97
II - L'exercice par les peuples autochtones du droit
à l'autodétermination
Pilier du droit international contemporain, le droit à
l'autodétermination est en vigueur depuis 1945, année de la
signature Charte des Nations Unies. Il a été renforcé en
1960, lors de l'adoption de la Résolution 1514 sur la
décolonisation et, par la suite, lors de la rédaction des Pactes
relatifs aux Droits de l'Homme. Dans le cadre de la décolonisation, bon
nombre de peuples ont exercé ce droit afin d'acquérir leur
indépendance, et la structure politique mondiale s'en est trouvé
profondément modifiée.
Le Rapporteur spécial de la Sous-Commission de la
lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des
minorités Aureliu Cristescu affirmait que :
« En tant qu'un des droits fondamentaux
de l'homme, la reconnaissance du droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes est liée à la reconnaissance de la
dignité humaine des peuples, car il existe un rapport entre le principe
de l'égalité de droits et de l'autodétermination des
peuples et le respect des droits fondamentaux de l'homme et de la justice. Le
principe de l'autodétermination est le corollaire naturel du principe de
la liberté individuelle et la sujétion des peuples à une
domination étrangère constitue un déni des droits
fondamentaux de l'homme » 108.
Les violences exercées contre les populations
autochtones, en particulier dans le contexte des conflits liés aux
droits à la terre, sont les séquelles persistantes de plusieurs
siècles d'assujettissement. Aujourd'hui les communautés
autochtones revendiquent la restitution de leurs terres, le respect de leurs
cultures ainsi que la reconnaissance de leur droit à
l'autodétermination. En effet, juridiquement, les peuples autochtones
n'ont pas bénéficié du processus de décolonisation
tel qu'il est inscrit dans le cadre du droit international.
En vertu de la Déclaration des Nations Unies sur les
droits des peuples autochtones adoptée par l'Assemblée
générale en septembre 2007, les peuples autochtones ont le droit
à l'autodétermination et les droits sur leurs terres et
ressources. Ce n'est pas le cas des minorités ethniques, religieuses
et
108 Cf. § 221 de l'étude intitulée Le
droit à l'audodétermination : développement
historique et actuel sur la base des instruments des Nations
Unies, élaborée par Aureliu Cristescu, Rapporteur
spécial de la Sous-Commission de la lutte contre les mesures
discriminatoires et de la protection des minorités, 1981.
98
linguistiques, dont le droit de jouir de leur propre culture, de
professer et pratiquer leur propre religion ou d'employer leur propre langue
est consacré à l'article 27 du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques. À ce propos, les pratiques des États
varient selon les pays. Certains nient même le statut de minorités
à des entités qui constituent des peuples au sein de leur
nation.
Nous allons donc traiter de l'élaboration de ce droit
des peuples à disposer d'eux-mêmes en analysant ses contours
(A), puis nous aborderons ensuite la réception du droit
à l'autonomie gouvernementale des peuples autochtones
(B). Enfin, nous reviendrons sur l'exemple Australien, en
analysant la mise en place de la politique d'autodétermination des
aborigènes (C).
A) Les contours du droit à
l'autodétermination pour les peuples autochtones
Si l'indépendance et la naissance de nouveaux
États a semblé être l'exercice normal du droit à
l'Autodétermination pour les peuples sous domination coloniale ou
occupation étrangère, dans le cas des peuples non soumis à
la domination coloniale ou l'occupation, cet exercice doit se faire normalement
dans le cadre des États, à condition que les conditions
politico-juridiques nécessaires existent ou puissent être
créées.
Nous verrons dans cette sous partie les différentes
formes sous lesquelles se présente l'exercice de ce droit
(i.). Nous verrons ensuite les raisons pour
lesquelles ce droit est généralement assimilé à la
notion de décolonisation (ii.). Enfin nous
nous intéresserons à la portée juridique interne du droit
des peuples autochtones à disposer d'eux-mêmes
(iii.).
i. Les différentes formes de l'exercice du
droit à l'autodétermination
Ce principe de « libre option des peuples
» est la clé du programme du président des
États-Unis Woodrow Wilson à la fin de la Première Guerre
mondiale. Bien que la notion ne soit pas explicitement mentionnée dans
son célèbre discours, plusieurs points sont clairement
sous-tendus par le principe du droit à l'autodétermination, avec
pour aspect essentiel le droit des peuples, à l'intérieur de
l'État, de se gouverner eux mêmes. Son inscription parmi les buts
de guerre américains a conduit à sa transformation en
règle de droit international à travers les traités de
paix, qui ont établi de nouvelles frontières étatiques
dessinées autour de territoires réputés
homogènes.
99
Dans ce cadre, l'autodétermination apparaît comme
la composante politique principale du droit des peuples 109.
Au moment de la création de l'ONU,
l'autodétermination des peuples était conçue comme une
aspiration de la communauté internationale. L'autodétermination
relève du statut même de peuple, et du pouvoir qu'il a de
décider quelles sont les responsabilités dont il a besoin pour
gouverner. Le droit à l'autodétermination peut être
défini par son essence, qui est le droit de choisir. L'ONU va donc
considérer que de ce droit découle le droit de fixer librement
son statut politique. Il est donc possible de faire une distinction
théorique entre « l'autodétermination « externe
», qui signifie l'acte par lequel un peuple détermine son
futur statut au niveau international et se libère lui-même du joug
de « l'étranger », et de l'autre,
l'autodétermination « interne », qui a trait
essentiellement au choix du système politique et administratif, et
à la nature profonde du régime choisi.
Le droit à l'autodétermination a
été réaffirmé dans l'Acte final d'Helsinki de la
Conférence sur la sécurité et la coopération en
Europe de 1975 qui énonce que « les États participants
respectent l'égalité de droits des peuples et leur droit à
disposer d'eux-mêmes en agissant à tout moment conformément
aux buts et aux principes de la Charte des Nations Unies et aux normes
pertinentes du droit international, y compris celles qui ont trait à
l'intégrité territoriale des États ».
Dans l'Acte final de la conférence la distinction
autodétermination « interne », et « externe
» a été également reprise :
« En vertu du principe de l'égalité de
droit des peuples et leur droit à disposer d'eux mêmes, tous les
peuples ont toujours le droit, en toute liberté, de déterminer,
lorsqu'ils le désirent et comme ils le désirent, leur
statut politique interne et externe, sans ingérence extérieure,
et de poursuivre à leur gré leur développement politique,
économique, social et culturel ».
Nous allons donc traiter de la dimension interne et externe
du droit à l'Autodétermination (1.),
avant d'aborder de manière spécifique l'exercice de ce droit par
les peuples autochtones (2.).
1) L'autodétermination externe et interne
La Déclaration sur l'octroi de l'indépendance
aux pays et aux peuples coloniaux du 14 décembre 1960 va consacrer le
droit à l'autodétermination externe, en rendant contraire
à la Charte des Nations Unies toute domination et/ou exploitation
étrangère d'un peuple. Bien que dénuée de valeur
109 FÉRON Élise , « Autodétermination
», Encyclopoedia Universalis [en ligne], consulté le 15
janvier 2012
100
obligatoire, cette Déclaration réaffirma avec
vigueur le droit à l'autodétermination en refusant tout retard
dans l'accession ou l'octroi de l'indépendance, sous quelque
prétexte que ce soit
À l'époque, le droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes se rattachait aux idées de liberté, de
justice, d'égalité et vise à redresser des torts, à
défendre les faibles et à bâtir un monde meilleur. Mais ce
principe peut s'avérer contradictoire, comme le démontre
l'opposition entre le caractère révolutionnaire lorsqu'il
soutient la sécession, ce qui met en présence l'État et
une partie de sa population, et le caractère conservateur lorsqu'il
protège les États, mettant ici en présence deux
États. Il n'existe pas de droit de sécession unilatérale
pour les communautés infra-étatiques, sauf dans certains cas
particulièrement graves et irrémédiables de violation des
droits de l'Homme. Faute d'être autorisée, une sécession
est néanmoins possible si elle réussit à s'imposer.
Le droit à l'autodétermination externe peut
s'exercer de plusieurs manières. Selon la Déclaration relative
aux principes du droit international touchant les relations amicales et la
coopération entre les États conformément à la
Charte des Nations Unies adoptée par l'Assemblée
générale de l'ONU en 1970 :
« La création d'un État souverain et
indépendant, la libre association ou l'intégration
avec un État indépendant ou l'acquisition de tout autre statut
politique librement décidé par un peuple constituent pour ce
peuple des moyens d'exercer son droit à disposer de lui-même
».
Il convient de constater que les États
constitués en fédération ou en confédération
offrent plus de possibilités aux peuples qui les composent d'exercer
leur droit à l'autodétermination. Nous reviendrons plus tard sur
ce point
Le droit à l'autodétermination interne sera lui
consacré par une résolution de l'Assemblée
générale du 14 décembre 1960, même jour que la
Déclaration sur l'octroi de l'indépendance, qui énonce
:
« Tous les peuples ont le droit de libre
détermination ; en vertu de ce droit ils déterminent librement
leur statut politique ».
Cependant, la Déclaration relative aux principes du droit
international touchant les relations amicales et la coopération entre
les États conformément à la Charte des Nations Unies
dispose que c'est « chaque État (qui) a le droit de choisir et
développer librement son système politique, social,
économique et culturel ».
101
Un compromis sera trouvé dans la Charte des droits et
devoirs économiques des États du 12 décembre 1974 :
« Chaque État a le droit souverain et
inaliénable de choisir son système politique, social, et
culturel, conformément à la volonté de son peuple, sans
ingérence, pression ou menace extérieure d'aucune sorte
».
La Déclaration d'Alger de 1976 viendra préciser
dans son article 5 que tout peuple « détermine son statut
politique en toute liberté, sans aucune ingérence
étrangère extérieure ». Le droit à
l'autodétermination interne c'est donc, au sens de cette
déclaration, le droit pour chaque peuple « à un
régime démocratique représentant l'ensemble des
citoyens... capable d'assurer le respect effectif des Droits de l'Homme et des
libertés fondamentales pour tous ».
Ainsi, dans la Charte des Nations Unies et dans les
déclarations adoptées dans les années 1960 et 1970, le
droit à l'autodétermination a été consacré
pour donner une base juridique à l'autodétermination des peuples
colonisés. L'exercice de ce droit a donc une dimension
externe/internationale, puisqu'il s'agit de permettre la décolonisation
et l'indépendance des peuples colonisés.
En vertu des deux Pactes internationaux relatifs aux droits
humains de 1966 et de la Déclaration relative aux principes du droit
international touchant les relations amicales et la coopération entre
les États et conformément à la Charte des Nations Unies,
les États ont des obligations à la fois négatives et
positives.
Premièrement, tout État a le devoir de respecter
le droit à l'autodétermination en conformité avec la
Charte des Nations Unies. Deuxièmement, tout État a le devoir de
favoriser la réalisation du droit des peuples à
l'autodétermination et d'aider l'ONU à s'acquitter de ses
responsabilités dans l'application de ce principe, afin de :
· Favoriser les relations amicales et la coopération
entre les États ;
· Mettre rapidement fin au colonialisme en tenant
dûment compte de la volonté librement exprimée des peuples
intéressés 110.
Les événements consécutifs au
démembrement de l'U.R.S.S. et de la Fédération yougoslave
ont néanmoins mis en évidence la difficulté d'application
du principe d'autodétermination lorsque de nombreuses minorités
se partagent un même territoire. Le débat suscité par la
reconnaissance de l'indépendance du Kosovo à partir de 2008
révèle la vigueur des controverses que suscite encore le
110 Cf. résolution 2625 (XXV) de l'Assemblée
générale de l'ONU, adoptée le 24 octobre 1970.
102
droit à l'autodétermination.
Le Kosovo était une région autonome de la
République populaire de Serbie, comprise jusqu'en 1989 dans le cadre de
la République fédérale de Yougoslavie. Avec
l'indépendance du Monténégro, la RFY a pris le nom de
Serbie, et considère le Kosovo comme une des ses provinces. En
février 2008, cet État a proclamé unilatéralement
son indépendance, avec l'appui de certaines grandes puissances. Dans son
arrêt rendu le 22 juillet 2010, la Cour internationale de Justice a
conclu que la déclaration d'indépendance du Kosovo du 17
février 2008 n'a pas violé le droit international 111.
Tous ces instruments stipulent que « tous les peuples ont
le droit de disposer d'eux-mêmes », mais il n'a jamais
été spécifiquement fait mention des peuples
autochtones.
2) L'autodétermination des peuples
autochtones
Les bénéficiaires du droit à
l'autodétermination sont les peuples. L'État est l'instrument de
l'exercice de ce droit entre les mains du (ou des) peuple(s) qui le
compose(nt). Lorsqu'il est utilisé pour désigner un groupe
titulaire de droits collectifs lui permettant d'assurer sa
pérennité, le terme « peuple » comprend l'idée
d'un droit, pour ce groupe, à sa libre disposition
(autodétermination). Aujourd'hui, dans le cas des peuples autochtones,
certains États ont pris le parti de contester que ce droit accorde le
statut de peuple à ceux qui se réclament de l'appartenance
à un peuple.
Les peuples autochtones revendiquent aujourd'hui leur droit
à l'autodétermination dans un monde qui est devenu
extrêmement interdépendant. Dans ce contexte, la majorité
d'entre eux désirent aujourd'hui une forme de libre association avec les
États dans lesquels ils se trouvent sous l'arbitrage du droit
international. Certains États ont d'ailleurs profité de cette
volonté sincère des peuples autochtones de négocier un
partenariat pour exiger un rétrécissement formel de leur droit
à l'Autodétermination. Le gouvernement américain, par
exemple, défendait une position se disant disposé à
accepter les termes « peuples » et «
autodétermination » dans le Projet de Déclaration
sur les peuples autochtones à condition que le premier n'implique en
aucune façon l'exercice du droit à l'autodétermination, et
que l'on formule le second de manière à préciser qu'il
s'agit d'une autonomie ou d'une auto-administration à l'intérieur
de l'État-nation existant 112.
111 Cour internationale de Justice, Conformité au
droit international de la déclaration unilatérale
d'indépendance relative au Kosovo, avis consultatif du 22 juillet
2010
112 Séminaire Droit à
l'autodétermination des peuples autochtones (New York, le
18 mai 2002 ; National Library of Canada, second quarter 2002.) p.20
103
Cette position représente une menace pour les peuples
autochtones. En effet, puisque aucun instrument juridique international ne
définit les termes « autodétermination interne
»,
« autonomie », « autonomie
gouvernementale » ou « auto-administration », ils
sont donc sujets à l'interprétation que les États leur
donnent.
Dans son rapport sur la situation des peuples autochtones,
Martinez Cobo distingue six types de politiques suivies par les États
vis-à-vis des autochtones. Tout d'abord :
« la ségrégation , reposant en
général sur la croyance en une hiérarchie des cultures,
elle revêt souvent la forme inadmissible de l'apartheid et des
réserves-ghettos. L'assimilation repose également sur
l'idée de hiérarchie : l'autre est accepté... à
condition qu'il abandonne ses spécificités en faveur de la
société dominante. L'intégration
représenterait une voie moyenne : elle n'implique que la
suppression des spécificités qui, dans chaque culture contiennent
des obstacles à l'unité de l'ensemble. Elle repose sur repose sur
l'élimination des clivages purement ethniques, l'égalité
juridique de tous les citoyens, à chaque groupe qu'ils appartiennent.
Mais on peut observer que, dans la pratique, l'intégration est soumise
à des rapports de force (les cultures en présence sont rarement
sur un pied d'égalité in concreto), et a donc tendance
à se muer en forme plus progressive d'assimilation. La fusion,
" processus en vertu duquel deux cultures au moins s'associent pour en produire
une autre qui diffère de façon marquée de chacune d'entre
elles ainsi que de nouveaux éléments produits par le contact... "
[...] Le pluralisme, quant à lui, "... vise à unir
différents groupes ethniques dans un rapport d'interdépendance,
de respect mutuel et d'égalité, tout en leur permettant de
maintenir et de développer leur mode de vie propre. Il peut comporter
une séparation physique, mais le plus souvent ce n'est pas le cas. Toute
séparation existante est choisie volontairement : elle n'est pas
imposée" [...] Enfin l'autonomie, corollaire fréquent de
l'orientation précédente. Elle ne se confond pas avec la
sécession, mais peut s'identifier à une autogestion interne des
groupes autochtones. La plupart d'entre eux insistent sur le caractère
déterminant des facteurs culturels dans le développement
économique ; la nécessité de la reconnaissance juridique
du caractère collectif de la propriété des terres ; la
mise en oeuvre d'une autonomie politique » 113.
Jusqu'à récemment, le seul instrument
international offrant une protection spécifique aux droits des peuples
autochtones était la Convention n°169 de l'OIT, dont les articles
13 à 17, en particulier, consacrent les droits des peuples autochtones
à leurs terres et à leurs territoires et leur droit de
113 Voir Rouland Norbert, Pierré-Caps
Stéphane, Poumarède Jacques « Droit des
minorités et des peuples autochtones », PUF, 1996,
pp. 399-400 ; Chap IX « Politique fondamentale »,
Doc. E/CN.4/Sub.2/1983/21/Add.1, p. 4-10 ; §22, p. 6 ; §28 p. 8 ;
§29 p. 9
104
participer à l'utilisation, à la gestion et
à la conservation de leurs ressources. Ils consacrent également
les droits des peuples autochtones à la consultation avant toute
utilisation des ressources situées sur leurs terres et l'interdiction de
les déplacer de leurs terres et territoires.
L'adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les
droits des peuples autochtones par l'Assemblée générale en
septembre 2007, permet d'aller plus loin que la Convention de l'OIT. La
Déclaration commence par reconnaître que les peuples autochtones
ont le droit de jouir pleinement, soit collectivement soit individuellement, de
tous les droits humains et de toutes les libertés fondamentales reconnus
dans les instruments relatifs aux Droits de l'Homme. Puis elle reconnaît
le droit des peuples autochtones à l'autodétermination et leurs
droits sur leurs terres et ressources.
De par leur droit fondamental à
l'autodétermination, les peuples autochtones ont le droit de promouvoir,
de développer et de conserver leurs structures institutionnelles, le
droit d'être autonomes et d'administrer eux-mêmes leurs affaires
intérieures et locales, le droit d'appartenir à une
communauté ou une nation autochtone, le droit d'acquérir une
citoyenneté autochtone qui ne remette pas en cause leur
citoyenneté nationale et le droit de participer pleinement à
l'élaboration des mesures légales ou administratives susceptibles
de les concerner. Ils ont le droit de posséder, de gérer et
d'utiliser leurs terres et territoires, le droit de négocier ou de
refuser tout projet d'exploitation de leurs terres, le droit d'obtenir la
restitution des terres et des ressources qu'ils possédaient, occupaient
ou exploitaient traditionnellement, ou à défaut, lorsque la
restitution de leurs terres traditionnelles se révèle impossible,
le droit d'être indemnisés de manière juste. Ils ont le
droit de contrôler, développer et protéger leurs cultures,
leurs traditions, leurs savoirs et leurs arts, le droit de conserver leurs lois
et leurs pratiques juridiques à condition que ces dernières
soient conformes avec les Droits de l'Homme, le droit de pratiquer librement
leurs rites religieux, le droit de maintenir leur économie
traditionnelle, le droit d'utiliser et de revivifier leurs langues, et le droit
de recevoir une éducation dispensée dans leurs propres langues,
conformément à leurs méthodes culturelles d'enseignement
et d'apprentissage. Ils ont également le droit de
bénéficier de mesures spéciales du fait de leurs
désavantages socio-économiques, le droit de définir leurs
priorités et leurs stratégies de développement, le droit
d'élaborer les programmes économiques et sociaux qui les
concernent, et autant que possible, le droit de les administrer au moyen de
leurs propres institutions. Enfin, ils ont le droit de s'identifier librement
en tant qu'autochtones et le droit d'être pleinement
protégés contre toute forme de discrimination ou de
génocide 114.
La réalisation du droit à
l'Autodétermination consiste à engager un dialogue soutenu avec
la
114 Ibid, p. 95
105
population dominante, et à poursuivre les campagnes de
sensibilisation auprès des organes gouvernementaux. Potentiellement, le
droit à l'autodétermination des peuples autochtones et celui des
États dans lesquels ils vivent pourraient entrer en conflit, surtout
s'il n'y a pas de concertation sur les intérêts divergents des
divers acteurs mentionnés, ni le respect des droits humains fondamentaux
et des principes démocratiques. Il s'agit également de renforcer
la solidarité entre les peuples autochtones du monde entier, et ce
grâce à une participation active au sein des Nations Unies.
Selon Rodolfo Stavenhagen, Rapporteur spécial de l'ONU
sur la situation des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales
pour les peuples autochtones, il existe divers niveaux d'approche et d'analyse
de la question du droit à l'autodétermination. Ainsi il parle
d'approche verticale, de haut en bas, et d'approche pyramidale, de la base vers
le sommet.
La première est celle que les États ont
traditionnellement adoptée, parce que ce qui les préoccupe, c'est
une application valide du droit à l'autodétermination tel qu'il
est défini par les instruments nationaux et internationaux
pertinents.
L'approche pyramidale, pour sa part, peut être
considérée comme une approche constructiviste : « le droit
à l'autodétermination entendu, en fait, comme un droit des
peuples plutôt qu'un droit des États; comme un droit de
collectivités organisées d'une certaine manière »
115.
Du fait de l'importance politique des différents textes
internationaux, la doctrine estime que ce droit ne peut s'appliquer aux peuples
autochtones qui ne sont pas soumis à la domination coloniale. Elle
opère donc une dissociation entre le droit des peuples et le principe
d'autodétermination hors les cas de domination coloniale.
ii. L'autodétermination assimilée
à la décolonisation
Il apparaît que l'existence d'une situation de
colonisation, présente ou passée, est un point commun à
toutes les communautés autochtones. Selon la définition de l'ONU,
un territoire non autonome, donc colonisé, doit être
séparé par la mer de l'État qui l'administre. Les colonies
ne peuvent donc qu'être en dehors du territoire national, au delà
des mers. Les territoires qui satisfont à ces critères
bénéficient donc du droit à l'autodétermination
116.
115 Séminaire Droit à
l'autodétermination des peuples autochtones (New York, le
18 mai 2002 ; National Library of Canada, second quarter 2002.) p. 44
116 Résolution 1514 (XV), Déclaration sur
l'octroi de l'indépendance aux pays et peuples coloniaux,
adoptée par l'Assemblée
106
Toutefois, selon Marie-Claire Bertin, « cette
définition de la colonisation a des conséquences
différentes sur les peuples autochtones selon l'endroit où ils se
trouvent. Elle circonscrit la qualification de peuples autochtones aux groupes
qui vivent sous la domination d'États européens ou d'origine
européenne. Ces États reconnaissent que des peuples autochtones
vivent sur leurs territoires. La condition de la séparation
géographique est satisfaite dans la mesure où ces peuples sont
les descendants de ceux qui occupaient et contrôlaient les territoires au
moment où les colons européens sont venus s'installer et les
déposséder. En revanche, ils vivent maintenant sur le territoire
métropolitain d'États indépendants, il n'y a donc plus de
séparation géographique. Ces peuples vivent sur le territoire
d'États indépendants et non dans des colonies, ils en constituent
donc pas des populations non autonomes. Par conséquent, ces peuples
autochtones ne peuvent pas obtenir la qualification de peuples au sens du droit
international et donc ne peuvent pas prétendre exercer le droit à
l'autodétermination » 117. Il faut donc assouplir cette
conception, jugée par les Nations Unies comme trop restrictive.
Nous allons donc définir cette domination coloniale,
qui peut avoir des formes différentes selon le territoire où elle
est exercée (1.), avant de traiter de
l'assimilation peuple autochtone/peuple colonisé
(2.).
1) Définition de la décolonisation
La décolonisation est un mouvement de l'histoire
résultant de la conjonction de forces diverses se renforçant
mutuellement - affaiblissement des empires coloniaux dû à la
guerre, prise de conscience de l'exploitation coloniale par une élite
autochtone, rivalité Est-Ouest, tribune de l'ONU... - et rendant
finalement intenable le maintien des dominations coloniales 118.
La décolonisation imposait deux exigences objectives :
la rupture totale des liens qui maintenaient le territoire non autonome sous la
domination politique de la puissance coloniale, et la sauvegarde de
l'unité territoriale de l'ancienne colonie qui risquait de se
désagréger en perdant le cadre colonial qui la maintenait de
gré ou de force unie. Ces exigences ont été
imposées aux peuples colonisés, au
générale des Nations Unies le 14 décembre
1960.
117 BERTIN Marie-Claire « Le statut des peuples
autochtones en droit international » / Atelier National de
Reproduction des Thèses / 2008 ; pp. 271-272
118 CHARPENTIER Jean, « Autodétermination et
décolonisation » ; In : Mélanges Chaumont (Charles). - Paris
: A. Pedone, 1984. - p. 119
107
besoin contre leurs intérêts 119.
Il fallait donc distinguer les peuples colonisés des
autres, en se basant sur plusieurs critères : la séparation
géographique, la spécificité ethnique et culturelle, ou
encore l'état de subordination. C'est donc une certaine qualification
qui peut discerner ceux des peuples qui ont droit à
l'autodétermination. Celle ci peut être opérée par
un organe extérieur aux bénéficiaires des droits ainsi
reconnus, ou encore par le peuple lui même qui témoignerait de son
aptitude à accéder à l'indépendance. Le droit des
peuples à disposer d'eux-mêmes devient ainsi, selon la forte
expression de Charles Chaumont, le droit des peuples à témoigner
d'eux-mêmes 120.
Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, le
mouvement de décolonisation pris la forme d'une obligation
coutumière de décolonisation, basée sur la situation
objective des peuples concernés. Le problème se posait pour les
peuples dépendants, que l'on appelle aussi « nations dans la nation
», ou minorités nationales, qui restaient soumis à
l'autorité des États. La reconnaissance de leur droit à
l'Autodétermination impliquait que leur statut au sein de l'État
soit revu dans un processus de décolonisation interne.
Aujourd'hui, si l'on suit le sens classique du terme, peu de
peuples sont encore l'objet de la colonisation, mais on peut toutefois
mentionner les Kurdes, les Saraouis ou encore les Tibétains.
C'est en ce sens que la Cour internationale de Justice a
statué en 1975 sur l'affaire du Sahara Occidental, et a reconnu
dans un avis consultatif « qu'on ne pouvait pas qualifier de Terra
Nullius des territoires habités par des populations dont les
critères d'organisation sociopolitiques, s'ils diffèrent de ceux
des sociétés étatiques, n'en existent pas moins, et ne les
disqualifient pas pour l'exercice d'un droit à
l'Autodétermination » 121.
En outre, la Résolution 2625 ne restreint pas
explicitement le droit à l'Autodétermination aux peuples sous
domination coloniale dans la mesure où elle ne dit rien des États
où persiste une domination de type colonial sous les apparences de
l'unité politique, ce qui est le cas aujourd'hui de bon nombre de pays
abritant des peuples autochtones sur leurs territoires. En effet, la domination
de type colonial à l'égard des peuples autochtones peut se
manifester à l'intérieur d'États qui sont eux même
sortis de la situation coloniale 122.
La Charte de l'ONU contient plusieurs références
à ce droit, ainsi que les Pactes de 1966 sur les Droits de l'Homme. Mais
c'est l'Assemblée générale qui, au travers de ses
nombreuses résolutions, a
119 Ibid, p. 124
120 Ch. CHAUMONT, « Le droit des peuples à
témoigner d'eux-mêmes », i A.T.M., 1976, pp.15 et
suiv.
121 ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane,
POUMAREDE Jacques « Droit des minorités et des peuples
autochtones », PUF, 1996, pp. 447 ; CIJ Avis consultatif sur
le Sahara Occidental, 16 octobre 1975, §75 à 83
122 Cf. N. Rouland, Les colonisations juridiques : de
l'Arctique à l'Afrique noire, Journal of Legal
Pluralism, 29 (1990), pp. 39-136
108
spécifiquement appliqué ce droit au contexte de
la décolonisation. Les deux plus importantes sont la Résolution
1514 (XV), appelée la « déclaration sur l'octroi de
l'indépendance aux peuples et pays coloniaux », et la
Résolution 2625 (XXV) « déclaration relative aux
principes du droit international touchant les relations amicales et la
coopération entre les États conformément à la
Charte des Nations Unies ». Selon ces résolutions, le peuple
non autonome peut déterminer librement son destin, soit en devenant un
État indépendant souverain, soit en s'associant à un
État indépendant ou en s'y intégrant. Dans sa
Déclaration de 1970, l'Assemblée générale a
circonscrit le droit à l'autodétermination dans la mesure
où elle énonce que l'on doit considérer tout État
souverain et indépendant, doté d'un gouvernement
représentant l'ensemble de sa population, comme un État qui se
conduit conformément au principe de l'égalité de droits et
du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, à
l'égard de cette population.
Intéressons nous donc à l'assimilation qui est
opérée entre peuple autochtone et peuple colonisé.
2) L'assimilation peuple autochtone/peuple
colonisé
L'indépendance n'est qu'une des formes possibles
d'exercice du droit à l'Autodétermination. Ainsi il serait
possible d'envisager un cadre juridique international plus précis que
celui qui s'appuie sur la Déclaration sur l'octroi de
l'indépendance aux pays et peuples coloniaux de 1960, et sur la
Déclaration sur les relations amicales de 1970. La
responsabilité des États est de rendre possible l'exercice de
l'autodétermination des peuples, tandis que celle de la
communauté internationale est plutôt de s'assurer que celui-ci
s'effectue de manière pacifique. Il s'agit donc d'un défi pour
les États de se démocratiser pour permettre aux peuples d'exercer
leurs droits sans être soumis à la domination, et de fournir ainsi
les conditions internes qui permettent l'exercice pacifique du droit à
l'Autodétermination.
Selon Nina Pacari, députée à
l'Assemblée nationale de l'équateur, la question de la
reconnaissance du droit à l'Autodétermination aux peuples
autochtones est une question politique.
« Il s'agit de peuples en situation d'exclusion au sein
d'un État uninational hégémonique, dont le
caractère mono-ethnique a, de fait, empêché les peuples
autochtones de prendre part aux décisions concernant leur avenir.
Dès l'origine, ces peuples s'inscrivent donc dans une continuité
historique. Cependant, les États nationaux, en se constituant, ont
oublié leur
109
existence et imposé des institutions qui ne
correspondent pas à la réalité nationale, si diverse et si
plurielle. D'où un problème d'exclusion qu'il faut corriger en
reconnaissant le caractère multiethnique de la société et
de l'État, dans un cadre dépassant le déclaratif »
123
Il faut donc de nouveaux modèles d'États ; des
États qui soient inclusifs et plurinationaux. Après que bon
nombre d'États aient arraché leur indépendance aux
puissances coloniales, le concept « une seule nation, un seul État
» a gommé la diversité des peuples autochtones
installés sur un territoire. La Convention 169 de l'OIT reconnaît
aux peuples autochtones l'auto-affirmation de leur identité, et souligne
le droit à l'identité autonome à laquelle ils ont droit.
Cependant, il en coûte aux États de reconnaître pleinement
cette auto-identification collective qui, par voie de conséquence,
détermine le caractère plurinational d'un État
124. Ce principe de plurinationalité implique d'ailleurs des
réaménagements territoriaux qui devront être
effectués dans le respect de la diversité culturelle des
différentes communautés autochtones. Ainsi, la participation et
le contrôle des peuples autochtones ne seront possibles qu'à
travers la décentralisation et les autonomies, en fonction des
caractéristiques spécifiques de chaque État. Un
État plurinational survit si son système politico-juridique est
adéquat ou s'il s'adapte en vue de l'exercice de
l'autodétermination de tous les peuples qui le composent.
La Charte des Nations Unies, en affirmant « le principe
de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à
disposer d'eux-mêmes », ne définit pas les
bénéficiaires de ce droit. C'est l'Assemblée
générale des Nations Unies qui va apporter les précisions
nécessaires au travers de ses résolutions, attestant de ce fait
que le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est une
règle du droit coutumier international. Ces résolutions expriment
l'opinio furis selon laquelle le colonialisme est contraire à
la Charte.
Les modalités d'exercice du droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes sont posées dans la résolution 1514
(XV) du 14 décembre 1960, intitulée Déclaration sur
l'octroi de l'indépendance aux pays et peuples coloniaux. Cette
résolution confirme que le mouvement de décolonisation a
donné ses caractéristiques au droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes : « il concerne tous les peuples des territoires
colonisés par des États européens, des territoires qui
sont tous géographiquement séparés de ces États et
il s'exerce dans le cadre des frontières coloniales, en vertu du
principe de l'uti pussidetis furis » 125. Ce principe
consiste à respecter les frontières tracées par
123 Séminaire Droit à
l'autodétermination des peuples autochtones (New York, le
18 mai 2002 ; National Library of Canada, second quarter 2002.) p. 26
124 Ibid, p. 26
125 BERTIN Marie-Claire « Le statut des
peuples autochtones en droit international » / Atelier
National de Reproduction des Thèses / 2008 ; p. 322
110
l'État colonisateur, et ainsi maintenir les
délimitations territoriales administratives coloniales.
Considérée comme la Charte de la
décolonisation, cette résolution pose problème lorsqu'on
aborde la question de l'autodétermination, qui n'a été
développée par l'Assemblée générale que dans
le cadre de la décolonisation. Celle ci considère que l'exercice
du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes amène
nécessairement à l'indépendance, l'issue par excellence
d'une situation de colonisation.
Lorsqu'il ne conduit pas à l'indépendance, mais
aboutit sur une association ou une intégration dans un État
indépendant, l'Assemblée générale exige un
référendum, afin de prendre conscience de la volonté
réelle du peuple colonisé 126.
Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ne
peut donc être exercé que sur un peuple colonisé, et
assimile l'autodétermination avec l'indépendance. Cette
conception ne facilite pas son application en dehors du contexte colonial. Afin
d'exercer pleinement ce droit, les peuples autochtones doivent démontrer
qu'ils constituent des peuples au sens du droit international. Il n'existe pas
de définition unique en droit international de la notion de peuple, mais
au sens de la décolonisation un peuple désigne l'ensemble de la
population colonisée d'un territoire, qui est géographiquement
séparé de l'État qui l'administre. Cette définition
implique que le peuple soit la population entière, et exclut
l'idée qu'un groupe minoritaire puisse constituer un peuple. En effet
selon cette conception, « lorsque le droit à
l'autodétermination a été exercé, la population
forme une unité, tous les individus ont la même nationalité
; il n'y a qu'un seul peuple, il ne peut y avoir au mieux que des
minorités. Par conséquent, il ne peut pas exister plusieurs
peuples sur le territoire métropolitain d'un État
indépendant » 127.
La Commission interaméricaine des Droits de l'Homme
confirme cette conception dans son rapport sur les Indiens Miskito du Nicaragua
128. Elle considère que ces communautés sont des
groupes, des minorités ethniques et ne sont pas par conséquent
bénéficiaires du droit à l'autodétermination.
Toutefois, la Cour leur reconnaît un droit à
l'autodétermination interne de manière implicite : constatant
qu'ils n'ont pas pu se développer sur les plans culturel et ethnique,
elle suggère à l'État nicaraguayen de faire en sorte qu'il
puissent être consultés et qu'ils participent aux prises de
décisions politiques. La Commission reste ici dans le cadre du droit
interne de l'État, et respecte ainsi son intégrité
territoriale.
126 Cette exigence est posée dans les principes VII
à IX de la Résolution 1514 (XV)
127 BERTIN Marie-Claire « Le statut des peuples
autochtones en droit international » / Atelier National de
Reproduction des Thèses / 2008 ; p. 336
128 Report on the situation of human rights of a
segment of the Nicaraguan population of Miskito
origin, OAS Doc. OEA/Ser.L/VLII.62, doc.26 (1984)
111
Il est extrêmement important de sortir du cadre de la
domination coloniale ou de l'occupation étrangère et d'accorder
au droit d'autodétermination l'attention qu'il mérite. C'est en
effet hors de ce cadre que l'exercice de ce droit a donné lieu aux
changements les plus importants et catégoriques au sein de la
communauté internationale.
Il est donc indispensable de fournir un travail d'ordre
technique plus poussé aux échelons national, régional et
international afin d'appréhender les implications concrètes du
droit à l'Autodétermination.
Analysons maintenant la portée juridique du droit des
peuples autochtones à disposer d'eux-mêmes.
iii. La portée juridique interne du droit des
peuples autochtones à disposer d'eux-mêmes
L'autodétermination, la souveraineté et
l'autonomie gouvernementale sont inhérentes au statut juridique des
peuples autochtones. Il en existe de multiples approches et
interprétations.
Le rapport rendu par Martinez Cobo en 1986 concluait que
l'ethnocide des peuples autochtones durant l'ère moderne était
directement associé à l'absence d'un droit à
l'autodétermination reconnu. Il est donc très important pour eux
qu'ils acquièrent la personnalité juridique internationale que
confère ce droit, de manière à ce qu'ils puissent :
1) négocier avec les États sur la base d'une
égalité formelle;
2) faire appel facilement à la communauté
internationale pour demander protection contre les abus des États le cas
échéant;
3) participer comme il se doit aux instances internationales
où, de plus en plus, se prennent des décisions qui ont des
retombées énormes sur leurs communautés.
Pourtant, dans un très grand nombre de cas, les peuples
autochtones cherchent à acquérir une personnalité
juridique internationale sans pour autant chercher à devenir des
États indépendants.
Il s'agit ici de traiter de la dimension purement interne du
droit à l'Autodétermination pour les peuples autochtones
(1.), avant d'aborder les limites posées par
le respect des droits territoriaux des autochtones et de
l'intégrité territoriale des États
(2.).
112
1) La dimension interne du droit à
l'Autodétermination pour les peuples
autochtones
Il n'existe pas à proprement parler de dimension
interne de ce droit, mais des conditions internes au sein des États
permettant de l'exercer pacifiquement vis-à-vis de l'autorité
dirigeante et de l'intégrité du territoire. Si ces conditions
n'existent pas ou ne peuvent être générées, le droit
d'autodétermination pourra justifier la rébellion ou la
sécession et exigera des réponses externes ou internationales,
à commencer par la reconnaissance.
Au cours de sa séance de 1997, le Groupe de travail de
la Commission des droits de l'homme et les États ont alimenté un
débat autour des notions d'autodétermination « interne
» et d'autodétermination « externe ». Le but était
de circonscrire le droit des peuples autochtones à disposer
d'eux-mêmes dans les limites d'un droit prescrit par les autorités
internes ou par l'État 129.
Pour les peuples autochtones le droit à
l'Autodétermination ne peut être interprété comme un
droit à la sécession, sauf en dernier recours. Il s'agit
plutôt d'une part d'un droit à coexister pacifiquement à
l'intérieur d'un État avec le reste de la population, et d'autre
part d'un droit à disposer de leur destin, par l'intermédiaire de
leurs représentants avec les autorités de l'État. Ainsi,
après la décolonisation externe, visant des territoires qui
aboutissent à leur indépendance, et qui était autrefois la
seule prise en compte, va émerger un nouveau concept : la
décolonisation interne. Elle concerne les territoires
indépendants, et n'aboutit qu'à une autodétermination
interne, sans sécession. Cela signifie donc pour les peuples autochtones
l'auto-administration pour les questions les concernant spécifiquement,
la participation de l'État aux décisions les visant à
l'échelon national, ou encore la participation à la vie politique
de l'État. Cette distinction a par ailleurs été reprise
par Irene Daes, ancienne présidente du groupe de travail sur les peuples
autochtones :
« En théorie, du moins, il est possible de faire
une distinction entre, d'une part, l'autodétermination "externe", qui
signifie l'acte par lequel un peuple détermine son futur statut au
niveau international et se libère du joug de "l'étranger", et, de
l'autre, l'autodétermination "interne", qui a trait essentiellement au
choix du système politique et administratif et à la nature
profonde du régime choisi. [...] La meilleure façon d'envisager
le droit à "l'autodétermination interne" est de le
considérer comme le droit d'un peuple de
129 Cette conception est assez controversée. En effet, les
gouvernements ne peuvent pas déclarer que les peuples autochtones ont le
droit de disposer d'eux-mêmes tout en affirmant qu'ils ne disposent que
du droit à une autonomie interne ou à une autonomie
gouvernementale.
113
choisir son propre régime politique, d'influer sur
l'ordre politique de la région dans laquelle il vit et de sauvegarder
son identité culturelle, ethnique, historique ou territoriale. [...]
Dès lors qu'un État indépendant a été
créé et reconnu, les peuples qui le constituent doivent essayer
d'exprimer leurs aspirations par l'intermédiaire du système
politique national et non en créant de nouveaux États, sauf si le
système politique national devenait si exclusif et si peu
démocratique qu'on ne pourrait plus le considérer comme
"représentant l'ensemble du peuple ". À ce stade, et si toutes
les mesures prises au niveau international et diplomatique étaient
impuissantes à protéger les peuples concernés de
l'État en question, ils auraient sans doute raison de créer un
nouvel État pour assurer leur sécurité [...] La
communauté internationale et l'auteur du présent document
dissuadent les peuples de recourir à la sécession pour
remédier à la violation de leurs droits fondamentaux mais, comme
le montrent des événements récemment survenus de par le
monde, le recours à la sécession ne peut être
entièrement écarté » 130.
Les États ont des positions diverses sur la question de
l'autodétermination, et bon nombre d'entre eux s'opposent fortement
à l'assimilation de l'autodétermination à la
sécession.
Néanmoins, en 1993 lors de la réunion du Groupe
de travail de l'ONU, certains États manifestaient leur soutien à
l'autodétermination des autochtones. L'Australie, par exemple, admettait
que l'autodétermination pouvait servir à la «
réconciliation nationale ».
En outre, la question des titulaires du droit à
l'autodétermination est un problème pour certains États
qui croient que tous les peuples autochtones ne sont pas des peuples au sens du
droit international.
Plusieurs États voulaient ainsi voir des balises
inclues dans le texte du projet de Déclaration sur les droits des
peuples autochtones : libre détermination interne, autonomie
gouvernementale, respect de l'intégrité territoriale et/ou de la
souveraineté des États démocratiques. Face à cela,
il a été reconnu par l'ensemble des représentants
autochtones à l'ONU que le droit à l'Autodétermination des
peuples autochtones doit être reconnu sans qualification, limitation ou
discrimination. Les peuples autochtones refusent en effet de se voir imposer
des conditions différentes de celles auxquelles sont soumises les autres
peuples, le but de la reconnaissance du droit à
l'autodétermination des peuples autochtones étant celle de leur
égalité avec les autres peuples. L'exercice de ce droit doit donc
se définir au cas par cas, avec la participation pleine et
entière, effective et directe des peuples concernés.
130 DAES e.i., Note explicative concernant le projet de
déclaration sur les droits des peuples autochtones, Doc.
E/CN.4/Sub.2/1993/26/Add.1, 19 juillet 1993, §17 p. 19, 21, 23
114
Les peuples autochtones doivent donc concilier leur droit
à disposer d'eux-mêmes et la nécessité d'une
collaboration avec les États sans lesquels ils ne peuvent agir. Le droit
à l'Autodétermination doit être exercé « en
conformité avec le droit international ». Ainsi, selon cette
conception, le droit à l'Autodétermination est un droit
modifié qui ne donne accès qu'à une
autodétermination interne, c'est à dire une certaine forme
d'autonomie gouvernementale limitée à l'intérieur d'un
État existant.
Selon Irene Daes, dans le cadre d'une autodétermination
interne, les peuples autochtones concernés auront acquis un certain
nombre de droits de manière progressive. Il s'agit donc de retrouver le
droit au développement des sociétés autochtones selon
leurs propres besoins. En effet, l'autodétermination inclut, en plus du
domaine politique, le contrôle de l'éducation locale, de la
santé et même des médias. Aujourd'hui, peu de peuples
autochtones sont représentés politiquement et cela même
lorsqu'ils constituent un pourcentage important de la population nationale du
pays. L'exercice de ce droit est une condition essentielle et indispensable
pour la protection de l'identité collective autochtone, ainsi que de
leur intégrité culturelle.
Reconnaître aux peuples autochtones qu'ils aient le
droit à l'Autodétermination est une façon de
reconnaître que ce ne sont pas des peuples de seconde catégorie
mais biens des peuples égaux en droits et en dignité, ce qui
implique qu'ils se conforment aux normes des Droits de l'Homme, qu'ils
négocient de bonne foi et qu'ils épuisent toues les voies de
négociation possibles afin d'exercer leurs droits. C'est donc la
reconnaissance du fait que les peuples autochtones ont le droit d'être
partie prenante aux décisions qui les concernent et qu'ils ont le droit,
comme entité collective, de choisir les arrangements qui garantiront
leur pérennité en tant que peuple. Cela implique également
des États qu'ils acceptent l'accession des peuples autochtones aux
forums internationaux et qu'ils négocient en égaux avec eux.
Parmi les peuples autochtones, on constate une multitude de
points de vue sur la question de l'autodétermination. Ils ont donc
diverses conceptions de ce droit et de quelle manière il opère
dans leurs communautés et sociétés respectives.
Pour certains, il s'agit d'ententes d'autonomie
régionale comme la création du Nunavut ou le statut de territoire
autonome du Groenland (Greenland Home Rule) ; d'autres ont
évoqué la souveraineté tribale aux États-Unis,
comme dans le cas de la Nation Navajo ; d'autres encore, comme la Commission
des Aborigènes et des Insulaires du détroit de Torres
(ATSIC), estiment qu'il est fondamental, pour
l'intégrité de la déclaration, qu'y soit mentionné
sans ambiguïté le droit à l'autodétermination.
115
Conformément au droit international, ce droit ne doit
pas être interprété comme autorisant ou encourageant une
action, quelle qu'elle soit, qui démembrerait ou menacerait, totalement
ou partiellement, l'intégrité territoriale ou l'unité
politique de tout État souverain et indépendant se conduisant
conformément au principe de l'égalité de droit et du droit
des peuples à disposer d'eux-mêmes et doté d'un
gouvernement représentant l'ensemble du peuple appartenant au territoire
sans distinction de race, de croyance ou de couleur.
Le droit à l'Autodétermination pour les peuples
autochtones s'exerce dans le respect de l'intégrité territoriale
de l'État. Analysons donc l'objet de cette garantie.
2) La garantie du respect des droits territoriaux et de
l'intégrité territoriale de l'État
Par définition, les peuples autochtones sont les
descendants des occupants originaires des territoires sur lesquels ils vivent
ou vivaient et dont ils ont été dépossédés
par un groupe d'origine différente. C'est sur la base de cette
occupation originaire qu'ils revendiquent la reconnaissance de leurs droits
territoriaux, autrement dit d'un droit territorial reconnu par le droit
international et mis en oeuvre, protégé par les États
131.
La relation des peuples avec leurs terres et ressources est un
élément essentiel du droit à l'autodétermination
comme en témoigne le second paragraphe de l'article 1 des deux pactes
:
« Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent
disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, sans
préjudice des obligations qui découlent de la coopération
économique internationale, fondée sur le principe de
l'intérêt mutuel, et du droit international. En aucun cas, un
peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance.
»
La terre constitue donc une partie intégrante de
l'identité autochtone, et leur relation particulière avec cette
dernière est « au centre de leur existence » 132.
Cette relation à la terre n'a cependant pas été comprise
par les colons européens, les amenant à déclarer des
terres comme inutilisées,
131 BERTIN Marie-Claire « Le statut des peuples
autochtones en droit international » / Atelier National de
Reproduction des Thèses / 2008 ; p. 389
132 Rapport du Groupe de travail sur les populations autochtones,
E/CN.4/Subb.2/1999/19, §84
116
inoccupées et donc appropriables. Ce refus de prendre
en compte et de respecter le lien particulier entre les peuples autochtones et
leurs territoires a donc eu des conséquences dramatiques. Le territoire
est en effet pour eux source d'identité culturelle, de savoirs et de
spiritualité. Il est étroitement lié à leur
survie.
Deux articles de la Convention 169 de l'OIT, et neuf articles
de la Déclaration des Droits des Peuples Autochtones, ainsi que le
Rapport de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le
développement (Rio 1992) tiennent compte du lien particulier des peuples
autochtones à la terre.
Aujourd'hui les peuples autochtones subissent
profondément l'empreinte de la modernité et tentent donc de
valoriser le lien territorial comme élément essentiel de leur
définition. Le territoire est en effet essentiel à leur survie :
la dépossession de ce territoire conduit à une assimilation. En
1985, le Conseil mondial des peuples autochtones rappelait que :
« La Terre est le fondement des peuples autochtones. Elle
est le siège de notre spiritualité, le terreau sur lequel
fleurissent nos cultures et nos langages. La Terre est notre histoire, la
mémoire des événements, l'abri des os de nos
prédécesseurs. La Terre nous donne la nourriture, les
médicament, nous abrite et nous nourrit. Elle est la source de notre
indépendance ; elle est notre Mère. Nous ne La dominons pas :
nous devons être en harmonie avec Elle. Si l'on veut éliminer les
peuples autochtones, le meilleur moyen de nous tuer est de nous séparer
de la part de nous-mêmes qui n'appartient qu'à la Terre »
133.
L'intégrité et le développement culturels
des peuples autochtones dépendent aussi de leur capacité
d'exercer leur droit de définir leur rapport à tout ce que
recèlent leurs territoires respectifs. Les autochtones peuvent
éventuellement s'enrichir grâce aux subsides gouvernementaux ou
encore en développant ou en vendant leurs forêts et leurs
ressources minières, mais resteront privés d'un authentique droit
de disposer d'eux-mêmes s'ils ne peuvent plus exercer un contrôle
réel sur leur territoire et leurs ressources naturelles 134.
Les peuples autochtones ont toujours soutenu que leur rapport à la terre
ou au territoire était au coeur de leurs cultures respectives.
Cet attachement au lien territorial est toutefois fortement
mis à mal par les spoliations dont sont victimes les peuples
autochtones. Toutes leurs revendications ont en effet pour fondement les
spoliations de territoires et de souveraineté, et portent notamment sur
le droit pour les peuples
133 Doc. E/CN.4/Sub.2/AC.4/1985/WP.4, p. 5
134 Séminaire Droit à
l'autodétermination des peuples autochtones (New York, le
18 mai 2002 ; National Library of Canada, second quarter 2002. ISBN:
2-922084-67-1.)
117
autochtones à disposer d'eux-mêmes. Elles
risquent donc de mettre en cause la souveraineté et
l'intégrité de l'État, ce qui explique la
difficulté de faire avancer le mouvement au sein de l'ONU 135.
Les territoires autochtones, vu qu'ils n'ont pas
été exploités, sont souvent très riches en
ressources. Cette richesse attire bon nombre de multinationales qui
désirent donc s'approprier les terres afin d'en exploiter les
ressources. Ainsi, à l'heure de la mondialisation économique, bon
nombre de gouvernements sont submergés par les forces du marché.
Seuls, ils ne sont pas en mesure de réglementer les activités des
grandes entreprises ni de protéger les peuples autochtones contre des
approches destructrices.
En résultat de la forte mobilisation autochtone, les
États vont prendre conscience de la nécessité de
protéger les droits des peuples autochtones sur leurs territoires
traditionnels. La nature juridique et l'étendue de ces droits varient
selon les États 136.
Les autochtones attachent donc beaucoup d'importance à
la spécificité du lien territorial. Il est d'ailleurs pris en
compte dans certains instruments internationaux, tels que la Convention 169 de
l'OIT, dont les articles 13 à 19 s'y réfèrent ; ou encore,
depuis peu, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples
autochtones, dans son article 25. Cette évolution dénote une
prise de conscience de la nécessité impérieuse de
protéger les territoires des peuples autochtones.
L'article 13 de la Convention 169 dispose que :
« les Gouvernements doivent respecter l'importance
spéciale que revêt pour la culture et les valeurs spirituelles des
peuples intéressés la relation qu'ils entretiennent avec les
terres ou territoires, ou avec les deux, selon le cas, qu'ils occupent ou
utilisent d'une autre manière, et en particulier des aspects collectifs
de cette relation »
L'article 25 de la Déclaration dispose quant à lui
que :
« les peuples autochtones ont le droit de conserver
ou de renforcer leurs liens spirituels particuliers avec les terres,
territoires, eaux et zone maritimes côtières et autres ressources
qu'ils possèdent ou occupent et utilisent traditionnellement, et
d'assumer leurs
135 En général, ces spoliations datent de
l'époque des grandes découvertes où les conquérants
soutenaient que les terres étaient inoccupées, ou
inexploitées par les indigènes. Ces dépossessions de
territoires se sont effectuées de diverses manières. En
Amérique du Nord, elles ont par exemple pris la forme de traités
qui entraînèrent cession de droits territoriaux.
136 Ainsi, certaines communautés autochtones disposent de
titres de valeur constitutionnelle, comme c'est le cas au Brésil ou au
Canada tandis que d'autres voient leurs droits reconnus par la loi ou par la
jurisprudence. En outre, certains titres confèrent un pouvoir de
gestion, tandis que d'autres sont des titres de propriété
collective avec un régime juridique spécifique.
118
responsabilités en la matière à
l'égard des générations futures
».
Les droits territoriaux ont donc une place importante dans les
revendications autochtones. Toutefois, ils ne peuvent être
revendiqués que sur la base de l'occupation originaire ou parfois sur la
base de traités signés avec les puissances coloniales. Le
débat sur l'occupation originaire fut posé lors de
l'élaboration de la Convention 169 de l'OIT. À l'époque,
les peuples autochtones souhaitaient que l'occupation traditionnelle s'applique
aux territoires qu'ils occupaient et dont ils ont été
expulsés pour retrouver l'ensemble de leurs territoires traditionnels.
Ce à quoi les États s'opposaient, arguant que cette conception
s'applique à la quasi totalité des territoires de
l'État.
C'est l'article 24 de la Déclaration des Nations Unies
sur les droits des peuples autochtones qui viendra apporter une
précision sur les termes du débat :
« Les peuples autochtones ont le droit aux terres,
territoires et ressources qu'ils possèdent et occupent
traditionnellement ou qu'ils ont utilisé ou acquis ».
D'application très étendue, cet article ne
concerne pas uniquement le sol, mais tout ce qui est nécessaire au mode
de vie des autochtones. L'État doit donc respecter les systèmes
juridiques autochtones.
Les droits territoriaux sont préexistants à
l'État, car ils sont fondés sur l'occupation et/ou l'utilisation
traditionnelle des territoires. Ainsi, « ce n'est pas ce dernier qui les
accorde ou les octroie selon sa bonne volonté, il doit les
reconnaître parce qu'ils existaient avant l'établissement de sa
souveraineté sur les territoires dont il a
dépossédés les peuples autochtones » 137.
Jusqu'au début du XXe siècle, les
sociétés autochtones sont jugées arriérées,
non civilisées, et leurs systèmes juridiques inaptes à
leur conférer des droits sur les territoires qu'ils occupent. Ces
territoires sont donc considérés « sans maître »,
et sont donc, comme tout territoire qui n'est pas étatique, des
terra nullius. Cette conception a été remise en cause
par la Cour internationale de Justice dans son avis consultatif de 1975 sur
l'affaire du Sahara Occidental. La Cour a reconnu que des tribus
nomades, socialement et politiquement organisées, pouvaient avoir des
droits sur les territoires qu'elles occupent 138. Ainsi une simple
organisation, même minimale suffit pour rendre inopérante la
qualification de terra nullius.
Après l'avoir officiellement utilisée pour
établir sa souveraineté, l'Australie a fini par dénoncer
la
137 BERTIN Marie-Claire « Le statut des peuples
autochtones en droit international » / Atelier National de
Reproduction des Thèses / 2008 ; p. 395
138 CIJ Avis consultatif sur le Sahara Occidental, 16 octobre
1975, p. 12
119
doctrine de la terra nullius. En 1889, le Conseil
Privé de la Couronne britannique (Privy Council) avait
déclaré le territoire australien terra nullius dans sa
décision Cooper v. Stuart. Il faudra attendre 1992 avec
l'arrêt Mabo, rendue par la Cour suprême (High
Court) d'Australie, pour que cette doctrine soit remise en cause
139. Après avoir été saisi pour faire
reconnaître les droits ancestraux d'une communauté autochtone, la
Cour suprême déclare que l'Australie n'était pas une
terra nullius lorsque sont arrivés les premiers colons en 1788,
car elle était déjà occupée par le peuple
aborigène. Nous reviendrons plus tard sur cette importante
décision prise par la Haute Cour Australienne.
Les peuples autochtones ne peuvent cependant pas revendiquer
tous leurs territoires ancestraux. En effet, les revendications sont
limitées aux territoires avec lesquels ils ont maintenu un lien depuis
qu'ils en ont perdu le contrôle. C'est ce que précise
l'alinéa 2 de l'article 26 de la Déclaration des Nations Unies
sur les droits des peuples autochtones :
« Les peuples autochtones ont le droit de
posséder, d'utiliser, de mettre en valeur et de contrôler les
terres, territoires et ressources qu'ils possèdent parce qu'ils leur
appartiennent ou qu'ils les occupent ou les utilisent traditionnellement, ainsi
que ceux qu'ils ont acquis ».
Le droit aux terres, territoires et ressources que les peuples
autochtones peuvent revendiquer est donc limité. En effet, ils ne
peuvent revendiquer des droits que sur des territoires qui relèvent du
domaine de l'État, et ne peuvent porter atteinte aux droits acquis par
les colons et leurs descendants. Ils ne peuvent donc se voir reconnaître
des droits sur des territoires sur lesquels une autre population s'est
installée, même s'il les avaient autrefois occupés.
En Australie, le peuple aborigène ne peut revendiquer
des droits que sur les territoires qu'il occupe et qui sont du domaine de la
Couronne. C'est le Native Title Act de décembre 1993 qui fixe
le cadre juridique dans lequel ces droits peuvent être exercés.
Sont donc exclus les territoires qui appartiennent à des personnes
privées, sur lesquels les droits des autochtones et des «
propriétaires » doivent coexister 140.
L'exclusivité de la compétence territoriale est
à la fois un attribut de l'État, une condition de reconnaissance
d'un sujet comme souverain et un principe protecteur de l'indépendance ;
aucune de ces caractéristiques n'est aujourd'hui susceptible
d'être accordée aux peuples autochtones. Finalement, la question
des terres et des ressources est clairement liée à celle de
l'autodétermination et plusieurs craintes des États pourraient
s'y loger.
139 Voir Infra, « La Révolution judiciaire avec
l'arrêt Mabo ».
140 Ibid ; Arret Wik
120
En 1957 la Convention 107 de l'OIT, d'inspiration
assimilationniste, garantissait aux autochtones des droits territoriaux tant
qu'ils restaient distincts de la société dominante. Cette
protection s'appliquait uniquement sur les terres traditionnellement
occupées, sans prévoir les cas où l'occupation avait pris
fin soit spontanément, soit par expropriation. L'article 11 de cette
Convention reconnaît le caractère collectif de la
propriété autochtone : « Le droit de
propriété, collectif ou individuel, sera reconnu aux membres des
populations intéressées sur les terres qu'elles occupent
traditionnellement ».
C'est avec la Convention 169 de 1989 que les
spécificités autochtones vont commencer à être
reconnues et préservées. L'article 14 précise par exemple
que « les droits de propriété et de possession sur les
terres qu'ils occupent traditionnellement doivent être reconnus aux
peuples intéressés ». Cet article contient donc les notions
de propriété et de possession, et doit être lu
conjointement avec l'article 13 qui souligne la relation collective que les
peuples autochtones entretiennent avec leurs territoires. Les autochtones
souhaitent que leurs droits soient reconnus dans la plus forte acception :
celle de la propriété. L'article 16 traite lui de la question du
déplacement des autochtones et de la restitution de leurs territoires.
Ce déplacement ne peut être qu'exceptionnel et donne lieu à
des indemnités. En outre, il n'éteint pas le droit au retour des
populations qui occupaient le territoire. Le Comité d'experts de l'OIT
sur l'application des Conventions et Recommandations insiste sur le respect de
la propriété collective autochtone, et sur la
nécessité de la respecter, afin de ne pas porter atteinte au
modèle structurel des communautés autochtones.
Enfin, bien que son texte ait une dimension collective, la
Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones ne
reconnaît pas expressément la propriété collective.
L'article 26.2 qui affirme que les peuples autochtones « ont le droit de
posséder », mais aussi « d'utiliser », ne cite pourtant
pas la propriété collective. Elle est toutefois sous entendue, au
sens de l'article 27 qui demande que la reconnaissance des droits des peuples
autochtones aux terres, territoires et ressources soit faite en « prenant
dûment en compte les lois, traditions, coutumes et régimes
fonciers des peuples autochtones ».
Voyons maintenant la limite posée par le respect de
l'intégrité territoriale de l'État.
La notion d'intégrité territoriale fait partie
intégrante du droit international. La Déclaration de 1970
relative aux principes touchant les relations amicales entre États
insiste d'ailleurs sur ce point. Selon U.Umozurike « le but ultime de
l'intégrité territoriale, c'est de protéger les
intérêts des
121
peuples d'un territoire ». 141
Ainsi, l'intégrité des peuples autochtones et
leurs autres intérêts fondamentaux sont intimement liés
à ce principe. Les revendications autochtones ne portent pas
nécessairement atteinte à ce concept d'intégrité
territoriale. Les peuples autochtones s'opposent simplement aux manoeuvres des
États qui cherchent à modifier les principes juridiques
internationaux quand ils s'appliquent aux peuples autochtones.
Les demandes autochtones ne sont donc pas forcément
sécessionnistes. Il arrive également qu'elles visent leur
inclusion dans la communauté internationale et dans les États
dans lesquels ils vivent ainsi que la possibilité de se
développer selon leurs propres valeurs.
Selon une grande partie de la doctrine,
l'intégrité territoriale d'un État donné peut
être mise en cause dans deux situations :
· Les menaces contre la paix et la sécurité
internationale. Elles permettent au Conseil de sécurité de l'ONU
d'intervenir dans les affaires intérieures d'un État
donné.
· Des violations graves et systématiques des
droits humains. De nombreux États, multiethniques, ne respectent pas
leurs obligations en matière de droits humains en général
et du droit à l'autodétermination en particulier.
La Déclaration et le Programme d'action de Vienne
conditionnent en quelque sorte le respect de l'intégrité
territoriale d'un État au respect « du principe de
l'égalité de droits et de l'autodétermination des peuples
et, partant, dotés d'un gouvernement représentant la
totalité de la population appartenant au territoire, sans distinction
aucune. » (chapitre I.2.§ 3)
La question de la conciliation du droit à
l'Autodétermination avec les principes d'unité nationale et
d'intégrité territoriale de l'État est abordée par
l'Assemblée générale de l'ONU dans sa résolution
2625 (XXV). Elle y précise que l'exercice du droit à
l'Autodétermination n'aboutit pas nécessairement à
l'indépendance, tout en réaffirmant avec fermeté le
principe de l'intégrité territoriale d'un État. Ainsi, le
droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ne peut «
démembrer ou menacer totalement ou partiellement
l'intégrité territoriale d'un État ».
Toutefois, la résolution peut également
être interprétée autrement, comme autorisant explicitement
la sécession. Selon certains membres de la doctrine tels que Antonio
Cassese, cette résolution dispose que l'intégrité
territoriale d'un État est garantie s'il « se conduit
conformément au principe
141 U.UMOZURIKE, Self-Determination in international Law
(Hamden, Connecticut : Archon Books, 1972), p. 234
122
de l'égalité de droits et droit des peuples
à disposer d'eux-mêmes (...) et dotée ainsi d'un
gouvernement représentant l'ensemble du peuple appartenant au territoire
sans distinction de race, de croyance et de couleur ». Ainsi, si
l'État viole cette exigence d'un gouvernement représentatif, son
intégrité n'est alors plus protégée et le peuple
est en droit d'exercer son droit à disposer de lui même sur le
plan externe 142. Il n'y a donc pas incompatibilité entre
l'autodétermination et les principes d'unité nationale et
d'intégrité territoriale de l'État.
La plupart des peuples autochtones vivant sur le territoire
d'États indépendants, il s'agit donc de savoir s'ils sont
bénéficiaires du droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes et donc d'un droit à la sécession.
« Les peuples autochtones peuvent revendiquer l'exercice
de leur droit à disposer d'eux-mêmes dans le cadre de
l'État à l'intérieur duquel ils vivent afin que ce dernier
assure leur représentation et leur participation dans le système
politique et qu'il leur permette de se développer économiquement,
socialement, culturellement. » Cette conception peut donc être
applicable aux peuples autochtones.
Certains États, comme les États-Unis et le
Canada, soutiennent qu'une reconnaissance explicite du droit des peuples
autochtones à l'autodétermination constitue une menace pour
l'intégrité territoriale des États existants. Pourtant, au
Canada, les actions menées par les peuples autochtones depuis une
vingtaine d'années ont contribué à préserver
l'intégrité territoriale du pays.
En fait, rares sont les peuples autochtones qui cherchent
à déstabiliser ou démembrer les États-nations
existants. Au contraire, de plus en plus s'efforcent d'établir des
relations qui permettent aux tensions normales de la souveraineté
partagée et des régimes et arrangements trans-culturels de
protéger et de promouvoir leurs intérêts distincts 143.
Les peuples autochtones ont déjà avancé
des arguments juridiques face aux craintes « non fondées » de
démembrement nourries par les États. Certains États ont en
effet soutenu que l'article 3 de la Déclaration sur les droits des
peuples autochtones devait être modifié de manière à
y inscrire de façon permanente le principe de l'intégrité
territoriale. Les peuples autochtones se sont opposés à ces
propositions dans la mesure où elles ne sont pas nécessaires et
qu'elles risquent de réprimer l'évolution naturelle du droit
à l'autodétermination en droit international.
142 BERTIN Marie-Claire « Le statut des
peuples autochtones en droit international » / Atelier
National de Reproduction des Thèses / 2008 ; p. 329
143 Séminaire Droit à
l'autodétermination des peuples autochtones (New York, le
18 mai 2002 ; National Library of Canada, second quarter 2002.) p. 53
123
Il s'agit dès lors d'aborder les conséquences du
droit à l'autodétermination des peuples autochtones sur le plan
international.
B) La réception du droit à l'autonomie
gouvernementale des peuples autochtones : Autonomie et relations
internationales
Au fil du temps la communauté internationale va
prendre conscience de la situation des peuples autochtones. Les peuples
autochtones ont désormais un statut international, et les questions
concernant leur situation de peuples dominés sur le territoire
d'États indépendants deviennent d'ordre international et non plus
seulement interne. En outre ils sont consultés, et participent parfois
à l'élaboration des décisions qui les concernent
directement, ou même indirectement. Ils ont ainsi participé
à la rédaction de la Déclaration des Nations Unies sur les
droits des peuples autochtones et ont une place importante au sein de
l'Instance Permanente où ils siègent à
égalité avec les États. Bien qu'ils ne soient pas reconnus
comme sujets du droit international ils sont pleinement intégrés
dans le système onusien. Les peuples autochtones vont donc être
les bénéficiaires d'ensembles normatifs nouveaux,
résultats d'un long processus de compromis entre représentants
autochtones et les États.
Il s'agit ici de traiter de la réception du droit
à l'autonomie gouvernementale des peuples autochtones. Nous
évoquerons donc la récente Déclaration des Nations Unies
sur les droits des peuples autochtones, qui reconnaît pleinement leur
identité internationale (i.), avant de traiter
des difficultés de collaboration entre communautés autochtones et
gouvernements étatiques (ii.). Nous
terminerons cette sous-partie en abordant le rôle des peuples autochtones
aux Nations Unies en tant que nouvel acteur international
(iii.).
i. La Déclaration des Nations Unies sur les
droits des peuples autochtones
« La Déclaration des Nations unies sur les
droits des peuples autochtones, ce n'est pas la fin, ni le commencement de la
fin, mais la fin du commencement. »
Irené Erica Daez, Présidente-Rapporteuse du
Groupe de travail sur les peuples autochtones
124
Le 13 septembre 2007, l'Assemblée
générale a adopté la Déclaration des Nations Unies
sur les droits des peuples autochtones, après une vingtaine
d'années de préparation. Dès sa première session,
le Conseil des Droits de l'Homme, dans sa résolution 1/2 du 29 juin
2006, avait lui même adopté, par vote, le projet. Mais
l'Assemblée générale avait rouvert le débat, avant
de finir par adopter le texte non sans réticences. De manière
tout à fait inhabituelle pour un texte de portée
déclaratoire, la résolution 61/295 a fait l'objet d'un vote
nominal, avec 143 voix pour, 4 voix contre - (l'Australie, le Canada, les
États-Unis, la Nouvelle Zélande) - et 11 abstentions - (Colombie,
Azerbaïdjan, Bangladesh, Géorgie, Burundi, Fédération
de Russie, Samoa, Nigéria, Ukraine, Bhoutan et Kenya). Cette
réticence d'États comportant en leur sein de nombreuses
populations autochtones ne doit pas éclipser le pas historique qui est
franchi, en reconnaissant les droits des « peuples » autochtones en
tant que tels.
Il s'agit donc de traiter ici de l'adoption de cette
déclaration (1.), ainsi que de son impact sur
les résolutions prises par l'ONU (2.).
1) L'adoption de la Déclaration
Cette adoption tombe après 12 ans d'âpres
discussions, certains États étant peu disposés à la
reconnaissance de ces peuples et plus encore de leurs droits, surtout
territoriaux. La longueur de ces négociations s'explique par le fait que
les États sont réticents à évoquer les droits des
peuples autochtones sur le plan international, car ils considèrent que
cela relève de leur compétence interne. Se pose aussi la question
très controversée de la reconnaissance de droits collectifs, et
donc d'une identité collective des peuples autochtones. L'adoption de
cette résolution par un vote démontre d'ailleurs
l'impossibilité d'un consensus.
Le cheminement en a été particulièrement
lent, et certaines questions comme les droits collectifs ou individuels, les
terres et les ressources ont fait l'objet de débats approfondis.
En 1985, le Groupe de travail a commencé à
préparer un projet de Déclaration sur les droits des peuples
autochtones, qu'il a terminé en 1993, le soumettant à la
Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la
protection des minorités. Celle-ci a approuvé le texte en 1994
144.
144 Le projet a ensuite été envoyé à
la Commission des droits de l'homme des Nations Unies, qui a créé
un groupe de travail chargé de rédiger un projet de
déclaration sur les droits des peuples autochtones.
125
Le Sommet mondial de 2005 et la Cinquième session de
l'Instance permanente en 2006 sur les questions autochtones ont proposé
d'adopter la Déclaration le plus rapidement possible, ce qui sera fait
en juin 2006 par le Conseil des droits de l'homme, et l'Assemblée
générale a fait de même en septembre 2007. Une
décision de compromis renvoya ensuite les instruments prêts pour
l'adoption à la Troisième Commission et le rapport du Conseil
directement à la plénière de l'Assemblée
générale. Presque un an s'est écoulé entre
l'adoption du texte à la Troisième Commission et le vote final de
l'Assemblée générale le 13 septembre 2007.
Au niveau de l'engagement des États, il est possible
de distinguer l'engagement à travers l'instrumentum c'est
à dire le support formel de l'acte d'une part, et leur engagement
à travers le negotium c'est à dire l'opération
juridique qui constitue l'acte, d'autre part.
La Déclaration aborde les droits tant individuels que
collectifs, les droits culturels et l'identité, les droits à
l'éducation, la santé, l'emploi, la langue, etc...Elle
établit que les peuples autochtones ont le droit, en tant que
collectivités ou en tant qu'individus, à tous les droits de
l'Homme et aux libertés fondamentales reconnues par l'ONU. C'est donc
une nouvelle étape dans la reconnaissance des cultures et traditions
spirituelles de plus de 300 millions d'individus dans le monde, et dans leur
droit à conserver leurs propres institutions, leurs cultures et
traditions spirituelles sans qu'elles soient victimes de souffrances dues au
racisme et à la discrimination.
Recommandée par le programme d'action de Vienne, elle
affirme notamment que les peuples autochtones ont le droit à
l'autodétermination interne et qu'en vertu de ce droit ils
déterminent librement leur statut politique et recherchent librement
leur développement économique, social et culturel. Elle stipule
que les peuples autochtones ne peuvent être expulsés de leur
terre, et qu'ils ont droit aux ressources naturelles situées sur celle
ci.
Le texte affirme en outre que les peuples autochtones peuvent
jouir pleinement, collectivement ou individuellement, de l'ensemble des droits
de l'homme et des libertés fondamentales reconnus par la Charte des
Nations Unies, la Déclaration universelle des droits de l'homme et la
législation internationale relative aux droits de l'homme. La
Déclaration devient la référence de l'ONU pour le respect
des droits des peuples indigènes ; elle permet d'évaluer
l'attitude des États envers les peuples indigènes, mais n'est pas
doté d'effet contraignant en droit international. Elle a
néanmoins un poids normatif important qu'elle tient de la très
forte légitimité dont elle bénéficie, et sa mise en
oeuvre doit être considérée comme un impératif moral
et politique 145.
L'adoption de ce texte a été obtenue grâce
à la persévérance des représentants autochtones
à
145 ANAYA James, « La déclaration sur les droits des
peuples autochtones doit être un impératif moral et politique
», Assemblée générale Troisième Commission -
18e et 19e séances ; AG/SHC/3982 ; 18/10/2010
126
l'ONU, qui ont porté ce texte pendant toutes les
négociations, et qui continuent aujourd'hui à le porter en
veillant à ce que les États en appliquent les dispositions. Elle
constitue une victoire considérable pour les peuples autochtones : elle
énonce des droits existants, individuels, mais également
collectifs, reconnus dans d'autres instruments internationaux, mais dont
l'application leur avait toujours été refusée.
Désormais, les organisations autochtones vont devoir travailler
ensemble, à connaître leurs réalités mutuelles et
à défendre leurs droits d'une façon globale.
Voyons donc l'impact sur la situation des peuples autochtones de
l'adoption de cette Déclaration.
2) Les conséquences et impacts de la
Déclaration
La Déclaration des Nations Unies sur les droits des
peuples autochtones constitue une grande victoire pour ces peuples car elle
leur reconnaît un statut en droit international, et les qualifie
juridiquement. C'est donc une reconnaissance de leur spécificité,
qui requiert un régime juridique propre. Elle reconnaît en outre
l'identité collective des peuples autochtones. Cette reconnaissance est
essentielle, car à cette qualification est attaché le coeur des
revendications autochtones : le droit à l'autodétermination.
Cette déclaration est pourtant un texte de compromis.
Les peuples autochtones ont en effet été contraints de faire des
concessions aux États pour permettre son adoption. Le texte
reflète donc tous les débats et les oppositions suscités
par la question de la qualification des peuples autochtones. Bon nombre
d'États étaient en effet opposés à l'idée de
l'auto-identification de ces peuples, sans aucun critère reconnu en
droit international. Ainsi, bien qu'elle leur reconnaisse le « droit
d'appartenir à une communauté ou une nation autochtone »
(article 9) , et le droit de « décider de leur propre
identité ou appartenance » (article 33) ; la Déclaration ne
reconnaît pas expressément le droit aux peuples autochtones de
s'identifier seuls, sans l'intervention de l'État. L'article 46
réaffirme en outre le principe fondamental de l'intégrité
territoriale et l'unité politique des États souverains et
indépendants. L'État est donc libre de définir lui
même les peuples autochtones.
Bien qu'elle ne définisse pas les peuples autochtones,
la déclaration donne plusieurs indications pour identifier ses
bénéficiaires, et ce dès le Préambule : ils se
caractérisent par leur lien historique, leur profond attachement aux
territoires dont ils ont été dépossédés ;
mais également par leurs institutions politiques, juridiques,
économiques, sociales distinctes, ainsi que par leur culture
différente de celle de la population dominante. On y retrouve
également les critères de l'antériorité
territoriale, de la continuité historique, et de la différence de
culture. Elle reprend ainsi les différents
127
critères d'identification proposés par les
experts internationaux, la doctrine et les peuples autochtones eux
mêmes.
L'adoption de cette Déclaration implique qu'on aborde
sous un angle nouveau des questions d'ordre mondial, comme le
développement, ou la démocratie multiculturelle. Les États
devront donc adopter une approche concertée pour les questions
autochtones, avec de réelles consultations et la création de
partenariats avec ces peuples. L'impact de la Déclaration
dépendra en grande partie de l'énergie que mettront les
différentes organisations autochtones et de droits humains à
exiger de leurs gouvernements qu'ils la mettent en oeuvre.
Les débats suscités par les
représentants autochtones depuis 20 ans ont porté leurs fruits.
Ainsi, même avant son adoption finale, certains articles de la
Déclaration ont été repris par des gouvernements, des
instances internationales et des cours de justice. Ce consensus
émergeant est qualifié par James Anaya de début de droit
international coutumier. Selon lui ce droit international émergeant
repose sur les principes suivants : « une reconnaissance de l'existence
d'un droit à l'autodétermination, celle d'un droit à
préserver et développer sa culture, un droit sur les terres et
ressources et à une compensation dans les cas de dépossession
sans consentement, un accès à des services de bien-être
social sans discrimination, un droit au gouvernement autonome comme à un
droit de participation à la démocratie nationale et une
obligation particulière de protection de la part des états dans
lesquels vivent les peuples autochtones », ou encore l'obligation de
consulter sinon de chercher la participation des peuples, conformément
à la Convention 169 de l'OIT 146.
Conformément à l'article 42, l'Instance
permanente sur les questions autochtones est chargée de veiller à
l'application de la Déclaration. Elle veillera donc par ses
recommandations à ce que les principes qui sous-tendent la
Déclaration sous-tendent également les politiques et programmes
des différentes agences des Nations Unies.
Le Rapporteur spécial a quant à lui
déclaré « qu'il s'emploierait à utiliser la
Déclaration dans son travail d'enquête sur les violations des
droits humains ». Les différents organes de surveillance des
traités utiliseront aussi la Déclaration comme outil
d'interprétation.
Toutes les étapes de cette déclaration auront
été longues et ardues, et ce temps passé à
débattre a eu un effet contradictoire. D'une part l'acharnement et la
patience des peuples autochtones à faire reconnaître leurs droits
a porté certains fruits. La reconnaissance de certains droits a
indéniablement progressé. Par contre, pendant tout ce temps les
peuples autochtones du monde n'ont pas eu droit à
146 LEGER Marie, « L'Histoire de la Déclaration des
Nations Unies sur les droits des peuples autochtones », Recherches
Amérindiennes au Québec, Vol XXXVII, NOS 2-3, 2007 ; p.
153
128
ce minimum de protection que constitue une
déclaration.
L'esprit de ce texte est animé par la volonté
de rétablir la situation des peuples autochtones en leur redonnant un
statut en droit international. En reconnaissant leur identité culturelle
spécifique, cette déclaration met un terme à la
période d'exclusion de ces peuples, « oubliés » par le
droit international de la décolonisation. Elle a donc pour objet de
réparer les conséquences de cet héritage dont les effets
affectent encore profondément les peuples autochtones. La
Déclaration constate les injustices commises pendant la colonisation et
évoque les menaces qu'implique actuellement la mondialisation. Elle
protège les savoirs traditionnels, la biodiversité et les
ressources génétiques et impose des limites aux activités
que des tiers peuvent mener sur les territoires des peuples autochtones. Ainsi,
elle permet d'envisager un dialogue où se réconcilient les
spécificités des histoires des peuples et des États, et de
travailler à l'amélioration des niveaux de vie des
différentes populations autochtones. De plus, un réseau
d'organisations de tous les continents s'est créé et sait
maintenant utiliser les instances internationales pour défendre ses
droits et pour forcer le dialogue avec les autorités.
Cette reconnaissance des peuples autochtones en droit
international est une première étape avant qu'ils puissent
retrouver leur capacité à décider d'eux-mêmes et de
leurs territoires, et obtenir réparation de leur situation de peuples
colonisés. Elle ouvre surtout la voie à la revendication
principale des peuples autochtones, le droit à
l'autodétermination.
Il s'agit dès lors de s'intéresser à
l'exercice de ce droit à l'autodétermination des peuples
autochtones difficilement conciliable avec les politiques des États.
ii. Une collaboration difficile avec les
gouvernements
Partant du constat de leur propre situation, les
organisations autochtones ont en premier lieu estimé essentiel la
reconnaissance de leur droit à exister en tant que peuple. À ce
titre, elles estiment que « le droit à l'autodétermination
doit être admis et effectif non en vue de faire sécession
(autonomie mais pas séparation) mais pour être destinataires de
droits collectifs garantis et reconnus par les corpus juridiques des
États sur la base des instruments internationaux pertinents
(intégration mais pas assimilation) » 147.
Nous aborderons ici la limite entre autodétermination
et autonomie des peuples autochtones (1.).
147 DEROCHE Frédéric, « Le mouvement
international des peuples autochtones. Bilan, enjeux et perspectives » ,
(co-écrit avec Raphaël Porteilla), Les documents de l'IDRP, 2005 ;
p. 8
129
Nous verrons ensuite que le droit à
l'Autodétermination s'exprime plus facilement au sein d'un État
fédéral (2.).
1) Autodétermination/Autonomie
En 1999, Luis Enrique Chavez, le président du Groupe
de travail chargé par la Commission des droits de l'homme de l'ONU
d'élaborer une déclaration des droits des peuples autochtones, a
conclu qu'il y avait accord sur le fait que l'autodétermination
était la pierre angulaire de la déclaration. La reconnaissance de
ce droit est une condition essentielle pour les représentants
autochtones.
Ce droit est affirmé dans la Déclaration des
Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dans deux articles, le 3
et le 4 :
« Article 3 :
Les peuples autochtones ont le droit à
l'autodétermination. En vertu de ce droit, ils déterminent
librement leur statut politique et assurent librement leur développement
économique, social et culturel.
Article 4 :
Les peuples autochtones, dans l'exercice de leur droit
à l'autodétermination, ont le droit d'être autonomes et de
s'administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs
affaires intérieures et locales, ainsi que de disposer des moyens de
financer leurs activités autonomes. »
L'article 3 reprend, en ajoutant le terme autochtone, la
formulation de l'article 1er, alinéa premier des deux Pactes
internationaux de 1966. Mais l'exercice de ce droit, qui est pourtant la
condition essentielle pour la protection de leur identité collective,
est conçu de manière assez restrictive et n'a pas la même
portée juridique que le classique droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes.
La reconnaissance de ce droit a en effet été
longue et difficile en raison de la réticence des États qui
craignaient une potentielle menace pour leur intégrité
territoriale. Pendant près de 20 ans, cette question a suscité
des débats au sein des conférences internationales entre acteurs
gouvernementaux
130
et autochtones. Ces derniers, ayant la qualité de
peuple au sens international, auraient donc pu exercer librement leur droit
à disposer d'eux mêmes et éventuellement choisir
l'indépendance. Apparaît ici toute la menace : les États
craignent ce droit car son exercice peut potentiellement porter atteinte
à leur intégrité territoriale.
Bon nombre d'États s'opposaient donc aux dispositions
émancipatrices pour les peuples autochtones comprises dans la
Déclaration ; et ce bien qu'elle n'ait qu'une valeur déclarative.
Cette absence de force contraignante amène en outre à
s'interroger sur la portée juridique du droit à
l'autodétermination pour les peuples autochtones. Celle ci est
conditionnée par la conception traditionnelle du droit à
l'autodétermination, qui a jusqu'à présent
été mis en oeuvre dans le cadre de la décolonisation et
s'est traduite par l'accession du peuple concerné à
l'indépendance. L'exercice du droit à l'autodétermination
a donc été utilisé dans le seul but de mettre fin à
la colonisation et de permettre aux populations colonisés de retrouver
leur souveraineté.
Il convient donc de se demander dans quelles mesures le droit
à l'autodétermination peut il être applicable aux peuples
autochtones. Il y a unanimité parmi ces peuples quant à la
nécessité de reconnaître leur droit à
l'autodétermination sans autre qualificatif. Selon sa conception
traditionnelle, et en l'état actuel du droit international, ce droit est
limité et n'équivaut pas au droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes consacré dans la Charte des Nations Unies.
La Déclaration des Nations Unies sur les droits des
peuples autochtones n'a pas de force contraignante, mais elle reflète
l'engagement des États à avancer dans une certaine direction.
Elle ne fait pourtant qu'interpréter les droits de l'homme
définis dans d'autres instruments internationaux. C'est en ce sens que
la Déclaration a un caractère contraignant pour la promotion, le
respect et l'accomplissement des droits des peuples autochtones du monde
entier. Elle les aidera, eux et les États, à lutter contre la
discrimination et la marginalisation. Elle joue donc un rôle comparable
à celui de la déclaration relative à l'octroi de
l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, celui « d'un
puissant catalyseur dans la formation du droit [...] parce que cette
résolution a été précédée et suivie
par une pratique abondante conforme aux règles qu'elle énonce
» 148.
Le fait que le droit à l'autodétermination soit
effectivement assimilé à la décolonisation, et donc
à l'indépendance, explique la réticence des États
à admettre que les peuples autochtones puissent en être
bénéficiaires. Ces oppositions ont pourtant été
dépassées via l'adoption de la Déclaration des Nations
Unies sur les droits des peuples autochtones, qui reconnaît le droit des
peuples autochtones
148 DAILLIER Patrick, PELLET Alain, FORTEAU Mathias,
Droit international public, L.G.D.J. Lextenso
Éditions, 8e édition, Paris
131
à disposer d'eux-mêmes, avec cependant quelques
réserves. Cette évolution progressive des mentalités va
amener à dissocier de plus en plus le principe du droit des peuples
à disposer d'eux-mêmes de la décolonisation.
Toutefois, le droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes est entendu dans la Déclaration des Nations Unies sur
les droits des peuples autochtones comme étant d'application interne,
puisqu'il permet aux peuples autochtones de disposer d'eux-mêmes mais
seulement dans le cadre de l'État. Ils ont donc « le droit
d'être autonomes et de s'administrer eux-mêmes pour tout ce qui
touche à leurs affaires intérieures et locales » 149.
Le Comité des Droits de l'Homme a lui aussi une
approche interne de l'autodétermination, lorsqu'il se prononce sur
l'application de l'article premier du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques. Il indique d'ailleurs dans son Observation
générale n°12 que les États parties ont l'obligation
d'appliquer le droit à l'autodétermination dans leurs
systèmes politique et constitutionnel. Interprété de la
sorte, l'article premier est plus à même de satisfaire les
revendications des peuples autochtones que les résolutions de
l'Assemblée générale, fortement marquées par la
décolonisation.
Le Comité demande donc que les États fassent
état de l'application de l'autodétermination interne aux peuples
autochtones sur leur territoire, afin qu'il puisse donner son opinion. Il
recommande également aux États parties de « prendre les
mesures nécessaires pour que les Autochtones interviennent davantage
dans la prise de décisions concernant leurs terres ancestrales et
ressources naturelles (article premier, alinéa 2) » 150.
Le Comité a donc toujours examiné l'exercice du
droit à l'autodétermination du point de vue interne et ne l'a
jamais envisagé sous l'angle de la sécession. Cela ne
paraît pas nécessaire, puisque les recommandations
proposées par le Comité répondent à la plupart des
revendications formulées par les peuples autochtones eux-mêmes :
ils souhaitent disposer d'eux-mêmes et de leurs ressources naturelles
dans le cadre de l'État sur le territoire duquel ils vivent.
Bien que le droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes soit énoncé sans réserves à
l'article 3 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des
peuples autochtones, certaines dispositions viennent restreindre sa
portée sous l'angle interne, c'est à dire accorder aux peuples
autochtones un droit à l'autonomie, dans le respect de
l'intégrité territoriale de l'État. Les État
opposés à l'autodétermination soutiennent que ce droit va
trop loin, et que celle ci ne devrait être circonscrite
149 Article 4 de la Déclaration des Nations Unies sur les
droits des peuples autochtones
150 Voir par exemple, Observations finales, Australie A/55/40,
§507.
132
qu'au contexte de la décolonisation.
Préférant donc parler d ' « autonomie », ils
veulent que la portée juridique de ce droit soit strictement
limitée.
La position de l'Australie illustre bien cette tendance :
avant l'arrivée du parti travailliste au pouvoir en 2007, le
gouvernement conservateur en place depuis 1997 refusait l'inclusion du droit
des peuples à disposer d'eux-mêmes dans le texte de la
déclaration et préférait parler d'autonomie. Lors de
l'adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des
peuples autochtones en 2007, le représentant australien avait
indiqué que le gouvernement s'opposait à
l'autodétermination, sauf si ce concept s'appliquait à des
situations de décolonisation. Il avait par ailleurs
précisé que l'Australie s'opposait à la reconnaissance
pour les autochtones de droits sur leurs ressources naturelles qui pourrait
porter préjudice aux droits d'autres groupes de personnes ; ainsi qu'au
concept de l'information préalable au sujet des décisions du
gouvernement et à l'inclusion dans le texte du droit à la
propriété intellectuelle.
Cependant cette position s'est infléchie en 2009,
lorsque le gouvernement Australien décida le 3 avril d'adhérer
à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples
autochtones. Ce soutien manifesté à la Déclaration
s'ajoute aux fondements d'un nouveau partenariat entre le Gouvernement
fédéral et les peuples aborigènes. Ce premier s'engage
ainsi à « créer un système qui respecte pleinement
les droits des peuples autochtones et qui donne l'opportunité pour tous
les australiens d'être véritablement égaux »
151. Ainsi, la Déclaration va fournir une série de
standards pour guider les relations avec les peuples autochtones dans le
respect de leurs cultures, et aider le Gouvernement dans la lutte contre
certains éléments discriminatoires qui persistent encore.
Bien que hostiles à qualifier les peuples autochtones
de peuples, au sens juridique du terme, les États évoluent de
manière favorable en ce qui concerne l'acceptation d'une forme
d'autonomie. La reconnaissance d'un degré d'autonomie est en effet plus
facile à admettre que celle de la qualification de peuples, lourde de
conséquences en droit international.
Le terme « autonomie » fait normalement
référence à la capacité d'un groupe de
réglementer un certain nombre de champs que l'État supervise
habituellement, mais que celui-ci permet au groupe d'administrer pour assurer
son propre bien-être tout en demeurant un élément
constitutif de cet État152. L'entité autonome peut
donc à tout moment se faire imposer unilatéralement par
l'État où elle se trouve des restrictions de son
autorité.
Bien qu'elles aient lourdement subi les impacts des
politiques coloniales, le droit à l'autonomie
151 3 avril 2009 « L'Union fait la force,
Soutien à la Déclaration sur les droits des peuples autochtones,
un moment critique pour l'Australie »
http://www.hreoc.gov.au/about/media/media_releases/2009/21_09.html
152 Voir Louis Sohn « The Concept of Autonomy in
international Law and the Practice of the United Nations » , 15
Israël Law Review 2 (1980)
133
appartient aux nations autochtones dans leur ensemble.
L'article 46 de la Déclaration limite la portée
juridique du droit à disposer d'eux-mêmes en disposant qu' «
aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être
(...) considérée comme autorisant ou encourageant aucun acte
ayant pour effet de détruire ou d'amoindrir, totalement ou
partiellement, l'intégrité territoriale ou l'unité
politique d'un État souverain et indépendant ». Le but est
donc d'empêcher un exercice externe de l'autodétermination. Ce
droit s'exerce donc sur un plan interne et même plus restrictivement sur
un plan local 153. Ainsi, pour une grande partie des États,
l'exercice du droit des peuples autochtones à disposer d'eux-mêmes
consiste à leur accorder une plus grande autonomie dans la gestion et
l'administration de leurs affaires locales. Le moyen de savoir s'il y a
autodétermination, c'est de vérifier si les peuples autochtones
ont réellement le sentiment de pouvoir choisir leur propre mode de
vie.
Même avec l'adoption de la Déclaration des
Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, leur droit à
disposer d'eux-mêmes n'a pas encore acquis une valeur juridique positive.
En effet, l'exercice interne du droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes est nouveau en droit international, et ce droit est en pleine
construction. Au sens de la Déclaration, l'exercice de ce droit est un
processus dont les modalités varient selon les situations, et qui laisse
la place à la négociation entre les États et les peuples
autochtones.
Ce droit à l'autodétermination s'exprime
pleinement au sein d'un État fédéral. Voyons donc les
avantages que possèdent ces États pour l'exercice du droit
à l'autodétermination.
2) Les avantages du fédéralisme
Dans la tradition occidentale, l'idée de
fédéralisme remonte aux travaux d'Althusius (XVIIe
siècle), qui mettait l'accent sur l'autonomie, l'interdépendance,
les processus de communication et le caractère collectif des
décisions. Le fédéralisme tel que le concevait Althusius
exige aussi des institutions flexibles et la recherche d'une certaine forme
d'union. Ainsi, il semblait s'en être fait à peu près la
même conception que les autochtones.
Le droit des peuples autochtones à disposer
d'eux-mêmes dans le cadre des États s'affirme souvent
153 Voir E/CN.4/2001/85, §76
134
sur deux plans à la fois : ils demandent une plus large
autonomie, et une plus large représentation au sein des organes de
décision de l'État.
Ces deux expressions du droit des autochtones à
disposer d'eux-mêmes correspondent aux deux piliers du
fédéralisme : l'autonomie et le partage du pouvoir. Les
États fédéraux peuvent en effet fournir un cadre favorable
aux aspirations des peuples autochtones, et sont capables de témoigner
du respect pour la culture, la langue, le droit et le mode de vie des peuples
autochtones.
On trouve dans les traditions autochtones des conceptions du
fédéralisme analogues aux conceptions occidentales. Bien avant
l'arrivée des Européens sur leurs terres, les nations autochtones
d'Amérique avaient des organisations politiques de type
fédéral ou confédéral : confédération
des Mi'kmaq en Acadie, des Haudenasaunee (Iroquois) dans la région des
Grands Lacs, des Blackfoot dans l'Ouest, etc 154.
Il apparaît donc que les États
fédéraux peuvent fournir un cadre favorable aux aspirations des
peuples autochtones. Tout d'abord, le fédéralisme repose sur le
respect de la diversité. Il est capable de témoigner du respect
pour la culture, la langue, le droit et le mode de vie des peuples autochtones.
Les institutions des États fédéraux peuvent aussi traduire
cette diversité dans leurs symboles et dans leur pratique officiels, et
montrer ainsi leur respect pour la culture politique des peuples autochtones
155. Les États fédéraux possèdent en
général une grande capacité d'adaptation et d'innovation,
ce qui permet de prendre en considération les diverses aspirations des
peuples autochtones.
Le fédéralisme permet également la
coexistence d'identités multiples dans un même État, et il
suppose plusieurs niveaux de gouvernement, dont certains se
caractérisent par un partage de la souveraineté. En Australie par
exemple, l'État fédéral et les États
fédérés sont tous souverains dans leurs domaines de
compétence respectifs.
Dans les États fédéraux, les peuples
autochtones essaient d'exercer le droit de disposer d'eux-mêmes en
négociant des arrangements qui leur accordent l'autonomie. Ces accords
déterminent les compétences que peuvent exercer les gouvernements
des peuples autochtones, et leur confèrent la suprématie dans
certains domaines en cas de conflit entre leurs lois et celles de l'État
fédéral ou des États fédérés.
Certains essaient simplement d'exercer les compétences
qui découlent de leur droit naturel à l'autonomie ; d'autres
essaient d'exercer leur droit à disposer d'eux-mêmes en se dotant
d'un
154 HAWKES David C., « Les peuples autochtones : autonomie
et relations intergouvernementales », Revue internationale des
sciences sociales , 2001/1 n° 167, p. 168
155 Ibid, p. 167
135
gouvernement régional. Cette aspiration des peuples
autochtones à l'autonomie émane du désir de ces peuples de
conserver leurs valeurs et leurs traditions, leurs modes de vie, leurs langues
et leurs cultures.
En outre, les peuples autochtones tendent à prendre
une part accrue à l'élaboration des décisions publiques
notamment dans le cadre des institutions fédérales et des
relations intergouvernementales existantes.
Après avoir occupé une place réduite au
sein des assemblées législatives, au niveau fédéral
comme à celui des États fédérés, les
autochtones demandent une plus large représentation au sein de ces
assemblées, et plus particulièrement au sein des organes de
l'État chargés du règlement des différends ou de
créer des organismes et des procédures de règlement des
différends qui soient adaptés à leurs besoins. Dans les
assemblées législatives de plusieurs pays, tels que le Canada, un
certain nombre de sièges sont réservés aux peuples
autochtones. Dans d'autres pays, comme les pays scandinaves, les autochtones
possèdent leur propre parlement.
Cette volonté des autochtones de participer plus
largement à l'élaboration des décisions publiques
s'étend aux relations intergouvernementales. Lorsque la population
autochtone est majoritaire dans une région, l'aspiration à une
plus large autonomie peut se réaliser dans le cadre d'un gouvernement
régional. Les peuples autochtones peuvent aussi exercer leur droit
ancestral à l'autonomie en négociant des accords
intergouvernementaux. On peut donc associer les autochtones aux relations
intergouvernementales au sein de l'État fédéral.
En Australie, le fédéralisme fait
référence à un modèle d'organisation de
l'État qui divise les pouvoirs publics entre deux sphères de
gouvernement, dont chacune possède ses propres institutions, son domaine
de compétence protégé par la Constitution, et est
démocratiquement responsable devant le peuple australien ou une partie
de celui-ci. En ce sens, il protège l'autonomie gouvernementale de
sections de la population définies par un territoire.
Les représentants autochtones tirent des
modalités de leur reconnaissance internationale comme sujets de droits
collectifs une légitimité qui leur permet de poursuivre des
actions sur différents terrains. Intéressons nous donc à
ces nouveaux acteurs de la communauté internationale.
136
iii. Les peuples autochtones aux nations unies : un
nouvel acteur dans la fabrique des normes internationales
L'émergence de la question autochtone à l'ONU a
permis à la communauté internationale de prendre conscience d'un
phénomène qui dépasse les limites territoriales des
États. De nouveaux acteurs qui s'identifient à des « peuples
» et à des « nations » prennent pied dans un monde
globalisé, en revendiquant des droits de nature collective et la
production de normes internationales susceptibles de les protéger.
Nous allons donc traiter ici de la participation des
autochtones, à travers leurs représentants, au sein de l'ONU
(1.), puis nous verrons les menaces que le
phénomène de mondialisation fait peser sur les peuples
autochtones (2.).
1) La participation sur la scène onusienne
Les entités investies d'une personnalité
juridique internationale doivent nécessairement accepter de s'acquitter
des obligations internationales qui vont de pair, comme le respect des droits
fondamentaux de leurs membres ou le respect des normes de la communauté
internationale relatives à la pollution transfrontalière. Une
fois que le droit de disposer d'eux-mêmes a été reconnu aux
peuples autochtones, ces obligations, ainsi que les moyens et les
méthodes pour les mettre en application, devront être
définis dans le cadre de processus de formulation à
l'échelle internationale.
En revendiquant des droits humains collectifs, les peuples
autochtones entendent renégocier leur place dans l'espace politique de
leur État, en mobilisant la communauté internationale. Ils
entendent, non seulement ne plus être exclus des processus de
développement, mais surtout peser sur la définition des
politiques et des programmes les concernant.
Leur participation sur la scène internationale passe
donc par « des mesures de sauvegarde des peuples en voie de disparition et
de protection des peuples existants, en construisant les normes juridiques
opposables au tiers, en particulier les compagnies transnationales. Cela passe
aussi par l'ouverture d'un dialogue avec les sociétés dominantes
et la reconstruction des équilibres politiques, juridiques et
constitutionnels des États pour prendre en considération le
caractère multiculturel des sociétés modernes »
156.
156 BELLIER Irène, « Les deux faces de la
mondialisation : l'ONU et les peuples autochtones » ; in La mesure de
la mondialisation, Cahier du Gemdev, n°31 ; 2007 ; p. 94
137
Les quelques évolutions favorables enregistrées
témoignent de l'utilité d'une mobilisation rendue plus
aisée par les nouvelles techniques d'information et de communication. En
effet, depuis la fin des années 1990, les autochtones sont
progressivement incorporés dans le tissu planétaire des
communications par Internet. Cela les rapproche des militants altermondialistes
qui se sont intéressés aux autochtones de terrain, sans souhaiter
pour autant les convertir en « classe paysanne » comme durant les
années 1970.
Les peuples autochtones construisent leur expertise dans le
triple champ de l'appartenance à un peuple, de la connaissance technique
et de la maitrise du langage et des rapports de pouvoir internationaux 157.
La Conférence des Nations Unies sur l'environnement et
le développement, qui a eu lieu à Rio de Janeiro en juin 1992, a
été un événement important pour les populations
autochtones et leurs relations avec l'ONU. Ce fut l'un des plus grands
rassemblements de peuples autochtones qui aient jamais eu lieu, lors du Forum
des ONG, dont la tenue a coïncidé avec celle du Sommet
appelé « planète Terre » et où les peuples
autochtones ont adopté leur propre déclaration sur
l'environnement et le développement, la Déclaration Kari-Oka.
Il a été reconnu, qu'en raison de leur savoir
et de leurs pratiques traditionnelles, les populations autochtones ont un
rôle essentiel à jouer dans le domaine de la gestion de
l'environnement et du développement. Depuis, elles sont parties
prenantes de tous les sommets de la planète, avec un
intérêt spécial pour ce qui concerne le
développement durable et le gestion des ressources naturelles, la lutte
contre la discrimination, la protection de la diversité culturelle,
ainsi que l'information et les nouvelles technologies de communication.
D'autres conférences de haut niveau, notamment la
Conférence internationale sur la population et le développement
(Le Caire, 1994), le Sommet mondial pour le développement social
(Copenhague, 1995), la quatrième Conférence mondiale sur les
femmes (Beijing, 1995) et la Conférence des Nations Unies sur les
établissements humains (Habitat II) (Istanbul, 1996), ont
toutes fait des recommandations concernant les populations autochtones. Au
cours de ces conférences, les peuples autochtones tentent, à
chaque fois, d'inscrire les priorités des «
indigènes/autochtones » dans l'agenda des dominants. Ils traduisent
ainsi en termes globaux les préoccupations de leurs peuples, qui sont
à la fois singulières et généralisées.
157 BELLIER Irène, « Les peuples autochtones aux
Nations unies : un nouvel acteur dans la fabrique des normes internationales
», Critique internationale, 2012/1 n° 54, p.
77
138
En effet, les problèmes posés par les
activités extractives et minières des firmes transnationales sont
similaires pour tous les peuples autochtones. Mais dans chaque cas, la
résolution des problèmes passe par l'adoption de normes aux
niveaux internationaux, et par une volonté politique aux niveaux
national et local.
Les résolutions autochtones figurent donc dans les
rapports émanant des sommets planétaires sur la terre, l'eau, le
changement climatique, les femmes, les enfants, le racisme, ou les objectifs de
développement du millénaire. Leurs revendications et les
solutions qu'ils proposent ont mûri dans des réseaux
transnationaux, et dans l'activisme international.
L'adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les
droits des peuples autochtones, en 2007, par l'Assemblée et le
ralliement en 2009 et 2010 des quatre seuls opposants déclarés
(Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, États-Unis) marquent une
étape significative de la manière dont les États prennent
en considération les sociétés autochtones. La
Déclaration ouvre donc la voie a la redéfinition de leur place
dans la communauté internationale.
Il convient donc d'analyser la scène internationale
comme « un lieu de renégociation des altérités,
où la formation d'un "nous", peuples autochtones, rencontre
l'expression d'un "nous", communauté internationale » 158.
Ce « nous » autochtone, qui fait écho aux
premiers mots de la Charte des Nations Unies, est représenté sur
le site web de l'Instance par deux logos superposés. Le premier
suggère la rencontre entre les peuples du monde sous la forme d'une
poignée de main de couleurs différentes ; le second inscrit
« We, the Peoples » au centre du logo des Nations unies en
filigrane.
Cette volonté d'union des peuples autochtones est la
conséquence du passé tumultueux des peuples autochtones, elle
s'appuie donc sur l'histoire des rencontres entre les pionniers et les
autochtones, ainsi que sur des catégories linguistiques.
Le Haut-Commissariat aux droits de l'homme (HCDH) s'efforce
d'intégrer les questions autochtones dans les agences onusiennes.
L'Instance permanente sur les questions autochtones, dont le mandat est de
formuler des recommandations aux États, répond donc à cet
objectif dit de mainstreaming, en transformant les discours en actes
politiques, juridiques et techniques, afin de répondre à des
situations de tensions et de conflits.
158 Jbid ; p. 66
139
L'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et
l'agriculture a lancé, en septembre 2010, une politique sur les
populations tribales et indigènes tendant à l'intégration
de cette dimension dans tous les travaux de l'Organisation. Les autochtones
doivent être considérés non seulement comme des
bénéficiaires mais comme des partenaires dans le dialogue et les
politiques qui les concernent.
De son coté, le Fonds international de
développement agricole (FIDA), a fait remarquer que les peuples
autochtones représentaient environ un tiers des peuples ruraux les plus
pauvres du monde. En même temps, ils ont fait des progrès dans le
sens d'une meilleure reconnaissance de leurs droits, et pour sauvegarder leur
héritage et promouvoir leur culture. Ils jouent un rôle vital en
tant que gardiens des ressources naturelles et possèdent une richesse de
savoirs sur leur environnement. En septembre 2009, le FIDA a approuvé sa
politique d'engagement avec les peuples autochtones, qui vise à les
aider à sortir de la pauvreté en respectant leur identité
et leur culture 159.
Certains États, tels que les pays
latino-américains, ont été poussés par la politique
de reconnaissance poursuivie par le mouvement international à faire des
changements constitutionnels significatifs du glissement vers le
multiculturalisme, et ainsi aller vers la construction d'un État
plurinational 160.
« L'enjeu pour les représentants autochtones
reste de sortir du cercle des experts onusiens pour se positionner comme
interlocuteurs légitimes des autorités nationales. L'enjeu pour
le système onusien est de poursuivre dans le champ labellise «
droits des peuples autochtones » les réformes des systèmes
nationaux » 161.
Bien qu'ils soient pleinement intégrés sur la
scène internationale, il convient d'analyser les rapports entre les
peuples autochtones et le phénomène de la mondialisation.
2) Les menaces dues à la mondialisation
« La "mondialisation", qui n'est que la
mondialisation d'un certain type de pensée et de comportement, ruine
tout autre système de valeurs au nom du progrès. Et pourtant,
sauf à être un intégriste du libéralisme, on ne peut
se cacher qu'un certain nombre de nos valeurs
159 ANAYA James, « La déclaration sur les droits
des peuples autochtones doit être un impératif moral et politique
», Assemblée générale Troisième Commission -
18e et 19e séances ; AG/SHC/3982 ; 18/10/2010
160 RAQUEL Z., YRIGOYEN Fajardo (coord.), Pueblos
indIgenas : constituciones y reformas polIticas en América
latina, Lima, ILSA, IIDS, INESC, 2010.
161 BELLIER Irène, « Les peuples autochtones aux
Nations unies : un nouvel acteur dans la fabrique des normes internationales
», Critique internationale, 2012/1 n° 54, p.
79
140
occidentales sèment la mort »
Danielle Mitterrand 162
À l'heure de la mondialisation économique, le
pouvoir des sociétés transnationales éclipse bien souvent
celui des États. Bon nombre de gouvernements, submergés par les
forces du marché, ne sont pas en mesure de réglementer les
activités des grandes entreprises ni de protéger les peuples
autochtones contre des approches destructrices. Il est donc très
important d'élaborer une machinerie juridique internationale afin de
donner aux États davantage de moyens pour défendre leurs citoyens
et leur environnement contre les activités de multinationales
irresponsables, et en particulier celles qui perturbent, déplacent et
annihilent les peuples autochtones 163.
Nous allons donc nous intéresser à
manière dont la mondialisation est perçue par les autochtones
tant pour utiliser les aspects qui leur sont bénéfiques que pour
s'opposer à ceux qui leur sont néfastes. La dynamique du
mouvement international des peuples autochtones est un prisme d'analyse de la
mondialisation, car il constitue un bel exemple de dialogue
institutionnalisé entre des acteurs de statuts aussi différents
que les États, les organisations internationales, les associations
autochtones, les organisations de développement ou de droits humains.
Le phénomène de mondialisation fait que bien
des décisions ne sont même pas prises par les gouvernements, qui
ont parfois les mains liées à cause de leurs obligations, ou
parce qu'ils sont lourdement endettés. Les décisions se prennent
à l'Organisation mondiale du commerce, à la Banque mondiale, au
Fonds monétaire international, etc. C'est pourquoi il arrive que les
peuples autochtones travaillent en collaboration étroite avec les
gouvernements dans des instances comme l'OMC, afin d'affirmer leur droit de
contrôler le territoire national et leurs propres ressources
nationales.
La mondialisation semble également s'accompagner de
mécanismes générateurs de pauvreté pour les
autochtones. Celle-ci est liée à la non reconnaissance de leurs
droits, à l'expropriation des terres traditionnelles, à la
dégradation de leur environnement, à la réduction de leur
accès aux ressources naturelles et productives, et à la migration
forcée. La mondialisation synonyme d'intégration
économique est assimilée à un néocolonialisme, avec
un effet fortement destructeur sur les peuples
162 Préface de Danielle MITTERRAND, dans BURGER Julian,
Report from the Frontier. The State of the World's Indegenous
Peoples , Londres, Zed Books, 1987, 310p.
163 Séminaire Droit à
l'autodétermination des peuples autochtones , New York, le
18 mai 2002, National Library of Canada, second quarter 2002, p. 13
141
autochtones.
L'urbanisation rapide est également mise en relation
avec les migrations que suscite le développement d'une agriculture
commerciale provoquant une pression sur les terres indigènes et une
diminution de leur autonomie. D'autres facteurs concourent également aux
migrations tels l'accroissement de la pauvreté des communautés
autochtones, les déplacements forcés par la réalisation de
grands travaux et la militarisation des territoires.
Face à la déferlante uniformisatrice de la
mondialisation et à l'assimilation paternaliste des autorités
nationales, les communautés autochtones répondent par un «
indianisme » respectueux des identités : « Être reconnus
égaux et différents, citoyens nationaux et indigènes dans
des démocraties plurielles qui sachent faire l'unité dans la
diversité » 164. Ces revendications multiples portent en
elles une volonté d'émancipation, d'appropriation et de
maîtrise de leur avenir. Ce qui est en jeu ce sont les modes d'autonomie,
d'intégration sociale et d'unité nationale à l'ère
de la mondialisation de l'économie et de la culture occidentale.
Cette méfiance vis-à-vis de la mondialisation
résulte de la relation idenficatoire des peuples autochtones qui se
sentent menacés, avec des territoires dont les ressources naturelles
sont convoités par les compagnies transnationales. Les
représentants des organisations autochtones se sont donc
entraîné à la discussion afin d'être capables de
porter leurs critiques sur la scène internationale. Ils se sont
efforcés de devenir des partenaires consultés et si possible
écoutés dans les instances internationales dévolues aux
questions autochtones. Les « autochtones de l'ONU» sont donc devenus
des « autochtones mondialisés » par le fait de dialoguer avec
des interlocuteurs extrêmement diversifiés, et par les savoirs,
juridiques ou experts qu'ils construisent afin d'occuper l'espace de dialogue
et de participation.
D'un autre coté les nouvelles technologies qui se
développent avec la mondialisation permettent d'échanger des
idées, de développer des réseaux de soutien et de
travailler au blocage des effets les plus visibles de
l'insécurité économique et sociale induite par les formes
nouvelles du capitalisme libéralisé, à une échelle
plus vaste que celle des communautés locales.
Un représentant des îles Norfolk, à
l'Ouest de l'Australie, soulignait ce « double visage » de la
mondialisation :
« La mondialisation a deux visages. D'un
côté, elle peut offrir plus d'emploi et de
prospérité en un lieu, de l'autre elle ignore totalement les
préoccupations indigènes et minoritaires ».
164 DEROCHE Frédéric, « Le mouvement
international des peuples autochtones. Bilan, enjeux et perspectives » ,
(co-écrit avec Raphaël Porteilla), Les documents de
l'IDRP, 2005, p. 9
142
Aujourd'hui, les puissantes firmes internationales, qui
n'évoluent que pour le profit, s'affranchissent de toutes règles
notamment celle du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Ainsi
on constate bon nombre de situations conduisant à la
déforestation, aux déplacements de groupes de populations,
à la construction de barrages par immersion des terres ou au pillage des
ressources naturelles, incluant désormais la brevetabilité du
savoir traditionnel.
Les grands projets d'investissement qui encouragent la
construction de barrages, le développement de zones touristiques, de
centres de communications, l'implantation d'usines, ou encore l'exploitation de
ressources, sont particulièrement problématiques. En effet, bien
qu'ils soient rédigés avec l'accord des élites nationales,
ils ne prennent pas en considération la nécessité
de consulter les populations locales et d'obtenir leur
consentement.
L'International Forum on globalisation,
une institution Nord-Sud de recherche qui réunit des universitaires, des
juristes et des experts autochtones, signale que :
« les peuples autochtones sont assis sur les
frontières de l'expansion de la mondialisation parce qu'ils occupent les
derniers écrins de la terre où abondent les ressources :
forêt, minerais, eau, diversité
génétique. Tous férocement
convoités par les corporations mondialisées »
Cette institution travaille dans le cadre d'un «
Programme sur les peuples autochtones et la mondialisation » qui analyse
l'impact sur les communautés indigènes des avancées
technologiques et des marchés financiers globalisés, des accords
régionaux de libre-échange, des accords de commerce et
d'investissement qui ouvrent les territoires inaccessibles aux industries
extractives (grands barrages, forages, mines, pipelines, routes) ainsi que de
la militarisation croissante de zones dites de sécurité, qu'elles
soient en région frontalière ou bien définies de
façon ad hoc pour lutter contre « le terrorisme » dans le
cadre de politiques « recommandées » par les bailleurs de
fonds 165.
L'une des plus grandes menaces pour les peuples autochtones
est l'industrie minière, qui s'est fortement développée
à la fin du XXe siècle pour satisfaire les demandes en
énergie. De tels projets entraînent la détérioration
environnementale des terres traditionnelles en plus d'une perte de la culture,
des connaissances traditionnelles et des moyens de subsistance des peuples
autochtones, et leur imposent une économie et des valeurs sociales
étrangères.
165 BELLIER Irène, « Les deux faces de la
mondialisation : l'ONU et les peuples autochtones » in La mesure de la
mondialisation, Cahier du Gemdev, n°31, 2007, pp. 80-95.
143
Plus généralement, l'accaparement des terres
à large échelle entraîne des violations graves des droits
humains des populations locales, qui sont le plus souvent expulsées de
leurs terres sans être consultées et sans obtenir une compensation
adéquate ou une proposition de relocalisation sur d'autres terres
166.
En Australie, pratiquement toutes les réserves
minérales importantes sont sur des territoires Aborigènes. Ainsi,
l'implantation de mines dans l'Ouest de l'Australie équivaut à la
mort spirituelle de nombreux Aborigènes habitant sur ces territoires.
Les chassant de leur habitat, profanant leurs sites sacrés,
l'implantation de ces mines les prive de leur intégrité
culturelle. Selon Patrick Dodson, directeur du Central Lands Council :
« Quand vous séparez un aborigène de
sa terre, vous le séparez de l'esprit qui lui donne la vie , ·
cet esprit ne peut pas se régénérer en un autre lieu. Il
ne reste plus que les formes vides d'êtres humains vivant dans les pays
d'autres peuples » 167.
En outre, il arrive parfois que ce soit les forces
armées de l'État qui désirent s'approprier les territoires
autochtones, justifiant la spoliation par l'exploitation de « zones de
concentration de ressources stratégiques ».
Pour terminer, reprenons notre illustration
précédente, et intéressons nous à l'exercice du
droit à l'autodétermination par les Aborigènes sur le
territoire australien.
C) La politique d'autodétermination des
aborigènes australiens
Nous analyserons ici la mise en place de la politique
d'autodétermination des aborigènes. Cette question est
décisive à double titre, d'une part en raison de
l'évolution du concept au niveau international et d'autre part du fait
que ce concept a été préconisé comme principe de
base de l'administration fédérale des Aborigènes en
1972.
Nous aborderons tout d'abord l'avènement de la
politique de multiculturalisme avec le Gouvernement Whitlam
(i.). Nous traiterons ensuite des différents
instruments chargés d'assister et de veiller à l'application du
droit à l'autodétermination (ii.).
Enfin nous terminerons par la remise en question de cette politique
d'autodétermination des Aborigènes sur le territoire australien
(iii.).
166 OZDEN Melik, GOLAY Christophe, « Le droit des peuples
à l'autodétermination, et à la souveraineté
permanente sur leurs ressources naturelles sous l'angle des droits humains ,
Brochure (CETIM), p. 42
167 Ibid. ; p. 103
144
i. Le gouvernement Whitlam, l'avènement d'une
politique d'autodétermination.
À la fin des années 1970, le gouvernement
australien pratiqua une nouvelle politique quant au traitement de ses
communautés indigènes (1.). L'adoption
de cette politique permit de faciliter la création de structures
représentantes séparées, ainsi que la formalisation d'un
processus d'autodétermination des Aborigènes au sein du
territoire australien (2.).
1) L'avènement du multiculturalisme dans la
société australienne
En remportant les élections fédérales de
1972 contre William Mac Mahon, Gough Whitlam devint le premier Premier Ministre
travailliste depuis vingt-trois ans. Les tergiversations du gouvernement de Mac
Mahon dans la gestion de la crise de la Tent Embassy 168
ont contribué à la chute de la coalition qui commençait
à ressentir l'usure du pouvoir après autant de temps à la
tête du pays. Whitlam devint donc le vingt-sixième Premier
ministre du Commonwealth d'Australie. Fervent défenseur des Droits de
l'Homme, il n'eut de cesse de faire campagne pour l'adhésion totale de
l'Australie aux conventions des Nations Unies.
Ainsi, l'une de ses premières mesures fut de mettre
fin à la politique officielle d'Assimilation. Considérant que le
monoculturalisme n'était plus adapté à la
réalité sociodémographique de l'Australie, il introduisit
dès 1973 le concept de multiculturalisme dans l'espace australien par le
biais de son Ministre de l'Immigration Al Grassby. Le Gouvernement souhaitait
ainsi reconnaître la diversité ethnoculturelle du pays, et donner
le ton de ses futures politiques socioculturelles. Pour Whitlam, le pluralisme
culturel était un moyen de créer de l'harmonie sociale et de la
cohésion nationale. Il considérait d'une part que la
reconnaissance des particularités de chaque groupe ehtnoculturel
était une condition de leur incorporation, et estimait d'autre part
qu'une discrimination positive était nécessaire pour construire
une société égalitaire. En outre, il jugeait qu'aucun
résultat tangible ne pourrait être obtenu tant que les
gouvernements imposeraient leurs politiques aux minorités ethniques
plutôt que de travailler en collaboration avec elles.
La définition du multiculturalisme dans ses dimensions
culturelle, sociale et économique n'en a fait comme limites que
l'acceptation « des structures de base et des principes de la
société
168 Voir infra, Partie I ; C) ; ii) La reconnaissance
institutionnelle des aborigènes
145
australienne - la Constitution, la légalité, la
tolérance et l'égalité, la démocratie
parlementaire, la liberté d'expression et de religion, l'anglais comme
langue nationale et l'égalité des sexes ». Cette politique
permet à l'Australie de se présenter comme une
société tolérante qui répond aux défis
posés par sa diversité culturelle. Le multiculturalisme repose
sur certains principes fondamentaux, tels que la reconnaissance des
héritages, le respect des spécificités et le maintien des
particularités ethnoculturelles.
Cette politique d'intégration visait à terme
à l'égalité socioéconomique de tous les citoyens et
la participation des minorités aux structures politiques australiennes.
Whitlam proposait donc la mise en place d'une démocratie sociale par des
réformes accompagnant la politique de multiculturalisme. Le Gouvernement
conduisit par exemple le Parlement à voter la Loi sur la
discrimination raciale de 1975. Ce texte fédéral de
portée générale interdisait toute discrimination raciale,
mettant ainsi en oeuvre dans le droit interne les engagements internationaux de
la fédération, celle ci ayant ratifié en 1975 la
Convention internationale de 1966 sur l'élimination de toutes les formes
de discrimination raciale.
Il faut bien comprendre que le multiculturalisme n'est pas
antinomique à l'acculturation des minorités, à condition
qu'elle reste choisie et partielle. L'acculturation est nécessaire
à la réalisation du modèle d'intégration, qui vise
à la création d'une société plurielle, c'est
à dire une société unique au sein de laquelle les
différences ethnoculturelles peuvent être exprimées.
L'intégration des minorités ethniques dépend ainsi de leur
acculturation. Mais ces dernières ne considèrent pas toujours
l'intégration comme une politique progressiste, et
préfèrent plutôt revendiquer une autonomie dans certains
cas.
En entrant dans l'ère du multiculturalisme,
l'Australie adoptait une nouvelle approche dans le traitement de son «
problème aborigène ». Quasi deux-cent ans après la
colonisation, les autorités australiennes préconisaient une
nouvelle politique qui semblait promettre un degré important d'autonomie
aux Aborigènes.
Au sein de la classe politique, le multiculturalisme ne
faisait pas l'unanimité : les conservateurs continuaient de
défendre l'idéal d'une Australie britannique monoculturelle, et
les progressistes de gauche estimaient que les politiques du gouvernement ne
suffisaient pas à confronter les inégalités
économiques, sociales et raciales qui continuaient de diviser
l'Australie.
Cette politique du multiculturalisme a démontré
ses limites : d'une part les réformes socio-économiques
envisagées ne pouvaient suffire à soulager les populations
autochtones ; et d'autre
146
part, cette politique ne pouvait apporter à elle seule
des réponses à la « question aborigène ». Les
Aborigènes devaient donc faire l'objet d'une politique à part,
qui prenne en considération leurs spécificités culturelles
et socio-économiques, qui reconnaisse le poids de l'histoire et la
particularité de leur statut, qui prenne en compte leurs demandes
politiques et qui réponde à leurs revendications foncières
169.
Un territoire, un groupe organisé, une
société auto-suffisante, des valeurs culturelles et spirituelles
sont les caractères communs aux Aborigènes. Il y a donc des
communautés aborigènes dont l'identité commune a
été cimentée par la colonisation pour en faire un peuple
autochtone qui aujourd'hui réclame l'autodétermination. Voyons
donc comment s'est formalisé ce processus de construction de
l'identité autochtone.
2) Formalisation d'un processus
L'introduction du principe de l'autodétermination des
Aborigènes en tant que politique gouvernementale en 1972 marqua une
rupture importante par rapport aux politiques d'Assimilation et
d'Intégration qui avaient été menées jusqu'alors.
À l'instar de ces politiques, l'autodétermination s'opposait au
principe d'assimilation culturelle. Ainsi les différences des
Aborigènes étaient respectées, valorisées,
protégées et encouragées. Dans le cadre de
l'autodétermination, la reconnaissance de la différence
culturelle impliquait une différenciation structurelle ; « les
spécificités historiques et culturelles de la minorité
autochtone ne devaient pas être simplement juxtaposées aux
spécificités historiques et culturelles des autres
minorités, elles devaient constituer la base de systèmes
repensés, de structures remaniés, de politiques
séparées, de programmes spécifiques et de droits distincts
» 170.
Les gouvernements placèrent ainsi la notion de choix
au coeur des affaires aborigènes. Cette notion est fondamentale à
l'autodétermination des autochtones, et implique qu'ils puissent choisir
de pratiquer leurs cultures sans encombres et sans contraintes, qu'ils puissent
opter pour un mode de vie qui s'inscrive dans la continuité de la
tradition, ou bien au contraire qu'ils puissent décider de s'acculturer
davantage pour s'assimiler à la société dominante. Non
seulement ils pouvaient théoriquement choisir la séparation
plutôt que l'assimilation structurelle à condition de ne
menacer
169 ROYER Ludivine ; L'Australie de la réconciliation :
politiques, logiques et réalités socioculturelles , Thèse
doctorat Etudes Anglophones, Université Paris IV - Sorbonne, 2007, p.
91
170 ROYER Ludivine, L'Australie de la
réconciliation : politiques, logiques et réalités
socioculturelles , Thèse doctorat Etudes Anglophones,
Université Paris IV - Sorbonne, 2007 ; p. 112
147
ni l'intégrité territoriale ni la
souveraineté de l'État, mais les choix qui leur étaient
donnés de faire restaient ouverts, flexibles, et peu contraignants.
L'autodétermination requiert donc des gouvernements
qu'ils mettent en place des politiques et des programmes spécifiques qui
permettent aux autochtones de choisir la séparation plutôt que
l'assimilation ou l'intégration. Selon Ludivine Royer et Tim Rowse, ces
politiques et programmes s'agencent autour de trois axes : la prise en compte
de l'existence d'une minorité à part et la liberté des
autochtones de s'identifier en tant que tels, la reconnaissance légale
des droits fonciers des premiers habitants et l'émergence de structures
représentantes autochtones 171 :
« On peut considérer que la
reconnaissance des population aborigènes et insulaires du
détroit de Torres, la législation d'une base foncière
autochtone et la promotion du secteur autochtone violent chacun un principe
fondamental pour les défenseurs de l'assimilation, parce qu'ils
établissent un système de propriété et une base
institutionnelle séparés en vue du développement d'un
peuple autochtone reconnu » 172.
Le principe d'autodétermination des Aborigènes
s'appuie sur cinq piliers principaux : le développement
socio-économique, le respect des cultures et des modes de vie, la
liberté d'être et de s'identifier, les droits fonciers et le
transfert des pouvoirs via les structures autochtones.
Les gouvernements qui succédèrent au
gouvernement Whitlam entre 1975 et 2006 accordèrent plus ou moins
d'importance à ces piliers de l'autodétermination. Ils
préférèrent d'ailleurs parler d'autogestion ou d'autonomie
plutôt que d'autodétermination. Néanmoins, le gouvernement
de la coalition de Malcolm Fraser (1975-1983) et le gouvernement travailliste
de Bob Hawke (19831991) acceptèrent le principe d'un
développement séparé des Aborigènes au sein de
l'État.
Dans les années 1970 et 1980, les différents
gouvernements successifs vont donc soutenir un même processus en
multipliant les programmes pour donner corps à ces piliers de
l'autodétermination. Ainsi, le développement des droits des
Aborigènes sur leurs terres fut un processus constant et soutenu,
l'octroi aux Aborigènes de droits statutaires sur les terres s'imposant
très vite comme une conditions sine qua non de
l'autodétermination. La restitution aux Aborigènes de certaines
terres était nécessaire pour qu'ils puissent librement pratiquer
leur culture, et maintenir leurs structures sociales. En outre, le principe de
rétrocession des terres était fondamental au projet de
développement économique tel qu'il fut imaginé à
partir de 1972.
171 Jbid, p. 99
172 ROWSE Tim « Contesting assimilation » (ed), Perth
: Australian Public Intellectual Network, 2005e, p. 19
148
Néanmoins, les implications du droit à
l'Autodétermination des Aborigènes ne firent jamais l'objet d'un
consensus en Australie. Il ne fut jamais sérieusement question d'une
sécession politique et territoriale des Aborigènes. Bien que le
gouvernement s'accorde à dire que cette politique
d'autodétermination implique que les Aborigènes puissent
définir les moyens, les objectifs, et le rythme de leur
développement, la définition exacte de
l'autodétermination, ses conséquences et la manière de la
mettre en oeuvre sont conçues différemment par différents
groupes.
Lors du séminaire sur le Droit à
l'autodétermination des peuples autochtones qui s'est tenu à New
York, le 18 mai 2002, le Commissaire à la Justice sociale pour les
Aborigènes et les Insulaires du détroit de Torres, Bill Jonas,
releva quatre grands constats :
· Tout d'abord, pour les Aborigènes et les
habitants des îles du détroit de Torres,
l'autodétermination signifie une autonomie gouvernementale totale et une
participation effective des autochtones aux instances qui définissent et
contrôlent leur existence ;
· Deuxièmement, les autochtones australiens ne
partagent pas l'idée voulant que l'autodétermination
débouche sur la sécession ou la formation d'États
séparés ;
· Troisièmement, les autochtones australiens
considèrent que l'autodétermination est essentielle à la
protection et à la vie de leurs cultures, ainsi qu'à la
préservation de leur intégrité culturelle ;
· Quatrièmement, en dépit de ces facteurs,
les peuples autochtones en Australie n'estiment pas que leur droit à
l'autodétermination devrait être réduit à ce qu'on
appelle
« l'autodétermination interne » 173.
La loi sur les Associations et les Conseils Aborigènes
de 1976 (Aboriginal Councils and Associations Act 1976),
reflétait une volonté gouvernementale d'encourager la formation
d'un Secteur autochtone capable de défendre les intérêts
des communautés aborigènes. Voyons donc les différents
instruments d'autodétermination mis en place par les gouvernements
successifs.
ii. Les différents instruments
d'autodétermination sur le territoire australien
Cette politique d'autodétermination des
Aborigènes australiens avait conduit à la création de
plusieurs organisations représentantes au sein de ces
communautés. Le gouvernement avait d'abord
173 Séminaire Droit à
l'autodétermination des peuples autochtones , New York, le
18 mai 2002, National Library of Canada, second quarter 2002 ; «
L'Autodétermination, une perspective australienne » Bill Jonas, p.
34
149
créé bon nombre d'organismes aborigènes
à partir de 1973 participant à ce que Tim Rowse, professeur
à l'Université de Sydney, a appelé le « Secteur
autochtone » (1.). Nous analyserons ensuite la
Commission des Aborigènes et Insulaires du Détroit de Torres,
principal instrument d'autodétermination des Aborigènes
(2.).
1) Le Secteur autochtone
Favorable à l'autodétermination des peuples, le
gouvernement Whitlam avait donc décidé de créer une
multitude d'organismes aborigènes chargés de la mise en place de
cette politique d'autodétermination.
Le gouvernement créa divers services
ministériels destinés à gérer et surveiller
certains domaines intéressant la minorité autochtone tels la
santé ou l'éducation, et mettra en place une structure de conseil
destinée à protéger ses intérêts : «
The Aboriginal Legal Service. Le Ministère des Affaires
Aborigènes fut également créé afin de gérer
les affaires spécifiques aux communautés indigènes.
Le gouvernement nomma également une Commission
(Aboriginal Land Rights Commission) pour enquêter sur les moyens
de réaliser les droits fonciers des Aborigènes dans le Territoire
du Nord. La présentation de son rapport final en 2004 permis au
gouvernement Whtitlam d'introduire un projet de loi (NT Land Rights
Bill) qui prévoyait la rétrocession de certaines terres
à leurs propriétaires traditionnels. S'ensuivit en 1976
l'adoption d'un des textes de loi les plus importants de l'histoire
contemporaine des Aborigènes. La Loi sur les droits fonciers des
Aborigènes dans le Territoire du Nord (Aboriginal Land Rights (Northern
Territory) Act 1796) reconnut la légitimité des
revendications aborigènes sur les terres inoccupées de la
Couronne et mit en place une Commission (Aboriginal Land
Commission) afin de recevoir et examiner les revendications des
autochtones.
Divers organismes furent donc créés pour
représenter les populations locales. D'une part, des Fondations
(Land Trusts) furent établies pour faire valoir les droits
découlant des titres accordés aux propriétaires
traditionnels.
D'autre part des Conseils (Land Councils) furent
créés pour aider les Aborigènes à revendiquer leurs
terres puis à gérer ou exploiter les différentes
ressources de leurs territoires ou encore pour soumettre des projets de
développement aux populations locales.
Par ailleurs, une Commission (Aboriginal Land Fund
Commission) avait été mise en place dès 1975 pour
administrer les fonds publics destinés à l'achat de terres
privées. Elle fut remplacée en
150
1980 par la Commission pour le développement
aborigène (Aboriginal Development Commission).
La création de ces organismes participait à la
reconnaissance des droits de propriété, de contrôle et de
négociation des Aborigènes.
Le principe d'autodétermination avait également
conduit à la création d'organismes aborigènes élus
dès 1973. Il convient de citer le Comité Consultatif National
Aborigène (National Aboriginal Consultative Committee, NACC)
corps de 41 représentants élus, chargé de consulter les
populations autochtones et de conseiller le Ministère des Affaires
Aborigènes.
Le Gouvernement de Malcom Fraser le remplaça en 1977
par une Commission Nationale Aborigène (National Aboriginal
Conference) constituée de 10 représentants. Ce gouvernement
fit également voter la Loi sur les Associations et les Conseils
Aborigènes en 1976 qui ouvrit la voie à la création
de milliers de structures aborigènes, qu'il s'agisse d'organismes
statutaires, de conseils élus, de groupes consultatifs ou encore
d'associations.
Il convient de rappeler également le rôle du
Commissaire à la justice sociale pour les Aborigènes et les
insulaires du Détroit de Torres. Membre de la Commission des droits de
l'homme et de l'égalité des chances, le Commissaire à la
justice sociale est désigné conformément aux dispositions
du Human Rights and Equal Opportunity Commission Act 1986 (loi de 1986
sur la Commission des droits de l'homme et de l'égalité des
chances). Le poste de Commissaire à la justice sociale pour les
aborigènes et les insulaires du détroit de Torres a
été créé en 1992 pour donner suite aux
constatations de la Royal Commission into Aboriginal Deaths in
Custody (Commission royale chargée d'étudier les
décès d'aborigènes en garde à vue) et de la
National Inquiry into Racist Violence (enquête nationale sur la
violence à fondement raciste).
Ses principales fonctions sont les suivantes :
· Présenter chaque année au ministre un
rapport concernant la jouissance et l'exercice des droits de l'homme par les
aborigènes et les insulaires du détroit de Torres ;
· Promouvoir la discussion et la meilleure connaissance des
droits de l'homme relativement aux aborigènes et aux insulaires du
détroit de Torres ;
· Entreprendre des programmes visant à promouvoir
le respect des droits de l'homme des aborigènes et des insulaires du
détroit de Torres et à promouvoir la jouissance et l'exercice des
droits de l'homme par les aborigènes et les insulaires du détroit
de Torres;
·
151
Examiner les dispositions législatives adoptées
ou proposées, pour vérifier qu'elles reconnaissent et
protègent les droits de l'homme des aborigènes et des insulaires
du détroit de Torres et faire rapport au ministre sur les
résultats de cet examen.
Cette effervescence d'organismes aborigènes devait
leur permettre de définir leurs objectifs et leurs priorités afin
d'exercer un pouvoir décisionnel plus important sur les politiques qui
les concernaient, et participer ainsi à la mise en place de programmes
spécifiques à leurs communautés.
Cela participait aussi d'un mouvement plus large,
caractéristique de la politique d'autodétermination : la
création de ce que l'on appelle le Secteur Autochtone. Selon Tim Rowse
:
« Le Secteur Autochtone n'est ni l'État (bien
qu'il soit presque intégralement financé par des fonds publics),
ni la société civile (bien que ces organisations soient surtout
des entreprises privées sur un plan légal). Le Secteur Autochtone
est plutôt une troisième entité, créée
à partir de l'interaction - parfois mais pas toujours, conflictuelle -
entre le gouvernement et le domaine autochtone » 174.
La formation de ce Secteur Autochtone reflétait la
volonté gouvernementale d'encourager le transfert de pouvoirs à
des structures aborigènes représentatives. Elle était
également intimement liée au principe de discrimination positive,
puisque la mise en place de structures aborigènes pour administrer des
programmes séparés et des services distincts s'imposa très
vite comme une condition de la réalisation des choix collectifs et
individuels. Ce Secteur Autochtone avait donc pour objet de fournir des
services aux Aborigènes dans des domaines aussi fondamentaux que la
santé, l'éducation, le logement ou l'emploi. La nature même
des Aborigènes requérait un certain traitement
différentiel, et leur implication dans la conception et l'application
des programmes spécifiques favorisait leur chance de succès.
Ces différentes organisations aborigènes ont
joué un rôle majeur dans le développement
socio-économique des communautés aborigènes depuis les
années 1970. Elles avaient ainsi financé et organisé
d'importantes campagnes politiques, sensibilisé l'opinion sur la
question des droits autochtones et porté la cause aborigène sur
la scène internationale.
Néanmoins ce Secteur autochtone a souffert de beaucoup
de carences et les organisations aborigènes étaient bien souvent
sous-financées et sous-équipées. La réponse juste
à ces problèmes devait venir de gouvernements prêts
à assumer leurs responsabilités, prêts à entamer de
profondes
174 Tim ROWSE dans Diane AUSTIN-BROOS & Gaynord MACDONALD
(eds), 2005a, p. 214
152
réformes et prêts à donner aux
Aborigènes les véritables moyens de leur
autodétermination.
Dans la logique d'autodétermination qu'il
défendait, le Secteur autochtone devait devenir, à terme, plus
performant et plus autonome, moyennant des réformes structurelles ou
fonctionnelles, et à condition que les gouvernements remplissent leurs
obligations de prestataires de service, développent des liens entre et
avec les organisations aborigènes, augmentent leur budget, et favorisent
aussi bien l'implication d'acteurs compétents que l'acquisition de
savoir-faire dans ces structures 175.
Le début des années 1990 va voir la
concrétisation d'un nouveau projet du gouvernement s'appuyant sur les
mêmes principes de consultation, de négociation et de
participation qui avaient fait naître le Secteur autochtone : la
création d'un organisme aborigène qui combinerait des conseils
élus au niveau national et régional, et qui conjuguerait des
pouvoirs consultatifs, administratifs, exécutifs et
décisionnaires. Le gouvernement avait ainsi souhaité donner aux
Aborigènes un vrai pouvoir de contrôle sur les politiques, les
programmes, les services et les financements qui les concernaient. Ce projet
fut donc associé à l'idée d'une réconciliation
entre les Aborigènes et la société dominante.
Il s'agit donc d'analyser la création de la Commission
des Aborigènes et Insulaires du Détroit de Torres, organisme
aborigène chargé de la mise en place de la politique
d'autodétermination.
2) L'ATSIC instrument d'autodétermination
Le gouvernement entreprit donc la mise en place d'une
Commission des Aborigènes et Insulaires du Détroit de Torres
(Aboriginal and Torres Strait Islander Commission) qui prit
ses fonctions en mars 1990. Cet organisme visait à combler les lacunes
des diverses structures mises en place par le gouvernement, en poussant plus
loin l'idée d'autodétermination. Organisme de droit public, la
Commission était une commission nationale élue au niveau des
régions, qui disposait de pouvoirs de représentation,
d'exécution et de décision. Cet organisme avait trois objectifs :
il devait d'une part « favoriser l'autogestion et la prise d'autonomie des
autochtones, d'autre part garantir une très forte participation des
Aborigènes dans la formulation et l'exécution des politiques
gouvernementales, et, enfin, promouvoir le développement
économique, social et culturel de la minorité autochtone. En
conséquence il incombait à la Commission de remplir les fonctions
suivantes :
175 ANDERSON & SANDERS, 1996, p.17 ; R.NEILL, 2002, pp.
65-66 ; Gillian COWLISHAW, Dialogue n°23, 2004, pp.
48-49
·
153
défendre la reconnaissance des droits autochtones aux
niveaux régional, national et international
· assister, conseiller et coopérer avec les
communautés, les organisations et les individus autochtones
· développer des politiques qui répondent
aux besoins et aux priorités des Aborigènes aux niveaux
fédéral, étatique/territorial et régional
· prendre des mesures raisonnables pour protéger
les informations ou les objets culturels considérés comme
sacrés par les Aborigènes
· représenter les intérêts des
autochtones aux différents niveaux de gouvernement et garantir la
coordination de leurs politiques et programmes
· contrôler la performance des autres agences
gouvernementales chargées d'offrir leurs services aux
Aborigènes
· administrer et mettre en oeuvre certains des
programmes et services que le gouvernement du Commonwealth avait conçus
pour les Aborigènes
· gérer une partie du budget
fédéral alloué aux Aborigènes et répartir
les financements gouvernementaux entre les différents programmes
existants, en respectant les minima éventuels imposés par le
gouvernement » 176.
Ces différentes fonctions étaient
réparties entre un corps aborigène élu, constitué
d'une commission nationale et de conseils régionaux, et qui
possède, en accord avec le principe d'autodétermination, tous les
pouvoirs de décision ; et un corps administratif, qui n'a lui qu'un
simple rôle d'exécutant. Ainsi, les pouvoirs de décision
revenaient à un corps représentant responsable devant son
électorat, tandis que les pouvoirs d'exécution revenaient
à un corps assimilable à un département gouvernemental,
responsable devant le Ministre des Affaires Aborigènes.
Cette commission reposait sur un triple concept d'autonomie,
de démocratie représentative, et de responsabilité
ministérielle.
Dès sa création, l'ATSIC inspira des
réactions très différentes au sein de la communauté
aborigène. Certains voyaient en la création de cette Commission
une petite « révolution 177 », ou l'adoption
176 Voir la Loi sur la Commission des
Aborigènes et Insulaires du Détroit de Torres,
Partie 2, Division 2, Section 7
177 Tim ROWSE, Australian Society, Mars 1990, pp.
15-18
154
d'une réforme importante qui leur donnerait de fait
« une voix effective au sein du gouvernement australien » 178 .
D'autres soutenaient que cette structure occidentale, pur
produit du gouvernement, ne restait qu'un instrument d'autodétermination
limité. L'autodétermination des Aborigènes
requérait en effet « l'application des politiques formées
par des Conseils élus, et de ce fait, elle dépendait aussi bien
de la coopération de certains organismes privés que de la
collaboration des fonctionnaires d'ATSIC, responsables devant le gouvernement
» 179 . La commission était d'ailleurs financée par
l'État.
D'un autre coté, l'ATSIC ne contrôlait pas
l'ensemble des services liés aux Affaires aborigènes, puisque de
grands domaines tels que l'éducation ou la santé restaient sous
la responsabilité des départements gouvernementaux.
Ainsi, bien qu'elle ait acquis le statut d'organisation
indépendante non-gouvernementale aux Nations Unies, l'ATSIC n'avait pas
toute autonomie, l'État ayant conservé un droit de regard sur les
politiques aborigènes.
La législation d'ATSIC fut également
très controversée au Parlement, opposant les partis d'opposition
de la Coalition aux partis démocrates. La première crainte
était que la législation permette la sécession politique
ou territoriale des Aborigènes. La Coalition fit donc passer une
résolution afin que l'autodétermination des Aborigènes
soit exclusivement assujettie à la Constitution et aux lois de
l'État australien 180.
L'ATSIC ne faisait donc pas l'unanimité dans la
communauté aborigène. C'est d'ailleurs suite à sa
création que que plusieurs Aborigènes décidèrent de
créer le Gouvernement Provisoire Aborigène (Aboriginal
Provisionnal Government). Cet organisme, l'un des plus radicaux de
l'histoire du militantisme aborigène, se présentait comme une
structure gouvernementale alternative. « Il revendiquait le droit des
peuples à l'autodétermination politique, scandait la
souveraineté aborigène, présentait la création d'un
État aborigène indépendant comme une option »
181. Ce Gouvernement Provisoire symbolisait alors la persistance de
la lutte pour la réalisation de l'autodétermination des
Aborigènes et pour la reconnaissance de leur souveraineté.
178 « To provide them with an effective voice within the
Australian Government ». Note d'intention, préambule de la Loi
sur la Commission des Aborigènes et Insulaires du
Détroit de Torres.
179 ROYER Ludivine ; L'Australie de la réconciliation
: politiques, logiques et réalités socioculturelles ,
Thèse doctorat Etudes Anglophones, Université Paris IV -
Sorbonne, 2007, p. 145
180 Frank BRENNAN, avril 1992
181 Jbid , p. 147
155
En 1997, l'ATSIC et d'autres organisations aborigènes
ont à nouveau abordé la question du droit à
l'autodétermination :
« On peut voir, à la lumière de la
pratique à l'échelle internationale, que
l'autodétermination peut se réaliser sous bien des formes
différentes. Dans le cas des peuples autochtones, ces formes varieront
en fonction des coutumes, besoins et aspirations propres à chacun... Le
contrôle et le consentement sont deux notions centrales du droit à
l'autodétermination : contrôle sur les prises de décisions
qui nous touchent et consentement quant aux modalités de nos relations
avec les États. Ces deux notions sont de plus en plus reconnues comme
des principes essentiels qui doivent figurer dans n'importe quel catalogue des
droits des peuples autochtones et, de façon implicite, dans le principe
de non-discrimination raciale tel qu'il s'applique aux peuples autochtones
» 182.
Lors des débats pour l'adoption de la
Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones,
l'ATSIC estimait qu'il était fondamental, pour l'intégrité
de la déclaration, qu'y soit mentionné sans ambiguïté
le droit à l'autodétermination. Elle considère en effet
« qu'il serait inapproprié de limiter l'application du concept
d'autodétermination sous prétexte qu'en ne le restreignant pas,
on pourrait laisser entendre qu'il représente une menace pour
l'État-nation ».
L'autodétermination est donc perçue comme un
droit « dynamique » sous l'égide duquel les peuples
aborigènes et les insulaires du détroit de Torres vont poursuivre
leurs efforts pour élargir leur autonomie en matière de prises de
décision.
Toutefois, avec l'arrivée des conservateurs, comme
John Howard, au pouvoir, la possibilité d'obtenir du gouvernement une
reconnaissance de la souveraineté aborigène semblait totalement
exclue.
iii. Le principe d'autodétermination en
question
Les politiques d'autodétermination qui eurent cours
depuis les années 1970 n'ont pas vraiment donné les
résultats initialement escomptés.
182 Déclaration faite par l'ATSIC, le Commissaire
à la justice sociale pour les Aborigènes et les Insulaires du
détroit de Torres, la Foundation for Aboriginal and Islander Research
Group, l'Indigenous Women Aboriginal Corporation, le National Aboriginal and
Islander Services Secretariat, le New South Wales Aboriginal Land Council et le
Tasmanian Aboriginal Centre, Groupe de travail de la Commission des droits de
l'homme, troisième session, octobre 1997.
156
Comme pratique et comme idéologie,
l'autodétermination signifiait que les Aborigènes allaient
apprendre à s'autogérer, au sein des communautés
sédentaires, ce qui impliquait, entre autres, qu'ils adoptent les formes
appropriées de socialité et de subjectivité
sanctionnées par l'État. Du point de vue de celui-ci,
l'autodétermination signifiait que les Aborigènes allaient
gérer eux mêmes leur entrée dans la modernité et
qu'ils partageaient les visions, les façons de faire et les
priorités des politiciens et des bureaucrates.
Nous traiterons dans cette dernière partie de la
remise en question du principe d'autodétermination, en particulier
durant la période des mandats de John Howard, et Paul
Keating (1.), puis nous terminerons par l'exercice
réel du droit à l'autodétermination des Aborigènes
sur le territoire australien (2.).
1) Ère Keating - Ère Howard
John Howard, le Premier ministre libéral de 1996
à 2007, prônait une approche pragmatique de la
réconciliation et de la gestion des Affaires aborigènes, dont
témoignent les politiques menées par ses différents
gouvernements. Il s'opposait au droit à l'autodétermination des
Aborigènes arguant qu'il rejetait toute notion de séparation au
sein de la communauté australienne, mettant ainsi un terme, ou au moins
un frein, à la reconnaissance du statut unique des Aborigènes au
sein de la communauté.
Le gouvernement Howard rédigea ainsi plus de trois
cents pages d'amendements sur la Loi sur le titre Autochtone, sur la
base d'un « Plan en Dix Points » (Ten Points Plan) qui
devait réduire les droits définis pour les Aborigènes de
manière considérable.
Divulgué en mai 1997, le Plan prévoyait de
confirmer que les titres autochtones n'avaient pas survécu sur les
terres annexées par des droits « exclusifs », de souligner que
les titres autochtones seraient définitivement éteints s'ils
n'étaient pas compatibles avec les titres et les droits des loueurs
à bail, d'introduire de nouvelles mesures visant à faciliter les
négociations en dehors des cours de justice, et peut être surtout,
par différents moyens, de limiter le « droit de négocier
» des Aborigènes183.
Ce projet de loi du gouvernement visait à
dégager les producteurs du secteur primaire de l'obligation de
négocier avec les Aborigènes d'une part, et d'autre part à
abolir le « droit de négocier » des Aborigènes sur
toutes les terres réquisitionnées pour le développement
183 John HOWARD, « Wik 10 point plan », Media
Release, 1 Mai 1997
157
d'infrastructures et de travaux publics, sur toutes les terres
utilisées pour la gestion des ressources en eau et le contrôle de
l'espace aérien, et sur toutes les terres destinées au
développement de constructions urbaines 184.
La Loi sur l'amendement du Titre Autochtone
(Native Title Amendment Act 1998) fut finalement votée en
juillet 1998, limitant ainsi considérablement les droits des
communautés autochtones. La même année fut rendu un rapport
: le Rapport Reeves (the Reeves Report) 185 , qui
montra que les droits fonciers des Aborigènes ne participaient pas de
manière claire à leur développement
socio-économique. Ce rapport donnait au gouvernement une
opportunité formidable de critiquer les structures et les principes de
la politique d'Autodétermination, politique à laquelle il
était farouchement opposé. Il lui permettait également de
justifier a posteriori le bien-fondé des amendements apportés
à la Loi sur le Titre Autochtone, lui offrant ainsi la «
possibilité d'argumenter avec plus de force encore que les droits
fonciers des Aborigènes devaient surtout servir le développement
socio-économique de leur communauté » 186.
Dans la plupart des domaines relatifs aux question
Aborigènes, John Howard avait imposé sa logique de
réconciliation en limitant les droits spécifiques des
autochtones, en pointant du doigt les structures mises en place pour
réaliser l'autodétermination aborigène et en minimisant
l'importance du symbolique, de la justice et des cultures, pour insister sur
l'urgence du développement économique des communautés.
À l'issue de la décennie de la
réconciliation, la possibilité d'obtenir du gouvernement une
reconnaissance de la souveraineté aborigène semblait totalement
exclue. En tant que telle, la réconciliation n'était pas
contraire au développement du droit des Aborigènes à
l'autodétermination : « elle intervenait dans les
sociétés pour permettre un rapprochement entre les peuples, sans
dicter précisément les modalités de ce rapprochement
» 187 .
Le changement de cap qui s'était produit dans les
affaires aborigènes au début des années 1990 avait ouvert
la voie à une reconsidération du principe
d'autodétermination qui les régissait depuis 1972. Ainsi,
à partir de 1996, le gouvernement préféra parler
d'autogestion que d'autodétermination,
184 Explanatory Memorandum, pp.145-146, 153, 154, 158.
Native Title Amendment Bill 1997, ss.24E-24L & 26A-26D, 251C
185 Department of Reconciliation & ATSI Affairs -
Building on Land Rights for the next Generation :
Report of the Review of the Aboriginal Land Rights
(Northern Territory) Act 1976, par John Reeves, 1998
186 Department of Reconciliation & ATSI Affairs, 2001
187 ROYER Ludivine ; L'Australie de la réconciliation :
politiques, logiques et réalités socioculturelles , Thèse
doctorat Etudes Anglophones, Université Paris IV - Sorbonne, 2007, p.
323
158
les efforts visant à permettre aux communautés
autochtones de décider de leurs priorités et de leur
stratégie de développement furent relâchés, et le
principe selon lequel les autochtones étaient en droit légitime
d'être les principaux décisionnaires dans les affaires qui les
concernaient fut remis en cause 188.
Le gouvernement défendait en fait le droit des peuples
à l'autodétermination, selon le droit international, mais en
dépit des revendications aborigènes 189. Il refusait
donc de considérer les Aborigènes et les Insulaires du
Détroit de Torres comme des « peuples distincts » aux fins de
la loi internationale.
John Howard proposa d'ailleurs de remplacer « le droit
des Aborigènes et des Insulaires du détroit de Torres à
l'autodétermination dans la vie de la nation » par « le droit
des Aborigènes et des Insulaires du détroit de Torres, commun
à tous les Australiens, de déterminer leur propre destinée
» dans la Déclaration Australienne pour la
réconciliation.
En outre, il n'existait pas en Australie de mouvement
politique sérieux pour une sécession des populations autochtones.
Les revendications du droit à l'autodétermination allaient donc
rarement de pair avec des revendications pour une autonomie politique et
territoriale. Le plus souvent, ce droit était invoqué pour
demander à ce que les formes d'autonomie trouvées au niveau local
s'étendent au niveau régional 190, pour demander
à exercer une plus grande autorité et une plus grande
responsabilité dans tous les domaines qui les concernaient
191, pour demander à ce que le nécessaire soit fait
pour leur permettre de participer équitablement à la vie
politique de la nation australienne 192, ou bien simplement, pour
demander à ce que des mesures soient prises pour favoriser leur
complète égalité et leur complète
intégration dans l'État australien.
Le gouvernement Howard ne voulait donc poser aucun acte qui
puisse laisser entendre que les Aborigènes formaient des peuples
distincts qui possédaient collectivement des droits distincts. Il
considérait que le principe de l'autodétermination autochtone
était ainsi en profonde contradiction avec les principes qu'ils
défendait, soit l'égalité, l'unité et la
primauté, voire l'exclusivité des droits de l'individu.
Le gouvernement refusait donc de reconnaître le droit
des Aborigènes à l'autodétermination parce qu'il craignait
qu'il ait des conséquence sur l'intégrité territoriale,
parce qu'il rejetait le principe de droits séparés pour la
collectivité autochtone, et aussi parce qu'il considérait que
l'autodétermination et les droits collectifs appartenaient à
« une politique du symbolisme » qui risquait de devenir « une
188 HREOC - ATSI Social Justice Commission - William Jonas,
SJR 2002, 2003, p. 51
189 Voir par exemple HREOC - ATSI Social Justice Commission -
Michael DODSON, SJR 1993, 1994, p. 41
190 HREOC - ATSI Social Justice Commission - Michael DODSON,
SJR 1993, 1994, p. 63
191 CAR, 2000d, p. 14
192 Ibid., p. 15
159
distraction par rapport aux réelles taches et
priorités » 193.
Lors des sessions d'adoption du projet de Déclaration
sur les droits des peuples autochtones, l'Australie fut l'une des nations les
plus intransigeantes sur la question de l'autodétermination des
autochtones. Le gouvernement australien souhaitait en effet que le terme «
autodétermination » disparaisse complètement du
Projet, parce qu'il impliquait des « formes de
souveraineté et d'autonomie gouvernementale pour les Aborigènes
» 194.
Les différentes politiques du gouvernement eurent
ainsi beaucoup d'impact sur les cinq grands piliers de
l'autodétermination : la liberté de s'identifier et d'être
identifié, le développement socio-économique, le maintien
et la promotion des cultures, le développement de droits fonciers et le
transfert de pouvoirs à des structures représentantes
aborigènes.
Concernant le droit de s'identifier, les Aborigènes
continuaient d'être libres de s'identifier à la communauté
Aborigène et les procédures d'identification restaient
globalement les mêmes. En ce qui concerne les droits fonciers, nous avons
vu avec l'arrêt Wik et la Loi sur le titre autochtone
195, que le gouvernement entendait bien contenir, voire amputer les droits
fonciers des autochtones. Pour ce qui est de leur développement
économique, le gouvernement lui accordait une plus grande importance
relativement aux questions d'ordre « symbolique » et refusait de le
fonder sur des programmes et services séparés. En ce qui concerne
les cultures autochtones, le gouvernement essaya de limiter le respect et la
promotion des cultures au cadre du multiculturalisme. Enfin, concernant le
dernier pilier, la dévolution des pouvoirs, le gouvernement
n'accéda pas aux demandes qui avaient été faites pour une
meilleure représentation des Aborigènes dans la
société australienne. Les autochtones étaient donc
très peu représentés dans les partis politiques. Ainsi,
bien que les Aborigènes aient eu le droit de participer à la
conduite des affaires publiques de la nation depuis les années 1960,
leur « participation politique » effective restait à
pleinement réaliser.
Ainsi, le gouvernement de John Howard semblait ne pas
s'opposer seulement à la reconnaissance légale ou symbolique du
droit des Aborigènes à l'autodétermination. Apparemment,
il s'opposait au principe même de leur autodétermination 196.
Avant l'arrivée de Howard au pouvoir, l'ATSIC
était critiquée par une partie de la population
193 Departement of Reconciliation & ATSI Affairs - John
Herron, Statement at the 17th session of the United Nations
Group on Indigenous Populations, 29 juillet 1999
194 « Forms of Aboriginal sovereign self-government »
(Departement of Reconciliation & ATSI Affairs - John HERRON, The UN
Working Group on Indigenous Populations . the Australian
Contribution 1999, 1999, p.11)
195 Voir infra.
196 ROYER Ludivine ; L'Australie de la réconciliation
: politiques, logiques et réalités socioculturelles ,
Thèse doctorat Etudes Anglophones, Université Paris IV -
Sorbonne, 2007, p. 332
160
Aborigène qui voyait en elle l'expression d'une forme
limitée d'autodétermination : la Commission avait
été créée simplement pour représenter des
populations autochtones dont l'identité et le statut uniques avaient
été reconnus 197. En outre elle restait
étroitement contrôlée par le gouvernement puisqu'elle en
dépendait sur le plan financier, et que son corps administratif
était responsable devant le Ministre.
Avec l'arrivée de Howard, l'autonomie de la Commission
fut encore plus réduite. Le gouvernement lui imposa différents
types de restrictions financières telles qu'une forte réduction
de la proportion du budget de l'État pour les Affaires aborigènes
géré par ATSIC, ou le durcissement du régime de
responsabilité financière auquel la Commission était
soumise, ou encore une imposition importante de « minima » qui porta
atteinte à l'autodétermination des Aborigènes. En effet,
ce système de minima permit au gouvernement d'imposer ses choix, et les
minima imposés dans certains domaines contraignirent la Commission
à arrêter de nombreux programmes.
La Commission apparut alors comme « un simple
prestataire de service, mis au service du gouvernement et de son projet de
réconciliation, réduit à compléter les programmes
d'un gouvernement ouvertement hostile à l'autodétermination
qu'elle représentait originellement » 198.
En 2004, toujours dans une optique d'opposition à ce
qu'il considère être une séparation entre les
communautés, Howard abolit l'ATSIC au motif que sa gestion a
été un échec. Depuis, aucun autre organisme n'a
été mis sur pied par le gouvernement pour remplacer cette
commission.
Pour terminer il convient de s'intéresser à la
manière dont le droit à l'Autodétermination est-il
réellement exercé sur le territoire australien.
2) Autonomie et autodétermination
Au cours de la période qui a débuté avec
Whitlam, les Aborigènes ont vu la mise en place d'éléments
leur assurant un certain degré d'autodétermination. Ils n'ont
cependant pas, comme le précisait Mick Dodson, « exercé ni
joui de ce droit » (Assimilation vs. Self Determination). Ainsi,
ni la politique des travaillistes, ni celle des libéraux n'ont conduit
à une reconnaissance formelle d'une autodétermination qui ne peut
commencer qu'avec un accord négocié. La signature d'un tel accord
permettrait d'instaurer une autodétermination politique pour laisser la
place à un possible développement socio-économique et
culturel.
197 Voir par exemple HREOC - ATSI Social Justice Commission -
Michael DODSON, SJR 1993, 1994, pp. 42-43
198 ATSIC, 1996a, p. 23
161
Il convient de souligner un aspect majeur du principe
d'autodétermination, à savoir qu'il signifie établir des
rapports équitables au sein de la société. Erica-Irene
Daes soulignait d'ailleurs que ,
« [...] le droit à l'autodétermination
des peuples autochtones devrait en général être
interprété comme étant leur droit de
négocier librement leur statut et leur représentation
au sein de l'État dans lequel ils vivent. La meilleure définition
qu'on puisse en donner est celle d'une sorte de « construction tardive de
l'État en vertu de laquelle les peuples autochtones seraient à
même de s'associer à tous les autres peuples qui constituent
l'État, dans des conditions justes et acceptées par tous
» 199.
On parle ici de la création d'un gouvernement
représentant l'ensemble du peuple, au sein duquel les autochtones ont
légitimement voix au chapitre quand il s'agit de déterminer leurs
priorités et leur avenir.
Selon cette même auteur :
« L'État existant a le devoir de tenir compte
des aspirations des peuples autochtones en adoptant des réformes
constitutionnelles destinées à assurer un partage
démocratique du pouvoir. Cette approche signifie
également que les peuples autochtones ont le devoir d'essayer de
parvenir à un accord, de bonne foi, concernant le partage du pouvoir
à l'intérieur de l'État existant et d'exercer leur droit
à l'autodétermination par ce moyen et par d'autres moyens
pacifiques, dans la mesure du possible » 200.
Il apparaît qu'en l'espace d'une décennie,
l'autodétermination des Aborigènes ne se traduisit plus par une
forme étendue d'autonomie non-territoriale, mais par une forme
d'autonomie réduite, parfois appelée autogestion. L'alternative
qui se présentait aux Aborigènes ressemblait donc à
l'alternative des autres citoyens, entre intégration et assimilation.
John Howard, qui rejetait le principe d'un traité avec
les Aborigènes, déclarait d'ailleurs :
« Lorsque j'ai utilisé le terme d'inclusion
au préalable, certains commentateurs l'ont confondu avec les vieilles
politiques d'assimilation du passé. Ce n'est pas du tout ce
que je dis f...] Les Australiens autochtones doivent avoir le droit
de jouir de leur propre culture et de partager les avantages et les
responsabilités que ce pays offre à tous les citoyens. Par
inclusion, je veux parler d'embrasser et de célébrer la
différence parce que ce sont ces
199 DAES, Erica-Irene, Discrimination à l'encontre des
peuples autochtones : Note explicative concernant le Projet de
déclaration sur les droits des peuples autochtones, paragraphe 25.
200 Ibid, paragraphe 26
162
différences qui déterminent ce
que nous sommes en tant que nation » 201
En 1999, Howard proposa au Parlement une motion de
réconciliation qui fait suite à la publication, en 1997, du
rapport Bringing Them Home (« Les ramener
chez eux ») par la Human Rights and Equal Opportunity
Commission (HREOC - Commission pour les droits de l'homme et
l'égalité des chances). Cependant, cette motion n'est
restée qu'une déclaration d'intention qui n'a pas
été suivie de mesures sociales concrètes.
Au début des années 2000, une débat
d'idées semblait avoir pris le pas sur les stigmatisations politiques.
Deux grands groupes de pensée s'opposaient donc : l'un prônant
l'incorporation des Aborigènes dans la société dominante,
l'autre recommandant la réalisation de l'autodétermination
autochtone.
Pour le premier, l'assimilation des Aborigènes
était souhaitable, et souhaitée par les concernés. Le
devoir du gouvernement était dès lors de faciliter
l'incorporation des Aborigènes dans la société dominante,
plutôt sur une base individuelle que collective. En vue d'une
assimilation structurelle des Aborigènes à terme, il était
urgent de démanteler l'ensemble des structures et des organisations qui
avaient été créées par le gouvernement dans une
logique d'autodétermination. Ce groupe considérait donc que la
politique menée depuis le gouvernement Whitlam était un
échec fracassant, et que tout ce qui avait été mis en
place dans une logique de séparatisme, comme le Secteur autochtone, les
programmes et les financements séparés, l'identité
collective ou encore les droits fonciers ; devait progressivement
disparaître pour permettre aux Aborigènes de sortir de l'impasse
socio-économique.
Pour le second groupe, le principe d'autodétermination
devait rester le principe phare des Affaires aborigènes. Selon leur
conception, la lenteur des progrès socio-économiques depuis 1972
était due à un ensemble de facteurs annexes, et non pas à
l'apparition de l'autodétermination dans les politiques
gouvernementales. Il considéraient au contraire que cette politique
était la plus appropriée pour permettre aux communautés
autochtones de se relever, puis de s'émanciper, dans un contexte fait
d'égalité citoyenne et de droits autochtones. Le gouvernement
devait donc prendre toutes les mesures requises pour donner aux
Aborigènes les moyens de s'autodéterminer dans une nation
attachée à ses principes de justice et d'égalité.
Il s'agissait dès lors d'assurer la pérennité des
programmes réservés aux autochtones et d'augmenter le budget des
Affaires Aborigènes, et ce particulièrement dans les domaines du
logement et de la santé.
201 DIMIA - Phillip Ruddock, ATSIC National Treaty
Conference, 29 août 2002
163
Le principe de l'auto-gouvernance autochtone pose la question
de la citoyenneté aborigène, qui suppose la reconnaissance des
droits indigènes, parmi lesquels figurent les droits fonciers.
Après avoir connu une évolution certaine, la question des droits
à la possession de la terre, du droit aux ressources naturelles, du
droit à l'indemnisation, ou encore du droit à l'utilisation de la
terre semble avoir atteint ses limites aujourd'hui en Australie. Rappelons que
l'Australie est la seule colonie du Commonweatlth à n'avoir jamais
signé de traité avec les autochtones.
Depuis quelques années, les gouvernements ont
cherché à passer avec les communautés des accords dits
« de responsabilité partagée », leur proposant un
soutien généralement matériel « en échange
» d'un « effort » de prise en main. Cet « échange
» consiste souvent pour les communautés à confier leurs
terres au gouvernement pour des périodes très longues, ce qui
s'assimile à la perte de leur souveraineté locale.
Trente ans après l'introduction du principe de
l'autodétermination dans les Affaires aborigènes, le
contrôle qu'exerçaient les autochtones sur les politiques et les
programmes qui les concernaient restait très limité. Les moyens
de leur développement économique continuaient d'être
déterminés pas les gouvernements, limitant de ce fait la
portée de leurs voix dans les structures programmes qui leur
étaient réservés. En outre, leur pouvoir de
décision sur les services qui les concernaient était quasiment
nul. Les Aborigènes devaient donc reprendre le contrôle de leurs
affaires, aux niveaux national, régional et local, de la prise de
décision en amont, à l'application des décisions en aval,
dans une logique d'autodétermination 202.
Ainsi il reste un sentiment d'inachevé dans la
décolonisation interne débutée en 1972 avec le Premier
Ministre Whitlam. Pour reprendre la formule du professeur John Borrows, «
l'Australie semble prendre la voie de la re-colonisation ». Après
avoir servi de slogan à la politique officielle aborigène et
malgré les avancées incontestables du statut des
Aborigènes, l'autodétermination reste en question.
202 ROYER Ludivine ; L'Australie de la réconciliation :
politiques, logiques et réalités socioculturelles , Thèse
doctorat Etudes Anglophones, Université Paris IV - Sorbonne, 2007, p.
389
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