'article 3 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, certaines dispositions viennent restreindre sa portée sous l'angle interne, c'est à dire accorder aux peuples autochtones un droit à l'autonomie, dans le respect de l'intégrité territoriale de l'État. Les État opposés à l'autodétermination soutiennent que ce droit va trop loin, et que celle ci ne devrait être circonscrite

149 Article 4 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones

150 Voir par exemple, Observations finales, Australie A/55/40, §507.

132

qu'au contexte de la décolonisation. Préférant donc parler d ' « autonomie », ils veulent que la portée juridique de ce droit soit strictement limitée.

La position de l'Australie illustre bien cette tendance : avant l'arrivée du parti travailliste au pouvoir en 2007, le gouvernement conservateur en place depuis 1997 refusait l'inclusion du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes dans le texte de la déclaration et préférait parler d'autonomie. Lors de l'adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones en 2007, le représentant australien avait indiqué que le gouvernement s'opposait à l'autodétermination, sauf si ce concept s'appliquait à des situations de décolonisation. Il avait par ailleurs précisé que l'Australie s'opposait à la reconnaissance pour les autochtones de droits sur leurs ressources naturelles qui pourrait porter préjudice aux droits d'autres groupes de personnes ; ainsi qu'au concept de l'information préalable au sujet des décisions du gouvernement et à l'inclusion dans le texte du droit à la propriété intellectuelle.

Cependant cette position s'est infléchie en 2009, lorsque le gouvernement Australien décida le 3 avril d'adhérer à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Ce soutien manifesté à la Déclaration s'ajoute aux fondements d'un nouveau partenariat entre le Gouvernement fédéral et les peuples aborigènes. Ce premier s'engage ainsi à « créer un système qui respecte pleinement les droits des peuples autochtones et qui donne l'opportunité pour tous les australiens d'être véritablement égaux » 151. Ainsi, la Déclaration va fournir une série de standards pour guider les relations avec les peuples autochtones dans le respect de leurs cultures, et aider le Gouvernement dans la lutte contre certains éléments discriminatoires qui persistent encore.

Bien que hostiles à qualifier les peuples autochtones de peuples, au sens juridique du terme, les États évoluent de manière favorable en ce qui concerne l'acceptation d'une forme d'autonomie. La reconnaissance d'un degré d'autonomie est en effet plus facile à admettre que celle de la qualification de peuples, lourde de conséquences en droit international.

Le terme « autonomie » fait normalement référence à la capacité d'un groupe de réglementer un certain nombre de champs que l'État supervise habituellement, mais que celui-ci permet au groupe d'administrer pour assurer son propre bien-être tout en demeurant un élément constitutif de cet État152. L'entité autonome peut donc à tout moment se faire imposer unilatéralement par l'État où elle se trouve des restrictions de son autorité.

Bien qu'elles aient lourdement subi les impacts des politiques coloniales, le droit à l'autonomie

151 3 avril 2009 « L'Union fait la force, Soutien à la Déclaration sur les droits des peuples autochtones, un moment critique pour l'Australie » http://www.hreoc.gov.au/about/media/media_releases/2009/21_09.html

152 Voir Louis Sohn « The Concept of Autonomy in international Law and the Practice of the United Nations » , 15 Israël Law Review 2 (1980)

133

appartient aux nations autochtones dans leur ensemble.

L'article 46 de la Déclaration limite la portée juridique du droit à disposer d'eux-mêmes en disposant qu' « aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être (...) considérée comme autorisant ou encourageant aucun acte ayant pour effet de détruire ou d'amoindrir, totalement ou partiellement, l'intégrité territoriale ou l'unité politique d'un État souverain et indépendant ». Le but est donc d'empêcher un exercice externe de l'autodétermination. Ce droit s'exerce donc sur un plan interne et même plus restrictivement sur un plan local 153. Ainsi, pour une grande partie des États, l'exercice du droit des peuples autochtones à disposer d'eux-mêmes consiste à leur accorder une plus grande autonomie dans la gestion et l'administration de leurs affaires locales. Le moyen de savoir s'il y a autodétermination, c'est de vérifier si les peuples autochtones ont réellement le sentiment de pouvoir choisir leur propre mode de vie.

Même avec l'adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, leur droit à disposer d'eux-mêmes n'a pas encore acquis une valeur juridique positive. En effet, l'exercice interne du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est nouveau en droit international, et ce droit est en pleine construction. Au sens de la Déclaration, l'exercice de ce droit est un processus dont les modalités varient selon les situations, et qui laisse la place à la négociation entre les États et les peuples autochtones.

Ce droit à l'autodétermination s'exprime pleinement au sein d'un État fédéral. Voyons donc les avantages que possèdent ces États pour l'exercice du droit à l'autodétermination.

2) Les avantages du fédéralisme

Dans la tradition occidentale, l'idée de fédéralisme remonte aux travaux d'Althusius (XVIIe siècle), qui mettait l'accent sur l'autonomie, l'interdépendance, les processus de communication et le caractère collectif des décisions. Le fédéralisme tel que le concevait Althusius exige aussi des institutions flexibles et la recherche d'une certaine forme d'union. Ainsi, il semblait s'en être fait à peu près la même conception que les autochtones.

Le droit des peuples autochtones à disposer d'eux-mêmes dans le cadre des États s'affirme souvent

153 Voir E/CN.4/2001/85, §76

134

sur deux plans à la fois : ils demandent une plus large autonomie, et une plus large représentation au sein des organes de décision de l'État.

Ces deux expressions du droit des autochtones à disposer d'eux-mêmes correspondent aux deux piliers du fédéralisme : l'autonomie et le partage du pouvoir. Les États fédéraux peuvent en effet fournir un cadre favorable aux aspirations des peuples autochtones, et sont capables de témoigner du respect pour la culture, la langue, le droit et le mode de vie des peuples autochtones.

On trouve dans les traditions autochtones des conceptions du fédéralisme analogues aux conceptions occidentales. Bien avant l'arrivée des Européens sur leurs terres, les nations autochtones d'Amérique avaient des organisations politiques de type fédéral ou confédéral : confédération des Mi'kmaq en Acadie, des Haudenasaunee (Iroquois) dans la région des Grands Lacs, des Blackfoot dans l'Ouest, etc 154.

Il apparaît donc que les États fédéraux peuvent fournir un cadre favorable aux aspirations des peuples autochtones. Tout d'abord, le fédéralisme repose sur le respect de la diversité. Il est capable de témoigner du respect pour la culture, la langue, le droit et le mode de vie des peuples autochtones. Les institutions des États fédéraux peuvent aussi traduire cette diversité dans leurs symboles et dans leur pratique officiels, et montrer ainsi leur respect pour la culture politique des peuples autochtones 155. Les États fédéraux possèdent en général une grande capacité d'adaptation et d'innovation, ce qui permet de prendre en considération les diverses aspirations des peuples autochtones.

Le fédéralisme permet également la coexistence d'identités multiples dans un même État, et il suppose plusieurs niveaux de gouvernement, dont certains se caractérisent par un partage de la souveraineté. En Australie par exemple, l'État fédéral et les États fédérés sont tous souverains dans leurs domaines de compétence respectifs.

Dans les États fédéraux, les peuples autochtones essaient d'exercer le droit de disposer d'eux-mêmes en négociant des arrangements qui leur accordent l'autonomie. Ces accords déterminent les compétences que peuvent exercer les gouvernements des peuples autochtones, et leur confèrent la suprématie dans certains domaines en cas de conflit entre leurs lois et celles de l'État fédéral ou des États fédérés.

Certains essaient simplement d'exercer les compétences qui découlent de leur droit naturel à l'autonomie ; d'autres essaient d'exercer leur droit à disposer d'eux-mêmes en se dotant d'un

154 HAWKES David C., « Les peuples autochtones : autonomie et relations intergouvernementales », Revue internationale des sciences sociales , 2001/1 n° 167, p. 168

155 Ibid, p. 167

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gouvernement régional. Cette aspiration des peuples autochtones à l'autonomie émane du désir de ces peuples de conserver leurs valeurs et leurs traditions, leurs modes de vie, leurs langues et leurs cultures.

En outre, les peuples autochtones tendent à prendre une part accrue à l'élaboration des décisions publiques notamment dans le cadre des institutions fédérales et des relations intergouvernementales existantes.

Après avoir occupé une place réduite au sein des assemblées législatives, au niveau fédéral comme à celui des États fédérés, les autochtones demandent une plus large représentation au sein de ces assemblées, et plus particulièrement au sein des organes de l'État chargés du règlement des différends ou de créer des organismes et des procédures de règlement des différends qui soient adaptés à leurs besoins. Dans les assemblées législatives de plusieurs pays, tels que le Canada, un certain nombre de sièges sont réservés aux peuples autochtones. Dans d'autres pays, comme les pays scandinaves, les autochtones possèdent leur propre parlement.

Cette volonté des autochtones de participer plus largement à l'élaboration des décisions publiques s'étend aux relations intergouvernementales. Lorsque la population autochtone est majoritaire dans une région, l'aspiration à une plus large autonomie peut se réaliser dans le cadre d'un gouvernement régional. Les peuples autochtones peuvent aussi exercer leur droit ancestral à l'autonomie en négociant des accords intergouvernementaux. On peut donc associer les autochtones aux relations intergouvernementales au sein de l'État fédéral.

En Australie, le fédéralisme fait référence à un modèle d'organisation de l'État qui divise les pouvoirs publics entre deux sphères de gouvernement, dont chacune possède ses propres institutions, son domaine de compétence protégé par la Constitution, et est démocratiquement responsable devant le peuple australien ou une partie de celui-ci. En ce sens, il protège l'autonomie gouvernementale de sections de la population définies par un territoire.

Les représentants autochtones tirent des modalités de leur reconnaissance internationale comme sujets de droits collectifs une légitimité qui leur permet de poursuivre des actions sur différents terrains. Intéressons nous donc à ces nouveaux acteurs de la communauté internationale.

136

iii. Les peuples autochtones aux nations unies : un nouvel acteur dans la fabrique des normes internationales

L'émergence de la question autochtone à l'ONU a permis à la communauté internationale de prendre conscience d'un phénomène qui dépasse les limites territoriales des États. De nouveaux acteurs qui s'identifient à des « peuples » et à des « nations » prennent pied dans un monde globalisé, en revendiquant des droits de nature collective et la production de normes internationales susceptibles de les protéger.

Nous allons donc traiter ici de la participation des autochtones, à travers leurs représentants, au sein de l'ONU (1.), puis nous verrons les menaces que le phénomène de mondialisation fait peser sur les peuples autochtones (2.).

1) La participation sur la scène onusienne

Les entités investies d'une personnalité juridique internationale doivent nécessairement accepter de s'acquitter des obligations internationales qui vont de pair, comme le respect des droits fondamentaux de leurs membres ou le respect des normes de la communauté internationale relatives à la pollution transfrontalière. Une fois que le droit de disposer d'eux-mêmes a été reconnu aux peuples autochtones, ces obligations, ainsi que les moyens et les méthodes pour les mettre en application, devront être définis dans le cadre de processus de formulation à l'échelle internationale.

En revendiquant des droits humains collectifs, les peuples autochtones entendent renégocier leur place dans l'espace politique de leur État, en mobilisant la communauté internationale. Ils entendent, non seulement ne plus être exclus des processus de développement, mais surtout peser sur la définition des politiques et des programmes les concernant.

Leur participation sur la scène internationale passe donc par « des mesures de sauvegarde des peuples en voie de disparition et de protection des peuples existants, en construisant les normes juridiques opposables au tiers, en particulier les compagnies transnationales. Cela passe aussi par l'ouverture d'un dialogue avec les sociétés dominantes et la reconstruction des équilibres politiques, juridiques et constitutionnels des États pour prendre en considération le caractère multiculturel des sociétés modernes » 156.

156 BELLIER Irène, « Les deux faces de la mondialisation : l'ONU et les peuples autochtones » ; in La mesure de la mondialisation, Cahier du Gemdev, n°31 ; 2007 ; p. 94

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Les quelques évolutions favorables enregistrées témoignent de l'utilité d'une mobilisation rendue plus aisée par les nouvelles techniques d'information et de communication. En effet, depuis la fin des années 1990, les autochtones sont progressivement incorporés dans le tissu planétaire des communications par Internet. Cela les rapproche des militants altermondialistes qui se sont intéressés aux autochtones de terrain, sans souhaiter pour autant les convertir en « classe paysanne » comme durant les années 1970.

Les peuples autochtones construisent leur expertise dans le triple champ de l'appartenance à un peuple, de la connaissance technique et de la maitrise du langage et des rapports de pouvoir internationaux 157.

La Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement, qui a eu lieu à Rio de Janeiro en juin 1992, a été un événement important pour les populations autochtones et leurs relations avec l'ONU. Ce fut l'un des plus grands rassemblements de peuples autochtones qui aient jamais eu lieu, lors du Forum des ONG, dont la tenue a coïncidé avec celle du Sommet appelé « planète Terre » et où les peuples autochtones ont adopté leur propre déclaration sur l'environnement et le développement, la Déclaration Kari-Oka.

Il a été reconnu, qu'en raison de leur savoir et de leurs pratiques traditionnelles, les populations autochtones ont un rôle essentiel à jouer dans le domaine de la gestion de l'environnement et du développement. Depuis, elles sont parties prenantes de tous les sommets de la planète, avec un intérêt spécial pour ce qui concerne le développement durable et le gestion des ressources naturelles, la lutte contre la discrimination, la protection de la diversité culturelle, ainsi que l'information et les nouvelles technologies de communication.

D'autres conférences de haut niveau, notamment la Conférence internationale sur la population et le développement (Le Caire, 1994), le Sommet mondial pour le développement social (Copenhague, 1995), la quatrième Conférence mondiale sur les femmes (Beijing, 1995) et la Conférence des Nations Unies sur les établissements humains (Habitat II) (Istanbul, 1996), ont toutes fait des recommandations concernant les populations autochtones. Au cours de ces conférences, les peuples autochtones tentent, à chaque fois, d'inscrire les priorités des « indigènes/autochtones » dans l'agenda des dominants. Ils traduisent ainsi en termes globaux les préoccupations de leurs peuples, qui sont à la fois singulières et généralisées.

157 BELLIER Irène, « Les peuples autochtones aux Nations unies : un nouvel acteur dans la fabrique des normes internationales », Critique internationale, 2012/1 n° 54, p. 77

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En effet, les problèmes posés par les activités extractives et minières des firmes transnationales sont similaires pour tous les peuples autochtones. Mais dans chaque cas, la résolution des problèmes passe par l'adoption de normes aux niveaux internationaux, et par une volonté politique aux niveaux national et local.

Les résolutions autochtones figurent donc dans les rapports émanant des sommets planétaires sur la terre, l'eau, le changement climatique, les femmes, les enfants, le racisme, ou les objectifs de développement du millénaire. Leurs revendications et les solutions qu'ils proposent ont mûri dans des réseaux transnationaux, et dans l'activisme international.

L'adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, en 2007, par l'Assemblée et le ralliement en 2009 et 2010 des quatre seuls opposants déclarés (Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, États-Unis) marquent une étape significative de la manière dont les États prennent en considération les sociétés autochtones. La Déclaration ouvre donc la voie a la redéfinition de leur place dans la communauté internationale.

Il convient donc d'analyser la scène internationale comme « un lieu de renégociation des altérités, où la formation d'un "nous", peuples autochtones, rencontre l'expression d'un "nous", communauté internationale » 158.

Ce « nous » autochtone, qui fait écho aux premiers mots de la Charte des Nations Unies, est représenté sur le site web de l'Instance par deux logos superposés. Le premier suggère la rencontre entre les peuples du monde sous la forme d'une poignée de main de couleurs différentes ; le second inscrit « We, the Peoples » au centre du logo des Nations unies en filigrane.

Cette volonté d'union des peuples autochtones est la conséquence du passé tumultueux des peuples autochtones, elle s'appuie donc sur l'histoire des rencontres entre les pionniers et les autochtones, ainsi que sur des catégories linguistiques.

Le Haut-Commissariat aux droits de l'homme (HCDH) s'efforce d'intégrer les questions autochtones dans les agences onusiennes. L'Instance permanente sur les questions autochtones, dont le mandat est de formuler des recommandations aux États, répond donc à cet objectif dit de mainstreaming, en transformant les discours en actes politiques, juridiques et techniques, afin de répondre à des situations de tensions et de conflits.

158 Jbid ; p. 66

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L'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture a lancé, en septembre 2010, une politique sur les populations tribales et indigènes tendant à l'intégration de cette dimension dans tous les travaux de l'Organisation. Les autochtones doivent être considérés non seulement comme des bénéficiaires mais comme des partenaires dans le dialogue et les politiques qui les concernent.

De son coté, le Fonds international de développement agricole (FIDA), a fait remarquer que les peuples autochtones représentaient environ un tiers des peuples ruraux les plus pauvres du monde. En même temps, ils ont fait des progrès dans le sens d'une meilleure reconnaissance de leurs droits, et pour sauvegarder leur héritage et promouvoir leur culture. Ils jouent un rôle vital en tant que gardiens des ressources naturelles et possèdent une richesse de savoirs sur leur environnement. En septembre 2009, le FIDA a approuvé sa politique d'engagement avec les peuples autochtones, qui vise à les aider à sortir de la pauvreté en respectant leur identité et leur culture 159.

Certains États, tels que les pays latino-américains, ont été poussés par la politique de reconnaissance poursuivie par le mouvement international à faire des changements constitutionnels significatifs du glissement vers le multiculturalisme, et ainsi aller vers la construction d'un État plurinational 160.

« L'enjeu pour les représentants autochtones reste de sortir du cercle des experts onusiens pour se positionner comme interlocuteurs légitimes des autorités nationales. L'enjeu pour le système onusien est de poursuivre dans le champ labellise « droits des peuples autochtones » les réformes des systèmes nationaux » 161.

Bien qu'ils soient pleinement intégrés sur la scène internationale, il convient d'analyser les rapports entre les peuples autochtones et le phénomène de la mondialisation.

2) Les menaces dues à la mondialisation

« La "mondialisation", qui n'est que la mondialisation d'un certain type de pensée et de comportement, ruine tout autre système de valeurs au nom du progrès. Et pourtant, sauf à être un intégriste du libéralisme, on ne peut se cacher qu'un certain nombre de nos valeurs

159 ANAYA James, « La déclaration sur les droits des peuples autochtones doit être un impératif moral et politique », Assemblée générale Troisième Commission - 18e et 19e séances ; AG/SHC/3982 ; 18/10/2010

160 RAQUEL Z., YRIGOYEN Fajardo (coord.), Pueblos indIgenas : constituciones y reformas polIticas en América latina, Lima, ILSA, IIDS, INESC, 2010.

161 BELLIER Irène, « Les peuples autochtones aux Nations unies : un nouvel acteur dans la fabrique des normes internationales », Critique internationale, 2012/1 n° 54, p. 79

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occidentales sèment la mort »

Danielle Mitterrand 162

À l'heure de la mondialisation économique, le pouvoir des sociétés transnationales éclipse bien souvent celui des États. Bon nombre de gouvernements, submergés par les forces du marché, ne sont pas en mesure de réglementer les activités des grandes entreprises ni de protéger les peuples autochtones contre des approches destructrices. Il est donc très important d'élaborer une machinerie juridique internationale afin de donner aux États davantage de moyens pour défendre leurs citoyens et leur environnement contre les activités de multinationales irresponsables, et en particulier celles qui perturbent, déplacent et annihilent les peuples autochtones 163.

Nous allons donc nous intéresser à manière dont la mondialisation est perçue par les autochtones tant pour utiliser les aspects qui leur sont bénéfiques que pour s'opposer à ceux qui leur sont néfastes. La dynamique du mouvement international des peuples autochtones est un prisme d'analyse de la mondialisation, car il constitue un bel exemple de dialogue institutionnalisé entre des acteurs de statuts aussi différents que les États, les organisations internationales, les associations autochtones, les organisations de développement ou de droits humains.

Le phénomène de mondialisation fait que bien des décisions ne sont même pas prises par les gouvernements, qui ont parfois les mains liées à cause de leurs obligations, ou parce qu'ils sont lourdement endettés. Les décisions se prennent à l'Organisation mondiale du commerce, à la Banque mondiale, au Fonds monétaire international, etc. C'est pourquoi il arrive que les peuples autochtones travaillent en collaboration étroite avec les gouvernements dans des instances comme l'OMC, afin d'affirmer leur droit de contrôler le territoire national et leurs propres ressources nationales.

La mondialisation semble également s'accompagner de mécanismes générateurs de pauvreté pour les autochtones. Celle-ci est liée à la non reconnaissance de leurs droits, à l'expropriation des terres traditionnelles, à la dégradation de leur environnement, à la réduction de leur accès aux ressources naturelles et productives, et à la migration forcée. La mondialisation synonyme d'intégration économique est assimilée à un néocolonialisme, avec un effet fortement destructeur sur les peuples

162 Préface de Danielle MITTERRAND, dans BURGER Julian, Report from the Frontier. The State of the World's Indegenous Peoples , Londres, Zed Books, 1987, 310p.

163 Séminaire Droit à l'autodétermination des peuples autochtones , New York, le 18 mai 2002, National Library of Canada, second quarter 2002, p. 13

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autochtones.

L'urbanisation rapide est également mise en relation avec les migrations que suscite le développement d'une agriculture commerciale provoquant une pression sur les terres indigènes et une diminution de leur autonomie. D'autres facteurs concourent également aux migrations tels l'accroissement de la pauvreté des communautés autochtones, les déplacements forcés par la réalisation de grands travaux et la militarisation des territoires.

Face à la déferlante uniformisatrice de la mondialisation et à l'assimilation paternaliste des autorités nationales, les communautés autochtones répondent par un « indianisme » respectueux des identités : « Être reconnus égaux et différents, citoyens nationaux et indigènes dans des démocraties plurielles qui sachent faire l'unité dans la diversité » 164. Ces revendications multiples portent en elles une volonté d'émancipation, d'appropriation et de maîtrise de leur avenir. Ce qui est en jeu ce sont les modes d'autonomie, d'intégration sociale et d'unité nationale à l'ère de la mondialisation de l'économie et de la culture occidentale.

Cette méfiance vis-à-vis de la mondialisation résulte de la relation idenficatoire des peuples autochtones qui se sentent menacés, avec des territoires dont les ressources naturelles sont convoités par les compagnies transnationales. Les représentants des organisations autochtones se sont donc entraîné à la discussion afin d'être capables de porter leurs critiques sur la scène internationale. Ils se sont efforcés de devenir des partenaires consultés et si possible écoutés dans les instances internationales dévolues aux questions autochtones. Les « autochtones de l'ONU» sont donc devenus des « autochtones mondialisés » par le fait de dialoguer avec des interlocuteurs extrêmement diversifiés, et par les savoirs, juridiques ou experts qu'ils construisent afin d'occuper l'espace de dialogue et de participation.

D'un autre coté les nouvelles technologies qui se développent avec la mondialisation permettent d'échanger des idées, de développer des réseaux de soutien et de travailler au blocage des effets les plus visibles de l'insécurité économique et sociale induite par les formes nouvelles du capitalisme libéralisé, à une échelle plus vaste que celle des communautés locales.

Un représentant des îles Norfolk, à l'Ouest de l'Australie, soulignait ce « double visage » de la mondialisation :

« La mondialisation a deux visages. D'un côté, elle peut offrir plus d'emploi et de prospérité en un lieu, de l'autre elle ignore totalement les préoccupations indigènes et minoritaires ».

164 DEROCHE Frédéric, « Le mouvement international des peuples autochtones. Bilan, enjeux et perspectives » , (co-écrit avec Raphaël Porteilla), Les documents de l'IDRP, 2005, p. 9

142

Aujourd'hui, les puissantes firmes internationales, qui n'évoluent que pour le profit, s'affranchissent de toutes règles notamment celle du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Ainsi on constate bon nombre de situations conduisant à la déforestation, aux déplacements de groupes de populations, à la construction de barrages par immersion des terres ou au pillage des ressources naturelles, incluant désormais la brevetabilité du savoir traditionnel.

Les grands projets d'investissement qui encouragent la construction de barrages, le développement de zones touristiques, de centres de communications, l'implantation d'usines, ou encore l'exploitation de ressources, sont particulièrement problématiques. En effet, bien qu'ils soient rédigés avec l'accord des élites nationales, ils ne prennent pas en considération la nécessité

de consulter les populations locales et d'obtenir leur consentement.

L'International Forum on globalisation, une institution Nord-Sud de recherche qui réunit des universitaires, des juristes et des experts autochtones, signale que :

« les peuples autochtones sont assis sur les frontières de l'expansion de la mondialisation parce qu'ils occupent les derniers écrins de la terre où abondent les ressources : forêt, minerais, eau, diversité génétique. Tous férocement convoités par les corporations mondialisées »

Cette institution travaille dans le cadre d'un « Programme sur les peuples autochtones et la mondialisation » qui analyse l'impact sur les communautés indigènes des avancées technologiques et des marchés financiers globalisés, des accords régionaux de libre-échange, des accords de commerce et d'investissement qui ouvrent les territoires inaccessibles aux industries extractives (grands barrages, forages, mines, pipelines, routes) ainsi que de la militarisation croissante de zones dites de sécurité, qu'elles soient en région frontalière ou bien définies de façon ad hoc pour lutter contre « le terrorisme » dans le cadre de politiques « recommandées » par les bailleurs de fonds 165.

L'une des plus grandes menaces pour les peuples autochtones est l'industrie minière, qui s'est fortement développée à la fin du XXe siècle pour satisfaire les demandes en énergie. De tels projets entraînent la détérioration environnementale des terres traditionnelles en plus d'une perte de la culture, des connaissances traditionnelles et des moyens de subsistance des peuples autochtones, et leur imposent une économie et des valeurs sociales étrangères.

165 BELLIER Irène, « Les deux faces de la mondialisation : l'ONU et les peuples autochtones » in La mesure de la mondialisation, Cahier du Gemdev, n°31, 2007, pp. 80-95.

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Plus généralement, l'accaparement des terres à large échelle entraîne des violations graves des droits humains des populations locales, qui sont le plus souvent expulsées de leurs terres sans être consultées et sans obtenir une compensation adéquate ou une proposition de relocalisation sur d'autres terres 166.

En Australie, pratiquement toutes les réserves minérales importantes sont sur des territoires Aborigènes. Ainsi, l'implantation de mines dans l'Ouest de l'Australie équivaut à la mort spirituelle de nombreux Aborigènes habitant sur ces territoires. Les chassant de leur habitat, profanant leurs sites sacrés, l'implantation de ces mines les prive de leur intégrité culturelle. Selon Patrick Dodson, directeur du Central Lands Council :

« Quand vous séparez un aborigène de sa terre, vous le séparez de l'esprit qui lui donne la vie ,
· cet esprit ne peut pas se régénérer en un autre lieu. Il ne reste plus que les formes vides d'êtres humains vivant dans les pays d'autres peuples
» 167.

En outre, il arrive parfois que ce soit les forces armées de l'État qui désirent s'approprier les territoires autochtones, justifiant la spoliation par l'exploitation de « zones de concentration de ressources stratégiques ».

Pour terminer, reprenons notre illustration précédente, et intéressons nous à l'exercice du droit à l'autodétermination par les Aborigènes sur le territoire australien.

C) La politique d'autodétermination des aborigènes australiens

Nous analyserons ici la mise en place de la politique d'autodétermination des aborigènes. Cette question est décisive à double titre, d'une part en raison de l'évolution du concept au niveau international et d'autre part du fait que ce concept a été préconisé comme principe de base de l'administration fédérale des Aborigènes en 1972.

Nous aborderons tout d'abord l'avènement de la politique de multiculturalisme avec le Gouvernement Whitlam (i.). Nous traiterons ensuite des différents instruments chargés d'assister et de veiller à l'application du droit à l'autodétermination (ii.). Enfin nous terminerons par la remise en question de cette politique d'autodétermination des Aborigènes sur le territoire australien (iii.).

166 OZDEN Melik, GOLAY Christophe, « Le droit des peuples à l'autodétermination, et à la souveraineté permanente sur leurs ressources naturelles sous l'angle des droits humains , Brochure (CETIM), p. 42

167 Ibid. ; p. 103

144

i. Le gouvernement Whitlam, l'avènement d'une politique d'autodétermination.

À la fin des années 1970, le gouvernement australien pratiqua une nouvelle politique quant au traitement de ses communautés indigènes (1.). L'adoption de cette politique permit de faciliter la création de structures représentantes séparées, ainsi que la formalisation d'un processus d'autodétermination des Aborigènes au sein du territoire australien (2.).

1) L'avènement du multiculturalisme dans la société australienne

En remportant les élections fédérales de 1972 contre William Mac Mahon, Gough Whitlam devint le premier Premier Ministre travailliste depuis vingt-trois ans. Les tergiversations du gouvernement de Mac Mahon dans la gestion de la crise de la Tent Embassy 168 ont contribué à la chute de la coalition qui commençait à ressentir l'usure du pouvoir après autant de temps à la tête du pays. Whitlam devint donc le vingt-sixième Premier ministre du Commonwealth d'Australie. Fervent défenseur des Droits de l'Homme, il n'eut de cesse de faire campagne pour l'adhésion totale de l'Australie aux conventions des Nations Unies.

Ainsi, l'une de ses premières mesures fut de mettre fin à la politique officielle d'Assimilation. Considérant que le monoculturalisme n'était plus adapté à la réalité sociodémographique de l'Australie, il introduisit dès 1973 le concept de multiculturalisme dans l'espace australien par le biais de son Ministre de l'Immigration Al Grassby. Le Gouvernement souhaitait ainsi reconnaître la diversité ethnoculturelle du pays, et donner le ton de ses futures politiques socioculturelles. Pour Whitlam, le pluralisme culturel était un moyen de créer de l'harmonie sociale et de la cohésion nationale. Il considérait d'une part que la reconnaissance des particularités de chaque groupe ehtnoculturel était une condition de leur incorporation, et estimait d'autre part qu'une discrimination positive était nécessaire pour construire une société égalitaire. En outre, il jugeait qu'aucun résultat tangible ne pourrait être obtenu tant que les gouvernements imposeraient leurs politiques aux minorités ethniques plutôt que de travailler en collaboration avec elles.

La définition du multiculturalisme dans ses dimensions culturelle, sociale et économique n'en a fait comme limites que l'acceptation « des structures de base et des principes de la société

168 Voir infra, Partie I ; C) ; ii) La reconnaissance institutionnelle des aborigènes

145

australienne - la Constitution, la légalité, la tolérance et l'égalité, la démocratie parlementaire, la liberté d'expression et de religion, l'anglais comme langue nationale et l'égalité des sexes ». Cette politique permet à l'Australie de se présenter comme une société tolérante qui répond aux défis posés par sa diversité culturelle. Le multiculturalisme repose sur certains principes fondamentaux, tels que la reconnaissance des héritages, le respect des spécificités et le maintien des particularités ethnoculturelles.

Cette politique d'intégration visait à terme à l'égalité socioéconomique de tous les citoyens et la participation des minorités aux structures politiques australiennes. Whitlam proposait donc la mise en place d'une démocratie sociale par des réformes accompagnant la politique de multiculturalisme. Le Gouvernement conduisit par exemple le Parlement à voter la Loi sur la discrimination raciale de 1975. Ce texte fédéral de portée générale interdisait toute discrimination raciale, mettant ainsi en oeuvre dans le droit interne les engagements internationaux de la fédération, celle ci ayant ratifié en 1975 la Convention internationale de 1966 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

Il faut bien comprendre que le multiculturalisme n'est pas antinomique à l'acculturation des minorités, à condition qu'elle reste choisie et partielle. L'acculturation est nécessaire à la réalisation du modèle d'intégration, qui vise à la création d'une société plurielle, c'est à dire une société unique au sein de laquelle les différences ethnoculturelles peuvent être exprimées. L'intégration des minorités ethniques dépend ainsi de leur acculturation. Mais ces dernières ne considèrent pas toujours l'intégration comme une politique progressiste, et préfèrent plutôt revendiquer une autonomie dans certains cas.

En entrant dans l'ère du multiculturalisme, l'Australie adoptait une nouvelle approche dans le traitement de son « problème aborigène ». Quasi deux-cent ans après la colonisation, les autorités australiennes préconisaient une nouvelle politique qui semblait promettre un degré important d'autonomie aux Aborigènes.

Au sein de la classe politique, le multiculturalisme ne faisait pas l'unanimité : les conservateurs continuaient de défendre l'idéal d'une Australie britannique monoculturelle, et les progressistes de gauche estimaient que les politiques du gouvernement ne suffisaient pas à confronter les inégalités économiques, sociales et raciales qui continuaient de diviser l'Australie.

Cette politique du multiculturalisme a démontré ses limites : d'une part les réformes socio-économiques envisagées ne pouvaient suffire à soulager les populations autochtones ; et d'autre

146

part, cette politique ne pouvait apporter à elle seule des réponses à la « question aborigène ». Les Aborigènes devaient donc faire l'objet d'une politique à part, qui prenne en considération leurs spécificités culturelles et socio-économiques, qui reconnaisse le poids de l'histoire et la particularité de leur statut, qui prenne en compte leurs demandes politiques et qui réponde à leurs revendications foncières 169.

Un territoire, un groupe organisé, une société auto-suffisante, des valeurs culturelles et spirituelles sont les caractères communs aux Aborigènes. Il y a donc des communautés aborigènes dont l'identité commune a été cimentée par la colonisation pour en faire un peuple autochtone qui aujourd'hui réclame l'autodétermination. Voyons donc comment s'est formalisé ce processus de construction de l'identité autochtone.

2) Formalisation d'un processus

L'introduction du principe de l'autodétermination des Aborigènes en tant que politique gouvernementale en 1972 marqua une rupture importante par rapport aux politiques d'Assimilation et d'Intégration qui avaient été menées jusqu'alors. À l'instar de ces politiques, l'autodétermination s'opposait au principe d'assimilation culturelle. Ainsi les différences des Aborigènes étaient respectées, valorisées, protégées et encouragées. Dans le cadre de l'autodétermination, la reconnaissance de la différence culturelle impliquait une différenciation structurelle ; « les spécificités historiques et culturelles de la minorité autochtone ne devaient pas être simplement juxtaposées aux spécificités historiques et culturelles des autres minorités, elles devaient constituer la base de systèmes repensés, de structures remaniés, de politiques séparées, de programmes spécifiques et de droits distincts » 170.

Les gouvernements placèrent ainsi la notion de choix au coeur des affaires aborigènes. Cette notion est fondamentale à l'autodétermination des autochtones, et implique qu'ils puissent choisir de pratiquer leurs cultures sans encombres et sans contraintes, qu'ils puissent opter pour un mode de vie qui s'inscrive dans la continuité de la tradition, ou bien au contraire qu'ils puissent décider de s'acculturer davantage pour s'assimiler à la société dominante. Non seulement ils pouvaient théoriquement choisir la séparation plutôt que l'assimilation structurelle à condition de ne menacer

169 ROYER Ludivine ; L'Australie de la réconciliation : politiques, logiques et réalités socioculturelles , Thèse doctorat Etudes Anglophones, Université Paris IV - Sorbonne, 2007, p. 91

170 ROYER Ludivine, L'Australie de la réconciliation : politiques, logiques et réalités socioculturelles , Thèse doctorat Etudes Anglophones, Université Paris IV - Sorbonne, 2007 ; p. 112

147

ni l'intégrité territoriale ni la souveraineté de l'État, mais les choix qui leur étaient donnés de faire restaient ouverts, flexibles, et peu contraignants.

L'autodétermination requiert donc des gouvernements qu'ils mettent en place des politiques et des programmes spécifiques qui permettent aux autochtones de choisir la séparation plutôt que l'assimilation ou l'intégration. Selon Ludivine Royer et Tim Rowse, ces politiques et programmes s'agencent autour de trois axes : la prise en compte de l'existence d'une minorité à part et la liberté des autochtones de s'identifier en tant que tels, la reconnaissance légale des droits fonciers des premiers habitants et l'émergence de structures représentantes autochtones 171 :

« On peut considérer que la reconnaissance des population aborigènes et insulaires du détroit de Torres, la législation d'une base foncière autochtone et la promotion du secteur autochtone violent chacun un principe fondamental pour les défenseurs de l'assimilation, parce qu'ils établissent un système de propriété et une base institutionnelle séparés en vue du développement d'un peuple autochtone reconnu » 172.

Le principe d'autodétermination des Aborigènes s'appuie sur cinq piliers principaux : le développement socio-économique, le respect des cultures et des modes de vie, la liberté d'être et de s'identifier, les droits fonciers et le transfert des pouvoirs via les structures autochtones.

Les gouvernements qui succédèrent au gouvernement Whitlam entre 1975 et 2006 accordèrent plus ou moins d'importance à ces piliers de l'autodétermination. Ils préférèrent d'ailleurs parler d'autogestion ou d'autonomie plutôt que d'autodétermination. Néanmoins, le gouvernement de la coalition de Malcolm Fraser (1975-1983) et le gouvernement travailliste de Bob Hawke (19831991) acceptèrent le principe d'un développement séparé des Aborigènes au sein de l'État.

Dans les années 1970 et 1980, les différents gouvernements successifs vont donc soutenir un même processus en multipliant les programmes pour donner corps à ces piliers de l'autodétermination. Ainsi, le développement des droits des Aborigènes sur leurs terres fut un processus constant et soutenu, l'octroi aux Aborigènes de droits statutaires sur les terres s'imposant très vite comme une conditions sine qua non de l'autodétermination. La restitution aux Aborigènes de certaines terres était nécessaire pour qu'ils puissent librement pratiquer leur culture, et maintenir leurs structures sociales. En outre, le principe de rétrocession des terres était fondamental au projet de développement économique tel qu'il fut imaginé à partir de 1972.

171 Jbid, p. 99

172 ROWSE Tim « Contesting assimilation » (ed), Perth : Australian Public Intellectual Network, 2005e, p. 19

148

Néanmoins, les implications du droit à l'Autodétermination des Aborigènes ne firent jamais l'objet d'un consensus en Australie. Il ne fut jamais sérieusement question d'une sécession politique et territoriale des Aborigènes. Bien que le gouvernement s'accorde à dire que cette politique d'autodétermination implique que les Aborigènes puissent définir les moyens, les objectifs, et le rythme de leur développement, la définition exacte de l'autodétermination, ses conséquences et la manière de la mettre en oeuvre sont conçues différemment par différents groupes.

Lors du séminaire sur le Droit à l'autodétermination des peuples autochtones qui s'est tenu à New York, le 18 mai 2002, le Commissaire à la Justice sociale pour les Aborigènes et les Insulaires du détroit de Torres, Bill Jonas, releva quatre grands constats :

· Tout d'abord, pour les Aborigènes et les habitants des îles du détroit de Torres, l'autodétermination signifie une autonomie gouvernementale totale et une participation effective des autochtones aux instances qui définissent et contrôlent leur existence ;

· Deuxièmement, les autochtones australiens ne partagent pas l'idée voulant que l'autodétermination débouche sur la sécession ou la formation d'États séparés ;

· Troisièmement, les autochtones australiens considèrent que l'autodétermination est essentielle à la protection et à la vie de leurs cultures, ainsi qu'à la préservation de leur intégrité culturelle ;

· Quatrièmement, en dépit de ces facteurs, les peuples autochtones en Australie n'estiment pas que leur droit à l'autodétermination devrait être réduit à ce qu'on appelle

« l'autodétermination interne » 173.

La loi sur les Associations et les Conseils Aborigènes de 1976 (Aboriginal Councils and Associations Act 1976), reflétait une volonté gouvernementale d'encourager la formation d'un Secteur autochtone capable de défendre les intérêts des communautés aborigènes. Voyons donc les différents instruments d'autodétermination mis en place par les gouvernements successifs.

ii. Les différents instruments d'autodétermination sur le territoire australien

Cette politique d'autodétermination des Aborigènes australiens avait conduit à la création de plusieurs organisations représentantes au sein de ces communautés. Le gouvernement avait d'abord

173 Séminaire Droit à l'autodétermination des peuples autochtones , New York, le 18 mai 2002, National Library of Canada, second quarter 2002 ; « L'Autodétermination, une perspective australienne » Bill Jonas, p. 34

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créé bon nombre d'organismes aborigènes à partir de 1973 participant à ce que Tim Rowse, professeur à l'Université de Sydney, a appelé le « Secteur autochtone » (1.). Nous analyserons ensuite la Commission des Aborigènes et Insulaires du Détroit de Torres, principal instrument d'autodétermination des Aborigènes (2.).

1) Le Secteur autochtone

Favorable à l'autodétermination des peuples, le gouvernement Whitlam avait donc décidé de créer une multitude d'organismes aborigènes chargés de la mise en place de cette politique d'autodétermination.

Le gouvernement créa divers services ministériels destinés à gérer et surveiller certains domaines intéressant la minorité autochtone tels la santé ou l'éducation, et mettra en place une structure de conseil destinée à protéger ses intérêts : « The Aboriginal Legal Service. Le Ministère des Affaires Aborigènes fut également créé afin de gérer les affaires spécifiques aux communautés indigènes.

Le gouvernement nomma également une Commission (Aboriginal Land Rights Commission) pour enquêter sur les moyens de réaliser les droits fonciers des Aborigènes dans le Territoire du Nord. La présentation de son rapport final en 2004 permis au gouvernement Whtitlam d'introduire un projet de loi (NT Land Rights Bill) qui prévoyait la rétrocession de certaines terres à leurs propriétaires traditionnels. S'ensuivit en 1976 l'adoption d'un des textes de loi les plus importants de l'histoire contemporaine des Aborigènes. La Loi sur les droits fonciers des Aborigènes dans le Territoire du Nord (Aboriginal Land Rights (Northern Territory) Act 1796) reconnut la légitimité des revendications aborigènes sur les terres inoccupées de la Couronne et mit en place une Commission (Aboriginal Land Commission) afin de recevoir et examiner les revendications des autochtones.

Divers organismes furent donc créés pour représenter les populations locales. D'une part, des Fondations (Land Trusts) furent établies pour faire valoir les droits découlant des titres accordés aux propriétaires traditionnels.

D'autre part des Conseils (Land Councils) furent créés pour aider les Aborigènes à revendiquer leurs terres puis à gérer ou exploiter les différentes ressources de leurs territoires ou encore pour soumettre des projets de développement aux populations locales.

Par ailleurs, une Commission (Aboriginal Land Fund Commission) avait été mise en place dès 1975 pour administrer les fonds publics destinés à l'achat de terres privées. Elle fut remplacée en

150

1980 par la Commission pour le développement aborigène (Aboriginal Development Commission).

La création de ces organismes participait à la reconnaissance des droits de propriété, de contrôle et de négociation des Aborigènes.

Le principe d'autodétermination avait également conduit à la création d'organismes aborigènes élus dès 1973. Il convient de citer le Comité Consultatif National Aborigène (National Aboriginal Consultative Committee, NACC) corps de 41 représentants élus, chargé de consulter les populations autochtones et de conseiller le Ministère des Affaires Aborigènes.

Le Gouvernement de Malcom Fraser le remplaça en 1977 par une Commission Nationale Aborigène (National Aboriginal Conference) constituée de 10 représentants. Ce gouvernement fit également voter la Loi sur les Associations et les Conseils Aborigènes en 1976 qui ouvrit la voie à la création de milliers de structures aborigènes, qu'il s'agisse d'organismes statutaires, de conseils élus, de groupes consultatifs ou encore d'associations.

Il convient de rappeler également le rôle du Commissaire à la justice sociale pour les Aborigènes et les insulaires du Détroit de Torres. Membre de la Commission des droits de l'homme et de l'égalité des chances, le Commissaire à la justice sociale est désigné conformément aux dispositions du Human Rights and Equal Opportunity Commission Act 1986 (loi de 1986 sur la Commission des droits de l'homme et de l'égalité des chances). Le poste de Commissaire à la justice sociale pour les aborigènes et les insulaires du détroit de Torres a été créé en 1992 pour donner suite aux constatations de la Royal Commission into Aboriginal Deaths in Custody (Commission royale chargée d'étudier les décès d'aborigènes en garde à vue) et de la National Inquiry into Racist Violence (enquête nationale sur la violence à fondement raciste).

Ses principales fonctions sont les suivantes :

· Présenter chaque année au ministre un rapport concernant la jouissance et l'exercice des droits de l'homme par les aborigènes et les insulaires du détroit de Torres ;

· Promouvoir la discussion et la meilleure connaissance des droits de l'homme relativement aux aborigènes et aux insulaires du détroit de Torres ;

· Entreprendre des programmes visant à promouvoir le respect des droits de l'homme des aborigènes et des insulaires du détroit de Torres et à promouvoir la jouissance et l'exercice des droits de l'homme par les aborigènes et les insulaires du détroit de Torres;

·

151

Examiner les dispositions législatives adoptées ou proposées, pour vérifier qu'elles reconnaissent et protègent les droits de l'homme des aborigènes et des insulaires du détroit de Torres et faire rapport au ministre sur les résultats de cet examen.

Cette effervescence d'organismes aborigènes devait leur permettre de définir leurs objectifs et leurs priorités afin d'exercer un pouvoir décisionnel plus important sur les politiques qui les concernaient, et participer ainsi à la mise en place de programmes spécifiques à leurs communautés.

Cela participait aussi d'un mouvement plus large, caractéristique de la politique d'autodétermination : la création de ce que l'on appelle le Secteur Autochtone. Selon Tim Rowse :

« Le Secteur Autochtone n'est ni l'État (bien qu'il soit presque intégralement financé par des fonds publics), ni la société civile (bien que ces organisations soient surtout des entreprises privées sur un plan légal). Le Secteur Autochtone est plutôt une troisième entité, créée à partir de l'interaction - parfois mais pas toujours, conflictuelle - entre le gouvernement et le domaine autochtone » 174.

La formation de ce Secteur Autochtone reflétait la volonté gouvernementale d'encourager le transfert de pouvoirs à des structures aborigènes représentatives. Elle était également intimement liée au principe de discrimination positive, puisque la mise en place de structures aborigènes pour administrer des programmes séparés et des services distincts s'imposa très vite comme une condition de la réalisation des choix collectifs et individuels. Ce Secteur Autochtone avait donc pour objet de fournir des services aux Aborigènes dans des domaines aussi fondamentaux que la santé, l'éducation, le logement ou l'emploi. La nature même des Aborigènes requérait un certain traitement différentiel, et leur implication dans la conception et l'application des programmes spécifiques favorisait leur chance de succès.

Ces différentes organisations aborigènes ont joué un rôle majeur dans le développement socio-économique des communautés aborigènes depuis les années 1970. Elles avaient ainsi financé et organisé d'importantes campagnes politiques, sensibilisé l'opinion sur la question des droits autochtones et porté la cause aborigène sur la scène internationale.

Néanmoins ce Secteur autochtone a souffert de beaucoup de carences et les organisations aborigènes étaient bien souvent sous-financées et sous-équipées. La réponse juste à ces problèmes devait venir de gouvernements prêts à assumer leurs responsabilités, prêts à entamer de profondes

174 Tim ROWSE dans Diane AUSTIN-BROOS & Gaynord MACDONALD (eds), 2005a, p. 214

152

réformes et prêts à donner aux Aborigènes les véritables moyens de leur autodétermination.

Dans la logique d'autodétermination qu'il défendait, le Secteur autochtone devait devenir, à terme, plus performant et plus autonome, moyennant des réformes structurelles ou fonctionnelles, et à condition que les gouvernements remplissent leurs obligations de prestataires de service, développent des liens entre et avec les organisations aborigènes, augmentent leur budget, et favorisent aussi bien l'implication d'acteurs compétents que l'acquisition de savoir-faire dans ces structures 175.

Le début des années 1990 va voir la concrétisation d'un nouveau projet du gouvernement s'appuyant sur les mêmes principes de consultation, de négociation et de participation qui avaient fait naître le Secteur autochtone : la création d'un organisme aborigène qui combinerait des conseils élus au niveau national et régional, et qui conjuguerait des pouvoirs consultatifs, administratifs, exécutifs et décisionnaires. Le gouvernement avait ainsi souhaité donner aux Aborigènes un vrai pouvoir de contrôle sur les politiques, les programmes, les services et les financements qui les concernaient. Ce projet fut donc associé à l'idée d'une réconciliation entre les Aborigènes et la société dominante.

Il s'agit donc d'analyser la création de la Commission des Aborigènes et Insulaires du Détroit de Torres, organisme aborigène chargé de la mise en place de la politique d'autodétermination.

2) L'ATSIC instrument d'autodétermination

Le gouvernement entreprit donc la mise en place d'une Commission des Aborigènes et Insulaires du Détroit de Torres (Aboriginal and Torres Strait Islander Commission) qui prit ses fonctions en mars 1990. Cet organisme visait à combler les lacunes des diverses structures mises en place par le gouvernement, en poussant plus loin l'idée d'autodétermination. Organisme de droit public, la Commission était une commission nationale élue au niveau des régions, qui disposait de pouvoirs de représentation, d'exécution et de décision. Cet organisme avait trois objectifs : il devait d'une part « favoriser l'autogestion et la prise d'autonomie des autochtones, d'autre part garantir une très forte participation des Aborigènes dans la formulation et l'exécution des politiques gouvernementales, et, enfin, promouvoir le développement économique, social et culturel de la minorité autochtone. En conséquence il incombait à la Commission de remplir les fonctions suivantes :

175 ANDERSON & SANDERS, 1996, p.17 ; R.NEILL, 2002, pp. 65-66 ; Gillian COWLISHAW, Dialogue n°23, 2004, pp. 48-49

·

153

défendre la reconnaissance des droits autochtones aux niveaux régional, national et international

· assister, conseiller et coopérer avec les communautés, les organisations et les individus autochtones

· développer des politiques qui répondent aux besoins et aux priorités des Aborigènes aux niveaux fédéral, étatique/territorial et régional

· prendre des mesures raisonnables pour protéger les informations ou les objets culturels considérés comme sacrés par les Aborigènes

· représenter les intérêts des autochtones aux différents niveaux de gouvernement et garantir la coordination de leurs politiques et programmes

· contrôler la performance des autres agences gouvernementales chargées d'offrir leurs services aux Aborigènes

· administrer et mettre en oeuvre certains des programmes et services que le gouvernement du Commonwealth avait conçus pour les Aborigènes

· gérer une partie du budget fédéral alloué aux Aborigènes et répartir les financements gouvernementaux entre les différents programmes existants, en respectant les minima éventuels imposés par le gouvernement » 176.

Ces différentes fonctions étaient réparties entre un corps aborigène élu, constitué d'une commission nationale et de conseils régionaux, et qui possède, en accord avec le principe d'autodétermination, tous les pouvoirs de décision ; et un corps administratif, qui n'a lui qu'un simple rôle d'exécutant. Ainsi, les pouvoirs de décision revenaient à un corps représentant responsable devant son électorat, tandis que les pouvoirs d'exécution revenaient à un corps assimilable à un département gouvernemental, responsable devant le Ministre des Affaires Aborigènes.

Cette commission reposait sur un triple concept d'autonomie, de démocratie représentative, et de responsabilité ministérielle.

Dès sa création, l'ATSIC inspira des réactions très différentes au sein de la communauté aborigène. Certains voyaient en la création de cette Commission une petite « révolution 177 », ou l'adoption

176 Voir la Loi sur la Commission des Aborigènes et Insulaires du Détroit de Torres, Partie 2, Division 2, Section 7

177 Tim ROWSE, Australian Society, Mars 1990, pp. 15-18

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d'une réforme importante qui leur donnerait de fait « une voix effective au sein du gouvernement australien » 178 .

D'autres soutenaient que cette structure occidentale, pur produit du gouvernement, ne restait qu'un instrument d'autodétermination limité. L'autodétermination des Aborigènes requérait en effet « l'application des politiques formées par des Conseils élus, et de ce fait, elle dépendait aussi bien de la coopération de certains organismes privés que de la collaboration des fonctionnaires d'ATSIC, responsables devant le gouvernement » 179 . La commission était d'ailleurs financée par l'État.

D'un autre coté, l'ATSIC ne contrôlait pas l'ensemble des services liés aux Affaires aborigènes, puisque de grands domaines tels que l'éducation ou la santé restaient sous la responsabilité des départements gouvernementaux.

Ainsi, bien qu'elle ait acquis le statut d'organisation indépendante non-gouvernementale aux Nations Unies, l'ATSIC n'avait pas toute autonomie, l'État ayant conservé un droit de regard sur les politiques aborigènes.

La législation d'ATSIC fut également très controversée au Parlement, opposant les partis d'opposition de la Coalition aux partis démocrates. La première crainte était que la législation permette la sécession politique ou territoriale des Aborigènes. La Coalition fit donc passer une résolution afin que l'autodétermination des Aborigènes soit exclusivement assujettie à la Constitution et aux lois de l'État australien 180.

L'ATSIC ne faisait donc pas l'unanimité dans la communauté aborigène. C'est d'ailleurs suite à sa création que que plusieurs Aborigènes décidèrent de créer le Gouvernement Provisoire Aborigène (Aboriginal Provisionnal Government). Cet organisme, l'un des plus radicaux de l'histoire du militantisme aborigène, se présentait comme une structure gouvernementale alternative. « Il revendiquait le droit des peuples à l'autodétermination politique, scandait la souveraineté aborigène, présentait la création d'un État aborigène indépendant comme une option » 181. Ce Gouvernement Provisoire symbolisait alors la persistance de la lutte pour la réalisation de l'autodétermination des Aborigènes et pour la reconnaissance de leur souveraineté.

178 « To provide them with an effective voice within the Australian Government ». Note d'intention, préambule de la Loi sur la Commission des Aborigènes et Insulaires du Détroit de Torres.

179 ROYER Ludivine ; L'Australie de la réconciliation : politiques, logiques et réalités socioculturelles , Thèse doctorat Etudes Anglophones, Université Paris IV - Sorbonne, 2007, p. 145

180 Frank BRENNAN, avril 1992

181 Jbid , p. 147

155

En 1997, l'ATSIC et d'autres organisations aborigènes ont à nouveau abordé la question du droit à l'autodétermination :

« On peut voir, à la lumière de la pratique à l'échelle internationale, que l'autodétermination peut se réaliser sous bien des formes différentes. Dans le cas des peuples autochtones, ces formes varieront en fonction des coutumes, besoins et aspirations propres à chacun... Le contrôle et le consentement sont deux notions centrales du droit à l'autodétermination : contrôle sur les prises de décisions qui nous touchent et consentement quant aux modalités de nos relations avec les États. Ces deux notions sont de plus en plus reconnues comme des principes essentiels qui doivent figurer dans n'importe quel catalogue des droits des peuples autochtones et, de façon implicite, dans le principe de non-discrimination raciale tel qu'il s'applique aux peuples autochtones » 182.

Lors des débats pour l'adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, l'ATSIC estimait qu'il était fondamental, pour l'intégrité de la déclaration, qu'y soit mentionné sans ambiguïté le droit à l'autodétermination. Elle considère en effet « qu'il serait inapproprié de limiter l'application du concept d'autodétermination sous prétexte qu'en ne le restreignant pas, on pourrait laisser entendre qu'il représente une menace pour l'État-nation ».

L'autodétermination est donc perçue comme un droit « dynamique » sous l'égide duquel les peuples aborigènes et les insulaires du détroit de Torres vont poursuivre leurs efforts pour élargir leur autonomie en matière de prises de décision.

Toutefois, avec l'arrivée des conservateurs, comme John Howard, au pouvoir, la possibilité d'obtenir du gouvernement une reconnaissance de la souveraineté aborigène semblait totalement exclue.

iii. Le principe d'autodétermination en question

Les politiques d'autodétermination qui eurent cours depuis les années 1970 n'ont pas vraiment donné les résultats initialement escomptés.

182 Déclaration faite par l'ATSIC, le Commissaire à la justice sociale pour les Aborigènes et les Insulaires du détroit de Torres, la Foundation for Aboriginal and Islander Research Group, l'Indigenous Women Aboriginal Corporation, le National Aboriginal and Islander Services Secretariat, le New South Wales Aboriginal Land Council et le Tasmanian Aboriginal Centre, Groupe de travail de la Commission des droits de l'homme, troisième session, octobre 1997.

156

Comme pratique et comme idéologie, l'autodétermination signifiait que les Aborigènes allaient apprendre à s'autogérer, au sein des communautés sédentaires, ce qui impliquait, entre autres, qu'ils adoptent les formes appropriées de socialité et de subjectivité sanctionnées par l'État. Du point de vue de celui-ci, l'autodétermination signifiait que les Aborigènes allaient gérer eux mêmes leur entrée dans la modernité et qu'ils partageaient les visions, les façons de faire et les priorités des politiciens et des bureaucrates.

Nous traiterons dans cette dernière partie de la remise en question du principe d'autodétermination, en particulier durant la période des mandats de John Howard, et Paul Keating (1.), puis nous terminerons par l'exercice réel du droit à l'autodétermination des Aborigènes sur le territoire australien (2.).

1) Ère Keating - Ère Howard

John Howard, le Premier ministre libéral de 1996 à 2007, prônait une approche pragmatique de la réconciliation et de la gestion des Affaires aborigènes, dont témoignent les politiques menées par ses différents gouvernements. Il s'opposait au droit à l'autodétermination des Aborigènes arguant qu'il rejetait toute notion de séparation au sein de la communauté australienne, mettant ainsi un terme, ou au moins un frein, à la reconnaissance du statut unique des Aborigènes au sein de la communauté.

Le gouvernement Howard rédigea ainsi plus de trois cents pages d'amendements sur la Loi sur le titre Autochtone, sur la base d'un « Plan en Dix Points » (Ten Points Plan) qui devait réduire les droits définis pour les Aborigènes de manière considérable.

Divulgué en mai 1997, le Plan prévoyait de confirmer que les titres autochtones n'avaient pas survécu sur les terres annexées par des droits « exclusifs », de souligner que les titres autochtones seraient définitivement éteints s'ils n'étaient pas compatibles avec les titres et les droits des loueurs à bail, d'introduire de nouvelles mesures visant à faciliter les négociations en dehors des cours de justice, et peut être surtout, par différents moyens, de limiter le « droit de négocier » des Aborigènes183.

Ce projet de loi du gouvernement visait à dégager les producteurs du secteur primaire de l'obligation de négocier avec les Aborigènes d'une part, et d'autre part à abolir le « droit de négocier » des Aborigènes sur toutes les terres réquisitionnées pour le développement

183 John HOWARD, « Wik 10 point plan », Media Release, 1 Mai 1997

157

d'infrastructures et de travaux publics, sur toutes les terres utilisées pour la gestion des ressources en eau et le contrôle de l'espace aérien, et sur toutes les terres destinées au développement de constructions urbaines 184.

La Loi sur l'amendement du Titre Autochtone (Native Title Amendment Act 1998) fut finalement votée en juillet 1998, limitant ainsi considérablement les droits des communautés autochtones. La même année fut rendu un rapport : le Rapport Reeves (the Reeves Report) 185 , qui montra que les droits fonciers des Aborigènes ne participaient pas de manière claire à leur développement socio-économique. Ce rapport donnait au gouvernement une opportunité formidable de critiquer les structures et les principes de la politique d'Autodétermination, politique à laquelle il était farouchement opposé. Il lui permettait également de justifier a posteriori le bien-fondé des amendements apportés à la Loi sur le Titre Autochtone, lui offrant ainsi la « possibilité d'argumenter avec plus de force encore que les droits fonciers des Aborigènes devaient surtout servir le développement socio-économique de leur communauté » 186.

Dans la plupart des domaines relatifs aux question Aborigènes, John Howard avait imposé sa logique de réconciliation en limitant les droits spécifiques des autochtones, en pointant du doigt les structures mises en place pour réaliser l'autodétermination aborigène et en minimisant l'importance du symbolique, de la justice et des cultures, pour insister sur l'urgence du développement économique des communautés.

À l'issue de la décennie de la réconciliation, la possibilité d'obtenir du gouvernement une reconnaissance de la souveraineté aborigène semblait totalement exclue. En tant que telle, la réconciliation n'était pas contraire au développement du droit des Aborigènes à l'autodétermination : « elle intervenait dans les sociétés pour permettre un rapprochement entre les peuples, sans dicter précisément les modalités de ce rapprochement » 187 .

Le changement de cap qui s'était produit dans les affaires aborigènes au début des années 1990 avait ouvert la voie à une reconsidération du principe d'autodétermination qui les régissait depuis 1972. Ainsi, à partir de 1996, le gouvernement préféra parler d'autogestion que d'autodétermination,

184 Explanatory Memorandum, pp.145-146, 153, 154, 158. Native Title Amendment Bill 1997, ss.24E-24L & 26A-26D, 251C

185 Department of Reconciliation & ATSI Affairs - Building on Land Rights for the next Generation : Report of the Review of the Aboriginal Land Rights (Northern Territory) Act 1976, par John Reeves, 1998

186 Department of Reconciliation & ATSI Affairs, 2001

187 ROYER Ludivine ; L'Australie de la réconciliation : politiques, logiques et réalités socioculturelles , Thèse doctorat Etudes Anglophones, Université Paris IV - Sorbonne, 2007, p. 323

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les efforts visant à permettre aux communautés autochtones de décider de leurs priorités et de leur stratégie de développement furent relâchés, et le principe selon lequel les autochtones étaient en droit légitime d'être les principaux décisionnaires dans les affaires qui les concernaient fut remis en cause 188.

Le gouvernement défendait en fait le droit des peuples à l'autodétermination, selon le droit international, mais en dépit des revendications aborigènes 189. Il refusait donc de considérer les Aborigènes et les Insulaires du Détroit de Torres comme des « peuples distincts » aux fins de la loi internationale.

John Howard proposa d'ailleurs de remplacer « le droit des Aborigènes et des Insulaires du détroit de Torres à l'autodétermination dans la vie de la nation » par « le droit des Aborigènes et des Insulaires du détroit de Torres, commun à tous les Australiens, de déterminer leur propre destinée » dans la Déclaration Australienne pour la réconciliation.

En outre, il n'existait pas en Australie de mouvement politique sérieux pour une sécession des populations autochtones. Les revendications du droit à l'autodétermination allaient donc rarement de pair avec des revendications pour une autonomie politique et territoriale. Le plus souvent, ce droit était invoqué pour demander à ce que les formes d'autonomie trouvées au niveau local s'étendent au niveau régional 190, pour demander à exercer une plus grande autorité et une plus grande responsabilité dans tous les domaines qui les concernaient 191, pour demander à ce que le nécessaire soit fait pour leur permettre de participer équitablement à la vie politique de la nation australienne 192, ou bien simplement, pour demander à ce que des mesures soient prises pour favoriser leur complète égalité et leur complète intégration dans l'État australien.

Le gouvernement Howard ne voulait donc poser aucun acte qui puisse laisser entendre que les Aborigènes formaient des peuples distincts qui possédaient collectivement des droits distincts. Il considérait que le principe de l'autodétermination autochtone était ainsi en profonde contradiction avec les principes qu'ils défendait, soit l'égalité, l'unité et la primauté, voire l'exclusivité des droits de l'individu.

Le gouvernement refusait donc de reconnaître le droit des Aborigènes à l'autodétermination parce qu'il craignait qu'il ait des conséquence sur l'intégrité territoriale, parce qu'il rejetait le principe de droits séparés pour la collectivité autochtone, et aussi parce qu'il considérait que l'autodétermination et les droits collectifs appartenaient à « une politique du symbolisme » qui risquait de devenir « une

188 HREOC - ATSI Social Justice Commission - William Jonas, SJR 2002, 2003, p. 51

189 Voir par exemple HREOC - ATSI Social Justice Commission - Michael DODSON, SJR 1993, 1994, p. 41

190 HREOC - ATSI Social Justice Commission - Michael DODSON, SJR 1993, 1994, p. 63

191 CAR, 2000d, p. 14

192 Ibid., p. 15

159

distraction par rapport aux réelles taches et priorités » 193.

Lors des sessions d'adoption du projet de Déclaration sur les droits des peuples autochtones, l'Australie fut l'une des nations les plus intransigeantes sur la question de l'autodétermination des autochtones. Le gouvernement australien souhaitait en effet que le terme « autodétermination » disparaisse complètement du Projet, parce qu'il impliquait des « formes de souveraineté et d'autonomie gouvernementale pour les Aborigènes » 194.

Les différentes politiques du gouvernement eurent ainsi beaucoup d'impact sur les cinq grands piliers de l'autodétermination : la liberté de s'identifier et d'être identifié, le développement socio-économique, le maintien et la promotion des cultures, le développement de droits fonciers et le transfert de pouvoirs à des structures représentantes aborigènes.

Concernant le droit de s'identifier, les Aborigènes continuaient d'être libres de s'identifier à la communauté Aborigène et les procédures d'identification restaient globalement les mêmes. En ce qui concerne les droits fonciers, nous avons vu avec l'arrêt Wik et la Loi sur le titre autochtone 195, que le gouvernement entendait bien contenir, voire amputer les droits fonciers des autochtones. Pour ce qui est de leur développement économique, le gouvernement lui accordait une plus grande importance relativement aux questions d'ordre « symbolique » et refusait de le fonder sur des programmes et services séparés. En ce qui concerne les cultures autochtones, le gouvernement essaya de limiter le respect et la promotion des cultures au cadre du multiculturalisme. Enfin, concernant le dernier pilier, la dévolution des pouvoirs, le gouvernement n'accéda pas aux demandes qui avaient été faites pour une meilleure représentation des Aborigènes dans la société australienne. Les autochtones étaient donc très peu représentés dans les partis politiques. Ainsi, bien que les Aborigènes aient eu le droit de participer à la conduite des affaires publiques de la nation depuis les années 1960, leur « participation politique » effective restait à pleinement réaliser.

Ainsi, le gouvernement de John Howard semblait ne pas s'opposer seulement à la reconnaissance légale ou symbolique du droit des Aborigènes à l'autodétermination. Apparemment, il s'opposait au principe même de leur autodétermination 196.

Avant l'arrivée de Howard au pouvoir, l'ATSIC était critiquée par une partie de la population

193 Departement of Reconciliation & ATSI Affairs - John Herron, Statement at the 17th session of the United Nations Group on Indigenous Populations, 29 juillet 1999

194 « Forms of Aboriginal sovereign self-government » (Departement of Reconciliation & ATSI Affairs - John HERRON, The UN Working Group on Indigenous Populations . the Australian Contribution 1999, 1999, p.11)

195 Voir infra.

196 ROYER Ludivine ; L'Australie de la réconciliation : politiques, logiques et réalités socioculturelles , Thèse doctorat Etudes Anglophones, Université Paris IV - Sorbonne, 2007, p. 332

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Aborigène qui voyait en elle l'expression d'une forme limitée d'autodétermination : la Commission avait été créée simplement pour représenter des populations autochtones dont l'identité et le statut uniques avaient été reconnus 197. En outre elle restait étroitement contrôlée par le gouvernement puisqu'elle en dépendait sur le plan financier, et que son corps administratif était responsable devant le Ministre.

Avec l'arrivée de Howard, l'autonomie de la Commission fut encore plus réduite. Le gouvernement lui imposa différents types de restrictions financières telles qu'une forte réduction de la proportion du budget de l'État pour les Affaires aborigènes géré par ATSIC, ou le durcissement du régime de responsabilité financière auquel la Commission était soumise, ou encore une imposition importante de « minima » qui porta atteinte à l'autodétermination des Aborigènes. En effet, ce système de minima permit au gouvernement d'imposer ses choix, et les minima imposés dans certains domaines contraignirent la Commission à arrêter de nombreux programmes.

La Commission apparut alors comme « un simple prestataire de service, mis au service du gouvernement et de son projet de réconciliation, réduit à compléter les programmes d'un gouvernement ouvertement hostile à l'autodétermination qu'elle représentait originellement » 198.

En 2004, toujours dans une optique d'opposition à ce qu'il considère être une séparation entre les communautés, Howard abolit l'ATSIC au motif que sa gestion a été un échec. Depuis, aucun autre organisme n'a été mis sur pied par le gouvernement pour remplacer cette commission.

Pour terminer il convient de s'intéresser à la manière dont le droit à l'Autodétermination est-il réellement exercé sur le territoire australien.

2) Autonomie et autodétermination

Au cours de la période qui a débuté avec Whitlam, les Aborigènes ont vu la mise en place d'éléments leur assurant un certain degré d'autodétermination. Ils n'ont cependant pas, comme le précisait Mick Dodson, « exercé ni joui de ce droit » (Assimilation vs. Self Determination). Ainsi, ni la politique des travaillistes, ni celle des libéraux n'ont conduit à une reconnaissance formelle d'une autodétermination qui ne peut commencer qu'avec un accord négocié. La signature d'un tel accord permettrait d'instaurer une autodétermination politique pour laisser la place à un possible développement socio-économique et culturel.

197 Voir par exemple HREOC - ATSI Social Justice Commission - Michael DODSON, SJR 1993, 1994, pp. 42-43

198 ATSIC, 1996a, p. 23

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Il convient de souligner un aspect majeur du principe d'autodétermination, à savoir qu'il signifie établir des rapports équitables au sein de la société. Erica-Irene Daes soulignait d'ailleurs que ,

« [...] le droit à l'autodétermination des peuples autochtones devrait en général être interprété comme étant leur droit de négocier librement leur statut et leur représentation au sein de l'État dans lequel ils vivent. La meilleure définition qu'on puisse en donner est celle d'une sorte de « construction tardive de l'État en vertu de laquelle les peuples autochtones seraient à même de s'associer à tous les autres peuples qui constituent l'État, dans des conditions justes et acceptées par tous » 199.

On parle ici de la création d'un gouvernement représentant l'ensemble du peuple, au sein duquel les autochtones ont légitimement voix au chapitre quand il s'agit de déterminer leurs priorités et leur avenir.

Selon cette même auteur :

« L'État existant a le devoir de tenir compte des aspirations des peuples autochtones en adoptant des réformes constitutionnelles destinées à assurer un partage démocratique du pouvoir. Cette approche signifie également que les peuples autochtones ont le devoir d'essayer de parvenir à un accord, de bonne foi, concernant le partage du pouvoir à l'intérieur de l'État existant et d'exercer leur droit à l'autodétermination par ce moyen et par d'autres moyens pacifiques, dans la mesure du possible » 200.

Il apparaît qu'en l'espace d'une décennie, l'autodétermination des Aborigènes ne se traduisit plus par une forme étendue d'autonomie non-territoriale, mais par une forme d'autonomie réduite, parfois appelée autogestion. L'alternative qui se présentait aux Aborigènes ressemblait donc à l'alternative des autres citoyens, entre intégration et assimilation.

John Howard, qui rejetait le principe d'un traité avec les Aborigènes, déclarait d'ailleurs :

« Lorsque j'ai utilisé le terme d'inclusion au préalable, certains commentateurs l'ont confondu avec les vieilles politiques d'assimilation du passé. Ce n'est pas du tout ce que je dis f...] Les Australiens autochtones doivent avoir le droit de jouir de leur propre culture et de partager les avantages et les responsabilités que ce pays offre à tous les citoyens. Par inclusion, je veux parler d'embrasser et de célébrer la différence parce que ce sont ces

199 DAES, Erica-Irene, Discrimination à l'encontre des peuples autochtones : Note explicative concernant le Projet de déclaration sur les droits des peuples autochtones, paragraphe 25.

200 Ibid, paragraphe 26

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différences qui déterminent ce que nous sommes en tant que nation » 201

En 1999, Howard proposa au Parlement une motion de réconciliation qui fait suite à la publication, en 1997, du rapport Bringing Them Home (« Les ramener chez eux ») par la Human Rights and Equal Opportunity Commission (HREOC - Commission pour les droits de l'homme et l'égalité des chances). Cependant, cette motion n'est restée qu'une déclaration d'intention qui n'a pas été suivie de mesures sociales concrètes.

Au début des années 2000, une débat d'idées semblait avoir pris le pas sur les stigmatisations politiques. Deux grands groupes de pensée s'opposaient donc : l'un prônant l'incorporation des Aborigènes dans la société dominante, l'autre recommandant la réalisation de l'autodétermination autochtone.

Pour le premier, l'assimilation des Aborigènes était souhaitable, et souhaitée par les concernés. Le devoir du gouvernement était dès lors de faciliter l'incorporation des Aborigènes dans la société dominante, plutôt sur une base individuelle que collective. En vue d'une assimilation structurelle des Aborigènes à terme, il était urgent de démanteler l'ensemble des structures et des organisations qui avaient été créées par le gouvernement dans une logique d'autodétermination. Ce groupe considérait donc que la politique menée depuis le gouvernement Whitlam était un échec fracassant, et que tout ce qui avait été mis en place dans une logique de séparatisme, comme le Secteur autochtone, les programmes et les financements séparés, l'identité collective ou encore les droits fonciers ; devait progressivement disparaître pour permettre aux Aborigènes de sortir de l'impasse socio-économique.

Pour le second groupe, le principe d'autodétermination devait rester le principe phare des Affaires aborigènes. Selon leur conception, la lenteur des progrès socio-économiques depuis 1972 était due à un ensemble de facteurs annexes, et non pas à l'apparition de l'autodétermination dans les politiques gouvernementales. Il considéraient au contraire que cette politique était la plus appropriée pour permettre aux communautés autochtones de se relever, puis de s'émanciper, dans un contexte fait d'égalité citoyenne et de droits autochtones. Le gouvernement devait donc prendre toutes les mesures requises pour donner aux Aborigènes les moyens de s'autodéterminer dans une nation attachée à ses principes de justice et d'égalité. Il s'agissait dès lors d'assurer la pérennité des programmes réservés aux autochtones et d'augmenter le budget des Affaires Aborigènes, et ce particulièrement dans les domaines du logement et de la santé.

201 DIMIA - Phillip Ruddock, ATSIC National Treaty Conference, 29 août 2002

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Le principe de l'auto-gouvernance autochtone pose la question de la citoyenneté aborigène, qui suppose la reconnaissance des droits indigènes, parmi lesquels figurent les droits fonciers. Après avoir connu une évolution certaine, la question des droits à la possession de la terre, du droit aux ressources naturelles, du droit à l'indemnisation, ou encore du droit à l'utilisation de la terre semble avoir atteint ses limites aujourd'hui en Australie. Rappelons que l'Australie est la seule colonie du Commonweatlth à n'avoir jamais signé de traité avec les autochtones.

Depuis quelques années, les gouvernements ont cherché à passer avec les communautés des accords dits « de responsabilité partagée », leur proposant un soutien généralement matériel « en échange » d'un « effort » de prise en main. Cet « échange » consiste souvent pour les communautés à confier leurs terres au gouvernement pour des périodes très longues, ce qui s'assimile à la perte de leur souveraineté locale.

Trente ans après l'introduction du principe de l'autodétermination dans les Affaires aborigènes, le contrôle qu'exerçaient les autochtones sur les politiques et les programmes qui les concernaient restait très limité. Les moyens de leur développement économique continuaient d'être déterminés pas les gouvernements, limitant de ce fait la portée de leurs voix dans les structures programmes qui leur étaient réservés. En outre, leur pouvoir de décision sur les services qui les concernaient était quasiment nul. Les Aborigènes devaient donc reprendre le contrôle de leurs affaires, aux niveaux national, régional et local, de la prise de décision en amont, à l'application des décisions en aval, dans une logique d'autodétermination 202.

Ainsi il reste un sentiment d'inachevé dans la décolonisation interne débutée en 1972 avec le Premier Ministre Whitlam. Pour reprendre la formule du professeur John Borrows, « l'Australie semble prendre la voie de la re-colonisation ». Après avoir servi de slogan à la politique officielle aborigène et malgré les avancées incontestables du statut des Aborigènes, l'autodétermination reste en question.

202 ROYER Ludivine ; L'Australie de la réconciliation : politiques, logiques et réalités socioculturelles , Thèse doctorat Etudes Anglophones, Université Paris IV - Sorbonne, 2007, p. 389

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