Le droit à l'autodétermination pour les peuples autochtones - à la lumière de l'exemple australien( Télécharger le fichier original )par Paguiel KOHLER Université de La Réunion - Master Relations Internationales, Mention Europe et océan Indien 2013 |
Introduction :« Nous les peuples indigènes, exigeons que soient reconnues nos différentes cultures ainsi que notre droit à la libre détermination, dans les mêmes termes que ceux qui sont reconnus à tous les peuples du monde par les traités internationaux des Droits de l'Homme » Rigoberta Menchù, prix Nobel de la paix 1 Le début du siècle a été marqué par la montée en puissance des mouvements indigènes de résistance et d'affirmation identitaire associée à une solidarité internationale résolue à rompre définitivement avec l'héritage colonial. Ainsi s'élèvent les voix de différents peuples sur tous les continents, déterminés à se faire respecter par un monde qui les a longtemps ignorés après les avoir spoliés, stigmatisés et persécutés. Du fait de cette situation de marginalisation, les peuples autochtones ont été privés de la possibilité de décider de leur propre destin, et donc de leur capacité à disposer d'eux-mêmes. Ce droit est pourtant la condition indispensable à la préservation des communautés autochtones. C'est à cette question du droit des peuples autochtones à disposer d'eux-mêmes que nous allons nous intéresser au cours de ce travail. Les peuples autochtones sont disséminés dans l'ensemble du monde de l'Arctique au Pacifique Sud, et représentent plus de 300 millions d'individus. Ils sont ainsi dénommés car ils vivaient sur leurs terres avant que des colons venus d'ailleurs ne s'y installent. Ils sont tous différents les uns des autres, et ont des caractéristiques, une culture, un mode de vie propres à chaque communauté. La plupart des peuples autochtones ont conservé des caractéristiques sociales, culturelles, économiques et politiques qui se distinguent nettement de celles des autres groupes qui composent les populations nationales. Malgré leurs différences, ils possèdent un passé commun de marginalisation, de spoliation et d'exclusion. 1 Discours prononcé au Sommet mondial du développement durable de Johannesburg en 2002 8 Selon une définition fournie par l'Organisation des Nations Unies, ils sont « les descendants de ceux qui habitaient dans un pays ou une région géographique à l'époque où des groupes de population de cultures ou d'origines ethniques différentes y sont arrivés et sont devenus par la suite prédominants, par la conquête, l'occupation, la colonisation ou d'autres moyens » 2. D'autres termes ont parfois été utilisés par les États pour les désigner, comme « aborigène », « peuple premier », « peuple racine », « première nation » ou encore « peuple natif », succédant à l'appellation péjorative de « peuple primitif ». Il apparaissait donc nécessaire de trouver une définition commune de la notion de peuple autochtone. Avant d'aborder la définition fournie par les Nations Unies des peuples autochtones, une première question va se poser sur la conception classique de la notion de peuple. Si l'on veut construire un nouveau type de régime international du droit des peuples autochtones à l'autodétermination, il faut commencer par définir le concept de « peuples » lui-même. En effet, beaucoup d'interrogations subsistent quant à l'utilisation de ce terme pour qualifier des minorités vivant sur le territoire d'un État. Pour cela il est intéressant de se pencher sur les enseignements du débat opposant plusieurs thèses au cours du XIXe siècle. Selon la conception objective de la notion, ce qui constitue un peuple c'est le fait d'avoir en commun certains traits objectifs, tels que la race, la langue ou encore la religion. Vivement contestée, jugée trop restrictive, cette conception ne permettait pas de cerner un peuple, « une nationalité », un concept qui avait émergé lors du printemps des peuples au milieu du XIXe siècle. On opposa alors aux critères distinctifs des peuples, longtemps basés sur l'anthropomorphisme, une vision nouvelle, plus subjective, élaborée à partir de la réponse qu'adressa Fustel de Coulanges aux prétentions allemandes sur l'Alsace : « Il se peut que l'Alsace soit allemande par la race et par le langage, mais par la nationalité et par le sentiment de la patrie, elle est française » 3. Cette conception, qui à l'inverse de la première n'est pas basée sur l'ethnologie, est plus émancipatrice : n'importe quel groupe d'individus peut bénéficier du droit de disposer de lui même, le peuple étant ici désigné par la manifestation de sa volonté. Cependant elle fut également critiquée, du fait de son caractère trop excessif. La doctrine finit donc par adopter une conception plus nuancée, celle du maître italien Mancini, 2 ONU, Fiche d'information No.9 (Rev.1) - Les droits des peuples autochtones ; HCDH 1996-2004 3 Lettre à Mommsen, du 27 octobre 1870, citée par BASDEVANT (S.), Le principe des nationalités dans la doctrine, in La Nationalité, Paris Institut de droit comparé, 1993, pp. 87 et suiv. 9 qui met au premier plan la conscience nationale. Selon celle ci en effet, c'est le sentiment qu'a un groupe de son individualité, de sa spécificité, qui font de lui un peuple. La conscience nationale naît de plusieurs éléments objectifs : la parenté ethnique, la communauté de moeurs, de langue, d'histoire, de religion, de culture, de territoire. Ces débats sur la notion de peuple peuvent être mis en rapprochement avec ceux sur la conception de la nation. Deux visions s'opposent : Une définition « subjective » du peuple, entité collective constituée en nation et reconnue de la sorte, qui insiste sur le sentiment d'appartenance. Particulièrement présente dans la conception française, cette vision a été formalisée par Ernest Renan, auteur français de la fin du Ixe, dans son discours à la Sorbonne Qu'est-ce qu'une nation ? en 1882 : « Une nation est donc une grande solidarité[...]. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune [...] un plébiscite de tous les jours [...]. Une nation n'a jamais un véritable intérêt à s'annexer ou à retenir un pays malgré lui. Le voeu des nations est, en définitive, le seul critérium légitime, celui auquel il faut toujours en revenir [...] L'homme n'est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes. Une grande agrégation d'hommes, saine d'esprit et chaude de coeur, crée une conscience morale qui s'appelle une nation » 4 Cette vision est celle du droit du sol, où une personne devient membre d'une nation au nom du lieu ou elle est née, ou elle vit et dont elle partage le destin. Et il existe une définition « objective » de cette entité collective constituée en nation, qui insiste sur une ascendance commune, un territoire commun et une langue commune. Cette vision est particulièrement présente dans la conception Allemande, et a été formalisée par Johann Gottlieb Fichte, dans son Discours à la nation allemande, en 1807-1808. Selon lui, la Nation se détermine par la culture, l'histoire et la langue, donc de façon objective. Elle s'incarne en outre dans l'État, 4 « Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et de ceux qu'on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. L'existence d'une nation est (pardonnez-moi cette métaphore) un plébiscite de tous les jours, comme l'existence de l'individu est une affirmation perpétuelle de vie. Oh ! je le sais, cela est moins métaphysique que le droit divin, moins brutal que le droit prétendu historique. Dans l'ordre d'idées que je vous soumets, une nation n'a pas plus qu'un roi le droit de dire à une province : «Tu m'appartiens, je te prends». Une province, pour nous, ce sont ses habitants ; si quelqu'un en cette affaire a droit d'être consulté, c'est l'habitant. Une nation n'a jamais un véritable intérêt à s'annexer ou à retenir un pays malgré lui. Le voeu des nations est, en définitive, le seul critérium légitime, celui auquel il faut toujours en revenir ». RENAN Ernest (1823-1892), Qu'est-ce qu'une nation?, 1882. [EN LIGNE] Version html disponible sur le site de La bibliothèque électronique de Lisieux. 10 lequel représente et décide « l'orientation de toutes les forces individuelles vers la finalité de l'espèce ». L'État doit être démocratique, assurant la liberté de chacun, et la possibilité pour chacun d'avoir une vie heureuse et profitable, en assurant une distribution équitable des richesses. Cette vision mène plutôt à une conception de la nationalité basée sur le « droit du sang », où il est difficile pour un allogène de devenir membre du corps national. La Nation est donc devenue la source des différents pouvoirs. Elle peut être définie comme le peuple constitué en corps politique, détenteur de la Souveraineté, dont la volonté est mise en oeuvre par des représentants élus, sans qu'aucun corps intermédiaire ne puisse y faire obstacle. Pour cette raison l'État et la nation sont très souvent associés. Ainsi, toute nation a le droit de disposer d'un État et tout État doit s'appuyer sur l'existence d'une Nation. L'existence des États-nations apparaît dès lors comme une conséquence logique du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, dont le principe s'est imposé au XXe siècle dans la conduite des relations internationales. Selon José Echeverria « La nation, comme le peuple, sont des communautés humaines caractérisées par la participation à un même passé et par la volonté de se construire un futur. Dans le cas de la nation, l'accent est mis sur l'origine commune. Dans le cas du peuple, il est mis sur la volonté d'un futur. La légitimation, pour la nation, est rétrospective, pour le peuple, elle est prospective » 5. Ainsi, « la nation tend à se reproduire, à répéter dans le présent son passé. En revanche, le peuple tend au changement. Il tend à s'inventer un destin qu'il choisit librement et affirme ensuite dans des décisions. Ainsi, c'est au peuple, non à la nation, que l'on attribue le droit à la libre détermination de lui-même car on suppose que la nation est déjà « déterminée ». Face au droit de souveraineté, dont la nation est titulaire, le peuple revendique le droit à la souveraineté » 6. Il apparaît que le terme de peuple est indissociablement lié à une signification politique : un ensemble de personnes reconnu comme un peuple se voit reconnu implicitement comme un groupe ayant des droits politiques spécifiques, voire le droit de former une nation souveraine. Il s'agit dès lors de préciser la notion de peuple « autochtone ». Pour interpréter correctement l'expression « peuples autochtones » en droit international, il convient de définir les deux termes, autrement dit il faut déterminer ce qui caractérise les « peuples » et donner un sens juridique au mot « autochtones » (1). Une fois les notions de peuple et 5 Voir CASSESE A. et JOUVE E. (dir.), Pour un droit des peuples, Paris, Berger-Levrault, 1978. p. 95 et s. ; E.Jouve, Le droit des peuples, Paris, PUF, 1992, 2ème éd. 6 JOUVE Edmond, « Où en est le droit des peuples à l'aube du IIIème millénaire ? » , ; Actes de la cinquième réunion préparatoire au symposium de Bamako : La culture démocratique (juin 2000) 11 d'autochtonie définies, nous nous intéresserons à l'applicabilité du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes aux différentes communautés autochtones. Chaque peuple étant libre de déterminer la forme de son régime politique, nous aborderons donc les fondements du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes (2). Enfin, nous traiterons de la mise en pratique à un niveau interne de ces règles internationales. Nous terminerons donc notre propos introductif par un récapitulatif historique de la place des aborigènes dans l'ordre interne australien (3). 1 - Le statut de « peuple autochtone », notion et contexte en droit International Il s'agit ici de traiter de la notion d'autochtonie elle-même, de la définir et d'en analyser les caractéristiques (a), avant d'aborder le contexte historique dans lequel cette notion a pu émerger sur la scène internationale (b). a) La notion de peuple autochtone en droit International Le terme « autochtone » (du grec autokhthôn, de autos « soi même » et khthôn « terre ») désigne ce qui est issu du sol même où il habite, qui est censé ne pas être venu par l'immigration ou n'être pas que de passage 7. Cette définition renvoie à une relation particulière de l'individu et du groupe à la terre, appréhendée le plus souvent comme « Terre-mère » ; tandis que le terme « indigène » (du latin indi ou endu « à l'intérieur, dans le pays » et de gena « né »), est considéré comme « relatif à la population autochtone d'un pays placé sous un régime colonial ou de protectorat » 8. La première institution internationale à s'être intéressé à la notion d'autochtonie a été le Bureau International du Travail. Selon cet organe, les autochtones sont nommés ainsi parce qu'ils étaient dans le pays avant que celui-ci n'ait été colonisé ou conquis par les ancêtres des groupes détenant actuellement le pouvoir. Le critère de l'antériorité de l'occupation d'un territoire implique l'établissement d'un « contact permanent entre deux éléments ethniques différents sur un territoire donné, où l'un est survenu alors que l'autre, qualifié d'aborigène ou d'autochtone, y était déjà installé ». On retrouve ce terme dans la Convention 169 de l'OIT relative aux peuples indigènes et tribaux du 27 juin 1989. 7 Cf. Le Petit Robert, Dictionnaire de la Langue Française, 2002 8 Cf. Dictionnaire de l'Académie francaise, 9e éd., http://academie-francaise.fr/dictionnaire 12 Bien qu'en anglais la formulation soit celle d'indigenous peoples ; elle devient en français: peuples autochtones. En effet, le mot Indigène en français est marqué du sceau du régime de l'indigénat, le cadre légal pratiqué dans les colonies françaises du milieu du XIXe siècle à 1944-1947. Le terme « aborigène » (du latin ab- et origines « qui sont nos lointaines origines », désigne un autochtone dont les ancêtres sont considérés comme étant à l'origine du peuplement 9. Il qualifie plus particulièrement « la situation d'un peuple indigène dont les revendications identitaires se basent sur le fait qu'il est en situation de dépendance de type colonial vis à vis d'un État, même si l'annexion ou l'occupation datent de plusieurs siècles et ne prennent pas la forme juridique stricto sensu de la colonisation » 10. La notion d'« aborigène » a également un caractère relatif, que fait apparaître dans la définition du B.I.T. la mention de « vagues successives de conquête ». Ils représentent, par rapport aux colonisateurs, une population que sa civilisation inférieure a réduite à un état de subordination. Deux éléments forment donc la définition de l'aborigène : le premier est l'antériorité de l'occupation du territoire; le second est celui de l'infériorité et de la subordination à l'égard des descendants des nouveaux arrivants colonisateurs ou conquérants. « Sont aborigènes les descendants de la population autochtone qui habitait un pays déterminé à l'époque de la colonisation ou de la conquête (ou de plusieurs vagues successives de conquête) réalisée par certains des ancêtres des groupes non autochtones détenant actuellement le pouvoir politique et économique » 11. Ce terme est quant à lui plutôt tombé en désuétude, désignant ces populations souvent de façon péjorative. On le retrouve dans la Convention 107 de l'OIT relative aux populations aborigènes et tribales du 26 juin 1957. Ce terme a été peu utilisée en France, puisque les terres occupées lors de la colonisation française étaient très souvent dépeuplées. Actuellement il est utilisé pour désigner spécifiquement les populations autochtones d'Australie. La seule définition juridique au plan international reste celle de l'OIT dans sa Convention 169 de 1989 relative aux peuples indigènes et tribaux. Selon celle ci, les peuples indigènes sont des « (p)euples dans les pays indépendants qui sont considérés comme indigènes du fait qu'ils descendent des populations qui habitaient le pays, ou une région géographique à laquelle 9 Cf. Le Petit Robert, Dictionnaire de la Langue Française, 2002 10 ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane, POUMAREDE Jacques « Droit des minorités et des peuples autochtones », PUF, 1996, p. 428 11 B.I.T., 1953, p. 27 13 appartient le pays, à l'époque de la conquête ou de la colonisation ou de l'établissement des frontières actuelles de l'État, et qui, quel que soit leur statut juridique, conservent leurs institutions sociales, économiques, culturelles et politiques propres ou certaines d'entre elles » « Le sentiment d'appartenance indigène ou tribale doit être considéré comme un critère fondamental pour déterminer les groupes auxquels s'appliquent les dispositions de la présente convention » 12 On trouve dans cette définition trois éléments principaux caractérisant les peuples autochtones : le lien historique, la différence culturelle et l'auto-identification. La situation de domination n'est toutefois pas explicitement citée. Une autre définition de la notion d'autochtonie a été fournie par J. Martinez Cobo dans son Étude du problème de la discrimination à l'encontre des populations autochtones : « Par communautés, populations et nations autochtones, il faut entendre celles qui, liées par une continuité historique avec les sociétés antérieures à l'invasion et avec les sociétés pré-coloniales qui se sont développées sur leurs territoires, s'estiment distinctes des autres segments de la société qui dominent à présent sur leurs territoires ou parties de ces territoires. Elles constituent maintenant des segments non dominants de la société et elles sont déterminées à préserver, développer et transmettre aux futures générations leurs territoires ancestraux et leur identité ethnique, qui constituent la base de la continuité de leur existence en tant que peuples, conformément à leurs propres modèles culturels, à leurs institutions sociales et à leurs systèmes juridiques » 13. Au niveau individuel, l'autochtone est donc la personne qui appartient à une population autochtone par auto-identification, et qui a donc une conscience de groupe ; et c'est également la personne qui est reconnue et acceptée par cette population en tant que l'un de ses membres. On retrouve ici les quatre éléments importants de la définition des peuples autochtones : la différence culturelle, la situation de domination, la continuité historique et l'auto-identification. Pendant longtemps les États ont utilisé des expressions telles que « natif (Native) » qui vise la 12 Convention OIT n°169 Article 1.1.b. 13 MARTINEZ COBO José, Étude du problème de la discrimination à l'encontre des populations autochtones : E/CN.4/Sub.2/1986/7/Adds.4 14 naissance d'un individu ou son origine, « premières nations », « peuples premiers », ou encore « populations indigènes ». Certains préfèrent employer l'expression de « minorités ethniques » ce qui ne convient pas aux peuples autochtones 14. Les Nations Unies n'ont toujours pas donné de définition précise de la notion de « peuples autochtones », ceux ci revendiquant le droit de définir eux mêmes le contenu de cette notion. Cette imprécision suscite parfois des tensions aux seins des États abritant des communautés pouvant être considérées comme autochtones. Le problème peut se poser également lors de l'identification de ces peuples en cas de litige avec un État. On constate que la définition du peuple est une opération très délicate puisqu'elle consacre le droit à l'Autodétermination et peut ainsi affecter l'unité nationale et l'intégrité territoriale de l'État. Afin de pallier ce manque de définition juridique conventionnelle, l'Assemblée générale de l'ONU doit pouvoir identifier les peuples se revendiquant comme autochtones. Ceux ci s'opposent néanmoins à toute prétention étatique de les définir sans leur consentement. C'est pour cette raison que la doctrine retient les critères développés par le rapporteur spécial Martinez Cobo, qui permettent une caractérisation large de la notion d'autochtonie, basée en grande partie sur l'auto-identification, et la conscience d'appartenir à un groupe. Les peuples autochtones peuvent être définis comme étant les descendants des peuples qui occupaient et contrôlaient souverainement des territoires au moment de la colonisation de celui ci. Nous allons donc nous intéresser au contexte historique qui a permis l'essor de la notion d'autochtonie. b) Le contexte historique de l'essor du mouvement autochtone À partir du XVIe siècle, lors de l'expansion européenne, c'est le colonialisme moderne qui va être responsable du déplacement forcé de communautés autochtones, allant même jusqu'à des massacres ethniques ou des assimilations forcées au sein de la société colonisatrice. Selon certains auteurs, les autochtones sont nés de cette conquête : « l'afflux de colons, l'exploitation des richesses naturelles, 14 Il faut en effet distinguer les droits des minorités, qui oscillent entre droits collectifs et droits individuels, ne donnant pas accès au droit à l'autodétermination ; des droits des Peuples autochtones, qui sont des droits collectifs, donnant accès au droit à l'autodétermination. En droit international, une minorité est un groupement de personnes liées entre elles par des affinités religieuses, linguistiques, ethniques, politiques, englobées dans une population plus importante d'un État, de langue, d'ethnie, de religion, de politique différentes. 15 l'asservissement accessoire les ont transformés en cette catégorie résiduelle » 15. Les sociétés autochtones ont souvent des valeurs qui sont très différentes de celle de l'Occident, et le coeur de leur identité reste, dans le monde entier, un sens profond d'appartenance à la « terre-mère ». Pour ces communautés, la terre est un bien collectif, dont l'humanité n'aura jamais que l'usufruit ; ce qui correspond peu à la notion occidentale de la propriété. Les peuples autochtones parlent en effet de droit collectif et inaliénable à la terre. Elle ne représente pas pour eux une marchandise qui peut être achetée ou vendue, mais bien une responsabilité collective de la communauté qui doit la transmettre aux générations futures. La situation des peuples autochtones est le résultat d'un processus historique d'usurpation et d'extinction de leur souveraineté par le colonialisme. Les peuples autochtones ont ainsi été victimes de la colonisation, privés de leur capacité à disposer d'eux-mêmes, de leur qualité de peuple indépendant 16. Pour tous ces peuples, un développement viable dans un environnement sain et en paix constitue une priorité. Les peuples autochtones furent en effet décimés par les politiques des États et constituent aujourd'hui un des groupes sociaux les plus défavorisés. Cette pauvreté généralisée trouve ses sources dans l'histoire de la colonisation ainsi que dans la discrimination persistante et systématique et dans la non-reconnaissance des droits individuels et collectifs des peuples autochtones. Ceux-ci ont ainsi été dépossédés des terres de leurs ancêtres, ont perdu leurs connaissances ancestrales et le contrôle de leurs ressources naturelles, et ont été forcés de s'assimiler dans la culture dominante et de s'intégrer dans l'économie de marché. Les membres des peuples autochtones représentent une part disproportionnée des populations les plus pauvres, aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement. Mais les peuples autochtones dans l'Histoire ne sont pas que de passives victimes, et ont maintes fois lutté contre le colonialisme par le biais de la négociation, l'opposition politique, ou encore la lutte armée. En Australie par exemple, lorsque les envahisseurs se sont emparés des territoires autochtones, démembrant ainsi leurs systèmes juridiques et politiques, ils se sont heurtés à une très vive résistance. Les Aborigènes se sont engagés dans une longue guerre de guérilla, attaquant les routes d'approvisionnement et les propriétés. D'un autre coté, en Amérique du Nord, les nations amérindiennes ont tenu tête au colonialisme pendant plus de trois siècles. L'acte de résistance le 15 ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane, POUMARÈDE Jacques « Droit des minorités et des peuples autochtones », PUF, 1996, pp. 348 16 BERTIN Marie-Claire « Le statut des peuples autochtones en droit international » / Atelier National de Reproduction des Thèses / 2008 16 plus connu est celui du peuple Sioux, qui en 1876, avait fait subir aux soldats américains l'humiliante défaite de Little Big Horn River. Des actes de résistance ont également eu lieu en Inde, sous l'Empire britannique, qui s'était trouvé confronté à plusieurs rébellions des Santal, des Munda et d'autres peuples tribaux ; ou encore en Amérique latine, où les peuples de langue quecha se sont soulevés contre les colons espagnols en 1770 et en 1780. Aujourd'hui, il semble que le colonialisme apparaisse sous un nouveau visage : celui de la mondialisation que les peuples autochtones partout dans le monde doivent affronter. Elle commence par l'intervention des gouvernements qui proclament leur souveraineté sur des ressources auxquelles les peuples autochtones n'ont jamais renoncé, et qu'ils protègent depuis des siècles. Cette mondialisation les a contraint à devenir des acteurs au plan international, et à établir des liens entre eux en vue de former une union symbolique. La mondialisation est en effet le recouvrement progressif du monde par le modèle économique libéral. Considéré comme valeur universelle, le processus démocratique à l'occidentale ne convenait cependant pas à tous les États. Au total, l'emprise des pays riches sur les pays pauvres se révèle bien plus lourde que du temps de la colonisation. Face à ce « nouveau visage du colonialisme » 17, les peuples autochtones se sont rassemblés pour dénoncer les politiques des gouvernements aux Nations Unies. Avec l'essor de la mondialisation, c'est toute la diversité culturelle des peuples qui est remise en question. En effet comment préserver l'identité culturelle de chacun au sein d'un État-nation ? D'autant qu'aujourd'hui la demande de reconnaissance de la part de minorités telles que les populations autochtones est grandissante. Les populations autochtones sont en effet souvent sous domination culturelle, économique, sociale, politique d'un ou de plusieurs autres peuples, et ne représentent alors qu'une minorité au sein d'États qui ne les reconnaissent pas en tant que peuples distincts. Depuis quelques années, les peuples autochtones se mobilisent pour retrouver une place en droit International. Une grande partie de cette mobilisation s'effectue sur la scène internationale, et particulièrement à l'ONU. Les rapports des peuples autochtones avec les organes des Nations Unies sont très particuliers. En effet, au regard du droit International, les peuples autochtones vivent sur le territoire d'États indépendants et souverains, et ne situent donc pas dans une situation coloniale, bien que se revendiquant comme des peuples colonisés, titulaires du droit à disposer d'eux-mêmes. Leurs 17 BURGER Julian « Premières Nations : Un Avenir pour les Peuples Autochtones » Grands Témoins « Image » Anako Éditions, 2000, p.8 17 situations sont en outre très diverses, mais tous militent pour obtenir la reconnaissance de leur identité spécifique en qualité de peuples autochtones pour retrouver une autonomie et le contrôle de leurs territoires. Les peuples autochtones vont donc utiliser la scène onusienne pour dénoncer les effets du colonialisme et réclamer la restitution de ce dont ils ont été privés. Revendiquant un statut de peuple en droit International, ils ne souhaitent cependant pas, en général, se séparer de l'État sur le territoire duquel ils vivent, mais veulent jouir d'une réelle autonomie au sein de celui ci. Afin de retrouver leur capacité à disposer d'eux-mêmes et de leurs territoires, de jouir de tous leurs droits collectifs, ces peuples demandent à ce que le droit à l'autodétermination leur soit reconnu. À l'échelle internationale, le mouvement autochtone est renforcé par la coordination des actions locales. En développant des liens et des programmes communs entre groupes autochtones, la recherche d'un soutien international va s'effectuer au sein de l'Organisation des Nations Unies, qui représente une nouvelle instance internationale permettant le dialogue entre peuples autochtones et gouvernements. Les représentants autochtones disposent en effet d'un temps de parole limité à la Commission des Droits de l'Homme qui se réunit deux fois par an à Genève. Des organisations non gouvernementales, comme Amnesty International, ont également participé au débat pour parvenir à l'adoption de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Le mouvement actuel fait donc partie de ce processus de lutte pour leur survie en tant que peuples. Aujourd'hui, les peuples autochtones utilisent des techniques politiques modernes pour conjuguer leurs forces et obtenir des soutiens à l'échelle mondiale. Ainsi il existe plusieurs milliers d'organisations autochtones dans le monde, dont la plupart ont été fondées au cours des vingt dernières années. La décolonisation a été le moteur politique de ce mouvement : en effet, avec le retrait des puissances européennes, les relations internationales ont été transformées, et les nouvelles législations internationales ont permis d'améliorer la condition des peuples autochtones, leur fournissant un cadre légal et moral. Les peuples autochtones sont donc parvenus à quitter la sphère strictement interne dans laquelle ils étaient maintenus depuis bien longtemps, et peuvent désormais dénoncer leur situation de peuples dominés, situation reconnue par la Déclaration des Nations Unies sur le droit des peuples autochtones adoptée le 13 septembre 2007 par l'Assemblée générale de l'ONU après une vingtaine d'années de préparation. 18 En remplissant les conditions posées par l'Assemblée générale des Nations Unies, les peuples autochtones peuvent être juridiquement qualifiés de peuples au sens international du terme. Puisque chaque peuple est libre de déterminer la forme de son régime politique, il devrait en être de même pour les communautés autochtones qualifiées en tant que peuple. Pourtant, à part quelques exceptions, les peuples autochtones ne peuvent pas exercer le droit à l'Autodétermination tel qu'il a été strictement développé par l'Assemblée générale. En effet, ce droit assimilé à la décolonisation est associé à une issue unique : l'indépendance. La lutte pour l'autodétermination des peuples autochtones s'apparente à une lutte pour la liberté, ceux ci ne demandant rien de plus que le droit de déterminer leur propre développement et leur avenir. Analysons donc les fondements de ce droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. 2 - Fondements et exercice du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est le principe selon lequel « chaque peuple dispose d'un choix libre et souverain de déterminer la forme de son régime politique ». Cela suppose que tout peuple lorsqu'il est victime d'un oppresseur à le droit de se défendre. Il est défini dans l'article premier du Pacte sur les droits civils et politiques du 16 décembre 1966 : « tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel. » Initialement appelée droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, l'autodétermination est le principe issu du droit international selon lequel chaque peuple dispose d'un choix libre et souverain de déterminer la forme de son régime politique, indépendamment de toute influence étrangère. Le principe établit qu'un peuple doit avoir le droit de déterminer sa propre forme de gouvernement, indépendamment de toute influence étrangère. Il semble donc aller à l'encontre du concept d'intégrité territoriale de l'État. Il s'agit d'un droit collectif qui ne peut être mis en oeuvre qu'au niveau d'un peuple Mais le conflit tient généralement à la définition du mot peuple, et à la définition des peuples eux-mêmes : si les États défendant l'intégrité de leur territoire considèrent généralement l'ensemble de leurs citoyens comme un peuple unique, certaines minorités nationales se considèrent comme des peuples à part entière et revendiquent leur droit à l'autodétermination. 19 Du XVIIIe au XIXe siècle, le concept de peuple a beaucoup évolué, finissant par s'imposer sur la scène internationale à la faveur des deux guerres mondiales. Le premier instrument international a avoir confié au peuple le rôle d'acteur de sa propre histoire est la Déclaration d'Indépendance des États Unis d'Amérique du 4 juillet 1776. Puis vinrent les différentes Conventions françaises qui ont suivi la Révolution. Il faudra attendre le milieu du XIXe pour voir émerger « le printemps des peuples », avec la Révolution de 1848 qui suscitera une explosion des nationalités en Europe. Le concept du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes connut une première formulation politique par le président des États-Unis Woodrow Wilson dans ses quatorze points, à la fin de la Première Guerre mondiale. Plusieurs points de son célèbre discours furent d'ailleurs partiellement utilisés pour la rédaction du traité de Versailles de 1919. Avec la Première guerre mondiale, le concept d'autodétermination fut remis à jour, et les premiers à s'en emparer sont les Russes lors de la Révolution de 1917, qui mena à l'adoption d'une Déclaration des peuples de Russie, qui proclame le droit des peuples à disposer librement d'eux mêmes, y compris celui se se séparer et de se constituer en un État indépendant. C'est en vertu de ce principe que bon nombre de pays Européens obtiennent leur indépendance, bien que le droit des peuples à disposer d'eux mêmes ne se trouve pas inscrit dans le Pacte de la SDN. Après la Seconde Guerre Mondiale, c'est le phénomène de décolonisation qui va porter ce principe de libre détermination des peuples. L'évolution des idées de liberté et d'égalité dans le cadre interne s'est répercutée sur le plan des relations internationales, passant ainsi à une revendication de l'égalité et la liberté « réelles ». Le principe de libre disposition se devait donc de régir les situations comportant un élément étranger : le colonisateur. Dès le 14 août 1941, la Charte de l'Atlantique affirmant le droit de tous les peuples de choisir la forme de gouvernement sous laquelle ils veulent vivre » énonçait un Code universel des droits des nations. Ainsi, cette Charte « entreprend de jeter les fondements d'une nouvelle politique internationale » 18. En octobre 1944 va se dérouler la Conférence de Dumbarton Oaks à Washington. Cette conférence, à laquelle participent les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Union soviétique et la République de Chine, a jeté les bases de l'Organisation des Nations unies. Il s'agissait de promouvoir les Nations Unies en s'inspirant de la Société des Nations, mais cette fois avec une 18 La Conquête mondiale des droits de l'homme, Le cherche midi et Unesco, 1998 20 implication particulière des États-Unis. On y retient le principe de certaines institutions : l'Assemblée générale, le Conseil de sécurité, le Secrétariat et la Cour de justice internationale de La Haye. C'est l'ONU, avec la Charte des Nations Unies, qui va recevoir pour mission de « développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux mêmes » (Art.1) Le droit à l'autodétermination va donc être valorisé, devenant selon la formule de Philippe Moreau-Defarges le « pivot » des droits collectifs. Par la suite, l'ONU va considérer que de ce droit découle le droit de fixer librement son statut politique. Il est donc possible de faire une distinction théorique entre « l'autodétermination « externe », qui signifie l'acte par lequel un peuple détermine son futur statut au niveau international et se libère lui-même du joug de « l'étranger », et de l'autre, l'autodétermination « interne », qui a trait essentiellement au choix du système politique et administratif, et à la nature profonde du régime choisi » Aujourd'hui encore, le droit International se refuse à reconnaître l'existence d'un droit à l'autodétermination externe en dehors du cadre de la décolonisation et l'avis de la Cour internationale de Justice sur la Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d'indépendance du Kosovo n'y a rien changé. Rappelant le principe de souveraineté des États et d'intégrité territoriale, la Cour a voulu éviter de répondre à la question de l'élargissement du champ d'application du droit à l'Autodétermination. Certains représentants des peuples autochtones soutiennent alors que les populations autochtones ont été colonisées, ce qui justifierait leur revendication à l'autodétermination externe. L'autodétermination externe peut s'exercer dans trois situations : une domination coloniale, un régime de domination ou un apartheid, et une domination étrangère. Son exercice peut par ailleurs se traduire par la création d'un État souverain et indépendant, par une libre association ou une intégration avec un État indépendant, ou par l'acquisition de tout autre statut politique librement décidé par le peuple en question. D'un autre coté, l'autodétermination interne concerne la libre détermination, par chaque peuple, de son statut et de son régime politiques. L'autodétermination comporte aussi un certain nombre de droits économiques, des droits en matière culturelle, et enfin des droits sociaux. 21 Le caractère ambigu du principe d'autodétermination découle de la nature de ses bénéficiaires, et du fait qu'il a souvent été associé aux mouvements de libération nationale. Enfin, ce principe a souvent été décrit comme dangereux pour la stabilité internationale, parce qu'il est susceptible de remettre en cause l'ordre existant, mais aussi parce qu'il engendre troubles et incertitudes. C'est donc une conception restrictive de l'autodétermination qui l'a progressivement emporté sur la scène internationale, et ce depuis la Seconde Guerre mondiale. Cela a ainsi contribuer à renforcer les États existants plutôt qu'à permettre une réelle expression du « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ». Confrontées à des politiques gouvernementales néfastes, l'autodétermination prend souvent sa source au niveau local. Les peuples autochtones ont donc ranimé la pratique de leurs langues, offerts aux enfants des conditions d'éducation traditionnelles, transmettant ainsi leur culture aux plus jeunes. Ils ont également mis en avant leur patrimoine culturel très important, comme l'ont fait par exemple les communautés autochtones d'Australie avec le développement de l'art Aborigène. En outre, les communications entre les groupes autochtones se sont fortement développées, aidant ainsi à promouvoir le débat sur les questions vitales et la préservation de l'identité culturelle. Cette question pose beaucoup de problèmes au sein d'un État-nation, dont le fondement est la souveraineté. En effet, ces peuples demandent un partage de la souveraineté, impliquant que les notions de citoyenneté et d'identité nationale soient remises en cause. C'est cette problématique autochtone au sein du continent Australien que nous allons soulever au cours de notre travail. La question de la définition des peuples autochtones et de la reconnaissance de leur droit l'autodétermination se pose en particulier pour l'Australie, puisque ce pays était à l'origine peuplé par des communautés que l'on peut caractériser comme autochtones. 3 - L'Australie et ses peuples autochtones Les peuples autochtones entretiennent une relation longue et complexe avec le territoire australien. Certaines estimations affirment que cette relation dure depuis au moins 40000 ans. Au moment de la colonisation de l'Australie en 1788, les Aborigènes représentaient un ensemble d'à peu près 1,5 millions d'individus, répartis en plus de cinq cents groupes linguistiques et vivants dans toutes les régions de l'Australie. 22 Le gouvernement australien a par le passé modifié plusieurs fois sa politique à l'égard des peuples autochtones allant de l'extinction à l'assimilation, à la reconnaissance de l'autodétermination, à l'autonomie gouvernementale, à la prise en charge 19. Actuellement la situation des autochtones n'a cependant guère évoluée, et les statistiques démontrent qu'ils sont toujours les victimes d'une certaine marginalisation. Au moment de l'arrivée des premiers européens, les aborigènes étaient environ 400 000 sur le continent, se répartissant en plus de 500 tribus ayant chacune sa propre langue et son propre système de parenté 20. Vivant essentiellement de chasse, pêche et cueillette, leur organisation sociale était fondée sur le respect de l'intérêt commun et de la propriété collective. En outre, selon leur conception, c'est l'individu qui appartient à la terre et non l'inverse. Les sociétés aborigènes diffèrent beaucoup selon les régions et leur environnement. Mais certains principes leur sont communs, notamment le concept de Dreaming, désignant le Temps du Rêve, conception aborigène de l'ordre physique et spirituel qui régit l'univers et qui unit, de manière dynamique, passé, présent et futur 21. Un deuxième groupe d'indigènes, les Insulaires du Détroit de Torres, est proche des peuples aborigènes, tout en possédant sa propre Histoire et sa propre culture. Ce groupe peuplait, à l'origine, des îles du Détroit de Torres, séparant l'extrémité Nord de l'Australie (plus précisément du Queensland) de la côte Sud de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Dès le début de la colonisation, un racisme fort s'exerçait à l'égard des aborigènes. Tout au long du XIXe siècle, ils furent considérés comme un obstacle à l'expansion britannique, et donc furent violemment chassés de leurs terres. Pourtant, dès 1788, le gouverneur Arthur Phillip avait émis la volonté de protéger ces autochtones contre les violences des colons. À la fin du XIXe siècle, après avoir chassé les Aborigènes des terres les plus fertiles, le gouvernement commença à créer des réserves où l'on parqua les survivants, limitant de ce fait les possibilités d'éducation et les offres d'emploi. C'est pour remédier à cela que fut créée la Ligue pour 19 Séminaire Droit à l'autodétermination des peuples autochtones (New York, le 18 mai 2002 ; National Library of Canada, second quarter 2002. ISBN: 2-922084-67-1.) Synthèse, p. 60 20 Il est probable qu'à l'origine, l'indigène australien était un Caucasien qui aurait immigré d'Europe en Asie lorsque la plaque indo australienne était toujours rattachée à la plaque eurasienne. 21 Le Dreaming renvoie aux origines mythiques ou des êtres prodigieux façonnèrent la surface du continent australien alors totalement plat. Ces êtres du Rêve - animaux, plantes ou phénomènes naturels - créèrent pour l'éternité parallèle à celle des hommes, et interviennent auprès des vivants dans leurs rêves Le Temps du Rêve relève aussi d'une dynamique spatiale inscrite dans les chemins qui relient les sites sacrés entre eux, héritage des voyages ancestraux, que les hommes continuent à parcourir et dont ils sont les gardiens. Chaque Aborigène est attaché à un ou plusieurs Rêves, liés à un lieu spécifique ou à un itinéraire sur le territoire. 23 la promotion des Aborigènes (Aborigines Advancement League ; AAL). En 1938, à l'occasion du 150e anniversaire de la First Fleet, l'AAL organisa une démonstration appelée « jour du deuil » (Day of Mourning) et lança un appel pour les droits civiques des Aborigènes. C'est alors que les législateurs lancèrent le programme d'« assimilation » qui devait achever la destruction des populations indigènes. Selon les directives officielles, les Aborigènes de sang pur devaient être confinés dans des réserves, et privés de la plupart des droits civiques. Dans les années 1940, face aux difficiles conditions de vie dans les réserves, fut créé un système de laissez-passer pour les travailleurs indigènes. En 1949, le droit de vote aux élections fédérales fut accordé aux indigènes qui avaient servi dans les forces armées ou étaient inscrits sur les listes pour voter dans les élections d'état. En 1962, le Premier ministre Robert Menzies octroya aux Aborigènes le droit de s'inscrire et de voter aux élections fédérales, par le Commonwealth Electoral Act. C'est en 1967, sous le mandat du premier ministre Harold Holt, qu'eut lieu un important référendum en vue d'inclure les Aborigènes dans le recensement national. Il obtint l'appui de plus de 90% des électeurs. Vint ensuite l'arrivée d'un nouveau gouvernement, avec à sa tête Gough Whitlam. Celui ci va appliquer une nouvelle politique : celle du multiculturalisme, qui sera par la suite consolidée par les différents gouvernements. Cependant, cette politique n'accordera pas une place suffisante aux premiers habitants de l'Australie. Les autorités australiennes décidèrent donc, à partir de 1972, de préconiser une nouvelle approche, promettant à ces populations un degré important d'autonomie. Dès lors, l'autodétermination devenait en effet la politique officielle du Commonwealth d'Australie. Le gouvernement australien proclamait d'ailleurs que « l'autogestion et l'autosuffisance sont les concepts de base de la politique australienne contemporaine concernant sa population autochtone » 22. Entre les années 1970 et 1980, les différents gouvernements successifs entreprirent la création d'une floraison d'organisations aborigènes chargées de la mise en place de la politique d'autodétermination. Le rôle des gouvernements consistait surtout à valoriser la différence culturelle et la spécificité historique des autochtones, tout en entérinant le principe d'auto-identification, si fondamental au principe d'autodétermination. La reconnaissance des cultures autochtones fut donc un moteur et un enjeu des droits fonciers, de la création du Secteur autochtone, que nous verrons plus en détail au cours de ce travail, et de la mise en place de programmes ou services spécifiques. 22 Ibid ; p. 152 24 En 1983, le Parti travailliste s'installa au pouvoir avec comme Premier Ministre Robert Hawke qui restera en fonction jusqu'en 1991. C'est durant cette période qu'émergea l'idée de réconciliation entre Aborigènes et non-Aborigènes. Il s'agissait de réconcilier tout un pays avec son histoire, son pluralisme et ses valeurs. Cette réconciliation pouvait se révéler être un moyen d'accompagner les Aborigènes sur la voie de l'autodétermination au sein de l'État, ou au contraire un moyen d'intégrer les Aborigènes en favorisant leur assimilation structurelle. En 1992, la propriété foncière ancestrale des Aborigènes est reconnue avec le jugement Mabo, et la fiction juridique de terra nullius est finalement rejetée par la Haute Cour. Dès lors, la législation fédérale et les lois des Territoires ont dû être révisées en tenant compte de ce nouveau « droit ancestral ». Il faudra attendre décembre 1993, pour que le Parlement Fédéral vote le «Native Title Act» (Loi sur les titres Autochtones) afin de définir le principe des droits fonciers des premiers habitants. Cette loi établit que les titres de propriété ou de location rendent caducs les droits aborigènes, limitant ainsi l'application de leurs droits fonciers aux terres dépourvues de propriétaire ou de locataire. C'est en février 2008 qu'a eu lieu la reconnaissance symbolique lorsque le nouveau Premier ministre Kevin Rudd s'est excusé devant le Parlement au nom du peuple australien pour les crimes commis par le passé envers les Aborigènes : « We apologise for the laws and policies of successive parliaments and governments that have inflicted profound grief, suffering and loss on these our fellow Australians. We apologise especially for the removal of Aboriginal and Torres Strait Islander children from their families, their communities and their country » 23 Aujourd'hui les Aborigènes sont près de 257 000 individus dont 28 000 insulaires du Détroit de Torres et un tiers de métis ; et représentent 1,5 % de la population totale. Un tiers d'entre eux vivent en zone rurale, et moins d'un quart en zone urbaine. Le reste, soit la majorité, vit dans l'arrière-pays semi-aride de l'Outback, selon leurs coutumes et usages traditionnels. En militant et faisant valoir leurs droits, ils tentent de construire au sein du continent australien une nation aborigène qu'ils s'efforcent de faire reconnaître sur le plan international. 23 Prime Minister Kevin Rudd, MP - Apology to Australia's Indigenous peoples ; Wednesday, February 13, 2008 25 L'objet de ce mémoire va donc être d'analyser la situation juridique des peuples autochtones, ainsi que leur capacité à disposer d'eux mêmes, en se concentrant particulièrement sur l'interaction entre le droit International et le droit interne australien. Il s'agit de se demander comment, et dans quelle mesure les peuples autochtones, et particulièrement les aborigènes australiens, peuvent-ils bénéficier du droit à disposer d'eux-mêmes. L'intérêt de ce travail est donc d'analyser la situation juridique des peuples autochtones qui découle de leur capacité à disposer d'eux mêmes. Il s'agit de s'intéresser à la naissance d'une mobilisation autochtone sur les scènes nationales, puis à l'émergence de ce mouvement à l'échelle internationale ; avant de voir de quelle manière les peuples autochtones exercent ils leur droit à l'autodétermination. Ce choix régional s'explique par le fait que les peuples autochtones de ce continent présentent toutes les caractéristiques pour être qualifiés de peuples autochtones : dépouillés de leurs attributs en tant que peuple souverain, dépossédés de leurs territoires, ils ont ensuite été exclus de la société dominante et marginalisés au sein du pays qu'ils occupaient de manière traditionnelle. À l'image de la mobilisation autochtone, les revendications des aborigènes Australiens pour l'exercice de leur droit à l'autodétermination ont émergé depuis les années 1960, allant de la reconnaissance de l'autodétermination à celle d'une autonomie gouvernementale. Nous nous intéresserons tout particulièrement à la situation des communautés Aborigènes présentes sur le Territoire du Nord, ainsi que dans le Détroit de Torres. Au nom de la souveraineté des États, chacun est libre de définir selon sa propre conception la notion de peuples autochtones. Néanmoins, depuis une trentaine d'années, la question autochtone tend à émerger sur la scène internationale, avec pour but de créer un régime international effectif capable de régir les peuples autochtones dans toute leur diversité. La première partie de ce travail est donc consacrée à l'analyse de l'évolution du droit des peuples autochtones sur la scène internationale, et à l'émergence d'un droit pour ces peuples à disposer d'eux-mêmes. Il s'agit donc d'analyser le passage d'une conception interne de l'autochtonie à une conception internationale. Dans un second temps, nous allons traiter de l'exercice du droit à disposer d'eux-mêmes par les peuples autochtones. Après avoir vécu durant des années dans une situation coloniale, les peuples autochtones ont demandé réparation de cette situation, en se mobilisant sur les plans nationaux et 26 internationaux afin d'être reconnus en qualité de peuples en droit International, et ainsi retrouver leur capacité à disposer d'eux-mêmes. 27 I - Évolution du droit des peuples autochtones : De l'internalisation à l'internationalisation Après avoir été « oubliés » par la communauté internationale pendant des années, les peuples autochtones se mobilisent pour obtenir la reconnaissance et le respect de leurs droits collectifs aussi bien sur les plans nationaux que sur le plan international. En effet, au regard du droit international, les peuples autochtones ne bénéficient d'aucun statut collectif, et seuls les individus sont pris en considération, dans le cadre de la protection des Droits de l'Homme. Le droit relatif aux peuples autochtones est un droit emprunté au droit général des droits de l'homme d'abord, comme le sont beaucoup de droits individuels et même collectifs. Pour les peuples autochtones, le recours aux Droits de l'Homme est inapproprié car ce ne sont que des normes individuelles de protection qui ne permettent pas de défendre des droits collectifs. Ils ne sont donc pas suffisants pour répondre à toutes leurs revendications en vue de sauvegarder leur identité collective. Le statut et les attributs des peuples autochtones ont été continuellement manipulés, instrumentalisés pour servir les intérêts des États colonisateurs. Ainsi, pendant la deuxième moitié du XIXe siècle et la première moitié du XXe, les peuples autochtones sont sous la souveraineté d'un État et sont absents de la scène internationale. Il y a donc eu pendant cette période une négation systématique et soutenue de la réalité autochtone manifestée par les tentatives d'anéantissement des cultures et institutions. Cette méconnaissance de l'Histoire est responsable des préjugés et des préconstruits entretenus à l'égard des peuples autochtones. C'est avec le mouvement de décolonisation que bon nombre d'entre eux vont retrouver leurs territoire, leur indépendance, et leur capacité à disposer d'eux-mêmes. Cependant, certains vivent toujours dans des situations de colonisation sur le territoire d'États indépendants. D'où l'intérêt pour ces communautés de porter leur cause à l'échelle internationale pour faire entendre leur droit à un identité propre impliquant le respect de leurs droits économiques, sociaux et culturels. Dans les années 1960, ces peuples vont réapparaître sur la scène internationale en revendiquant la reconnaissance de leur qualité de peuples, et de leur droit à l'Autodétermination. Nous allons donc nous intéresser dans un premier temps à l'origine même de la notion d'autochtonie (A), avant de traiter de l'émergence d'un droit international applicable aux peuples 28 autochtones (B). Nous illustrerons notre propos par un exemple concret en abordant le traitement des autochtones sur le territoire australien (C). A) L'origine de la notion d'autochtonie Il n'existe aucune définition, en droit international, des peuples autochtones, ce qui peut s'expliquer par l'importance du critère d'auto-identification du caractère autochtone. En outre, ils s'opposent à toute prétention étatique de les définir sans leur consentement ou participation. Pourtant ces peuples ont besoin d'un statut juridique international pour retrouver ce dont ils ont été privés. Selon sa conception originelle, la notion de peuple autochtone était assimilée à la notion de peuple colonisé. En effet, les autochtones étaient nommés ainsi parce qu'ils étaient dans le pays avant que celui-ci n'ait été colonisé ou conquis par les ancêtres des groupes détenant actuellement le pouvoir. Cette conception est d'ailleurs celle retenue par les Conventions de l'OIT. Il convient donc de traiter des différentes tentatives de définition de la notion de « peuple autochtone », en abordant dans un premier temps les définitions conventionnelles (i.), puis les définitions doctrinales (ii.). Nous terminerons notre réflexion en traitant du statut atypique des peuples autochtones en droit international (iii.). i. Les définitions conventionnelles de l'autochtonie Une certaine organisation a beaucoup oeuvré pour poser une définition internationale de l'autochtonie : l'Organisation internationale du Travail. Celle-ci, ainsi que le Bureau international du Travail portent depuis longtemps une attention particulière aux peuples autochtones. Son mandat consistant à protéger les droits des individus dans le cadre du travail et à assurer la justice sociale, elle va donc par le biais de Conventions intervenir sur la question de la protection des peuples autochtones, mais en tant qu'individus et non en tant que collectivité. Dès 1921, le Bureau international du Travail effectue des études sur les travailleurs autochtones dans les pays indépendants, et en 1926 est créé un Comité d'experts du travail des autochtones qui sera à l'origine de bon nombre de Conventions relatives aux autochtones. Ainsi sera définie dans la 29 Convention 50 sur le recrutement des travailleurs autochtones de 1936, la notion de travailleur indigène : « travailleurs appartenant, ou assimilés, à la population indigène des territoires dépendants des membres de l'organisation, ainsi que les travailleurs appartenant, ou assimilés, à la population indigène non indépendante des territoires métropolitains des membres de l'organisation ». En 1953, le BIT publie une étude sur les conditions de vie des autochtones : Les populations aborigènes . conditions de vie et de travail des populations autochtones des pays indépendants, qui est le premier document de référence sur le plan mondial. Il y complète sa définition, en précisant que les aborigènes « ont tendance à mener une vie plus conforme aux institutions sociales, économiques et culturelles antérieures à la colonisation ou à la conquête qu'à la civilisation de la nation à laquelle ils appartiennent » 24. C'est ce qu'il faut entendre par les termes « structures tribales » qui seront utilisés dans des définitions ultérieures. Mais c'est par deux textes majeurs que l'OIT va réellement jouer un rôle important pour les peuples autochtones : les Conventions 107 (1.) et 169 (2.), que nous allons aborder séparément. Ces deux Conventions opèrent un passage de l'assimilation au pluralisme 25. 1) La Convention 107 : l'Assimilation En 1957, la Conférence internationale du Travail adopte le texte de la Convention 107 sur la protection et l'intégration des populations indigènes et autres populations tribales et semi-tribales dans les pays indépendants, qui sera ratifiée par 27 pays. Basée sur le préjugé évolutionniste selon lequel les autochtones seraient « en retard » par rapport aux sociétés dominantes, cette Convention est d'inspiration assimilationniste. Elle parle de populations et non de peuples, et ne fait aucune allusion à une éventuelle autonomie. Son objectif est donc de protéger les peuples autochtones afin qu'à terme, ils s'intègrent aux populations dominantes des États. L'OIT distingue entre peuples tribaux et peuples autochtones, mais leur assure la même protection, comme elle le précise dans l'article 1er de la Convention 107 : « 1. La présente convention s'applique: a) aux membres des populations tribales ou semi-tribales dans les pays indépendants, dont les conditions sociales et économiques correspondent à un stade moins avancé que le stade 24 BIT, 1953, pp. 27-28 25 Voir ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane, POUMARÈDE Jacques « Droit des minorités et des peuples autochtones », PUF, 1996, p. 406 30 atteint par les autres secteurs de la communauté nationale et qui sont régies totalement ou partiellement par des coutumes ou des traditions qui leur sont propres ou par une législation spéciale; b) aux membres des populations tribales ou semi-tribales dans les pays indépendants, qui sont considérées comme aborigènes du fait qu'elles descendent des populations qui habitaient le pays, ou une région géographique à laquelle appartient le pays, à l'époque de la conquête ou de la colonisation et qui, quel que soit leur statut juridique, mènent une vie plus conforme aux institutions sociales, économiques et culturelles de cette époque qu'aux institutions propres à la nation à laquelle elles appartiennent.
La distinction est ici opérée entre populations indigènes qui ont été conquises ou colonisées par une puissance coloniale européenne, et populations tribales qui ne l'ont pas été. Les populations indigènes sont caractérisées par leur antériorité sur le territoire : ce sont des populations tribales qui « descendent des populations qui habitaient le pays (...) à l'époque de la conquête ou de la colonisation ». La qualification de tribal résulte donc de leur évolution jugée « moins avancée ». Du fait de son inspiration assimilationniste, cette Convention va être fortement critiquée tant par les peuples autochtones que par d'autres, tels que les anthropologistes ou les scientifiques. Selon eux, le modèle intégrationniste n'empêche pas la dégradation du statut des autochtones et ne correspond plus à leur situation. L'OIT va donc convoquer un Comité d'experts chargé de se prononcer sur une éventuelle révision de la Convention. Réuni en 86, le Comité opte pour une révision afin d'adopter des politiques pluralistes. Le processus de révision implique les peuples autochtones au cours de ses différentes phases, mais leur participation reste limitée : ils ne participent pas à la rédaction de la nouvelle Convention. 31 2) La Convention 169 : le pluralisme conditionnel La Convention 169 concernant les peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants, adoptée en 1989 et entrée en vigueur en septembre 1991, vient réviser et fermer toute ratification à la Convention 107. Le préambule de ce texte expose l'évolution du paradigme de la question autochtone. Alors que le texte de 1957 reposait sur l'assimilation et préconisait l'intégration et l'égalité de droits pour les citoyen autochtones, celui de 1989 préconise le maintien et le développement des peuples autochtones en tant que collectivités distinctes de l'État sur le territoire duquel ils vivent. Basée sur la croyance selon laquelle les peuples indigènes constitueraient des sociétés permanentes, elle se réfère aux « peuples indigènes et tribaux », et s'engage à reconnaître et à respecter leur diversité ethnique et culturelle. Elle va donc poser une nouvelle définition de l'autochtonie. La Convention insiste également sur le fait que les autochtones doivent participer aux décisions les concernant élaborées par les États. Constituant une avancée dans la protection de leurs droits, elle contient des normes a minima qui peuvent améliorer le sort des peuples autochtones. Bien qu'elle ne traite pas de leur autodétermination, cette Convention va permettre aux peuples autochtones de devenir de véritables sujets de droit, avec une capacité de production normative importante. À l'inverse de la première, la Convention n°169 dissocie peuples autochtones et Peuples tribaux en deux catégories distinctes. Voyons son article 1 : « 1. La présente convention s'applique:
2. Le sentiment d'appartenance indigène ou tribale doit être considéré comme un critère 32 fondamental pour déterminer les groupes auxquels s'appliquent les dispositions de la présente convention. 3. L'emploi du terme peuples dans la présente convention ne peut en aucune manière être interprété comme ayant des implications de quelque nature que ce soit quant aux droits qui peuvent s'attacher à ce terme en vertu du droit international. » La Convention abandonne donc le critère du « stade moins avancé », et les peuples tribaux se distinguent désormais par leurs conditions de vie et leurs coutumes et traditions propres. Elle précise en outre, que les peuples autochtones peuvent être les descendants de ceux qui occupaient le territoire à l'époque de « l'établissement des frontières actuelles de l'État ». Cette distinction peuples autochtones et peuples tribaux est le résultat de pressions exercées par certains États nouvellement indépendants (Inde, Indonésie, Pakistan, Bangladesh) qui craignaient pour leur unité nationale. Le caractère de « tribal » vient alors récuser celui d' « indigène » dans la mesure où celui ci pouvait fonder des revendications séparatistes 26. Les bénéficiaires des Conventions de l'OIT sont donc entendus dans une large mesure, celle ci ne voulant pas poser une définition juridique stricte qui exclurait un grand nombre de peuples. C'est grâce à l'OIT que le mouvement autochtone a pu être porté sur la scène internationale. La mobilisation autochtone a en effet suscité l'intérêt de l'Organisation, et l'attention portée par celle ci a fortifié la volonté des peuples autochtones de poursuivre et d'intensifier leur mouvement revendicatif. Mais cette caractérisation de l'autochtonie conditionnée par la nécessité d'avoir subi la colonisation reste trop restrictive. D'autres définitions furent donc proposées pour obtenir une conception plus large de la notion de peuples autochtones. ii. L'élaboration d'une définition au sein de l'ONU Au sein de l'Organisation des Nations Unies et de l'Organisation internationale du Travail, il est 26 En pratique la Convention ne fait aucune différence quant à son application et accorde la même protection aux deux catégories. Selon Erica-Irene Daes, ancienne présidente du groupe de travail sur les peuples autochtones, la distinction est inutile : « à l'instar de la Convention 107 de l'OIT, la Convention 169 reconnaît les mêmes droits aux peuples « indigènes » et « tribaux », ce qui rend la distinction entre ces catégories de peuples encore moins utile » (c'est l'auteur qui souligne) 33 reconnu que la définition et la protection des droits des peuples autochtones constituent une partie essentielle des droits de l'homme et une préoccupation légitime de la communauté internationale. Parmi les définitions les plus utilisées par la doctrine, il convient de citer celle de Julian Burger, qui a été le responsable pendant vingt ans du programme des peuples autochtones et minorités au Haut-Commissariat des droits de l'homme des Nations Unies : « Un peuple autochtone peut réunir toutes les
caractéristiques suivantes, ou seulement certaines d'entre elles. Les
peuples autochtones sont . 1/ les descendants des premiers habitants d'un territoire
acquis par la conquête , 2/ des peuples nomades et semi-nomades, tels
que des agriculteurs itinérants, des pasteurs,
chasseurs et collecteurs qui pratiquent une agriculture à forte
intensité de travail produisant peu de surplus et requérant peu
de ressources énergétiques , 3/ ils n'ont pas d'institutions politiques
centralisées, ont une forme communautaire d'organisation et
prennent les décisions sur une base consensuelle , 4/ ils ont tous les caractères d'une
minorité nationale . 5/ ils ont une vision globale du monde
différente, consistant dans une attitude non matérialiste et
protectrice vis à vis de la terre et des ressources matérielles,
et veulent continuer à se développer suivant des processus
différents de ceux proposés par les sociétés
dominantes , 6/ ils sont formés par des individus qui se considèrent subjectivement comme autochtones, et sont acceptés comme tels par le groupe » 27. L'auteur précise que la totalité des traits énumérés n'est pas requise pour caractériser l'autochtonie. Il convient donc de s'intéresser à l'évolution de la notion de peuples autochtones au sein de la doctrine internationale en traitant d'abord du rapport présenté par le rapporteur spécial José R. Martinez Cobo (1.), et ensuite des deux critères les plus importants dégagés dans ce rapport : l'antériorité de l'occupation territoriale et l'Auto-définition en tant qu'autochtone (2.). 1) L'étude du rapporteur spécial José R. Martinez Cobo : Dans les années 1960, les Nations Unies sont essentiellement concernées par la discrimination 27 BURGER Julian, Report from the Frontier. The State of the World's Indegenous Peoples, Londres, Zed Books, 1987, p. 9 34 raciale, et vont d'ailleurs adopter la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale en 1965. On peut considérer que la généralité de ces instruments atténue la spécificité de leurs besoins et porte atteinte à la justification de leur protection 28. Il faudra attendre 1971 pour que le Conseil économique et social donne mandat à la Sous-Commission de la promotion et de la protection des Droits de l'Homme, pour réaliser une « étude sur la discrimination à l'encontre des peuples autochtones ». Cette mission sera confiée à José R. Martinez Cobo qui sera chargé d'examiner tous les aspects de la condition des peuples autochtones. Martinez Cobo va donc recueillir des données auprès des États, des peuples autochtones eux mêmes, des organisations autochtones, d'ONG ainsi que d'experts. Les différentes conférences internationales sont également très utiles pour enrichir le rapport. Le rapporteur spécial va donc étudier une gamme de problèmes touchant les droits de l'homme, notamment une définition des peuples autochtones, le rôle des organisations intergouvernementales et non gouvernementales, l'élimination de la discrimination, ou encore les problèmes fondamentaux touchant les droits de l'homme. Martinez Cobo finira par rendre un rapport en cinq volumes, dans lequel il dresse un tableau précis de la situation des peuples autochtones 29. Cette étude va en outre poser une définition des peuples autochtones. Le rapport contient plusieurs parties : une première partie descriptive qui dresse un état des lieux de la situation des peuples autochtones, puis une partie doctrinale dans laquelle est abordée la problématique des droits des autochtones, et enfin une dernière partie qui énumère un certain nombre de recommandations en vue d'améliorer leur situation. Dans le premier rapport de Martinez Cobo, celui ci associe l'autochtone à la colonisation, de la même manière que l'Assemblée générale de l'ONU ou que l'OIT, mais ajoute cependant qu'il peut exister des groupes autochtones qui sont seulement isolés ou marginalisés et qui se distinguent de la société dominante nationale. Le rapporteur spécial va en outre ajouter au critère de la colonisation, celui de l'invasion, et tente ainsi de cerner toutes les situations de domination dans lesquelles des peuples ont été dépossédés de leurs territoires. Il tente par cela de sortir du clivage produit par la conception onusienne de la colonisation. Dans son rapport final, rédigé en 1986, il va donc proposer une définition globale qui n'opère plus 28 NORODOM Anne Thida, « L'Organisation des Nations unies au service des peuples autochtones : quelle efficacité ? » Cahiers d'anthropologie du droit, 2011, p. 62 29 Il va en outre émettre bon nombre de recommandations : la proclamation par l'ONU d'une décennie internationale pour les peuples autochtones, la révision de la Convention 107, ou encore la nécessité d'élaborer une « déclaration des droits et libertés des peuples autochtones ». 35 de distinction entre peuples autochtones et tribaux : « Par communautés, populations et nations autochtones, il faut entendre celles qui, liées par une continuité historique avec les sociétés antérieures à l'invasion et avec les sociétés pré-coloniales qui se sont développées sur leurs territoires, s'estiment distinctes des autres segments de la société qui dominent à présent sur leurs territoires ou parties de ces territoires. Elles constituent maintenant des segments non dominants de la société et elles sont déterminées à préserver, développer et transmettre aux futures générations leurs territoires ancestraux et leur identité ethnique, qui constituent la base de la continuité de leur existence en tant que peuples, conformément à leurs propres modèles culturels, à leurs institutions sociales et à leurs systèmes juridiques. f...] Du point de vue de l'individu, l'autochtone est la personne qui appartient à une population autochtone par auto-identification (conscience de groupe) et qui est reconnue et acceptée par cette population en tant que l'un de ses membres (acceptation par le groupe) » 30. Cette définition plus élargie ne fait pourtant pas l'unanimité. En effet, certains, tels que les États asiatiques et africains, estiment qu'il n'y pas de « peuples » autochtones sur leurs territoires, mais qu'ils sont eux même autochtones puisqu'ils étaient là avant la présence d'une quelconque puissance colonisatrice. On a donc ici quatre points intéressants : la différence culturelle, la situation de domination, la continuité historique et l'auto-identification. Ce dernier critère, bien que très subjectif, est essentiel puisqu'un peuple autochtone est seul habilité à déterminer qui sont ses membres. On peut douter de sa pertinence qui ne peut être soutenue du point de vue juridique. Les deux premiers critères quant à eux pourraient tout aussi bien être attribués aux minorités ou à tout groupe susceptible d'être discriminé. Intéressons nous donc à ces deux principaux critères posés par cette définition, l'antériorité de l'occupation territoriale et l'auto-identification en tant qu'autochtone. 2) L'antériorité de l'occupation territoriale et l'Auto-définition : Les peuples autochtones se définissent par rapport aux territoires dont ils ont été dépossédés et sur 30 E/CN.4/ sub 2/1986/87 §379-381 36 lequel ils vivent dans un État de subordination. Cette antériorité sur un territoire est le fondement de leur revendication à exercer le droit à disposer d'eux-mêmes. Aujourd'hui, bon nombre de peuples autochtones revendiquent le droit de vivre sur leurs territoires, dont ils ont toujours été les « vrais maîtres », selon leurs propres systèmes et institutions. Ce critère permet d'identifier les descendants actuels de peuples dont le territoire a été envahi par d'autres peuples venus d'autres régions du monde et qui les ont dominés. Martinez Cobo préfère lui parler de « continuité historique » entre le peuple qui se revendique être autochtone, et celui qui occupait le territoire au moment de sa spoliation. La continuité historique se manifeste par l'occupation de terres ancestrales ou d'au moins une partie de ces terres, ou encore par l'ascendance commune avec les premiers occupants de ces terres. Il énumère d'ailleurs plusieurs critères tels que le maintien de la culture ou la pratique de la même langue, qui permettent d'établir cette continuité historique par d'autres manières qu'une occupation physique. L'appréciation de l'antériorité territoriale est cependant assez délicate, et la question se pose de savoir comment le lien territorial doit il être maintenu. Il s'agit également de déterminer quels sont les droits qui peuvent être reconnus à un peuple au titre de cette occupation antérieure. La séparation physique avec le territoire ne fait pas obstacle à la qualification de peuple autochtone, mais si la population dominante est installée sur le territoire en question, le peuple spolié ne pourra qu'obtenir une compensation financière. L'antériorité territoriale est un élément inhérent à la notion de peuples autochtones. Ce critère montre que ces peuples ont perdu, à un certain moment, leur capacité à disposer de leurs territoires, et vivent depuis dans un état de subordination et de marginalisation. Mais on retrouve également d'autres critères au sein des différentes définitions des peuples autochtones, comme le maintien d'une culture distincte, l'existence d'institutions sociales et politiques coutumières distinctes, la langue autochtone ou encore la situation de vulnérabilité. Pour prétendre obtenir la qualification de peuple, les peuples autochtones doivent donc démontrer qu'ils sont géographiquement séparés d'un État ethniquement différent, qui les domine, et qu'ils sont majoritaires sur le territoire sur lequel ils vivent. Bien qu'ils puissent parfois être majoritaires sur une zone territoriale déterminée, en général leurs territoires traditionnels, dans la plupart des situations, les peuples autochtones sont minoritaires au sein de l'ensemble de la population de l'État. En outre ils vivent souvent à l'intérieur des frontières nationales de l'État, portant ainsi atteinte au 37 critère très important de la séparation géographique du peuple colonisé avec l'État métropolitain. Ainsi pour remplir les conditions posées par l'Assemblée générale des Nations Unies, « un peuple autochtone doit être ethniquement et culturellement différent de la population de l'État auquel il est soumis et doit vivre sur un territoire séparé de cet État, à l'exclusion de tout autre groupe ou du moins sur lequel il est nettement majoritaire » 31. Selon cette conception restrictive, ne sont concernés que les peuples autochtones vivant sur les territoires outre-mer d'un État. Les insulaires du Détroit de Torres (Nord de l'Australie) peuvent entrer dans cette catégorie, mais le droit international exige qu'ils constituent pour cela la majorité de la population du territoire. Sont également concernés les peuples résidant, à l'exclusion de tout autre groupe, sur un territoire bien déterminé, dans la situation particulière d'une violation grave et continue des Droits de l'Homme. Bien que la plupart des instances internationales aient posé plusieurs critères d'identification, parmi lesquels la continuité historique avec les sociétés pré-coloniales et/ou les sociétés ayant précédé les colonies de peuplement, l'antériorité de l'occupation d'un territoire par une population par rapport à l'arrivée d'une autre population ou encore l'infériorité et la subordination à l'égard des descendants des nouveaux arrivants colonisateurs ou conquérants ; les Nations Unies préfèrent soumettre la reconnaissance de ces peuples à un critère d'auto-identification. Un autre critère important est l'auto-identification en tant qu'autochtone. Pour un individu, l'appartenance à un groupe autochtone est revendiquée à la fois par l'individu et le groupe auquel il appartient. Il s'agit du sentiment, de la conscience d'être autochtone. En raison de ce caractère très subjectif, il ne s'agit pas à proprement parler d'un critère d'identification. Ce principe peut avoir deux significations : on peut soit entendre par là les définitions que se donnent eux-mêmes les peuples autochtones au sein de leurs associations ; soit que le critère subjectif doit être déterminant dans la définition d'un autochtone. Dans de nombreux États, l'autochtone est défini soit de manière unilatérale par l'État, soit en consultation avec les peuples autochtones présents sur le territoire. Les peuples autochtones actuels attachent beaucoup d'importance au principe d'auto- 31 ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane, POUMARÈDE Jacques « Droit des minorités et des peuples autochtones », PUF, 1996, p. 338 38 identification. En effet, ils ne veulent pas que les États qui les dominent se réservent le pouvoir de déterminer s'ils sont autochtones ou non, comme c'est le cas dans plusieurs pays comme le Canada où l'Indian Act (1876) définit qui est indien et quelles sont les terres qui sont réservées aux Indiens. Le principe d'autodéfinition est donc un aspect fondamental du droit à l'autodétermination. Il permet aux autochtones de devenir des sujets de droit en s'identifiant eux-mêmes, et leur confère implicitement la possibilité de réinterpréter leurs propres traditions 32. Ce principe est donc particulièrement important, dans la mesure où il sauvegarde les droits des individus : chacun a le droit d'appartenir ou non à la communauté de son choix. Mais l'auto-identification ne doit pas être seulement un exercice individuel. Elle est en effet essentielle pour protéger les collectivités elles-mêmes, puisque les autochtones veulent participer aux débats internationaux collectivement en qualité de peuples. Certes, ce critère d'auto-identification doit être encadré pour empêcher que n'importe quel groupe ne se prétende autochtone par pur intérêt stratégique. Il faut donc que cette conscience d'être autochtone soit étayée par des critères objectifs. En effet, il y a toujours un risque que des groupes se prétendent autochtones pour réclamer l'exercice du droit à l'autodétermination sans présenter aucun des critères pour constituer un peuple autochtone. Ces consécrations du principe d'autodéfinition sont particulièrement importantes, puisque cette capacité permet aux autochtones de se distinguer des groupes auxquels ils furent longtemps assimilés : les minorités ethniques. Analysons donc le statut particulier accordé aux peuples autochtones. iii. Le statut atypique des peuples autochtones en droit international Le statut des peuples autochtones en droit international a longtemps été l'objet d'un débat entre les représentants autochtones et les États. Pendant longtemps les États ont préféré employer l'expression de « minorités ethniques » ce qui ne convient pas aux peuples autochtones. Il faut en effet distinguer le droit des minorités du droit des peuples autochtones. Nous nous intéresserons donc aux différentes raisons de distinguer ces deux catégories juridiques (1.), avant de traiter de la qualification sui generis de peuples autochtones (2.). 32 Voir ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane, POUMARÈDE Jacques « Droit des minorités et des peuples autochtones », PUF, 1996, p. 434 39 1) La distinction peuples autochtones/Minorités ethniques En droit international, une minorité est un groupement de personnes liées entre elles par des affinités religieuses, linguistiques, ethniques, politiques, englobées dans une population plus importante d'un État, de langue, d'ethnie, de religion, de politique différentes. Le droit des minorités a pris naissance dans l'histoire européenne, des guerres de religion aux modifications de frontières survenues après les deux conflits mondiaux 33. La situation des peuples autochtones ne présente pas cette même spécificité, car leurs origines historiques et ethniques, mais également leurs traits culturels les distinguent plus profondément des sociétés dominantes. La volonté des autochtones de se distinguer des minorités possède de solides arguments historiques et correspond à une stratégie politique bien réfléchie. Cette volonté s'est d'ailleurs progressivement traduite dans le droit. En effet, de nombreux textes et institutions concernant les peuples autochtones de façon spécifique se sont multipliés, accompagnant la mobilisation autochtone. Les autochtones n'ont pas voulu qu'une définition apparaisse dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Ils craignaient en effet que cette définition ne recouvre pas toutes les diversités socio-politiques de leurs peuples et qu'elle soit interprétée, à leur insu, par les États dont ils dépendent. Des leaders des associations autochtones représentées dans le Groupe de travail de l'ONU se sont plaints de ce que leurs « gouvernements utilisaient l'absence de définition des peuples autochtones en droit international comme un prétexte pour les qualifier de "minorités nationales " et leur refuser le statut politique et les droits des peuples autochtones » 34. La plupart des États préfèrent qualifier les communautés autochtones de minorités, ce qui ne leur confère aucun statut international. Mais tous les peuples constitués ou se reconnaissant dans le cadre politique des minorités ne sont pas considérés comme « autochtones » au sens onusien de la définition. Ainsi le nombre d'États favorables à l'emploi du terme « peuple » s'est accru, bien qu'aucun consensus n'ait pu être adopté à ce sujet. Cette qualification permet aux peuples 33 Voir ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane, POUMARÈDE Jacques, Droit des minorités et des peuples autochtones , PUF, 1996, 581p. 34 E/CN. 4/Sub.2/1994/30, p. 17, §57 40 autochtones d'exercer leur droit à disposer d'eux-mêmes dans le cadre de l'État, pour leurs affaires « intérieures et locales ». Cet exercice est donc circonscrit à une application interne. Les autochtones récusent en tout cas la qualification de « minorités ethniques » et même parfois celle de « populations », à laquelle les États cherchent à substituer la notion de « peuple ». Cette notion, beaucoup plus vague, présente pour eux l'avantage de pouvoir englober des groupes autochtones aussi bien que non autochtones. Cependant, on peut voir avec l'exemple canadien où en 1982 ont été constitutionnalisés les droits des Indiens, Inuit et Métis, en terme de « peuples » ; que cette qualification ne conduit pas fatalement à l'affrontement ethnique et à la sécession 35. Globalement, tout le droit international des minorités est applicable aux peuples autochtones s'ils souhaitent s'en prévaloir, de même que le droit international des Droits de l'Homme. Ainsi un autochtone pourra-t-il invoquer une Convention à laquelle le pays sur le territoire duquel il se trouve a adhéré, mais cela à titre individuel, et non pas à titre de sanction de droits reconnus à une collectivité autochtone. Le danger est que les États européens ont, pour la plupart, un mode de formation historique qui a mis fin à l'existence collective des entités territoriales et humaines à partir desquelles ils se sont constitués. Les autochtones ont donc tout intérêt à se voir reconnaître des droits spécifiques. Ils sont en effet mieux placés que les minorités pour revendiquer des droits collectifs et la qualité de peuples, afin de pouvoir invoquer le droit à l'autodétermination. Si les peuples autochtones se distinguent des minorités par un lien privilégié au territoire et à l'histoire, ils revendiquent tout comme elles la reconnaissance de leur identité. Le succès de ces revendications est conditionné par le choix de la tactique adoptée pour faire valoir leurs droits. Ainsi il arrive parfois que les minorités ne reculent pas devant l'emploi de la force et même du terrorisme, ce qui reste un cas exceptionnel chez les autochtones. On a parfois du mal à relever la spécificité des droits invoqués par les peuples autochtones par rapport aux droits des minorités. En effet, les problématiques semblent être les mêmes et les obstacles à une plus grande précision et efficacité de ces droits sont semblables. Certains auteurs rétorquent toutefois que « le fondement des droits revendiqués par ces deux catégories de peuple est différent, le caractère minoritaire pour les uns et antérieur pour les autres, justifiant ainsi la spécificité de la protection accordée aux peuples autochtones. Cependant, l'antériorité des peuples 35 ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane, POUMARÈDE Jacques, Droit des minorités et des peuples autochtones , PUF, 1996, p. 436 41 autochtones n'est sans doute pas un critère suffisant pour justifier un droit plus attentatoire à la souveraineté de l'État » 36. Le droit des peuples autochtones ne serait donc pas spécifique au point de justifier un droit dont la logique serait différente de celle du droit international, en ce qu'il serait constitutif d'une exception au principe de souveraineté des États. La qualification de peuples autochtones est une qualification sui generis, avec une portée juridique interne permettant aux peuples autochtones de disposer d'eux-mêmes dans le cadre de l'État sur le territoire duquel ils vivent, sans menacer son intégrité territoriale. Le statut des peuples autochtones en droit international est donc un statut atypique. 2) Une qualification de peuples sui generis La définition des peuples autochtones est à triple effet : elle porte sur la notion de « peuples », sur celle «d'autochtonie » et sur le caractère pluraliste de l'entité ainsi forgée. Les spécificités dont se réclament les peuples autochtones sont très nombreuses, mais peuvent être englobées dans le concept de « droit à la différence ». D'autre part, on observe que de façon constante les autochtones relient leur identité à leurs droits territoriaux. Le rapport au territoire est fondamental dans l'identification d'un peuple, mais il n'est ni exclusif ni suffisant. D'autres critères sont importants, comme les constructions identitaires, la reconnaissance de systèmes culturels distincts des systèmes majoritaires, ainsi que la disposition de structures légales et d'institutions sociales propres. Bien qu'elle s'impose progressivement en droit international, la qualification de peuples autochtones n'est dotée que d'une portée relative. Dans l'ensemble, les États sont hostiles à qualifier les peuples autochtones de peuples, au sens juridique du terme. En effet en cette qualité les peuples autochtones deviendraient titulaires du droit à disposer d'eux-mêmes. Pendant longtemps les États ont utilisé des expressions telles que « natif (Native) » qui vise la naissance d'un individu ou son origine, « premières nations », « peuples premiers », ou encore « populations indigènes ». 36 NORODOM Anne Thida, « L'Organisation des Nations unies au service des peuples autochtones : quelle efficacité ? » , Cahiers d'anthropologie du droit, 2011, p. 62 42 Le concept de « population », terme accepté et utilisé par les États et n'ayant pas de portée en droit international, se différencie du terme « peuple » qui lui a une valeur symbolique forte et une portée politique. La catégorie « peuple autochtone » n'est retenue que dans un seul instrument international de type contraignant, à savoir la Convention 169 de l'OIT 37. Les États demeurent le cadre constitutionnel, politique et juridique légitimant les organisations autochtones, en fonction de catégories politiques reconnues dans le pays. Ils conservent une puissance décisionnelle tant pour la signature d'accords internationaux que pour la mise en oeuvre des recommandations des agences onusiennes ou européennes. Ce sont les interlocuteurs des peuples autochtones à l'ONU. Les États, ainsi que les agences onusiennes, retiennent le terme « population » qui autorise le comptage des individus. En Anglais, le terme people employé pour désigner l'ensemble des groupes autochtones, correspond au mot français population conçu comme l'addition d'individus. Employé au pluriel, ce terme peoples trouve d'avantage son équivalent dans la notion de peuple. Va donc naître un débat su le choix du terme à employer pour caractériser les autochtones. Le Groupe de travail à l'ONU s'intitule « Working Group on Indigenous Populations », bien que ses rapports visent depuis 1988 les pratiques discriminatoires à l'encontre des « indigenous peoples ». L'ONU a également intitulé la décennie 1995-2005 comme celle des Indigenous People. Le problème rebondit à Vienne en 1993 lors de la Conférence mondiale de l'ONU sur les Droits de l'Homme. L'adoption d'une Déclaration des Droits des Peuples Autochtones est censée avoir réglé la question du S, dans « peoples » pour distinguer ce concept de peuple. En effet, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée en 2007, utilise le terme de « peuple autochtone ». Toutefois, les États n'entendent pas lui donner une portée juridique internationale, il faut donc plutôt l'entendre comme ayant une signification sui generis avec une portée juridique interne permettant aux peuples autochtones de disposer d'eux-mêmes dans le cadre de l'État sur le territoire duquel ils vivent, sans menacer son intégrité territoriale. Rappelons que bien que les instruments internationaux citent souvent le droit des peuples, il n'existe pas à l'heure actuelle en droit international de définition du mot « peuple ». Toutefois l'expression « populations autochtones » reste très couramment utilisée dans les documents onusiens et surtout dans les déclarations étatiques. L'utilisation de l'expression « peuples 37 Selon que les représentants autochtones sont associés ou non aux travaux des agences de l'ONU (PNUD, Banque Mondiale, UNESCO, etc.), on observe sur la scène internationale une oscillation dans l'usage des termes « population » ou « peuple ». 43 autochtones » dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones constitue donc une avancée et une victoire pour les peuples autochtones, mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour que la qualification de peuples soit dotée de toute sa portée juridique en droit international et qu'elle soit pleinement acceptée. Depuis une trentaine d'années, un droit spécifique des autochtones émanant de l'activité normative d'institutions pour la plupart reliées à l'ONU est en cours d'élaboration. Les réflexions doctrinales sur ce domaine sont également très nombreuses. Intéressons nous donc à l'apparition et l'évolution de ce droit international des peuples autochtones. B) L'émergence d'un droit des peuples autochtones Si plus de 60 % des peuples autochtones se situent dans la zone Asie-Pacifique, ce sont les Amérindiens du Nord, du Centre et du Sud des Amériques qui se sont le plus tôt mobilisés dans la défense de l'identité « autochtone », parvenant à ouvrir les cadres constitutionnels de la reconnaissance comme peuples spécifiques. La mobilisation autochtone, rendue possible par la saisine de l'ONU dans les années 1970, se fait par étapes, à mesure que se démocratisent les États. L'ONU constitue donc une sorte d'ossature d'un mouvement international dont les développements se réalisent au gré de réunions continentales, régionales ou transcontinentales. Les Nations unies représentent à la fois le principal lieu de rassemblement des autochtones et d'identification des perspectives communes et le lieu de production mondialisée d'une réflexion sur des normes internationales adaptées à l'insertion des populations vulnérables. L'émergence d'un droit spécifique autochtone ne signifie pas qu'ils se trouvaient dans un vide juridique, puisqu'ils pouvaient se prévaloir de toutes les dispositions contenues dans les instruments internationaux des Droits de l'Homme. Néanmoins, l'activité normative des institutions internationales va faire émerger un corpus juridique spécialisé pour les peuples autochtones, et ce depuis le début du XXe siècle. Nous allons donc nous intéresser à l'émergence de ce mouvement autochtone au sein de l'ONU (i.), avant de traiter de la reconnaissance de droits collectifs qu'implique la notion de « peuple autochtone » (ii.), et de l'apparition d'une identité transnationale autochtone (iii.). i. La mobilisation autochtone dans le contexte onusien Les peuples autochtones vont profiter du cadre fourni par la décolonisation, et donc du processus « d'internationalisation » des minorités, pour faire entendre leur voix sur la scène internationale. La reconnaissance de la qualité de « peuples autochtones » constitue en effet une condition essentielle au respect de leur identité collective en droit international. L'objectif du mouvement autochtone est donc la création d'une catégorie juridique spécifique aux peuples autochtones. Bien qu'il y ait une grande disparité parmi les différents peuples, la notion d'autodétermination reste au coeur de leur discours car elle constitue la réparation de leur situation coloniale. Le mouvement autochtone s'est construit en réaction au colonialisme, qui a nié l'identité collective de ces peuples. Il convient de rappeler que la motivation officielle de la colonisation était l'apport de la civilisation européenne, considérée comme une « mission sacrée ». Il s'agissait donc pour les États d'éduquer les peuples autochtones dont l'état de développement semblait arriéré. C'est cette conception qui a donné naissance aux politiques assimilationnistes qui ont eu des conséquences dramatiques sur les peuples autochtones, les privant de leur identité collective. Ces conceptions assimilationnistes ont pourtant guidé les politiques des États vis à vis des peuples autochtones vivant sur leur territoire jusqu'au milieu des années 1970, et ont donc influencé la position du droit international vis à vis de ces peuples. Les problèmes vécus par les peuples autochtones vont finir par toucher la société internationale. Les préoccupations furent au début simplement humanitaires, et il fallu attendre la mobilisation des nations autochtones pour que puisse émerger la question d'un statut collectif pour ces peuples. L'internationalisation est en effet indispensable à la cause des peuples autochtones, et peut se réaliser de plusieurs manières. Les peuples autochtones peuvent porter directement leurs revendications devant les instances internationales, ou bien se former en Organisations Non Gouvernementales pour porter plus efficacement ces revendications. 44 Nous allons donc traiter de l'émergence de ce mouvement autochtone sur la scène internationale 45 (1.), avant d'aborder la multitude d'organes créés au sein de l'ONU pour défendre la cause autochtone (2.). 1) Début d'une mobilisation autochtone devant les Instances internationales Dans les années 1920, la Société des Nations apparaît pour les peuples autochtones comme une tribune internationale susceptible de les écouter. C'est la raison pour laquelle la Confédération iroquoise menée par son chef Deskaheh va, en 1923, entreprendre des démarches auprès d'elle pour le règlement d'un litige qui l'oppose au Canada. Était en cause un projet du développement du gouvernement canadien qui affectait les terres de la réserve de la Confédération. Après s'être adressé sans succès aux autorités britanniques, puisque le Canada était à l'époque un dominion de la Grande Bretagne, le chef indien avait réussi à obtenir le soutien du ministre néerlandais des Affaires étrangères qui accepta de soutenir sa demande à la SDN, seul un État étant habilité à le faire. Finalement la requête ne fut pas communiquée, et Deskaheh alla lui même jusqu'au siège à Genève porter une pétition à l'attention du Secrétaire général, qui fut également rejetée. Face à la vive réaction du Canada, la SDN vint certifier une position : les nations autochtones sont des minorités ethniques, sur un plan strictement juridique elles n'ont pas d'existence en droit international. On constate donc qu'à l'époque les États sont encore maîtres de la situation, protégés par le principe de non-intervention dans leurs affaires internes. Même à la conférence de San Francisco, en 1945, à l'issue de laquelle naquît l'Organisation des Nations unies avec la signature de la Charte des Nations unies, la reconnaissance internationale des peuples autochtones en qualité de nations souveraines fut refusée. La Charte ne mentionne d'ailleurs pas les peuples autochtones, à la différence du Pacte de la SDN 38. Ce n'est que trente ans plus tard, en 1957, que pour la première fois un organisme international va adopter un document sur les populations autochtones : la Convention n° 107 de l'Organisation internationale du Travail relative aux populations aborigènes et tribales. Adoptée à la demande du système de l'ONU, cette convention est un instrument de développement complet qui couvre toute 38 L'article 23.b du Pacte de la SDN dispose : « (...) les Membres de la Société : s'engagent à assurer le traitement équitable des populations indigènes dans les territoires soumis à leur administration » 46 une gamme de questions, telles que les droits aux terres, le recrutement et les conditions d'emploi, la formation professionnelle, l'artisanat et l'industrie rurale, la sécurité sociale et la santé, et l'éducation et les moyens de communication. Elle garantit donc aux peuples autochtones le respect de leur identité culturelle. Elle n'a cependant été ratifiée que par 27 pays, présentant une approche intégrationniste qui reflète le discours sur le développement à l'époque à laquelle elle a été adoptée. Un comité d'experts, convoqué en 1986 par le Conseil d'administration de l'OIT, a conclu que « l'approche intégrationniste de la convention était obsolète et que sa mise en oeuvre était préjudiciable dans le monde actuel ». Suite à cela, la convention a été révisée entre 1988 et 1989 et la convention n° 169 a été adoptée en 1989. Depuis la convention n° 107 est toujours en vigueur dans 18 pays, dont certains ont une forte population indigène, et reste un instrument utile car elle couvre de nombreux domaines essentiels pour les peuples indigènes. Grâce au principe d'autodétermination des peuples proclamé dans la Charte des Nations Unies, les mouvements d'indépendance vont se multiplier pendant les années 1970. De leur coté, les peuples autochtones souffrent des politiques d'assimilation qui leur sont appliquées, et voient leurs territoires de plus en plus convoités pour leurs ressources. Va donc naître la nécessité pour ces communautés vulnérables de s'unir au sein d'organisations internationales. La première sera la National Indian Brotherhood, créée en 1969, qui organisera une réunion 6 ans plus tard à l'issue de laquelle sera créé le Conseil Mondial des peuples autochtones, ONG regroupant des peuples autochtones de différents continents. Dès lors, les organisations autochtones vont se multiplier, permettant une meilleure structuration du discours revendicatif de ces communautés. Parfois même l'initiative ne viendra pas des peuples autochtones eux mêmes, mais de la communauté internationale : c'est ainsi que des anthropologistes vont créer en 1968 l'international Group for Indigenous Affairs (I.W.G.I.A.) basé à Copenhague. Et en 1991, l'Organisation des Peuples Non Représentés (Unrepresented Nations and Peoples Organization, U.N.P.O.) sera fondée à la Haye, afin de porter à l'ONU la voix de tous ces peuples. Ainsi à partir des années 1970 vont émerger diverses institutions internationales, afin de mieux faire connaître ces populations et de permettre de regrouper leurs forces. On peut citer l'international Indian Treaty Council, créé aux USA en 1974 et devenu une ONG en 1977 ; ou encore la Federation of Lands Council et le National Organisation for Aboriginal and Islander Legal Services en Australie. 47 L'Organisation des Peuples Non Représentés (U.N.P.O.) joue aussi un rôle important : elle doit défendre les autochtones et les minorités non représentés à l'ONU, par des voies légales et non violentes. Pour mener à bien son action devant les instances internationales, elle entend créer une juridiction qui recevra les plaintes en matière de Droits de l'Homme et l'exercice du droit à l'Autodétermination, et constituer un Conseil juridique dont le rôle sera de conseiller les membres sur les aspects légaux du droit à l'autodétermination 39. Il convient toutefois de noter que ces organisations sont principalement composée de représentants Amérindiens 40, et qu'une minorité d'entre elles est dotée du statut consultatif auprès du Conseil économique et social de l'ONU. En 1977 fut organisée à Genève la Conférence des ONG sur la discrimination contre les peuples indigènes des pays d'Amérique, à laquelle participeront une soixantaine de nations autochtones. Ce fut la première fois que des représentants autochtones pouvaient dialoguer avec les délégués gouvernementaux et faire entendre leur voix sur les liens particuliers qui les unissait à la terre, sur l'importance du droit et des coutumes traditionnels, sur les problèmes posés par l'exploitation des ressources naturelles dans leur territoire et leur manque de contrôle sur ces exploitations, sur la nécessité de respecter leur culture et de protéger leur héritage, et sur leur volonté d'autodétermination. Ses recommandations mettent l'accent sur le respect du droit international, les relations entre les peuples autochtones et la terre, et le contrôle du développement de leurs territoires. Dans la Déclaration des principes pour la défense des nations et peuples autochtones de l'hémisphère occidental, qui sera adoptée au cours de cette conférence, les participants demandent leur reconnaissance en qualité de nation à part entière, dotée d'une personnalité juridique internationale, ce qui implique également le droit à l'autodétermination. Une autre conférence suivra en 1981 : la Conférence des ONG sur les peuples autochtones et la terre, qui concerne cette fois les peuples autochtones du monde entier. Cela va être l'occasion d'approfondir la relation particulière entretenue par les autochtones avec leur territoire. L'une des recommandations importantes du rapport final reprit l'une des propositions de 1977, la création d'un Groupe de Travail sur les peuples autochtones Ce sera chose faite en 1982 avec le Groupe de travail sur les populations autochtones. Ce groupe dépend de la Commission des Droits de l'Homme et de la Sous-Commission de la lutte contre les 39 ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane, POUMARÈDE Jacques « Droit des minorités et des peuples autochtones », PUF, 1996, p. 490 40 Doc. E/CN.4/Sub.2/AC.4/1993/8, 15 juillet 1993 48 mesures discriminatoires et de la protection des minorités. Ce groupe a participé à l'organisation d'une Année internationale des peuples autochtones, ouverte en décembre 1992, puis d'une Décennie internationale, commencée en janvier 1995, malgré des réactions peu favorables de certains États tels que le Brésil, la Colombie ou encore l'Inde. Il est en outre à l'origine du texte de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Sur le plan financier, un Fonds de contributions volontaires pour la Décennie a été prévu, en plus de celui déjà existant pour l'Année internationale, et du Fonds des contributions volontaires pour les Populations autochtones. Ces fonds sont chargés d'aider les représentants des autochtones à assister à Genève aux sessions annuelles du Groupe de travail. L'action de l'ONU s'illustre donc par une prolifération de mécanismes prenant en compte la problématique autochtone. Il s'agit aussi bien d'organes généraux que d'organes spécifiquement créés pour répondre à cette problématique. Les organes principaux ont rapidement créé des organes subsidiaires spécialement dédiés à cette problématique. Voyons tout d'abord, l'Assemblée générale de l'ONU qui agit au titre de sa compétence générale sur toute question non directement traitée par le Conseil de sécurité. Elle peut agir également au titre de sa compétence spécifique en matière de développement du droit international. L'Assemblée générale essaye d'ailleurs d'impliquer plus souvent les associations autochtones et le Groupe de travail dans ses prises de décisions. Outre ces organes spécialement consacrés aux peuples autochtones, l'Assemblée générale décida de proclamer 1993 comme Année internationale des peuples autochtones. Elle décida ensuite, lors de la Conférence de Vienne sur les droits de l'Homme en 1993, de proclamer une Décennie internationale des peuples autochtones, de 1995 à 2005, dont le thème est « les populations autochtones : un nouveau partenariat ». L'objectif de cette Décennie est de renforcer la coopération internationale pour résoudre les problèmes qui affectent les communautés autochtones dans tous les domaines. Toutefois, la situation des peuples autochtones ne s'est guère améliorée, ce qui a mené l'Assemblée générale à proclamer une seconde décennie consacrée aux peuples autochtones pour « renforcer encore la coopération internationale afin de résoudre les problèmes qui se posent aux peuples autochtones dans des domaines tels que la culture, l'éducation, la santé, les Droits de l'Homme, l'environnement et le développement économique et social, au moyen de programmes orientés vers l'action et de projets concrets, d'une assistance technique accrue et d'activités 49 normatives dans les domaines en question » 41. Suite à cela, la Commission des Droits de l'Homme reconnaissait alors la valeur intrinsèque de la diversité des cultures et des formes d'organisation sociale propres aux peuples autochtones. Elle invitait donc toutes les instances de l'ONU, les États et les organismes non-gouvernementaux et autochtones à mettre en place un programme d'activités accompagné d'un financement volontaire de ces activités 42. Au cours de cette décennie, les organes de surveillance des principaux traités des Droits de l'Homme ont adopté des positions précises relativement à la reconnaissance de leurs droits. Ainsi a pu être élaboré un corpus de référence pour l'élimination de la discrimination systémique et l'affirmation des droits des peuples autochtones, portant sur des sujets tels que le droit à l'Autodétermination, le lien particulier qui unit les peuples autochtones à leurs terres, ou encore leur droit relativement aux ressources naturelles de ces territoires. Le 20 décembre 2004, l'Assemblée générale proclamait la deuxième décennie internationale des populations autochtones, en lui assignant pour but de continuer de renforcer la coopération internationale dans ces domaines. L'Assemblée générale de l'ONU est donc un organe qui a une compétence générale sur les questions autochtones. L'action de l'ONU en matière de protection des peuples autochtones se décline ainsi sur trois degrés différents : celui des organes principaux, de leurs organes subsidiaires dédiés principalement à la protection des droits de l'homme et des organes subsidiaires de ces derniers dédiés particulièrement aux droits des peuples autochtones. 2) La création d'organes spéciaux dédiés à la problématique autochtone Il convient de mentionner ici, le Conseil économique et social, qui est très actif en la matière du fait de ses compétences en matière de développement économique et social. Ainsi on compte au sein de ce dernier une quinzaine d'organisations représentant des peuples autochtones disposant d'un statut consultatif. Ce statut leur donne le droit d'assister et de participer à diverses conférences internationales et intergouvernementales. 41 Résolution de l'Assemblée générale 59/174 du 20 décembre 2004 42 DEMERS Diane L. « Les autochtones et le droit international : une trajectoire en plein essor » ; In: Liber amicorum Peter Leuprect / textes réunis par Olivier Delas et Michaela Leuprecht, 2012 p.361 50 La promotion et la protection des droits de l'homme aux Nations Unies sont assurées par deux types d'organismes : les organes de la Charte des Nations unies, dont le Conseil des droits de l'homme, et les organes créés au nom des traités internationaux des droits de l'homme 43. Tous ces organes peuvent être amenés à traiter de la problématique de l'autochtonie à travers leurs compétences générales. Le Haut-commissariat des Nations Unies aux Droits de l'Homme s'est par exemple illustré dans la protection des droits des peuples autochtones en favorisant le développement et la mise en oeuvre de la Déclaration de 2007 (Résolution de l'Assemblée générale, A/RES/61295 du 13 septembre 2007). Il participe également au Groupe d'appui inter-organisations sur les questions autochtones. Le Conseil des droits de l'homme, créé par la résolution 60/251 de l'Assemblée générale en date du 15 mars 2006, a pour but principal d'émettre des recommandations à propos des situations de violation des droits de l'homme. Bien qu'il ne s'intéresse pas de manière directe aux peuples autochtones, le Conseil a toutefois été amené à débattre de la question et surtout s'est illustré par la création du Mécanisme d'experts sur les droits des peuples autochtones, créé pour discuter des mécanismes les plus appropriés pour poursuivre les travaux du Groupe de travail sur les peuples autochtones. Composé de cinq membres, cet organe est chargé de doter le Conseil d'une expertise thématique sur les droits des peuples autochtones. Rattaché à l'Assemblée générale, le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) s'est également intéressé à la question en élaborant une « politique d'engagement ». Ce programme s'engage ainsi à réduire la pauvreté, promouvoir les droits de l'homme, la gouvernance démocratique, la mondialisation, les connaissances des peuples autochtones. Il ne fait ici qu'appliquer ses actions générales au domaine particulier des peuples autochtones sans qu'une réelle spécificité de ces populations soit mise en valeur. La logique qui semble la plus efficace serait donc d'adapter les programmes et institutions existants au problème de l'autochtonie plutôt que de développer une problématique spécifique. Ainsi la mise en place de groupes de travail permet l'identification de problématiques particulières, et l'instauration d'institutions chargées de rendre compte de la pratique des États et de qualifier ainsi 43 Il existe huit organes créés au nom de traités sur les droits de l'homme qui surveillent la mise en oeuvre des principaux traités internationaux dans ce domaine: le Comité des droits de l'homme ; le Comité des droits économiques, sociaux et culturels ; le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale ; le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes ; le Comité contre la torture et le Sous-comité pour la prévention de la torture ; le Comité des droits de l'enfant ; le Comité des travailleurs migrants ; le Comité des droits des personnes handicapées ; le Comité des disparitions forcées. 51 leur comportement. Le Groupe de travail sur les populations autochtones : En réponse à une recommandation du Rapporteur spécial Martinez Cobo, la Sous Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités va proposer en 1981 la création par la Commission des Droits de l'Homme d'un groupe de travail sur les populations autochtones. Ce sera chose faite dès l'année suivante, confirmant ainsi que l'ONU est disposée à traiter les peuples autochtones comme une question spécifique. De 1982 à 1993, ce groupe a permis d'élaborer un premier projet de déclaration. Le Groupe de travail sur les populations autochtones (G.T.P.A.) a un double mandat :
55 Au sens de cette Convention, la participation est donc entendue comme un droit d'exprimer un point de vue et de pouvoir influencer la décision. Les consultations, quant à elles, doivent être transparentes et permettre aux peuples autochtones de donner leur avis éclairé. Le Comité des Droits de l'Homme affirme en outre que le droit des peuples autochtones de participer à la prise de décisions les concernant est une application du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Il fonde ce droit sur l'article premier du Pacte des droits fondamentaux de 1966, ainsi que sur l'article 27, relatif au principe de l'intégrité culturelle. Sur la scène internationale, cette participation des peuples autochtones est assurée au travers de l'Instance permanente sur les questions autochtones grâce aux délibérations du Groupe de travail. Il existe plusieurs sortes d'institutions représentatives autochtones, soumises à l'approbation d'autorités étatiques, qui sont soit consultatives, soit dotées d'un pouvoir de décision. Dans l'ensemble, les États admettent ce principe de participation à tous les niveaux de décision, dans tous les domaines qui les concernent, mais sont toujours réticents à accepter qu'un groupe puisse bénéficier d'un droit collectif à participer avec une structure institutionnelle distincte. Pour les États, reconnaître un tel droit de véto supposerait également qu'ils reconnaissent aux peuples autochtones des droits territoriaux. Certains États ont accordé aux peuples autochtones vivant sur leurs territoires une certaine autonomie, qui équivaut à un droit des peuples autochtones à participer aux prises de décisions qui les concernent. Pour déterminer si ces peuples disposent d'une réelle autonomie, il faut examiner si les autorités autonomes disposent de compétences propres et d'un réel pouvoir de décision. Il existe différentes formes d'autonomie, elle peut être culturelle, territoriale ou politique ; et dans chaque catégorie, il y a différents degrés en fonction des compétences exercées et du pouvoir de décisions dont disposent les autorités autonomes. Chaque situation est donc particulière bien que les expériences présentent des caractéristiques communes. Il semble donc qu'une norme coutumière de droit international se forme en ce qui concerne la participation des peuples autochtones à la prise de décisions qui les concernent. Les États sont en effet nombreux à admettre progressivement la nécessité de prendre en compte les besoins, l'opinion des peuples autochtones et de les consulter avant de prendre une décision les concernant. iii. L'apparition d'une identité transnationale autochtone 61 Dès les années 1970, les militants de la cause autochtone accompagnent son internationalisation, à 62 travers leurs ONG spécialisées, en soutenant les rencontres entre organisations des différents pays, en soulignant les revendications communes et en opérant un travail de sensibilisation de l'opinion publique de la communauté internationale. Ce travail va permettre de faire émerger une véritable identité autochtone sur la scène internationale. Nous allons donc nous intéresser à ces nouveaux sujets du droit international (1.), avant de traiter de l'identité transnationale autochtone (2.). 1) Des sujets en devenir du droit international « La participation des autochtones aux processus internationaux est un véritable succès dont on mesure l'importance en termes quantitatifs puisque le nombre des représentants accrédités a été multiplié par cinq ou six, et en termes institutionnels puisque la question autochtone est à l'agenda de pratiquement toutes les agences de la famille onusienne » 56. C'est donc sous l'impulsion des peuples autochtones eux mêmes que va naître un véritable mouvement autochtone dans la deuxième moitié du XXe siècle. Les peuples autochtones veulent devenir des « acteurs » de la scène internationale, et demandent la reconnaissance par le droit international de la qualification de peuples autochtones, en vue de pouvoir disposer d'une capacité à décider d'eux-mêmes, et à disposer de leurs territoires traditionnels et de leurs ressources. Mais ils ne veulent pas nécessairement se séparer de l'État sur le territoire duquel ils vivent. Les revendications autochtones ne sont, en général, pas sécessionnistes, et c'est plutôt l'autonomie régionale qu'ils envisagent. L'ONU va donc leur fournir les outils pour construire un mouvement international autochtone. Ainsi après avoir reconnu leur spécificité, elle a accepté de leur attribuer un espace, le Groupe de Travail sur les Populations Autochtones, où ils viennent chaque année élaborer leurs droits collectifs autochtones. Leur présence dans le contexte onusien va se pérenniser en 2002 avec la création de l'Instance Permanente sur les Questions Autochtones. Plusieurs centaines de représentants d'ONG autochtones sont également accréditées à l'ONU, et ont pour mandat de faire des recommandations à l'ECOSOC. Au fil du temps, d'autres organismes vont s'attaquer à la problématique autochtone. 56 BELLIER Irène, « La participation des peuples autochtones dans la constellation onusienne : les enjeux d'une présence institutionnelle » ; LAIOS - CNRS ; Colloques Cultures et pratiques participatives ; 20 et 21 janvier 2004 ; p.19 63 L'UNESCO va proposer dans son rapport sur la réunion internationale d'experts sur l'approfondissement de la réflexion sur le concept de droit des peuples en novembre 1989, une nouvelle définition de la notion de peuple : « 1. un groupe d'êtres humains qui ont en commun plusieurs ou la totalité des caractéristiques suivantes :
On retrouve dans cette définition quelques éléments distinctifs des peuples autochtones, qui sont des communautés homogènes, conscientes d'elles mêmes et de leur identité collective, et qui se distinguent de la population dominante du territoire sur lequel elles vivent. Une autre institution a joué un rôle important en la matière : la Banque Mondiale. Agence spécialisée de l'ONU dans le domaine financier, elle est chargée de contribuer à améliorer le niveau de vie dans le monde. Après avoir défini sa politique envers les groupes qu'elle appelait alors les « populations tribales » en 1982, la Banque Mondiale dressa un premier bilan de ses activités en lien avec les peuples autochtones en 1986. Après l'adoption de la Convention 69 de l'OIT en 1989, elle pris en 1991 la directive opérationnelle 4.20. Elle y donne sa propre définition des peuples autochtones : 57 Réunion internationale d'experts sur l'approfondissement de la réflexion sur le concept de droit des peuples, UNESCO, Paris 2730 novembre 1989, SHS-89/CONF.602/7, p.8 64 « Les peuples autochtones (Indigenous Peoples) sont identifiés dans des zones géographiques particulières par l'existence à des degrés variables des caractéristiques suivantes : a) le ferme attachement aux territoires ancestraux et aux ressources naturelles de ces zones ; b) l'auto-identification et l'identification par les autres comme des membres d'un groupe culturellement distinct ; c) une langue autochtone (indigenous language) ; d) l'existence d'institutions sociales et politiques coutumières ; et e) un mode de production principalement orienté vers la subsistance » 58. Elle vise ici les « peuples autochtones », parlant de la nécessité de les protéger contre les projets de développement qui pourraient leur nuire, tout en permettant de s'associer à ceux qui leur conviennent. En outre une année puis deux décennies internationales leur ont été consacrées, le but étant de « renforcer davantage la coopération internationale aux fins de résoudre les problèmes qui se posent aux peuples autochtones dans des domaines tels que la culture, l'éducation, la santé, les droits de l'homme, l'environnement et le développement économique et social, au moyen de programmes orientés vers l'action et de projets concrets, d'une assistance technique accrue et d'activités normatives en la matière » . Le droit international ayant parfois une portée et des implications limitées, un tel bilan pourrait sembler dérisoire. Pourtant, la décennie internationale a contribué à changer les mentalités à l'égard des peuples autochtones et à rendre visible leurs problèmes tout en contribuant à en faire des acteurs de leur avenir par une participation efficace et dorénavant reconnue. Le droit semble donc être le seul outil à la disposition de la communauté internationale, des États et des communautés autochtones elles mêmes pour établir un lieu de dialogue et de reconnaissance. L'intensification des relations sociales planétaires a ouvert un nouvel espace politique pour ces peuples autochtones, et a ainsi instauré un nouveau rapport de force avec les sociétés nationales. Il n'est pas possible pour l'ONU d'obliger un État à résoudre directement le litige que soulève une organisation autochtone, mais la verbalisation de celui ci sur la scène internationale peut conduire l'État à trouver des solutions. C'est pour cette raison que le dialogue onusien s'est intensifié dans les années 1990. Ce partenariat d'un genre nouveau se construit sur la scène onusienne qui représente sans doute la forme la plus politique de la communauté internationale. 58 World Bank Operationnal Manual, Operationnal Directive 4.20, Septembre 1991 65 Les peuples autochtones « ont fait leur place à l'ONU » en s'appropriant le Groupe de Travail pour qu'il ne soit pas seulement un lieu de discussion avec les experts et les représentants des États, ou une tribune où ils peuvent présenter leurs doléances, mais pour qu'il soit aussi un outil politique identitaire. Le Groupe de Travail est ainsi devenu, selon la métaphore d'Arjun Appadurai, célèbre anthropologue indien, un lieu essentiel du « paysage autochtone ». Les peuples autochtones sont, chacun, le porte-parole d'un « local » dont ils véhiculent, dans leurs déclarations, des images et des valeurs. C'est ainsi que se construit au niveau international l'autochtonie 59. Soutenues sur le plan financier par divers Fonds de contribution, les organisations autochtones ont su exploiter la dynamique du forum pour se construire comme des représentants légitimes capables de proposer un modèle alternatif à une gouvernance qui les exclue. D'une manière générale, la raison de l'entrée des peuples autochtones sur la scène internationale est de participer à la contestation d'un modèle global dans lequel ils se sentent totalement écrasés. Par leur constante implication dans les mécanismes onusiens, les représentants autochtones sont devenus « partenaires » des États, mais ces derniers demeurent les véritables « maîtres » du jeu puisqu'ils détiennent le pouvoir de décision. On observe donc un « décalage entre la scène internationale qui avance à grands pas dans la prise en compte des perspectives autochtones en raison de la participation des représentants non étatiques qui ont su construire une véritable expertise, et les scènes nationales dans lesquelles les bases sociales du mouvement international évoluent à un rythme différent dans les cinq continents concernés par la présence autochtone » 60. Cet enjeu du partenariat et de l'égalité s'incarne dans la volonté autochtone de se voir reconnaître le statut de « peuples », afin de jouir du droit internationalement reconnu à l'autodétermination. Pour parvenir à leurs fins, les autochtones ont progressivement imposé deux modalités de participation :
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