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Le droit à l'autodétermination pour les peuples autochtones - à la lumière de l'exemple australien

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par Paguiel KOHLER
Université de La Réunion - Master Relations Internationales, Mention Europe et océan Indien 2013
  

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Introduction :

« Nous les peuples indigènes, exigeons que soient reconnues nos différentes cultures ainsi que notre droit à la libre détermination, dans les mêmes termes que ceux qui sont reconnus à tous les peuples du monde par les traités internationaux des Droits de l'Homme »

Rigoberta Menchù, prix Nobel de la paix 1

Le début du siècle a été marqué par la montée en puissance des mouvements indigènes de résistance et d'affirmation identitaire associée à une solidarité internationale résolue à rompre définitivement avec l'héritage colonial. Ainsi s'élèvent les voix de différents peuples sur tous les continents, déterminés à se faire respecter par un monde qui les a longtemps ignorés après les avoir spoliés, stigmatisés et persécutés. Du fait de cette situation de marginalisation, les peuples autochtones ont été privés de la possibilité de décider de leur propre destin, et donc de leur capacité à disposer d'eux-mêmes. Ce droit est pourtant la condition indispensable à la préservation des communautés autochtones. C'est à cette question du droit des peuples autochtones à disposer d'eux-mêmes que nous allons nous intéresser au cours de ce travail.

Les peuples autochtones sont disséminés dans l'ensemble du monde de l'Arctique au Pacifique Sud, et représentent plus de 300 millions d'individus. Ils sont ainsi dénommés car ils vivaient sur leurs terres avant que des colons venus d'ailleurs ne s'y installent. Ils sont tous différents les uns des autres, et ont des caractéristiques, une culture, un mode de vie propres à chaque communauté. La plupart des peuples autochtones ont conservé des caractéristiques sociales, culturelles, économiques et politiques qui se distinguent nettement de celles des autres groupes qui composent les populations nationales. Malgré leurs différences, ils possèdent un passé commun de marginalisation, de spoliation et d'exclusion.

1 Discours prononcé au Sommet mondial du développement durable de Johannesburg en 2002

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Selon une définition fournie par l'Organisation des Nations Unies, ils sont « les descendants de ceux qui habitaient dans un pays ou une région géographique à l'époque où des groupes de population de cultures ou d'origines ethniques différentes y sont arrivés et sont devenus par la suite prédominants, par la conquête, l'occupation, la colonisation ou d'autres moyens » 2. D'autres termes ont parfois été utilisés par les États pour les désigner, comme « aborigène », « peuple premier », « peuple racine », « première nation » ou encore « peuple natif », succédant à l'appellation péjorative de « peuple primitif ». Il apparaissait donc nécessaire de trouver une définition commune de la notion de peuple autochtone.

Avant d'aborder la définition fournie par les Nations Unies des peuples autochtones, une première question va se poser sur la conception classique de la notion de peuple. Si l'on veut construire un nouveau type de régime international du droit des peuples autochtones à l'autodétermination, il faut commencer par définir le concept de « peuples » lui-même. En effet, beaucoup d'interrogations subsistent quant à l'utilisation de ce terme pour qualifier des minorités vivant sur le territoire d'un État. Pour cela il est intéressant de se pencher sur les enseignements du débat opposant plusieurs thèses au cours du XIXe siècle.

Selon la conception objective de la notion, ce qui constitue un peuple c'est le fait d'avoir en commun certains traits objectifs, tels que la race, la langue ou encore la religion. Vivement contestée, jugée trop restrictive, cette conception ne permettait pas de cerner un peuple, « une nationalité », un concept qui avait émergé lors du printemps des peuples au milieu du XIXe siècle.

On opposa alors aux critères distinctifs des peuples, longtemps basés sur l'anthropomorphisme, une vision nouvelle, plus subjective, élaborée à partir de la réponse qu'adressa Fustel de Coulanges aux prétentions allemandes sur l'Alsace : « Il se peut que l'Alsace soit allemande par la race et par le langage, mais par la nationalité et par le sentiment de la patrie, elle est française » 3. Cette conception, qui à l'inverse de la première n'est pas basée sur l'ethnologie, est plus émancipatrice : n'importe quel groupe d'individus peut bénéficier du droit de disposer de lui même, le peuple étant ici désigné par la manifestation de sa volonté. Cependant elle fut également critiquée, du fait de son caractère trop excessif.

La doctrine finit donc par adopter une conception plus nuancée, celle du maître italien Mancini,

2 ONU, Fiche d'information No.9 (Rev.1) - Les droits des peuples autochtones ; HCDH 1996-2004

3 Lettre à Mommsen, du 27 octobre 1870, citée par BASDEVANT (S.), Le principe des nationalités dans la doctrine, in La Nationalité, Paris Institut de droit comparé, 1993, pp. 87 et suiv.

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qui met au premier plan la conscience nationale. Selon celle ci en effet, c'est le sentiment qu'a un groupe de son individualité, de sa spécificité, qui font de lui un peuple. La conscience nationale naît de plusieurs éléments objectifs : la parenté ethnique, la communauté de moeurs, de langue, d'histoire, de religion, de culture, de territoire.

Ces débats sur la notion de peuple peuvent être mis en rapprochement avec ceux sur la conception de la nation. Deux visions s'opposent :

Une définition « subjective » du peuple, entité collective constituée en nation et reconnue de la sorte, qui insiste sur le sentiment d'appartenance. Particulièrement présente dans la conception française, cette vision a été formalisée par Ernest Renan, auteur français de la fin du Ixe, dans son discours à la Sorbonne Qu'est-ce qu'une nation ? en 1882 :

« Une nation est donc une grande solidarité[...]. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune [...] un plébiscite de tous les jours [...]. Une nation n'a jamais un véritable intérêt à s'annexer ou à retenir un pays malgré lui. Le voeu des nations est, en définitive, le seul critérium légitime, celui auquel il faut toujours en revenir [...]

L'homme n'est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes. Une grande agrégation d'hommes, saine d'esprit et chaude de coeur, crée une conscience morale qui s'appelle une nation » 4

Cette vision est celle du droit du sol, où une personne devient membre d'une nation au nom du lieu ou elle est née, ou elle vit et dont elle partage le destin.

Et il existe une définition « objective » de cette entité collective constituée en nation, qui insiste sur une ascendance commune, un territoire commun et une langue commune. Cette vision est particulièrement présente dans la conception Allemande, et a été formalisée par Johann Gottlieb Fichte, dans son Discours à la nation allemande, en 1807-1808. Selon lui, la Nation se détermine par la culture, l'histoire et la langue, donc de façon objective. Elle s'incarne en outre dans l'État,

4 « Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et de ceux qu'on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. L'existence d'une nation est (pardonnez-moi cette métaphore) un plébiscite de tous les jours, comme l'existence de l'individu est une affirmation perpétuelle de vie. Oh ! je le sais, cela est moins métaphysique que le droit divin, moins brutal que le droit prétendu historique. Dans l'ordre d'idées que je vous soumets, une nation n'a pas plus qu'un roi le droit de dire à une province : «Tu m'appartiens, je te prends». Une province, pour nous, ce sont ses habitants ; si quelqu'un en cette affaire a droit d'être consulté, c'est l'habitant. Une nation n'a jamais un véritable intérêt à s'annexer ou à retenir un pays malgré lui. Le voeu des nations est, en définitive, le seul critérium légitime, celui auquel il faut toujours en revenir ». RENAN Ernest (1823-1892), Qu'est-ce qu'une nation?, 1882. [EN LIGNE] Version html disponible sur le site de La bibliothèque électronique de Lisieux.

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lequel représente et décide « l'orientation de toutes les forces individuelles vers la finalité de l'espèce ». L'État doit être démocratique, assurant la liberté de chacun, et la possibilité pour chacun d'avoir une vie heureuse et profitable, en assurant une distribution équitable des richesses. Cette vision mène plutôt à une conception de la nationalité basée sur le « droit du sang », où il est difficile pour un allogène de devenir membre du corps national.

La Nation est donc devenue la source des différents pouvoirs. Elle peut être définie comme le peuple constitué en corps politique, détenteur de la Souveraineté, dont la volonté est mise en oeuvre par des représentants élus, sans qu'aucun corps intermédiaire ne puisse y faire obstacle.

Pour cette raison l'État et la nation sont très souvent associés. Ainsi, toute nation a le droit de disposer d'un État et tout État doit s'appuyer sur l'existence d'une Nation. L'existence des États-nations apparaît dès lors comme une conséquence logique du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, dont le principe s'est imposé au XXe siècle dans la conduite des relations internationales.

Selon José Echeverria « La nation, comme le peuple, sont des communautés humaines caractérisées par la participation à un même passé et par la volonté de se construire un futur. Dans le cas de la nation, l'accent est mis sur l'origine commune. Dans le cas du peuple, il est mis sur la volonté d'un futur. La légitimation, pour la nation, est rétrospective, pour le peuple, elle est prospective » 5.

Ainsi, « la nation tend à se reproduire, à répéter dans le présent son passé. En revanche, le peuple tend au changement. Il tend à s'inventer un destin qu'il choisit librement et affirme ensuite dans des décisions. Ainsi, c'est au peuple, non à la nation, que l'on attribue le droit à la libre détermination de lui-même car on suppose que la nation est déjà « déterminée ». Face au droit de souveraineté, dont la nation est titulaire, le peuple revendique le droit à la souveraineté » 6.

Il apparaît que le terme de peuple est indissociablement lié à une signification politique : un ensemble de personnes reconnu comme un peuple se voit reconnu implicitement comme un groupe ayant des droits politiques spécifiques, voire le droit de former une nation souveraine. Il s'agit dès lors de préciser la notion de peuple « autochtone ».

Pour interpréter correctement l'expression « peuples autochtones » en droit international, il convient de définir les deux termes, autrement dit il faut déterminer ce qui caractérise les « peuples » et donner un sens juridique au mot « autochtones » (1). Une fois les notions de peuple et

5 Voir CASSESE A. et JOUVE E. (dir.), Pour un droit des peuples, Paris, Berger-Levrault, 1978. p. 95 et s. ; E.Jouve, Le droit des peuples, Paris, PUF, 1992, 2ème éd.

6 JOUVE Edmond, « Où en est le droit des peuples à l'aube du IIIème millénaire ? » , ; Actes de la cinquième réunion préparatoire au symposium de Bamako : La culture démocratique (juin 2000)

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d'autochtonie définies, nous nous intéresserons à l'applicabilité du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes aux différentes communautés autochtones. Chaque peuple étant libre de déterminer la forme de son régime politique, nous aborderons donc les fondements du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes (2). Enfin, nous traiterons de la mise en pratique à un niveau interne de ces règles internationales. Nous terminerons donc notre propos introductif par un récapitulatif historique de la place des aborigènes dans l'ordre interne australien (3).

1 - Le statut de « peuple autochtone », notion et contexte en droit International

Il s'agit ici de traiter de la notion d'autochtonie elle-même, de la définir et d'en analyser les caractéristiques (a), avant d'aborder le contexte historique dans lequel cette notion a pu émerger sur la scène internationale (b).

a) La notion de peuple autochtone en droit International

Le terme « autochtone » (du grec autokhthôn, de autos « soi même » et khthôn « terre ») désigne ce qui est issu du sol même où il habite, qui est censé ne pas être venu par l'immigration ou n'être pas que de passage 7. Cette définition renvoie à une relation particulière de l'individu et du groupe à la terre, appréhendée le plus souvent comme « Terre-mère » ; tandis que le terme « indigène » (du latin indi ou endu « à l'intérieur, dans le pays » et de gena « né »), est considéré comme « relatif à la population autochtone d'un pays placé sous un régime colonial ou de protectorat » 8.

La première institution internationale à s'être intéressé à la notion d'autochtonie a été le Bureau International du Travail. Selon cet organe, les autochtones sont nommés ainsi parce qu'ils étaient dans le pays avant que celui-ci n'ait été colonisé ou conquis par les ancêtres des groupes détenant actuellement le pouvoir.

Le critère de l'antériorité de l'occupation d'un territoire implique l'établissement d'un « contact permanent entre deux éléments ethniques différents sur un territoire donné, où l'un est survenu alors que l'autre, qualifié d'aborigène ou d'autochtone, y était déjà installé ». On retrouve ce terme dans la Convention 169 de l'OIT relative aux peuples indigènes et tribaux du 27 juin 1989.

7 Cf. Le Petit Robert, Dictionnaire de la Langue Française, 2002

8 Cf. Dictionnaire de l'Académie francaise, 9e éd., http://academie-francaise.fr/dictionnaire

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Bien qu'en anglais la formulation soit celle d'indigenous peoples ; elle devient en français: peuples autochtones. En effet, le mot Indigène en français est marqué du sceau du régime de l'indigénat, le cadre légal pratiqué dans les colonies françaises du milieu du XIXe siècle à 1944-1947.

Le terme « aborigène » (du latin ab- et origines « qui sont nos lointaines origines », désigne un autochtone dont les ancêtres sont considérés comme étant à l'origine du peuplement 9. Il qualifie plus particulièrement « la situation d'un peuple indigène dont les revendications identitaires se basent sur le fait qu'il est en situation de dépendance de type colonial vis à vis d'un État, même si l'annexion ou l'occupation datent de plusieurs siècles et ne prennent pas la forme juridique stricto sensu de la colonisation » 10.

La notion d'« aborigène » a également un caractère relatif, que fait apparaître dans la définition du B.I.T. la mention de « vagues successives de conquête ». Ils représentent, par rapport aux colonisateurs, une population que sa civilisation inférieure a réduite à un état de subordination. Deux éléments forment donc la définition de l'aborigène : le premier est l'antériorité de l'occupation du territoire; le second est celui de l'infériorité et de la subordination à l'égard des descendants des nouveaux arrivants colonisateurs ou conquérants.

« Sont aborigènes les descendants de la population autochtone qui habitait un pays déterminé à l'époque de la colonisation ou de la conquête (ou de plusieurs vagues successives de conquête) réalisée par certains des ancêtres des groupes non autochtones détenant actuellement le pouvoir politique et économique » 11.

Ce terme est quant à lui plutôt tombé en désuétude, désignant ces populations souvent de façon péjorative. On le retrouve dans la Convention 107 de l'OIT relative aux populations aborigènes et tribales du 26 juin 1957. Ce terme a été peu utilisée en France, puisque les terres occupées lors de la colonisation française étaient très souvent dépeuplées. Actuellement il est utilisé pour désigner spécifiquement les populations autochtones d'Australie.

La seule définition juridique au plan international reste celle de l'OIT dans sa Convention 169 de 1989 relative aux peuples indigènes et tribaux. Selon celle ci, les peuples indigènes sont des

« (p)euples dans les pays indépendants qui sont considérés comme indigènes du fait qu'ils descendent des populations qui habitaient le pays, ou une région géographique à laquelle

9 Cf. Le Petit Robert, Dictionnaire de la Langue Française, 2002

10 ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane, POUMAREDE Jacques « Droit des minorités et des peuples autochtones », PUF, 1996, p. 428

11 B.I.T., 1953, p. 27

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appartient le pays, à l'époque de la conquête ou de la colonisation ou de l'établissement des frontières actuelles de l'État, et qui, quel que soit leur statut juridique, conservent leurs institutions sociales, économiques, culturelles et politiques propres ou certaines d'entre elles »

« Le sentiment d'appartenance indigène ou tribale doit être considéré comme un critère fondamental pour déterminer les groupes auxquels s'appliquent les dispositions de la présente convention » 12

On trouve dans cette définition trois éléments principaux caractérisant les peuples autochtones : le lien historique, la différence culturelle et l'auto-identification. La situation de domination n'est toutefois pas explicitement citée.

Une autre définition de la notion d'autochtonie a été fournie par J. Martinez Cobo dans son Étude du problème de la discrimination à l'encontre des populations autochtones :

« Par communautés, populations et nations autochtones, il faut entendre celles qui, liées par une continuité historique avec les sociétés antérieures à l'invasion et avec les sociétés pré-coloniales qui se sont développées sur leurs territoires, s'estiment distinctes des autres segments de la société qui dominent à présent sur leurs territoires ou parties de ces territoires. Elles constituent maintenant des segments non dominants de la société et elles sont déterminées à préserver, développer et transmettre aux futures générations leurs territoires ancestraux et leur identité ethnique, qui constituent la base de la continuité de leur existence en tant que peuples, conformément à leurs propres modèles culturels, à leurs institutions sociales et à leurs systèmes juridiques » 13.

Au niveau individuel, l'autochtone est donc la personne qui appartient à une population autochtone par auto-identification, et qui a donc une conscience de groupe ; et c'est également la personne qui est reconnue et acceptée par cette population en tant que l'un de ses membres. On retrouve ici les quatre éléments importants de la définition des peuples autochtones : la différence culturelle, la situation de domination, la continuité historique et l'auto-identification.

Pendant longtemps les États ont utilisé des expressions telles que « natif (Native) » qui vise la

12 Convention OIT n°169 Article 1.1.b.

13 MARTINEZ COBO José, Étude du problème de la discrimination à l'encontre des populations autochtones : E/CN.4/Sub.2/1986/7/Adds.4

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naissance d'un individu ou son origine, « premières nations », « peuples premiers », ou encore « populations indigènes ». Certains préfèrent employer l'expression de « minorités ethniques » ce qui ne convient pas aux peuples autochtones 14.

Les Nations Unies n'ont toujours pas donné de définition précise de la notion de « peuples autochtones », ceux ci revendiquant le droit de définir eux mêmes le contenu de cette notion. Cette imprécision suscite parfois des tensions aux seins des États abritant des communautés pouvant être considérées comme autochtones. Le problème peut se poser également lors de l'identification de ces peuples en cas de litige avec un État.

On constate que la définition du peuple est une opération très délicate puisqu'elle consacre le droit à l'Autodétermination et peut ainsi affecter l'unité nationale et l'intégrité territoriale de l'État. Afin de pallier ce manque de définition juridique conventionnelle, l'Assemblée générale de l'ONU doit pouvoir identifier les peuples se revendiquant comme autochtones. Ceux ci s'opposent néanmoins à toute prétention étatique de les définir sans leur consentement. C'est pour cette raison que la doctrine retient les critères développés par le rapporteur spécial Martinez Cobo, qui permettent une caractérisation large de la notion d'autochtonie, basée en grande partie sur l'auto-identification, et la conscience d'appartenir à un groupe.

Les peuples autochtones peuvent être définis comme étant les descendants des peuples qui occupaient et contrôlaient souverainement des territoires au moment de la colonisation de celui ci. Nous allons donc nous intéresser au contexte historique qui a permis l'essor de la notion d'autochtonie.

b) Le contexte historique de l'essor du mouvement autochtone

À partir du XVIe siècle, lors de l'expansion européenne, c'est le colonialisme moderne qui va être responsable du déplacement forcé de communautés autochtones, allant même jusqu'à des massacres ethniques ou des assimilations forcées au sein de la société colonisatrice. Selon certains auteurs, les autochtones sont nés de cette conquête : « l'afflux de colons, l'exploitation des richesses naturelles,

14 Il faut en effet distinguer les droits des minorités, qui oscillent entre droits collectifs et droits individuels, ne donnant pas accès au droit à l'autodétermination ; des droits des Peuples autochtones, qui sont des droits collectifs, donnant accès au droit à l'autodétermination. En droit international, une minorité est un groupement de personnes liées entre elles par des affinités religieuses, linguistiques, ethniques, politiques, englobées dans une population plus importante d'un État, de langue, d'ethnie, de religion, de politique différentes.

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l'asservissement accessoire les ont transformés en cette catégorie résiduelle » 15. Les sociétés autochtones ont souvent des valeurs qui sont très différentes de celle de l'Occident, et le coeur de leur identité reste, dans le monde entier, un sens profond d'appartenance à la « terre-mère ». Pour ces communautés, la terre est un bien collectif, dont l'humanité n'aura jamais que l'usufruit ; ce qui correspond peu à la notion occidentale de la propriété. Les peuples autochtones parlent en effet de droit collectif et inaliénable à la terre. Elle ne représente pas pour eux une marchandise qui peut être achetée ou vendue, mais bien une responsabilité collective de la communauté qui doit la transmettre aux générations futures. La situation des peuples autochtones est le résultat d'un processus historique d'usurpation et d'extinction de leur souveraineté par le colonialisme. Les peuples autochtones ont ainsi été victimes de la colonisation, privés de leur capacité à disposer d'eux-mêmes, de leur qualité de peuple indépendant 16.

Pour tous ces peuples, un développement viable dans un environnement sain et en paix constitue une priorité. Les peuples autochtones furent en effet décimés par les politiques des États et constituent aujourd'hui un des groupes sociaux les plus défavorisés. Cette pauvreté généralisée trouve ses sources dans l'histoire de la colonisation ainsi que dans la discrimination persistante et systématique et dans la non-reconnaissance des droits individuels et collectifs des peuples autochtones. Ceux-ci ont ainsi été dépossédés des terres de leurs ancêtres, ont perdu leurs connaissances ancestrales et le contrôle de leurs ressources naturelles, et ont été forcés de s'assimiler dans la culture dominante et de s'intégrer dans l'économie de marché. Les membres des peuples autochtones représentent une part disproportionnée des populations les plus pauvres, aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement.

Mais les peuples autochtones dans l'Histoire ne sont pas que de passives victimes, et ont maintes fois lutté contre le colonialisme par le biais de la négociation, l'opposition politique, ou encore la lutte armée.

En Australie par exemple, lorsque les envahisseurs se sont emparés des territoires autochtones, démembrant ainsi leurs systèmes juridiques et politiques, ils se sont heurtés à une très vive résistance. Les Aborigènes se sont engagés dans une longue guerre de guérilla, attaquant les routes d'approvisionnement et les propriétés. D'un autre coté, en Amérique du Nord, les nations amérindiennes ont tenu tête au colonialisme pendant plus de trois siècles. L'acte de résistance le

15 ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane, POUMARÈDE Jacques « Droit des minorités et des peuples autochtones », PUF, 1996, pp. 348

16 BERTIN Marie-Claire « Le statut des peuples autochtones en droit international » / Atelier National de Reproduction des Thèses / 2008

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plus connu est celui du peuple Sioux, qui en 1876, avait fait subir aux soldats américains l'humiliante défaite de Little Big Horn River. Des actes de résistance ont également eu lieu en Inde, sous l'Empire britannique, qui s'était trouvé confronté à plusieurs rébellions des Santal, des Munda et d'autres peuples tribaux ; ou encore en Amérique latine, où les peuples de langue quecha se sont soulevés contre les colons espagnols en 1770 et en 1780.

Aujourd'hui, il semble que le colonialisme apparaisse sous un nouveau visage : celui de la mondialisation que les peuples autochtones partout dans le monde doivent affronter. Elle commence par l'intervention des gouvernements qui proclament leur souveraineté sur des ressources auxquelles les peuples autochtones n'ont jamais renoncé, et qu'ils protègent depuis des siècles. Cette mondialisation les a contraint à devenir des acteurs au plan international, et à établir des liens entre eux en vue de former une union symbolique. La mondialisation est en effet le recouvrement progressif du monde par le modèle économique libéral. Considéré comme valeur universelle, le processus démocratique à l'occidentale ne convenait cependant pas à tous les États. Au total, l'emprise des pays riches sur les pays pauvres se révèle bien plus lourde que du temps de la colonisation.

Face à ce « nouveau visage du colonialisme » 17, les peuples autochtones se sont rassemblés pour dénoncer les politiques des gouvernements aux Nations Unies. Avec l'essor de la mondialisation, c'est toute la diversité culturelle des peuples qui est remise en question. En effet comment préserver l'identité culturelle de chacun au sein d'un État-nation ? D'autant qu'aujourd'hui la demande de reconnaissance de la part de minorités telles que les populations autochtones est grandissante. Les populations autochtones sont en effet souvent sous domination culturelle, économique, sociale, politique d'un ou de plusieurs autres peuples, et ne représentent alors qu'une minorité au sein d'États qui ne les reconnaissent pas en tant que peuples distincts.

Depuis quelques années, les peuples autochtones se mobilisent pour retrouver une place en droit International. Une grande partie de cette mobilisation s'effectue sur la scène internationale, et particulièrement à l'ONU.

Les rapports des peuples autochtones avec les organes des Nations Unies sont très particuliers. En effet, au regard du droit International, les peuples autochtones vivent sur le territoire d'États indépendants et souverains, et ne situent donc pas dans une situation coloniale, bien que se revendiquant comme des peuples colonisés, titulaires du droit à disposer d'eux-mêmes. Leurs

17 BURGER Julian « Premières Nations : Un Avenir pour les Peuples Autochtones » Grands Témoins « Image » Anako Éditions, 2000, p.8

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situations sont en outre très diverses, mais tous militent pour obtenir la reconnaissance de leur identité spécifique en qualité de peuples autochtones pour retrouver une autonomie et le contrôle de leurs territoires. Les peuples autochtones vont donc utiliser la scène onusienne pour dénoncer les effets du colonialisme et réclamer la restitution de ce dont ils ont été privés. Revendiquant un statut de peuple en droit International, ils ne souhaitent cependant pas, en général, se séparer de l'État sur le territoire duquel ils vivent, mais veulent jouir d'une réelle autonomie au sein de celui ci. Afin de retrouver leur capacité à disposer d'eux-mêmes et de leurs territoires, de jouir de tous leurs droits collectifs, ces peuples demandent à ce que le droit à l'autodétermination leur soit reconnu.

À l'échelle internationale, le mouvement autochtone est renforcé par la coordination des actions locales. En développant des liens et des programmes communs entre groupes autochtones, la recherche d'un soutien international va s'effectuer au sein de l'Organisation des Nations Unies, qui représente une nouvelle instance internationale permettant le dialogue entre peuples autochtones et gouvernements. Les représentants autochtones disposent en effet d'un temps de parole limité à la Commission des Droits de l'Homme qui se réunit deux fois par an à Genève.

Des organisations non gouvernementales, comme Amnesty International, ont également participé au débat pour parvenir à l'adoption de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Le mouvement actuel fait donc partie de ce processus de lutte pour leur survie en tant que peuples. Aujourd'hui, les peuples autochtones utilisent des techniques politiques modernes pour conjuguer leurs forces et obtenir des soutiens à l'échelle mondiale. Ainsi il existe plusieurs milliers d'organisations autochtones dans le monde, dont la plupart ont été fondées au cours des vingt dernières années. La décolonisation a été le moteur politique de ce mouvement : en effet, avec le retrait des puissances européennes, les relations internationales ont été transformées, et les nouvelles législations internationales ont permis d'améliorer la condition des peuples autochtones, leur fournissant un cadre légal et moral.

Les peuples autochtones sont donc parvenus à quitter la sphère strictement interne dans laquelle ils étaient maintenus depuis bien longtemps, et peuvent désormais dénoncer leur situation de peuples dominés, situation reconnue par la Déclaration des Nations Unies sur le droit des peuples autochtones adoptée le 13 septembre 2007 par l'Assemblée générale de l'ONU après une vingtaine d'années de préparation.

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En remplissant les conditions posées par l'Assemblée générale des Nations Unies, les peuples autochtones peuvent être juridiquement qualifiés de peuples au sens international du terme. Puisque chaque peuple est libre de déterminer la forme de son régime politique, il devrait en être de même pour les communautés autochtones qualifiées en tant que peuple. Pourtant, à part quelques exceptions, les peuples autochtones ne peuvent pas exercer le droit à l'Autodétermination tel qu'il a été strictement développé par l'Assemblée générale. En effet, ce droit assimilé à la décolonisation est associé à une issue unique : l'indépendance. La lutte pour l'autodétermination des peuples autochtones s'apparente à une lutte pour la liberté, ceux ci ne demandant rien de plus que le droit de déterminer leur propre développement et leur avenir.

Analysons donc les fondements de ce droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

2 - Fondements et exercice du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes

Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est le principe selon lequel « chaque peuple dispose d'un choix libre et souverain de déterminer la forme de son régime politique ». Cela suppose que tout peuple lorsqu'il est victime d'un oppresseur à le droit de se défendre. Il est défini dans l'article premier du Pacte sur les droits civils et politiques du 16 décembre 1966 :

« tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel. »

Initialement appelée droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, l'autodétermination est le principe issu du droit international selon lequel chaque peuple dispose d'un choix libre et souverain de déterminer la forme de son régime politique, indépendamment de toute influence étrangère. Le principe établit qu'un peuple doit avoir le droit de déterminer sa propre forme de gouvernement, indépendamment de toute influence étrangère. Il semble donc aller à l'encontre du concept d'intégrité territoriale de l'État. Il s'agit d'un droit collectif qui ne peut être mis en oeuvre qu'au niveau d'un peuple

Mais le conflit tient généralement à la définition du mot peuple, et à la définition des peuples eux-mêmes : si les États défendant l'intégrité de leur territoire considèrent généralement l'ensemble de leurs citoyens comme un peuple unique, certaines minorités nationales se considèrent comme des peuples à part entière et revendiquent leur droit à l'autodétermination.

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Du XVIIIe au XIXe siècle, le concept de peuple a beaucoup évolué, finissant par s'imposer sur la scène internationale à la faveur des deux guerres mondiales.

Le premier instrument international a avoir confié au peuple le rôle d'acteur de sa propre histoire est la Déclaration d'Indépendance des États Unis d'Amérique du 4 juillet 1776. Puis vinrent les différentes Conventions françaises qui ont suivi la Révolution. Il faudra attendre le milieu du XIXe pour voir émerger « le printemps des peuples », avec la Révolution de 1848 qui suscitera une explosion des nationalités en Europe.

Le concept du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes connut une première formulation politique par le président des États-Unis Woodrow Wilson dans ses quatorze points, à la fin de la Première Guerre mondiale. Plusieurs points de son célèbre discours furent d'ailleurs partiellement utilisés pour la rédaction du traité de Versailles de 1919.

Avec la Première guerre mondiale, le concept d'autodétermination fut remis à jour, et les premiers à s'en emparer sont les Russes lors de la Révolution de 1917, qui mena à l'adoption d'une Déclaration des peuples de Russie, qui proclame le droit des peuples à disposer librement d'eux mêmes, y compris celui se se séparer et de se constituer en un État indépendant. C'est en vertu de ce principe que bon nombre de pays Européens obtiennent leur indépendance, bien que le droit des peuples à disposer d'eux mêmes ne se trouve pas inscrit dans le Pacte de la SDN.

Après la Seconde Guerre Mondiale, c'est le phénomène de décolonisation qui va porter ce principe de libre détermination des peuples. L'évolution des idées de liberté et d'égalité dans le cadre interne s'est répercutée sur le plan des relations internationales, passant ainsi à une revendication de l'égalité et la liberté « réelles ». Le principe de libre disposition se devait donc de régir les situations comportant un élément étranger : le colonisateur.

Dès le 14 août 1941, la Charte de l'Atlantique affirmant le droit de tous les peuples de choisir la forme de gouvernement sous laquelle ils veulent vivre » énonçait un Code universel des droits des nations. Ainsi, cette Charte « entreprend de jeter les fondements d'une nouvelle politique internationale » 18.

En octobre 1944 va se dérouler la Conférence de Dumbarton Oaks à Washington. Cette conférence, à laquelle participent les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Union soviétique et la République de Chine, a jeté les bases de l'Organisation des Nations unies. Il s'agissait de promouvoir les Nations Unies en s'inspirant de la Société des Nations, mais cette fois avec une

18 La Conquête mondiale des droits de l'homme, Le cherche midi et Unesco, 1998

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implication particulière des États-Unis. On y retient le principe de certaines institutions : l'Assemblée générale, le Conseil de sécurité, le Secrétariat et la Cour de justice internationale de La Haye.

C'est l'ONU, avec la Charte des Nations Unies, qui va recevoir pour mission de « développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux mêmes » (Art.1)

Le droit à l'autodétermination va donc être valorisé, devenant selon la formule de Philippe Moreau-Defarges le « pivot » des droits collectifs.

Par la suite, l'ONU va considérer que de ce droit découle le droit de fixer librement son statut politique. Il est donc possible de faire une distinction théorique entre « l'autodétermination « externe », qui signifie l'acte par lequel un peuple détermine son futur statut au niveau international et se libère lui-même du joug de « l'étranger », et de l'autre, l'autodétermination « interne », qui a trait essentiellement au choix du système politique et administratif, et à la nature profonde du régime choisi »

Aujourd'hui encore, le droit International se refuse à reconnaître l'existence d'un droit à l'autodétermination externe en dehors du cadre de la décolonisation et l'avis de la Cour internationale de Justice sur la Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d'indépendance du Kosovo n'y a rien changé. Rappelant le principe de souveraineté des États et d'intégrité territoriale, la Cour a voulu éviter de répondre à la question de l'élargissement du champ d'application du droit à l'Autodétermination. Certains représentants des peuples autochtones soutiennent alors que les populations autochtones ont été colonisées, ce qui justifierait leur revendication à l'autodétermination externe.

L'autodétermination externe peut s'exercer dans trois situations : une domination coloniale, un régime de domination ou un apartheid, et une domination étrangère. Son exercice peut par ailleurs se traduire par la création d'un État souverain et indépendant, par une libre association ou une intégration avec un État indépendant, ou par l'acquisition de tout autre statut politique librement décidé par le peuple en question.

D'un autre coté, l'autodétermination interne concerne la libre détermination, par chaque peuple, de son statut et de son régime politiques. L'autodétermination comporte aussi un certain nombre de droits économiques, des droits en matière culturelle, et enfin des droits sociaux.

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Le caractère ambigu du principe d'autodétermination découle de la nature de ses bénéficiaires, et du fait qu'il a souvent été associé aux mouvements de libération nationale. Enfin, ce principe a souvent été décrit comme dangereux pour la stabilité internationale, parce qu'il est susceptible de remettre en cause l'ordre existant, mais aussi parce qu'il engendre troubles et incertitudes.

C'est donc une conception restrictive de l'autodétermination qui l'a progressivement emporté sur la scène internationale, et ce depuis la Seconde Guerre mondiale. Cela a ainsi contribuer à renforcer les États existants plutôt qu'à permettre une réelle expression du « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ».

Confrontées à des politiques gouvernementales néfastes, l'autodétermination prend souvent sa source au niveau local. Les peuples autochtones ont donc ranimé la pratique de leurs langues, offerts aux enfants des conditions d'éducation traditionnelles, transmettant ainsi leur culture aux plus jeunes. Ils ont également mis en avant leur patrimoine culturel très important, comme l'ont fait par exemple les communautés autochtones d'Australie avec le développement de l'art Aborigène.

En outre, les communications entre les groupes autochtones se sont fortement développées, aidant ainsi à promouvoir le débat sur les questions vitales et la préservation de l'identité culturelle. Cette question pose beaucoup de problèmes au sein d'un État-nation, dont le fondement est la souveraineté. En effet, ces peuples demandent un partage de la souveraineté, impliquant que les notions de citoyenneté et d'identité nationale soient remises en cause.

C'est cette problématique autochtone au sein du continent Australien que nous allons soulever au cours de notre travail. La question de la définition des peuples autochtones et de la reconnaissance de leur droit l'autodétermination se pose en particulier pour l'Australie, puisque ce pays était à l'origine peuplé par des communautés que l'on peut caractériser comme autochtones.

3 - L'Australie et ses peuples autochtones

Les peuples autochtones entretiennent une relation longue et complexe avec le territoire australien. Certaines estimations affirment que cette relation dure depuis au moins 40000 ans. Au moment de la colonisation de l'Australie en 1788, les Aborigènes représentaient un ensemble d'à peu près 1,5 millions d'individus, répartis en plus de cinq cents groupes linguistiques et vivants dans toutes les régions de l'Australie.

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Le gouvernement australien a par le passé modifié plusieurs fois sa politique à l'égard des peuples autochtones allant de l'extinction à l'assimilation, à la reconnaissance de l'autodétermination, à l'autonomie gouvernementale, à la prise en charge 19. Actuellement la situation des autochtones n'a cependant guère évoluée, et les statistiques démontrent qu'ils sont toujours les victimes d'une certaine marginalisation.

Au moment de l'arrivée des premiers européens, les aborigènes étaient environ 400 000 sur le continent, se répartissant en plus de 500 tribus ayant chacune sa propre langue et son propre système de parenté 20. Vivant essentiellement de chasse, pêche et cueillette, leur organisation sociale était fondée sur le respect de l'intérêt commun et de la propriété collective. En outre, selon leur conception, c'est l'individu qui appartient à la terre et non l'inverse.

Les sociétés aborigènes diffèrent beaucoup selon les régions et leur environnement. Mais certains principes leur sont communs, notamment le concept de Dreaming, désignant le Temps du Rêve, conception aborigène de l'ordre physique et spirituel qui régit l'univers et qui unit, de manière dynamique, passé, présent et futur 21.

Un deuxième groupe d'indigènes, les Insulaires du Détroit de Torres, est proche des peuples aborigènes, tout en possédant sa propre Histoire et sa propre culture. Ce groupe peuplait, à l'origine, des îles du Détroit de Torres, séparant l'extrémité Nord de l'Australie (plus précisément du Queensland) de la côte Sud de la Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Dès le début de la colonisation, un racisme fort s'exerçait à l'égard des aborigènes. Tout au long du XIXe siècle, ils furent considérés comme un obstacle à l'expansion britannique, et donc furent violemment chassés de leurs terres. Pourtant, dès 1788, le gouverneur Arthur Phillip avait émis la volonté de protéger ces autochtones contre les violences des colons.

À la fin du XIXe siècle, après avoir chassé les Aborigènes des terres les plus fertiles, le gouvernement commença à créer des réserves où l'on parqua les survivants, limitant de ce fait les possibilités d'éducation et les offres d'emploi. C'est pour remédier à cela que fut créée la Ligue pour

19 Séminaire Droit à l'autodétermination des peuples autochtones (New York, le 18 mai 2002 ; National Library of Canada, second quarter 2002. ISBN: 2-922084-67-1.) Synthèse, p. 60

20 Il est probable qu'à l'origine, l'indigène australien était un Caucasien qui aurait immigré d'Europe en Asie lorsque la plaque indo australienne était toujours rattachée à la plaque eurasienne.

21 Le Dreaming renvoie aux origines mythiques ou des êtres prodigieux façonnèrent la surface du continent australien alors totalement plat. Ces êtres du Rêve - animaux, plantes ou phénomènes naturels - créèrent pour l'éternité parallèle à celle des hommes, et interviennent auprès des vivants dans leurs rêves Le Temps du Rêve relève aussi d'une dynamique spatiale inscrite dans les chemins qui relient les sites sacrés entre eux, héritage des voyages ancestraux, que les hommes continuent à parcourir et dont ils sont les gardiens. Chaque Aborigène est attaché à un ou plusieurs Rêves, liés à un lieu spécifique ou à un itinéraire sur le territoire.

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la promotion des Aborigènes (Aborigines Advancement League ; AAL). En 1938, à l'occasion du 150e anniversaire de la First Fleet, l'AAL organisa une démonstration appelée « jour du deuil » (Day of Mourning) et lança un appel pour les droits civiques des Aborigènes.

C'est alors que les législateurs lancèrent le programme d'« assimilation » qui devait achever la destruction des populations indigènes. Selon les directives officielles, les Aborigènes de sang pur devaient être confinés dans des réserves, et privés de la plupart des droits civiques.

Dans les années 1940, face aux difficiles conditions de vie dans les réserves, fut créé un système de laissez-passer pour les travailleurs indigènes. En 1949, le droit de vote aux élections fédérales fut accordé aux indigènes qui avaient servi dans les forces armées ou étaient inscrits sur les listes pour voter dans les élections d'état. En 1962, le Premier ministre Robert Menzies octroya aux Aborigènes le droit de s'inscrire et de voter aux élections fédérales, par le Commonwealth Electoral Act.

C'est en 1967, sous le mandat du premier ministre Harold Holt, qu'eut lieu un important référendum en vue d'inclure les Aborigènes dans le recensement national. Il obtint l'appui de plus de 90% des électeurs.

Vint ensuite l'arrivée d'un nouveau gouvernement, avec à sa tête Gough Whitlam. Celui ci va appliquer une nouvelle politique : celle du multiculturalisme, qui sera par la suite consolidée par les différents gouvernements. Cependant, cette politique n'accordera pas une place suffisante aux premiers habitants de l'Australie. Les autorités australiennes décidèrent donc, à partir de 1972, de préconiser une nouvelle approche, promettant à ces populations un degré important d'autonomie. Dès lors, l'autodétermination devenait en effet la politique officielle du Commonwealth d'Australie. Le gouvernement australien proclamait d'ailleurs que « l'autogestion et l'autosuffisance sont les concepts de base de la politique australienne contemporaine concernant sa population autochtone » 22.

Entre les années 1970 et 1980, les différents gouvernements successifs entreprirent la création d'une floraison d'organisations aborigènes chargées de la mise en place de la politique d'autodétermination. Le rôle des gouvernements consistait surtout à valoriser la différence culturelle et la spécificité historique des autochtones, tout en entérinant le principe d'auto-identification, si fondamental au principe d'autodétermination. La reconnaissance des cultures autochtones fut donc un moteur et un enjeu des droits fonciers, de la création du Secteur autochtone, que nous verrons plus en détail au cours de ce travail, et de la mise en place de programmes ou services spécifiques.

22 Ibid ; p. 152

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En 1983, le Parti travailliste s'installa au pouvoir avec comme Premier Ministre Robert Hawke qui restera en fonction jusqu'en 1991. C'est durant cette période qu'émergea l'idée de réconciliation entre Aborigènes et non-Aborigènes. Il s'agissait de réconcilier tout un pays avec son histoire, son pluralisme et ses valeurs. Cette réconciliation pouvait se révéler être un moyen d'accompagner les Aborigènes sur la voie de l'autodétermination au sein de l'État, ou au contraire un moyen d'intégrer les Aborigènes en favorisant leur assimilation structurelle.

En 1992, la propriété foncière ancestrale des Aborigènes est reconnue avec le jugement Mabo, et la fiction juridique de terra nullius est finalement rejetée par la Haute Cour. Dès lors, la législation fédérale et les lois des Territoires ont dû être révisées en tenant compte de ce nouveau « droit ancestral ».

Il faudra attendre décembre 1993, pour que le Parlement Fédéral vote le «Native Title Act» (Loi sur les titres Autochtones) afin de définir le principe des droits fonciers des premiers habitants. Cette loi établit que les titres de propriété ou de location rendent caducs les droits aborigènes, limitant ainsi l'application de leurs droits fonciers aux terres dépourvues de propriétaire ou de locataire.

C'est en février 2008 qu'a eu lieu la reconnaissance symbolique lorsque le nouveau Premier ministre Kevin Rudd s'est excusé devant le Parlement au nom du peuple australien pour les crimes commis par le passé envers les Aborigènes :

« We apologise for the laws and policies of successive parliaments and governments that have inflicted profound grief, suffering and loss on these our fellow Australians. We apologise especially for the removal of Aboriginal and Torres Strait Islander children from their families, their communities and their country » 23

Aujourd'hui les Aborigènes sont près de 257 000 individus dont 28 000 insulaires du Détroit de Torres et un tiers de métis ; et représentent 1,5 % de la population totale. Un tiers d'entre eux vivent en zone rurale, et moins d'un quart en zone urbaine. Le reste, soit la majorité, vit dans l'arrière-pays semi-aride de l'Outback, selon leurs coutumes et usages traditionnels.

En militant et faisant valoir leurs droits, ils tentent de construire au sein du continent australien une nation aborigène qu'ils s'efforcent de faire reconnaître sur le plan international.

23 Prime Minister Kevin Rudd, MP - Apology to Australia's Indigenous peoples ; Wednesday, February 13, 2008

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L'objet de ce mémoire va donc être d'analyser la situation juridique des peuples autochtones, ainsi que leur capacité à disposer d'eux mêmes, en se concentrant particulièrement sur l'interaction entre le droit International et le droit interne australien. Il s'agit de se demander comment, et dans quelle mesure les peuples autochtones, et particulièrement les aborigènes australiens, peuvent-ils bénéficier du droit à disposer d'eux-mêmes. L'intérêt de ce travail est donc d'analyser la situation juridique des peuples autochtones qui découle de leur capacité à disposer d'eux mêmes. Il s'agit de s'intéresser à la naissance d'une mobilisation autochtone sur les scènes nationales, puis à l'émergence de ce mouvement à l'échelle internationale ; avant de voir de quelle manière les peuples autochtones exercent ils leur droit à l'autodétermination.

Ce choix régional s'explique par le fait que les peuples autochtones de ce continent présentent toutes les caractéristiques pour être qualifiés de peuples autochtones : dépouillés de leurs attributs en tant que peuple souverain, dépossédés de leurs territoires, ils ont ensuite été exclus de la société dominante et marginalisés au sein du pays qu'ils occupaient de manière traditionnelle.

À l'image de la mobilisation autochtone, les revendications des aborigènes Australiens pour l'exercice de leur droit à l'autodétermination ont émergé depuis les années 1960, allant de la reconnaissance de l'autodétermination à celle d'une autonomie gouvernementale. Nous nous intéresserons tout particulièrement à la situation des communautés Aborigènes présentes sur le Territoire du Nord, ainsi que dans le Détroit de Torres.

Au nom de la souveraineté des États, chacun est libre de définir selon sa propre conception la notion de peuples autochtones. Néanmoins, depuis une trentaine d'années, la question autochtone tend à émerger sur la scène internationale, avec pour but de créer un régime international effectif capable de régir les peuples autochtones dans toute leur diversité.

La première partie de ce travail est donc consacrée à l'analyse de l'évolution du droit des peuples autochtones sur la scène internationale, et à l'émergence d'un droit pour ces peuples à disposer d'eux-mêmes. Il s'agit donc d'analyser le passage d'une conception interne de l'autochtonie à une conception internationale.

Dans un second temps, nous allons traiter de l'exercice du droit à disposer d'eux-mêmes par les peuples autochtones. Après avoir vécu durant des années dans une situation coloniale, les peuples autochtones ont demandé réparation de cette situation, en se mobilisant sur les plans nationaux et

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internationaux afin d'être reconnus en qualité de peuples en droit International, et ainsi retrouver leur capacité à disposer d'eux-mêmes.

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I - Évolution du droit des peuples autochtones : De l'internalisation à l'internationalisation

Après avoir été « oubliés » par la communauté internationale pendant des années, les peuples autochtones se mobilisent pour obtenir la reconnaissance et le respect de leurs droits collectifs aussi bien sur les plans nationaux que sur le plan international. En effet, au regard du droit international, les peuples autochtones ne bénéficient d'aucun statut collectif, et seuls les individus sont pris en considération, dans le cadre de la protection des Droits de l'Homme.

Le droit relatif aux peuples autochtones est un droit emprunté au droit général des droits de l'homme d'abord, comme le sont beaucoup de droits individuels et même collectifs. Pour les peuples autochtones, le recours aux Droits de l'Homme est inapproprié car ce ne sont que des normes individuelles de protection qui ne permettent pas de défendre des droits collectifs. Ils ne sont donc pas suffisants pour répondre à toutes leurs revendications en vue de sauvegarder leur identité collective.

Le statut et les attributs des peuples autochtones ont été continuellement manipulés, instrumentalisés pour servir les intérêts des États colonisateurs. Ainsi, pendant la deuxième moitié du XIXe siècle et la première moitié du XXe, les peuples autochtones sont sous la souveraineté d'un État et sont absents de la scène internationale. Il y a donc eu pendant cette période une négation systématique et soutenue de la réalité autochtone manifestée par les tentatives d'anéantissement des cultures et institutions. Cette méconnaissance de l'Histoire est responsable des préjugés et des préconstruits entretenus à l'égard des peuples autochtones.

C'est avec le mouvement de décolonisation que bon nombre d'entre eux vont retrouver leurs territoire, leur indépendance, et leur capacité à disposer d'eux-mêmes. Cependant, certains vivent toujours dans des situations de colonisation sur le territoire d'États indépendants. D'où l'intérêt pour ces communautés de porter leur cause à l'échelle internationale pour faire entendre leur droit à un identité propre impliquant le respect de leurs droits économiques, sociaux et culturels. Dans les années 1960, ces peuples vont réapparaître sur la scène internationale en revendiquant la reconnaissance de leur qualité de peuples, et de leur droit à l'Autodétermination.

Nous allons donc nous intéresser dans un premier temps à l'origine même de la notion d'autochtonie (A), avant de traiter de l'émergence d'un droit international applicable aux peuples

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autochtones (B). Nous illustrerons notre propos par un exemple concret en abordant le traitement des autochtones sur le territoire australien (C).

A) L'origine de la notion d'autochtonie

Il n'existe aucune définition, en droit international, des peuples autochtones, ce qui peut s'expliquer par l'importance du critère d'auto-identification du caractère autochtone. En outre, ils s'opposent à toute prétention étatique de les définir sans leur consentement ou participation. Pourtant ces peuples ont besoin d'un statut juridique international pour retrouver ce dont ils ont été privés.

Selon sa conception originelle, la notion de peuple autochtone était assimilée à la notion de peuple colonisé. En effet, les autochtones étaient nommés ainsi parce qu'ils étaient dans le pays avant que celui-ci n'ait été colonisé ou conquis par les ancêtres des groupes détenant actuellement le pouvoir. Cette conception est d'ailleurs celle retenue par les Conventions de l'OIT.

Il convient donc de traiter des différentes tentatives de définition de la notion de « peuple autochtone », en abordant dans un premier temps les définitions conventionnelles (i.), puis les définitions doctrinales (ii.). Nous terminerons notre réflexion en traitant du statut atypique des peuples autochtones en droit international (iii.).

i. Les définitions conventionnelles de l'autochtonie

Une certaine organisation a beaucoup oeuvré pour poser une définition internationale de l'autochtonie : l'Organisation internationale du Travail. Celle-ci, ainsi que le Bureau international du Travail portent depuis longtemps une attention particulière aux peuples autochtones. Son mandat consistant à protéger les droits des individus dans le cadre du travail et à assurer la justice sociale, elle va donc par le biais de Conventions intervenir sur la question de la protection des peuples autochtones, mais en tant qu'individus et non en tant que collectivité.

Dès 1921, le Bureau international du Travail effectue des études sur les travailleurs autochtones dans les pays indépendants, et en 1926 est créé un Comité d'experts du travail des autochtones qui sera à l'origine de bon nombre de Conventions relatives aux autochtones. Ainsi sera définie dans la

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Convention 50 sur le recrutement des travailleurs autochtones de 1936, la notion de travailleur indigène : « travailleurs appartenant, ou assimilés, à la population indigène des territoires dépendants des membres de l'organisation, ainsi que les travailleurs appartenant, ou assimilés, à la population indigène non indépendante des territoires métropolitains des membres de l'organisation ».

En 1953, le BIT publie une étude sur les conditions de vie des autochtones : Les populations aborigènes . conditions de vie et de travail des populations autochtones des pays indépendants, qui est le premier document de référence sur le plan mondial. Il y complète sa définition, en précisant que les aborigènes « ont tendance à mener une vie plus conforme aux institutions sociales, économiques et culturelles antérieures à la colonisation ou à la conquête qu'à la civilisation de la nation à laquelle ils appartiennent » 24. C'est ce qu'il faut entendre par les termes « structures tribales » qui seront utilisés dans des définitions ultérieures.

Mais c'est par deux textes majeurs que l'OIT va réellement jouer un rôle important pour les peuples autochtones : les Conventions 107 (1.) et 169 (2.), que nous allons aborder séparément. Ces deux Conventions opèrent un passage de l'assimilation au pluralisme 25.

1) La Convention 107 : l'Assimilation

En 1957, la Conférence internationale du Travail adopte le texte de la Convention 107 sur la protection et l'intégration des populations indigènes et autres populations tribales et semi-tribales dans les pays indépendants, qui sera ratifiée par 27 pays. Basée sur le préjugé évolutionniste selon lequel les autochtones seraient « en retard » par rapport aux sociétés dominantes, cette Convention est d'inspiration assimilationniste. Elle parle de populations et non de peuples, et ne fait aucune allusion à une éventuelle autonomie. Son objectif est donc de protéger les peuples autochtones afin qu'à terme, ils s'intègrent aux populations dominantes des États.

L'OIT distingue entre peuples tribaux et peuples autochtones, mais leur assure la même protection, comme elle le précise dans l'article 1er de la Convention 107 :

« 1. La présente convention s'applique:

a) aux membres des populations tribales ou semi-tribales dans les pays indépendants, dont les conditions sociales et économiques correspondent à un stade moins avancé que le stade

24 BIT, 1953, pp. 27-28

25 Voir ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane, POUMARÈDE Jacques « Droit des minorités et des peuples autochtones », PUF, 1996, p. 406

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atteint par les autres secteurs de la communauté nationale et qui sont régies totalement ou partiellement par des coutumes ou des traditions qui leur sont propres ou par une législation spéciale;

b) aux membres des populations tribales ou semi-tribales dans les pays indépendants, qui sont considérées comme aborigènes du fait qu'elles descendent des populations qui habitaient le pays, ou une région géographique à laquelle appartient le pays, à l'époque de la conquête ou de la colonisation et qui, quel que soit leur statut juridique, mènent une vie plus conforme aux institutions sociales, économiques et culturelles de cette époque qu'aux institutions propres à la nation à laquelle elles appartiennent.

2. Aux fins de la présente convention, le terme semi-tribal comprend les groupes et personnes qui, bien que sur le point de perdre leurs caractéristiques tribales, ne sont pas encore intégrés dans la communauté nationale.

3. Les populations aborigènes et autres populations tribales ou semi-tribales mentionnées aux paragraphes 1 et 2 du présent article sont désignées, dans les articles qui suivent, par les mots "populations intéressées". »

La distinction est ici opérée entre populations indigènes qui ont été conquises ou colonisées par une puissance coloniale européenne, et populations tribales qui ne l'ont pas été. Les populations indigènes sont caractérisées par leur antériorité sur le territoire : ce sont des populations tribales qui « descendent des populations qui habitaient le pays (...) à l'époque de la conquête ou de la colonisation ». La qualification de tribal résulte donc de leur évolution jugée « moins avancée ».

Du fait de son inspiration assimilationniste, cette Convention va être fortement critiquée tant par les peuples autochtones que par d'autres, tels que les anthropologistes ou les scientifiques. Selon eux, le modèle intégrationniste n'empêche pas la dégradation du statut des autochtones et ne correspond plus à leur situation.

L'OIT va donc convoquer un Comité d'experts chargé de se prononcer sur une éventuelle révision de la Convention. Réuni en 86, le Comité opte pour une révision afin d'adopter des politiques pluralistes. Le processus de révision implique les peuples autochtones au cours de ses différentes phases, mais leur participation reste limitée : ils ne participent pas à la rédaction de la nouvelle Convention.

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2) La Convention 169 : le pluralisme conditionnel

La Convention 169 concernant les peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants, adoptée en 1989 et entrée en vigueur en septembre 1991, vient réviser et fermer toute ratification à la Convention 107. Le préambule de ce texte expose l'évolution du paradigme de la question autochtone. Alors que le texte de 1957 reposait sur l'assimilation et préconisait l'intégration et l'égalité de droits pour les citoyen autochtones, celui de 1989 préconise le maintien et le développement des peuples autochtones en tant que collectivités distinctes de l'État sur le territoire duquel ils vivent.

Basée sur la croyance selon laquelle les peuples indigènes constitueraient des sociétés permanentes, elle se réfère aux « peuples indigènes et tribaux », et s'engage à reconnaître et à respecter leur diversité ethnique et culturelle. Elle va donc poser une nouvelle définition de l'autochtonie.

La Convention insiste également sur le fait que les autochtones doivent participer aux décisions les concernant élaborées par les États. Constituant une avancée dans la protection de leurs droits, elle contient des normes a minima qui peuvent améliorer le sort des peuples autochtones. Bien qu'elle ne traite pas de leur autodétermination, cette Convention va permettre aux peuples autochtones de devenir de véritables sujets de droit, avec une capacité de production normative importante.

À l'inverse de la première, la Convention n°169 dissocie peuples autochtones et Peuples tribaux en deux catégories distinctes. Voyons son article 1 :

« 1. La présente convention s'applique:

a) aux peuples tribaux dans les pays indépendants qui se distinguent des autres secteurs de la communauté nationale par leurs conditions sociales, culturelles et économiques et qui sont régis totalement ou partiellement par des coutumes ou des traditions qui leur sont propres ou par une législation spéciale;

b) aux peuples dans les pays indépendants qui sont considérés comme indigènes du fait qu'ils descendent des populations qui habitaient le pays, ou une région géographique à laquelle appartient le pays, à l'époque de la conquête ou de la colonisation ou de l'établissement des frontières actuelles de l'État, et qui, quel que soit leur statut juridique, conservent leurs institutions sociales, économiques, culturelles et politiques propres ou certaines d'entre elles.

2. Le sentiment d'appartenance indigène ou tribale doit être considéré comme un critère

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fondamental pour déterminer les groupes auxquels s'appliquent les dispositions de la présente convention.

3. L'emploi du terme peuples dans la présente convention ne peut en aucune manière être interprété comme ayant des implications de quelque nature que ce soit quant aux droits qui peuvent s'attacher à ce terme en vertu du droit international. »

La Convention abandonne donc le critère du « stade moins avancé », et les peuples tribaux se distinguent désormais par leurs conditions de vie et leurs coutumes et traditions propres. Elle précise en outre, que les peuples autochtones peuvent être les descendants de ceux qui occupaient le territoire à l'époque de « l'établissement des frontières actuelles de l'État ». Cette distinction peuples autochtones et peuples tribaux est le résultat de pressions exercées par certains États nouvellement indépendants (Inde, Indonésie, Pakistan, Bangladesh) qui craignaient pour leur unité nationale. Le caractère de « tribal » vient alors récuser celui d' « indigène » dans la mesure où celui ci pouvait fonder des revendications séparatistes 26.

Les bénéficiaires des Conventions de l'OIT sont donc entendus dans une large mesure, celle ci ne voulant pas poser une définition juridique stricte qui exclurait un grand nombre de peuples.

C'est grâce à l'OIT que le mouvement autochtone a pu être porté sur la scène internationale. La mobilisation autochtone a en effet suscité l'intérêt de l'Organisation, et l'attention portée par celle ci a fortifié la volonté des peuples autochtones de poursuivre et d'intensifier leur mouvement revendicatif.

Mais cette caractérisation de l'autochtonie conditionnée par la nécessité d'avoir subi la colonisation reste trop restrictive. D'autres définitions furent donc proposées pour obtenir une conception plus large de la notion de peuples autochtones.

ii. L'élaboration d'une définition au sein de l'ONU

Au sein de l'Organisation des Nations Unies et de l'Organisation internationale du Travail, il est

26 En pratique la Convention ne fait aucune différence quant à son application et accorde la même protection aux deux catégories. Selon Erica-Irene Daes, ancienne présidente du groupe de travail sur les peuples autochtones, la distinction est inutile : « à l'instar de la Convention 107 de l'OIT, la Convention 169 reconnaît les mêmes droits aux peuples « indigènes » et « tribaux », ce qui rend la distinction entre ces catégories de peuples encore moins utile » (c'est l'auteur qui souligne)

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reconnu que la définition et la protection des droits des peuples autochtones constituent une partie essentielle des droits de l'homme et une préoccupation légitime de la communauté internationale.

Parmi les définitions les plus utilisées par la doctrine, il convient de citer celle de Julian Burger, qui a été le responsable pendant vingt ans du programme des peuples autochtones et minorités au Haut-Commissariat des droits de l'homme des Nations Unies :

« Un peuple autochtone peut réunir toutes les caractéristiques suivantes, ou seulement certaines d'entre elles. Les peuples autochtones sont .
·

1/ les descendants des premiers habitants d'un territoire acquis par la conquête ,
·

2/ des peuples nomades et semi-nomades, tels que des agriculteurs itinérants, des pasteurs, chasseurs et collecteurs qui pratiquent une agriculture à forte intensité de travail produisant peu de surplus et requérant peu de ressources énergétiques ,
·

3/ ils n'ont pas d'institutions politiques centralisées, ont une forme communautaire d'organisation et prennent les décisions sur une base consensuelle ,
·

4/ ils ont tous les caractères d'une minorité nationale .
· ils partagent les mêmes langue, religion, culture et autres traits caractéristiques ainsi qu'un lien à un territoire spécifique, mais sont intériorisés par une culture et une société dominantes ,
·

5/ ils ont une vision globale du monde différente, consistant dans une attitude non matérialiste et protectrice vis à vis de la terre et des ressources matérielles, et veulent continuer à se développer suivant des processus différents de ceux proposés par les sociétés dominantes ,
·

6/ ils sont formés par des individus qui se considèrent subjectivement comme autochtones, et sont acceptés comme tels par le groupe » 27.

L'auteur précise que la totalité des traits énumérés n'est pas requise pour caractériser l'autochtonie. Il convient donc de s'intéresser à l'évolution de la notion de peuples autochtones au sein de la doctrine internationale en traitant d'abord du rapport présenté par le rapporteur spécial José R. Martinez Cobo (1.), et ensuite des deux critères les plus importants dégagés dans ce rapport : l'antériorité de l'occupation territoriale et l'Auto-définition en tant qu'autochtone (2.).

1) L'étude du rapporteur spécial José R. Martinez Cobo :

Dans les années 1960, les Nations Unies sont essentiellement concernées par la discrimination

27 BURGER Julian, Report from the Frontier. The State of the World's Indegenous Peoples, Londres, Zed Books, 1987, p. 9

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raciale, et vont d'ailleurs adopter la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale en 1965. On peut considérer que la généralité de ces instruments atténue la spécificité de leurs besoins et porte atteinte à la justification de leur protection 28.

Il faudra attendre 1971 pour que le Conseil économique et social donne mandat à la Sous-Commission de la promotion et de la protection des Droits de l'Homme, pour réaliser une « étude sur la discrimination à l'encontre des peuples autochtones ».

Cette mission sera confiée à José R. Martinez Cobo qui sera chargé d'examiner tous les aspects de la condition des peuples autochtones. Martinez Cobo va donc recueillir des données auprès des États, des peuples autochtones eux mêmes, des organisations autochtones, d'ONG ainsi que d'experts. Les différentes conférences internationales sont également très utiles pour enrichir le rapport.

Le rapporteur spécial va donc étudier une gamme de problèmes touchant les droits de l'homme, notamment une définition des peuples autochtones, le rôle des organisations intergouvernementales et non gouvernementales, l'élimination de la discrimination, ou encore les problèmes fondamentaux touchant les droits de l'homme. Martinez Cobo finira par rendre un rapport en cinq volumes, dans lequel il dresse un tableau précis de la situation des peuples autochtones 29.

Cette étude va en outre poser une définition des peuples autochtones. Le rapport contient plusieurs parties : une première partie descriptive qui dresse un état des lieux de la situation des peuples autochtones, puis une partie doctrinale dans laquelle est abordée la problématique des droits des autochtones, et enfin une dernière partie qui énumère un certain nombre de recommandations en vue d'améliorer leur situation.

Dans le premier rapport de Martinez Cobo, celui ci associe l'autochtone à la colonisation, de la même manière que l'Assemblée générale de l'ONU ou que l'OIT, mais ajoute cependant qu'il peut exister des groupes autochtones qui sont seulement isolés ou marginalisés et qui se distinguent de la société dominante nationale. Le rapporteur spécial va en outre ajouter au critère de la colonisation, celui de l'invasion, et tente ainsi de cerner toutes les situations de domination dans lesquelles des peuples ont été dépossédés de leurs territoires. Il tente par cela de sortir du clivage produit par la conception onusienne de la colonisation.

Dans son rapport final, rédigé en 1986, il va donc proposer une définition globale qui n'opère plus

28 NORODOM Anne Thida, « L'Organisation des Nations unies au service des peuples autochtones : quelle efficacité ? » Cahiers d'anthropologie du droit, 2011, p. 62

29 Il va en outre émettre bon nombre de recommandations : la proclamation par l'ONU d'une décennie internationale pour les peuples autochtones, la révision de la Convention 107, ou encore la nécessité d'élaborer une « déclaration des droits et libertés des peuples autochtones ».

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de distinction entre peuples autochtones et tribaux :

« Par communautés, populations et nations autochtones, il faut entendre celles qui, liées par une continuité historique avec les sociétés antérieures à l'invasion et avec les sociétés pré-coloniales qui se sont développées sur leurs territoires, s'estiment distinctes des autres segments de la société qui dominent à présent sur leurs territoires ou parties de ces territoires. Elles constituent maintenant des segments non dominants de la société et elles sont déterminées à préserver, développer et transmettre aux futures générations leurs territoires ancestraux et leur identité ethnique, qui constituent la base de la continuité de leur existence en tant que peuples, conformément à leurs propres modèles culturels, à leurs institutions sociales et à leurs systèmes juridiques. f...]

Du point de vue de l'individu, l'autochtone est la personne qui appartient à une population autochtone par auto-identification (conscience de groupe) et qui est reconnue et acceptée par cette population en tant que l'un de ses membres (acceptation par le groupe) » 30.

Cette définition plus élargie ne fait pourtant pas l'unanimité. En effet, certains, tels que les États asiatiques et africains, estiment qu'il n'y pas de « peuples » autochtones sur leurs territoires, mais qu'ils sont eux même autochtones puisqu'ils étaient là avant la présence d'une quelconque puissance colonisatrice.

On a donc ici quatre points intéressants : la différence culturelle, la situation de domination, la continuité historique et l'auto-identification. Ce dernier critère, bien que très subjectif, est essentiel puisqu'un peuple autochtone est seul habilité à déterminer qui sont ses membres. On peut douter de sa pertinence qui ne peut être soutenue du point de vue juridique. Les deux premiers critères quant à eux pourraient tout aussi bien être attribués aux minorités ou à tout groupe susceptible d'être discriminé.

Intéressons nous donc à ces deux principaux critères posés par cette définition, l'antériorité de l'occupation territoriale et l'auto-identification en tant qu'autochtone.

2) L'antériorité de l'occupation territoriale et l'Auto-définition :

Les peuples autochtones se définissent par rapport aux territoires dont ils ont été dépossédés et sur

30 E/CN.4/ sub 2/1986/87 §379-381

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lequel ils vivent dans un État de subordination. Cette antériorité sur un territoire est le fondement de leur revendication à exercer le droit à disposer d'eux-mêmes. Aujourd'hui, bon nombre de peuples autochtones revendiquent le droit de vivre sur leurs territoires, dont ils ont toujours été les « vrais maîtres », selon leurs propres systèmes et institutions.

Ce critère permet d'identifier les descendants actuels de peuples dont le territoire a été envahi par d'autres peuples venus d'autres régions du monde et qui les ont dominés.

Martinez Cobo préfère lui parler de « continuité historique » entre le peuple qui se revendique être autochtone, et celui qui occupait le territoire au moment de sa spoliation. La continuité historique se manifeste par l'occupation de terres ancestrales ou d'au moins une partie de ces terres, ou encore par l'ascendance commune avec les premiers occupants de ces terres. Il énumère d'ailleurs plusieurs critères tels que le maintien de la culture ou la pratique de la même langue, qui permettent d'établir cette continuité historique par d'autres manières qu'une occupation physique.

L'appréciation de l'antériorité territoriale est cependant assez délicate, et la question se pose de savoir comment le lien territorial doit il être maintenu. Il s'agit également de déterminer quels sont les droits qui peuvent être reconnus à un peuple au titre de cette occupation antérieure.

La séparation physique avec le territoire ne fait pas obstacle à la qualification de peuple autochtone, mais si la population dominante est installée sur le territoire en question, le peuple spolié ne pourra qu'obtenir une compensation financière.

L'antériorité territoriale est un élément inhérent à la notion de peuples autochtones. Ce critère montre que ces peuples ont perdu, à un certain moment, leur capacité à disposer de leurs territoires, et vivent depuis dans un état de subordination et de marginalisation. Mais on retrouve également d'autres critères au sein des différentes définitions des peuples autochtones, comme le maintien d'une culture distincte, l'existence d'institutions sociales et politiques coutumières distinctes, la langue autochtone ou encore la situation de vulnérabilité.

Pour prétendre obtenir la qualification de peuple, les peuples autochtones doivent donc démontrer qu'ils sont géographiquement séparés d'un État ethniquement différent, qui les domine, et qu'ils sont majoritaires sur le territoire sur lequel ils vivent. Bien qu'ils puissent parfois être majoritaires sur une zone territoriale déterminée, en général leurs territoires traditionnels, dans la plupart des situations, les peuples autochtones sont minoritaires au sein de l'ensemble de la population de l'État. En outre ils vivent souvent à l'intérieur des frontières nationales de l'État, portant ainsi atteinte au

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critère très important de la séparation géographique du peuple colonisé avec l'État métropolitain.

Ainsi pour remplir les conditions posées par l'Assemblée générale des Nations Unies, « un peuple autochtone doit être ethniquement et culturellement différent de la population de l'État auquel il est soumis et doit vivre sur un territoire séparé de cet État, à l'exclusion de tout autre groupe ou du moins sur lequel il est nettement majoritaire » 31.

Selon cette conception restrictive, ne sont concernés que les peuples autochtones vivant sur les territoires outre-mer d'un État. Les insulaires du Détroit de Torres (Nord de l'Australie) peuvent entrer dans cette catégorie, mais le droit international exige qu'ils constituent pour cela la majorité de la population du territoire.

Sont également concernés les peuples résidant, à l'exclusion de tout autre groupe, sur un territoire bien déterminé, dans la situation particulière d'une violation grave et continue des Droits de l'Homme.

Bien que la plupart des instances internationales aient posé plusieurs critères d'identification, parmi lesquels la continuité historique avec les sociétés pré-coloniales et/ou les sociétés ayant précédé les colonies de peuplement, l'antériorité de l'occupation d'un territoire par une population par rapport à l'arrivée d'une autre population ou encore l'infériorité et la subordination à l'égard des descendants des nouveaux arrivants colonisateurs ou conquérants ; les Nations Unies préfèrent soumettre la reconnaissance de ces peuples à un critère d'auto-identification.

Un autre critère important est l'auto-identification en tant qu'autochtone. Pour un individu, l'appartenance à un groupe autochtone est revendiquée à la fois par l'individu et le groupe auquel il appartient.

Il s'agit du sentiment, de la conscience d'être autochtone. En raison de ce caractère très subjectif, il ne s'agit pas à proprement parler d'un critère d'identification. Ce principe peut avoir deux significations : on peut soit entendre par là les définitions que se donnent eux-mêmes les peuples autochtones au sein de leurs associations ; soit que le critère subjectif doit être déterminant dans la définition d'un autochtone. Dans de nombreux États, l'autochtone est défini soit de manière unilatérale par l'État, soit en consultation avec les peuples autochtones présents sur le territoire.

Les peuples autochtones actuels attachent beaucoup d'importance au principe d'auto-

31 ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane, POUMARÈDE Jacques « Droit des minorités et des peuples autochtones », PUF, 1996, p. 338

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identification. En effet, ils ne veulent pas que les États qui les dominent se réservent le pouvoir de déterminer s'ils sont autochtones ou non, comme c'est le cas dans plusieurs pays comme le Canada où l'Indian Act (1876) définit qui est indien et quelles sont les terres qui sont réservées aux Indiens.

Le principe d'autodéfinition est donc un aspect fondamental du droit à l'autodétermination. Il permet aux autochtones de devenir des sujets de droit en s'identifiant eux-mêmes, et leur confère implicitement la possibilité de réinterpréter leurs propres traditions 32. Ce principe est donc particulièrement important, dans la mesure où il sauvegarde les droits des individus : chacun a le droit d'appartenir ou non à la communauté de son choix. Mais l'auto-identification ne doit pas être seulement un exercice individuel. Elle est en effet essentielle pour protéger les collectivités elles-mêmes, puisque les autochtones veulent participer aux débats internationaux collectivement en qualité de peuples.

Certes, ce critère d'auto-identification doit être encadré pour empêcher que n'importe quel groupe ne se prétende autochtone par pur intérêt stratégique. Il faut donc que cette conscience d'être autochtone soit étayée par des critères objectifs. En effet, il y a toujours un risque que des groupes se prétendent autochtones pour réclamer l'exercice du droit à l'autodétermination sans présenter aucun des critères pour constituer un peuple autochtone.

Ces consécrations du principe d'autodéfinition sont particulièrement importantes, puisque cette capacité permet aux autochtones de se distinguer des groupes auxquels ils furent longtemps assimilés : les minorités ethniques. Analysons donc le statut particulier accordé aux peuples autochtones.

iii. Le statut atypique des peuples autochtones en droit international

Le statut des peuples autochtones en droit international a longtemps été l'objet d'un débat entre les représentants autochtones et les États. Pendant longtemps les États ont préféré employer l'expression de « minorités ethniques » ce qui ne convient pas aux peuples autochtones. Il faut en effet distinguer le droit des minorités du droit des peuples autochtones.

Nous nous intéresserons donc aux différentes raisons de distinguer ces deux catégories juridiques (1.), avant de traiter de la qualification sui generis de peuples autochtones (2.).

32 Voir ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane, POUMARÈDE Jacques « Droit des minorités et des peuples autochtones », PUF, 1996, p. 434

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1) La distinction peuples autochtones/Minorités ethniques

En droit international, une minorité est un groupement de personnes liées entre elles par des affinités religieuses, linguistiques, ethniques, politiques, englobées dans une population plus importante d'un État, de langue, d'ethnie, de religion, de politique différentes.

Le droit des minorités a pris naissance dans l'histoire européenne, des guerres de religion aux modifications de frontières survenues après les deux conflits mondiaux 33. La situation des peuples autochtones ne présente pas cette même spécificité, car leurs origines historiques et ethniques, mais également leurs traits culturels les distinguent plus profondément des sociétés dominantes.

La volonté des autochtones de se distinguer des minorités possède de solides arguments historiques et correspond à une stratégie politique bien réfléchie. Cette volonté s'est d'ailleurs progressivement traduite dans le droit. En effet, de nombreux textes et institutions concernant les peuples autochtones de façon spécifique se sont multipliés, accompagnant la mobilisation autochtone.

Les autochtones n'ont pas voulu qu'une définition apparaisse dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Ils craignaient en effet que cette définition ne recouvre pas toutes les diversités socio-politiques de leurs peuples et qu'elle soit interprétée, à leur insu, par les États dont ils dépendent.

Des leaders des associations autochtones représentées dans le Groupe de travail de l'ONU se sont plaints de ce que leurs « gouvernements utilisaient l'absence de définition des peuples autochtones en droit international comme un prétexte pour les qualifier de "minorités nationales " et leur refuser le statut politique et les droits des peuples autochtones » 34.

La plupart des États préfèrent qualifier les communautés autochtones de minorités, ce qui ne leur confère aucun statut international. Mais tous les peuples constitués ou se reconnaissant dans le cadre politique des minorités ne sont pas considérés comme « autochtones » au sens onusien de la définition. Ainsi le nombre d'États favorables à l'emploi du terme « peuple » s'est accru, bien qu'aucun consensus n'ait pu être adopté à ce sujet. Cette qualification permet aux peuples

33 Voir ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane, POUMARÈDE Jacques, Droit des minorités et des peuples autochtones , PUF, 1996, 581p.

34 E/CN. 4/Sub.2/1994/30, p. 17, §57

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autochtones d'exercer leur droit à disposer d'eux-mêmes dans le cadre de l'État, pour leurs affaires « intérieures et locales ». Cet exercice est donc circonscrit à une application interne.

Les autochtones récusent en tout cas la qualification de « minorités ethniques » et même parfois celle de « populations », à laquelle les États cherchent à substituer la notion de « peuple ». Cette notion, beaucoup plus vague, présente pour eux l'avantage de pouvoir englober des groupes autochtones aussi bien que non autochtones. Cependant, on peut voir avec l'exemple canadien où en 1982 ont été constitutionnalisés les droits des Indiens, Inuit et Métis, en terme de « peuples » ; que cette qualification ne conduit pas fatalement à l'affrontement ethnique et à la sécession 35.

Globalement, tout le droit international des minorités est applicable aux peuples autochtones s'ils souhaitent s'en prévaloir, de même que le droit international des Droits de l'Homme. Ainsi un autochtone pourra-t-il invoquer une Convention à laquelle le pays sur le territoire duquel il se trouve a adhéré, mais cela à titre individuel, et non pas à titre de sanction de droits reconnus à une collectivité autochtone. Le danger est que les États européens ont, pour la plupart, un mode de formation historique qui a mis fin à l'existence collective des entités territoriales et humaines à partir desquelles ils se sont constitués. Les autochtones ont donc tout intérêt à se voir reconnaître des droits spécifiques. Ils sont en effet mieux placés que les minorités pour revendiquer des droits collectifs et la qualité de peuples, afin de pouvoir invoquer le droit à l'autodétermination.

Si les peuples autochtones se distinguent des minorités par un lien privilégié au territoire et à l'histoire, ils revendiquent tout comme elles la reconnaissance de leur identité. Le succès de ces revendications est conditionné par le choix de la tactique adoptée pour faire valoir leurs droits. Ainsi il arrive parfois que les minorités ne reculent pas devant l'emploi de la force et même du terrorisme, ce qui reste un cas exceptionnel chez les autochtones.

On a parfois du mal à relever la spécificité des droits invoqués par les peuples autochtones par rapport aux droits des minorités. En effet, les problématiques semblent être les mêmes et les obstacles à une plus grande précision et efficacité de ces droits sont semblables. Certains auteurs rétorquent toutefois que « le fondement des droits revendiqués par ces deux catégories de peuple est différent, le caractère minoritaire pour les uns et antérieur pour les autres, justifiant ainsi la spécificité de la protection accordée aux peuples autochtones. Cependant, l'antériorité des peuples

35 ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane, POUMARÈDE Jacques, Droit des minorités et des peuples autochtones , PUF, 1996, p. 436

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autochtones n'est sans doute pas un critère suffisant pour justifier un droit plus attentatoire à la souveraineté de l'État » 36.

Le droit des peuples autochtones ne serait donc pas spécifique au point de justifier un droit dont la logique serait différente de celle du droit international, en ce qu'il serait constitutif d'une exception au principe de souveraineté des États.

La qualification de peuples autochtones est une qualification sui generis, avec une portée juridique interne permettant aux peuples autochtones de disposer d'eux-mêmes dans le cadre de l'État sur le territoire duquel ils vivent, sans menacer son intégrité territoriale. Le statut des peuples autochtones en droit international est donc un statut atypique.

2) Une qualification de peuples sui generis

La définition des peuples autochtones est à triple effet : elle porte sur la notion de « peuples », sur celle «d'autochtonie » et sur le caractère pluraliste de l'entité ainsi forgée. Les spécificités dont se réclament les peuples autochtones sont très nombreuses, mais peuvent être englobées dans le concept de « droit à la différence ». D'autre part, on observe que de façon constante les autochtones relient leur identité à leurs droits territoriaux.

Le rapport au territoire est fondamental dans l'identification d'un peuple, mais il n'est ni exclusif ni suffisant. D'autres critères sont importants, comme les constructions identitaires, la reconnaissance de systèmes culturels distincts des systèmes majoritaires, ainsi que la disposition de structures légales et d'institutions sociales propres.

Bien qu'elle s'impose progressivement en droit international, la qualification de peuples autochtones n'est dotée que d'une portée relative. Dans l'ensemble, les États sont hostiles à qualifier les peuples autochtones de peuples, au sens juridique du terme. En effet en cette qualité les peuples autochtones deviendraient titulaires du droit à disposer d'eux-mêmes.

Pendant longtemps les États ont utilisé des expressions telles que « natif (Native) » qui vise la naissance d'un individu ou son origine, « premières nations », « peuples premiers », ou encore « populations indigènes ».

36 NORODOM Anne Thida, « L'Organisation des Nations unies au service des peuples autochtones : quelle efficacité ? » , Cahiers d'anthropologie du droit, 2011, p. 62

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Le concept de « population », terme accepté et utilisé par les États et n'ayant pas de portée en droit international, se différencie du terme « peuple » qui lui a une valeur symbolique forte et une portée politique. La catégorie « peuple autochtone » n'est retenue que dans un seul instrument international de type contraignant, à savoir la Convention 169 de l'OIT 37.

Les États demeurent le cadre constitutionnel, politique et juridique légitimant les organisations autochtones, en fonction de catégories politiques reconnues dans le pays. Ils conservent une puissance décisionnelle tant pour la signature d'accords internationaux que pour la mise en oeuvre des recommandations des agences onusiennes ou européennes. Ce sont les interlocuteurs des peuples autochtones à l'ONU.

Les États, ainsi que les agences onusiennes, retiennent le terme « population » qui autorise le comptage des individus.

En Anglais, le terme people employé pour désigner l'ensemble des groupes autochtones, correspond au mot français population conçu comme l'addition d'individus. Employé au pluriel, ce terme peoples trouve d'avantage son équivalent dans la notion de peuple. Va donc naître un débat su le choix du terme à employer pour caractériser les autochtones.

Le Groupe de travail à l'ONU s'intitule « Working Group on Indigenous Populations », bien que ses rapports visent depuis 1988 les pratiques discriminatoires à l'encontre des « indigenous peoples ». L'ONU a également intitulé la décennie 1995-2005 comme celle des Indigenous People. Le problème rebondit à Vienne en 1993 lors de la Conférence mondiale de l'ONU sur les Droits de l'Homme. L'adoption d'une Déclaration des Droits des Peuples Autochtones est censée avoir réglé la question du S, dans « peoples » pour distinguer ce concept de peuple. En effet, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée en 2007, utilise le terme de « peuple autochtone ». Toutefois, les États n'entendent pas lui donner une portée juridique internationale, il faut donc plutôt l'entendre comme ayant une signification sui generis avec une portée juridique interne permettant aux peuples autochtones de disposer d'eux-mêmes dans le cadre de l'État sur le territoire duquel ils vivent, sans menacer son intégrité territoriale.

Rappelons que bien que les instruments internationaux citent souvent le droit des peuples, il n'existe pas à l'heure actuelle en droit international de définition du mot « peuple ». Toutefois l'expression « populations autochtones » reste très couramment utilisée dans les documents onusiens et surtout dans les déclarations étatiques. L'utilisation de l'expression « peuples

37 Selon que les représentants autochtones sont associés ou non aux travaux des agences de l'ONU (PNUD, Banque Mondiale, UNESCO, etc.), on observe sur la scène internationale une oscillation dans l'usage des termes « population » ou « peuple ».

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autochtones » dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones constitue donc une avancée et une victoire pour les peuples autochtones, mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour que la qualification de peuples soit dotée de toute sa portée juridique en droit international et qu'elle soit pleinement acceptée.

Depuis une trentaine d'années, un droit spécifique des autochtones émanant de l'activité normative d'institutions pour la plupart reliées à l'ONU est en cours d'élaboration. Les réflexions doctrinales sur ce domaine sont également très nombreuses.

Intéressons nous donc à l'apparition et l'évolution de ce droit international des peuples autochtones.

B) L'émergence d'un droit des peuples autochtones

Si plus de 60 % des peuples autochtones se situent dans la zone Asie-Pacifique, ce sont les Amérindiens du Nord, du Centre et du Sud des Amériques qui se sont le plus tôt mobilisés dans la défense de l'identité « autochtone », parvenant à ouvrir les cadres constitutionnels de la reconnaissance comme peuples spécifiques.

La mobilisation autochtone, rendue possible par la saisine de l'ONU dans les années 1970, se fait par étapes, à mesure que se démocratisent les États. L'ONU constitue donc une sorte d'ossature d'un mouvement international dont les développements se réalisent au gré de réunions continentales, régionales ou transcontinentales.

Les Nations unies représentent à la fois le principal lieu de rassemblement des autochtones et d'identification des perspectives communes et le lieu de production mondialisée d'une réflexion sur des normes internationales adaptées à l'insertion des populations vulnérables.

L'émergence d'un droit spécifique autochtone ne signifie pas qu'ils se trouvaient dans un vide juridique, puisqu'ils pouvaient se prévaloir de toutes les dispositions contenues dans les instruments internationaux des Droits de l'Homme. Néanmoins, l'activité normative des institutions internationales va faire émerger un corpus juridique spécialisé pour les peuples autochtones, et ce depuis le début du XXe siècle.

Nous allons donc nous intéresser à l'émergence de ce mouvement autochtone au sein de l'ONU (i.), avant de traiter de la reconnaissance de droits collectifs qu'implique la notion de « peuple autochtone » (ii.), et de l'apparition d'une identité transnationale autochtone (iii.).

i. La mobilisation autochtone dans le contexte onusien

Les peuples autochtones vont profiter du cadre fourni par la décolonisation, et donc du processus « d'internationalisation » des minorités, pour faire entendre leur voix sur la scène internationale. La reconnaissance de la qualité de « peuples autochtones » constitue en effet une condition essentielle au respect de leur identité collective en droit international. L'objectif du mouvement autochtone est donc la création d'une catégorie juridique spécifique aux peuples autochtones. Bien qu'il y ait une grande disparité parmi les différents peuples, la notion d'autodétermination reste au coeur de leur discours car elle constitue la réparation de leur situation coloniale.

Le mouvement autochtone s'est construit en réaction au colonialisme, qui a nié l'identité collective de ces peuples. Il convient de rappeler que la motivation officielle de la colonisation était l'apport de la civilisation européenne, considérée comme une « mission sacrée ». Il s'agissait donc pour les États d'éduquer les peuples autochtones dont l'état de développement semblait arriéré. C'est cette conception qui a donné naissance aux politiques assimilationnistes qui ont eu des conséquences dramatiques sur les peuples autochtones, les privant de leur identité collective. Ces conceptions assimilationnistes ont pourtant guidé les politiques des États vis à vis des peuples autochtones vivant sur leur territoire jusqu'au milieu des années 1970, et ont donc influencé la position du droit international vis à vis de ces peuples.

Les problèmes vécus par les peuples autochtones vont finir par toucher la société internationale. Les préoccupations furent au début simplement humanitaires, et il fallu attendre la mobilisation des nations autochtones pour que puisse émerger la question d'un statut collectif pour ces peuples. L'internationalisation est en effet indispensable à la cause des peuples autochtones, et peut se réaliser de plusieurs manières. Les peuples autochtones peuvent porter directement leurs revendications devant les instances internationales, ou bien se former en Organisations Non Gouvernementales pour porter plus efficacement ces revendications.

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Nous allons donc traiter de l'émergence de ce mouvement autochtone sur la scène internationale

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(1.), avant d'aborder la multitude d'organes créés au sein de l'ONU pour défendre la cause autochtone (2.).

1) Début d'une mobilisation autochtone devant les Instances

internationales

Dans les années 1920, la Société des Nations apparaît pour les peuples autochtones comme une tribune internationale susceptible de les écouter. C'est la raison pour laquelle la Confédération iroquoise menée par son chef Deskaheh va, en 1923, entreprendre des démarches auprès d'elle pour le règlement d'un litige qui l'oppose au Canada. Était en cause un projet du développement du gouvernement canadien qui affectait les terres de la réserve de la Confédération. Après s'être adressé sans succès aux autorités britanniques, puisque le Canada était à l'époque un dominion de la Grande Bretagne, le chef indien avait réussi à obtenir le soutien du ministre néerlandais des Affaires étrangères qui accepta de soutenir sa demande à la SDN, seul un État étant habilité à le faire. Finalement la requête ne fut pas communiquée, et Deskaheh alla lui même jusqu'au siège à Genève porter une pétition à l'attention du Secrétaire général, qui fut également rejetée.

Face à la vive réaction du Canada, la SDN vint certifier une position : les nations autochtones sont des minorités ethniques, sur un plan strictement juridique elles n'ont pas d'existence en droit international.

On constate donc qu'à l'époque les États sont encore maîtres de la situation, protégés par le principe de non-intervention dans leurs affaires internes. Même à la conférence de San Francisco, en 1945, à l'issue de laquelle naquît l'Organisation des Nations unies avec la signature de la Charte des Nations unies, la reconnaissance internationale des peuples autochtones en qualité de nations souveraines fut refusée. La Charte ne mentionne d'ailleurs pas les peuples autochtones, à la différence du Pacte de la SDN 38.

Ce n'est que trente ans plus tard, en 1957, que pour la première fois un organisme international va adopter un document sur les populations autochtones : la Convention n° 107 de l'Organisation internationale du Travail relative aux populations aborigènes et tribales. Adoptée à la demande du système de l'ONU, cette convention est un instrument de développement complet qui couvre toute

38 L'article 23.b du Pacte de la SDN dispose : « (...) les Membres de la Société : s'engagent à assurer le traitement équitable des populations indigènes dans les territoires soumis à leur administration »

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une gamme de questions, telles que les droits aux terres, le recrutement et les conditions d'emploi, la formation professionnelle, l'artisanat et l'industrie rurale, la sécurité sociale et la santé, et l'éducation et les moyens de communication. Elle garantit donc aux peuples autochtones le respect de leur identité culturelle.

Elle n'a cependant été ratifiée que par 27 pays, présentant une approche intégrationniste qui reflète le discours sur le développement à l'époque à laquelle elle a été adoptée.

Un comité d'experts, convoqué en 1986 par le Conseil d'administration de l'OIT, a conclu que « l'approche intégrationniste de la convention était obsolète et que sa mise en oeuvre était préjudiciable dans le monde actuel ». Suite à cela, la convention a été révisée entre 1988 et 1989 et la convention n° 169 a été adoptée en 1989. Depuis la convention n° 107 est toujours en vigueur dans 18 pays, dont certains ont une forte population indigène, et reste un instrument utile car elle couvre de nombreux domaines essentiels pour les peuples indigènes.

Grâce au principe d'autodétermination des peuples proclamé dans la Charte des Nations Unies, les mouvements d'indépendance vont se multiplier pendant les années 1970. De leur coté, les peuples autochtones souffrent des politiques d'assimilation qui leur sont appliquées, et voient leurs territoires de plus en plus convoités pour leurs ressources. Va donc naître la nécessité pour ces communautés vulnérables de s'unir au sein d'organisations internationales.

La première sera la National Indian Brotherhood, créée en 1969, qui organisera une réunion 6 ans plus tard à l'issue de laquelle sera créé le Conseil Mondial des peuples autochtones, ONG regroupant des peuples autochtones de différents continents.

Dès lors, les organisations autochtones vont se multiplier, permettant une meilleure structuration du discours revendicatif de ces communautés. Parfois même l'initiative ne viendra pas des peuples autochtones eux mêmes, mais de la communauté internationale : c'est ainsi que des anthropologistes vont créer en 1968 l'international Group for Indigenous Affairs (I.W.G.I.A.) basé à Copenhague. Et en 1991, l'Organisation des Peuples Non Représentés (Unrepresented Nations and Peoples Organization, U.N.P.O.) sera fondée à la Haye, afin de porter à l'ONU la voix de tous ces peuples.

Ainsi à partir des années 1970 vont émerger diverses institutions internationales, afin de mieux faire connaître ces populations et de permettre de regrouper leurs forces. On peut citer l'international Indian Treaty Council, créé aux USA en 1974 et devenu une ONG en 1977 ; ou encore la Federation of Lands Council et le National Organisation for Aboriginal and Islander Legal Services en Australie.

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L'Organisation des Peuples Non Représentés (U.N.P.O.) joue aussi un rôle important : elle doit défendre les autochtones et les minorités non représentés à l'ONU, par des voies légales et non violentes. Pour mener à bien son action devant les instances internationales, elle entend créer une juridiction qui recevra les plaintes en matière de Droits de l'Homme et l'exercice du droit à l'Autodétermination, et constituer un Conseil juridique dont le rôle sera de conseiller les membres sur les aspects légaux du droit à l'autodétermination 39. Il convient toutefois de noter que ces organisations sont principalement composée de représentants Amérindiens 40, et qu'une minorité d'entre elles est dotée du statut consultatif auprès du Conseil économique et social de l'ONU.

En 1977 fut organisée à Genève la Conférence des ONG sur la discrimination contre les peuples indigènes des pays d'Amérique, à laquelle participeront une soixantaine de nations autochtones. Ce fut la première fois que des représentants autochtones pouvaient dialoguer avec les délégués gouvernementaux et faire entendre leur voix sur les liens particuliers qui les unissait à la terre, sur l'importance du droit et des coutumes traditionnels, sur les problèmes posés par l'exploitation des ressources naturelles dans leur territoire et leur manque de contrôle sur ces exploitations, sur la nécessité de respecter leur culture et de protéger leur héritage, et sur leur volonté d'autodétermination.

Ses recommandations mettent l'accent sur le respect du droit international, les relations entre les peuples autochtones et la terre, et le contrôle du développement de leurs territoires. Dans la Déclaration des principes pour la défense des nations et peuples autochtones de l'hémisphère occidental, qui sera adoptée au cours de cette conférence, les participants demandent leur reconnaissance en qualité de nation à part entière, dotée d'une personnalité juridique internationale, ce qui implique également le droit à l'autodétermination.

Une autre conférence suivra en 1981 : la Conférence des ONG sur les peuples autochtones et la terre, qui concerne cette fois les peuples autochtones du monde entier. Cela va être l'occasion d'approfondir la relation particulière entretenue par les autochtones avec leur territoire. L'une des recommandations importantes du rapport final reprit l'une des propositions de 1977, la création d'un Groupe de Travail sur les peuples autochtones

Ce sera chose faite en 1982 avec le Groupe de travail sur les populations autochtones. Ce groupe dépend de la Commission des Droits de l'Homme et de la Sous-Commission de la lutte contre les

39 ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane, POUMARÈDE Jacques « Droit des minorités et des peuples autochtones », PUF, 1996, p. 490

40 Doc. E/CN.4/Sub.2/AC.4/1993/8, 15 juillet 1993

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mesures discriminatoires et de la protection des minorités. Ce groupe a participé à l'organisation d'une Année internationale des peuples autochtones, ouverte en décembre 1992, puis d'une Décennie internationale, commencée en janvier 1995, malgré des réactions peu favorables de certains États tels que le Brésil, la Colombie ou encore l'Inde. Il est en outre à l'origine du texte de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Sur le plan financier, un Fonds de contributions volontaires pour la Décennie a été prévu, en plus de celui déjà existant pour l'Année internationale, et du Fonds des contributions volontaires pour les Populations autochtones. Ces fonds sont chargés d'aider les représentants des autochtones à assister à Genève aux sessions annuelles du Groupe de travail.

L'action de l'ONU s'illustre donc par une prolifération de mécanismes prenant en compte la problématique autochtone. Il s'agit aussi bien d'organes généraux que d'organes spécifiquement créés pour répondre à cette problématique. Les organes principaux ont rapidement créé des organes subsidiaires spécialement dédiés à cette problématique.

Voyons tout d'abord, l'Assemblée générale de l'ONU qui agit au titre de sa compétence générale sur toute question non directement traitée par le Conseil de sécurité. Elle peut agir également au titre de sa compétence spécifique en matière de développement du droit international. L'Assemblée générale essaye d'ailleurs d'impliquer plus souvent les associations autochtones et le Groupe de travail dans ses prises de décisions.

Outre ces organes spécialement consacrés aux peuples autochtones, l'Assemblée générale décida de proclamer 1993 comme Année internationale des peuples autochtones. Elle décida ensuite, lors de la Conférence de Vienne sur les droits de l'Homme en 1993, de proclamer une Décennie internationale des peuples autochtones, de 1995 à 2005, dont le thème est « les populations autochtones : un nouveau partenariat ». L'objectif de cette Décennie est de renforcer la coopération internationale pour résoudre les problèmes qui affectent les communautés autochtones dans tous les domaines. Toutefois, la situation des peuples autochtones ne s'est guère améliorée, ce qui a mené l'Assemblée générale à proclamer une seconde décennie consacrée aux peuples autochtones pour « renforcer encore la coopération internationale afin de résoudre les problèmes qui se posent aux peuples autochtones dans des domaines tels que la culture, l'éducation, la santé, les Droits de l'Homme, l'environnement et le développement économique et social, au moyen de programmes orientés vers l'action et de projets concrets, d'une assistance technique accrue et d'activités

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normatives dans les domaines en question » 41.

Suite à cela, la Commission des Droits de l'Homme reconnaissait alors la valeur intrinsèque de la diversité des cultures et des formes d'organisation sociale propres aux peuples autochtones. Elle invitait donc toutes les instances de l'ONU, les États et les organismes non-gouvernementaux et autochtones à mettre en place un programme d'activités accompagné d'un financement volontaire de ces activités 42.

Au cours de cette décennie, les organes de surveillance des principaux traités des Droits de l'Homme ont adopté des positions précises relativement à la reconnaissance de leurs droits. Ainsi a pu être élaboré un corpus de référence pour l'élimination de la discrimination systémique et l'affirmation des droits des peuples autochtones, portant sur des sujets tels que le droit à l'Autodétermination, le lien particulier qui unit les peuples autochtones à leurs terres, ou encore leur droit relativement aux ressources naturelles de ces territoires.

Le 20 décembre 2004, l'Assemblée générale proclamait la deuxième décennie internationale des populations autochtones, en lui assignant pour but de continuer de renforcer la coopération internationale dans ces domaines.

L'Assemblée générale de l'ONU est donc un organe qui a une compétence générale sur les questions autochtones.

L'action de l'ONU en matière de protection des peuples autochtones se décline ainsi sur trois degrés différents : celui des organes principaux, de leurs organes subsidiaires dédiés principalement à la protection des droits de l'homme et des organes subsidiaires de ces derniers dédiés particulièrement aux droits des peuples autochtones.

2) La création d'organes spéciaux dédiés à la problématique autochtone

Il convient de mentionner ici, le Conseil économique et social, qui est très actif en la matière du fait de ses compétences en matière de développement économique et social. Ainsi on compte au sein de ce dernier une quinzaine d'organisations représentant des peuples autochtones disposant d'un statut consultatif. Ce statut leur donne le droit d'assister et de participer à diverses conférences internationales et intergouvernementales.

41 Résolution de l'Assemblée générale 59/174 du 20 décembre 2004

42 DEMERS Diane L. « Les autochtones et le droit international : une trajectoire en plein essor » ; In: Liber amicorum Peter Leuprect / textes réunis par Olivier Delas et Michaela Leuprecht, 2012 p.361

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La promotion et la protection des droits de l'homme aux Nations Unies sont assurées par deux types d'organismes : les organes de la Charte des Nations unies, dont le Conseil des droits de l'homme, et les organes créés au nom des traités internationaux des droits de l'homme 43.

Tous ces organes peuvent être amenés à traiter de la problématique de l'autochtonie à travers leurs compétences générales.

Le Haut-commissariat des Nations Unies aux Droits de l'Homme s'est par exemple illustré dans la protection des droits des peuples autochtones en favorisant le développement et la mise en oeuvre de la Déclaration de 2007 (Résolution de l'Assemblée générale, A/RES/61295 du 13 septembre 2007). Il participe également au Groupe d'appui inter-organisations sur les questions autochtones.

Le Conseil des droits de l'homme, créé par la résolution 60/251 de l'Assemblée générale en date du 15 mars 2006, a pour but principal d'émettre des recommandations à propos des situations de violation des droits de l'homme. Bien qu'il ne s'intéresse pas de manière directe aux peuples autochtones, le Conseil a toutefois été amené à débattre de la question et surtout s'est illustré par la création du Mécanisme d'experts sur les droits des peuples autochtones, créé pour discuter des mécanismes les plus appropriés pour poursuivre les travaux du Groupe de travail sur les peuples autochtones. Composé de cinq membres, cet organe est chargé de doter le Conseil d'une expertise thématique sur les droits des peuples autochtones.

Rattaché à l'Assemblée générale, le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) s'est également intéressé à la question en élaborant une « politique d'engagement ». Ce programme s'engage ainsi à réduire la pauvreté, promouvoir les droits de l'homme, la gouvernance démocratique, la mondialisation, les connaissances des peuples autochtones. Il ne fait ici qu'appliquer ses actions générales au domaine particulier des peuples autochtones sans qu'une réelle spécificité de ces populations soit mise en valeur.

La logique qui semble la plus efficace serait donc d'adapter les programmes et institutions existants au problème de l'autochtonie plutôt que de développer une problématique spécifique. Ainsi la mise en place de groupes de travail permet l'identification de problématiques particulières, et l'instauration d'institutions chargées de rendre compte de la pratique des États et de qualifier ainsi

43 Il existe huit organes créés au nom de traités sur les droits de l'homme qui surveillent la mise en oeuvre des principaux traités internationaux dans ce domaine: le Comité des droits de l'homme ; le Comité des droits économiques, sociaux et culturels ; le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale ; le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes ; le Comité contre la torture et le Sous-comité pour la prévention de la torture ; le Comité des droits de l'enfant ; le Comité des travailleurs migrants ; le Comité des droits des personnes handicapées ; le Comité des disparitions forcées.

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leur comportement.

Le Groupe de travail sur les populations autochtones :

En réponse à une recommandation du Rapporteur spécial Martinez Cobo, la Sous Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités va proposer en 1981 la création par la Commission des Droits de l'Homme d'un groupe de travail sur les populations autochtones. Ce sera chose faite dès l'année suivante, confirmant ainsi que l'ONU est disposée à traiter les peuples autochtones comme une question spécifique. De 1982 à 1993, ce groupe a permis d'élaborer un premier projet de déclaration.

Le Groupe de travail sur les populations autochtones (G.T.P.A.) a un double mandat :

· faire le bilan des faits nouveaux intervenus en ce qui concerne la promotion et la protection des droits de l'homme et les libertés fondamentales des populations autochtones

· suivre l'évolution des normes internationales relatives aux droits des populations autochtones 44.

Composé de cinq experts indépendants et de membres de la Sous-Commission , le Groupe est ouvert aux représentants de toutes les populations autochtones, de leurs groupements et associations. Les sessions du Groupe de travail, qui ont lieu tous les ans, et auxquelles participent des représentants des gouvernements, des organisations non gouvernementales et des organismes des Nations Unies sont caractérisées par un fort esprit d'ouverture. Le GTPA constitue donc une tribune où les peuples autochtones peuvent porter leurs revendications devant le système onusien. Les propositions faites lors des réunions du Groupe sont ensuite transmises à la Sous-Commission de la promotion et de la protection des Droits de l'Homme puis à la Commission des Droits de l'Homme, et enfin au Conseil économique et social.

Le Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les populations autochtones a été créé par la résolution de l'Assemblée Générale 40/131 du 13 décembre 1985 pour apporter une assistance financière à des représentants de communautés autochtones et d'organisations de populations autochtones souhaitant participer aux débats du Groupe de travail sur les populations autochtones de la Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l'homme. Le Fonds reçoit des contributions volontaires de Gouvernements, d'organisations non gouvernementales et d'autres entités privées ou publiques. Il est géré par le Secrétaire général de

44 Conseil économique et social, résolution 1982/34

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l'ONU avec le concours d'un Conseil d'administration composé de cinq membres.

Cette même année 1985, le Groupe de travail commença d'élaborer un projet de déclaration sur les droits des populations autochtones. Ce texte, composé d'un long préambule et de 45 articles, affirme la spécificité des peuples autochtones et leur droit à la différence. Ce projet de Déclaration garantit le respect de l'autonomie autochtone, et reconnaît leurs droits territoriaux, culturels... À sa onzième session, en juillet 1993, le Groupe de travail se mit d'accord sur le texte final du projet de déclaration des Nations Unies sur les droits des populations autochtones et le soumit à la Sous-Commission. Il sera finalement adopté par la Sous-Commission à sa 46e session en 1994 45.

En décembre 1995, l'Assemblée générale a décidé que le Fonds de contributions servirait aussi à fournir une aide financière aux représentants des organisations de peuples autochtones autorisées par le Comité chargé des organisations non gouvernementales à participer aux travaux du Groupe de travail de la Commission des droits de l'homme chargé d'élaborer le projet de déclaration.

Lors de l'élaboration de ce projet, certaines organisations, telles que l'Aboriginal and Torres Strait Islander Commission, organisation autochtone dotée du statut consultatif auprès du Conseil économique et social, étaient d'avis que les définitions portant sur les termes "peuples autochtones" devraient être élaborées par les peuples autochtones eux-mêmes.

Il a d'ailleurs été indiqué à la première session du Groupe de travail de la Commission des droits de l'homme en novembre-décembre 1995 à Genève que :

- l'Organisation des Nations Unies s'abstient généralement d'élaborer des définitions strictes, susceptibles de restreindre la marge de manoeuvre des gouvernements et des peuples dans l'application des instruments pertinents compte tenu de leurs propres conditions nationales ;

- d'autres instruments tels que la Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement - Action 21 se réfèrent à la participation des peuples autochtones dans le domaine de l'environnement, sans donner une définition de ces peuples.

La reconnaissance du statut juridique de "peuple autochtone" comportait jusqu'ici deux phases : - l'identification par le peuple lui-même;

- la reconnaissance par une entité souveraine ou une institution internationale.

Le Groupe participe activement à la plupart des instances internationales et régionales de

45 Résolution 1994/45 du 26 août 1994

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discussions sur les questions Autochtones qui sont :

· Le Conseil des Droits de l'Homme (CoDH)

· L'Instance Permanente des Nations Unies sur les questions concernant les peuples Autochtones (IPQA)

· Le Mécanisme d'experts sur les droits des peuples autochtones ( MEDPA)

· L'Organisation des États Américains (OEA).

· La Commission des Droits de l'Homme et des Peuples de l'Union Africaine (CDHP/ UA)

· Le Conseil Arctique (CA).

· L'Union Européenne (UE).

Le GTPA analyse les problèmes auxquels sont confrontés les peuples autochtones et s'efforce d'y apporter des réponses en droit international et en droit interne. Dans ce lieu de réflexions entre les États et les peuples autochtones, chacun des participants est invité à s'exprimer et à participer à un dialogue constructif. Néanmoins, face à la difficulté d'obtenir un consensus sur des articles capitaux tels que ceux relatifs à l'autodétermination, aux droits territoriaux, ou encore aux ressources naturelles, les travaux du Groupe sont marqués par une extrême lenteur.

Le Rapporteur spécial sur la situation des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales des peuples autochtones :

L'évolution de la question autochtone aux Nations Unies va se poursuivre avec la création en 2001 par la Commission des droits de l'homme du poste de Rapporteur spécial sur la situation des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales des peuples autochtones. Son mandat fut renouvelé pour une période de deux ans par la Commission des droits de l'Homme en 2004 et par le Conseil de Droits de l'Homme en 2007. Dans l'accomplissement de ce mandat, le Rapporteur spécial :

· Présente des rapports annuels sur des sujets ou situations particuliers ayant une importance spéciale pour la promotion et la protection des droits des peuples autochtones. Lors de son rapport, le Rapporteur spécial identifie plusieurs thèmes méritant une attention spéciale, et recommande aux États de réexaminer leur législation pour mieux protéger les droits des populations autochtones

· Entreprend des visites dans les pays. Cela permet de mener des recherches sur le terrain et de mieux appréhender les situations concrètes. Ces visites permettent également d'évaluer le

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degré de protection, d'assistance et de développement dont bénéficient les peuples autochtones au niveau local et national.

· Répond à l'information reçue portant sur des allégations concernant la situation des droits des peuples autochtones dans des pays en particulier. Le rapporteur analyse les allégations - provenant essentiellement d'ONG, d'organisations ou d'individus autochtones - et décide s'il y a lieu de prendre des mesures

· Entreprend des activités dans des pays pour réaliser un suivi des recommandations inclues dans ses rapports par pays.

L'expert doit donc fournir des recommandations et des propositions pour remédier aux différentes violations des droits de l'Homme des peuples autochtones. Cette institution présente l'avantage de personnaliser la question des droits des peuples autochtones, afin d'améliorer les conditions d'action de l'ONU.

Un des apports les plus importants de la première Décennie des peuples autochtones a été l'Instance permanente sur les questions autochtones.

L'Instance permanente sur les questions autochtones :

L'accent mis sur les questions autochtones a abouti à la création le 28 juillet 2000 d'une Instance permanente sur les questions autochtones, par la résolution 2000/22 du Conseil économique et social. Elle est chargée d'évaluer chaque année les problèmes concernant les peuples autochtones. Au sein de cette instance, composée de seize membres, les experts autochtones siègent à un niveau de parité avec les experts nommés par les gouvernements. Cette composition mixte est le fruit d'un compromis entre les différents acteurs concernés.

Elle fournit des services consultatifs au Conseil économique et social, participe à la coordination des activités que mène l'ONU dans ce domaine et examine les questions autochtones ayant trait au développement économique et social, à la culture, à l'éducation, à l'environnement, à la santé et aux droits de l'homme. Son rôle est de coordonner les activités menées dans l'ensemble des Nations Unies et de diffuser des informations sur les peuples autochtones 46.

46 Pour cela,, l'Instance est assistée d'un Secrétariat permanent établi au Siège de l'ONU à New York, dans la Division des politiques sociales et du développement social du Département des affaires économiques et sociales. Il prépare et organise les sessions annuelles et assiste les membres de l'Instance. Il facilite ainsi la prise en compte des questions autochtones dans le système de l'ONU en participant à plusieurs mécanismes interdépartementaux tels que : le Groupe de développement (UNDG) ou le Comité permanent interinstitutionnel sur les affaires humanitaires (IASC). Le Secrétariat propose également un soutien à la gestion du Fonds de contribution au soutien des peuples autochtones.

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Organe subsidiaire du Conseil économique et social, l'Instance permanente est placée à un niveau élevé dans la hiérarchie du système des Nations Unies, et c'est d'ailleurs la première fois qu'un organe est composé de membres non gouvernementaux qui ont le même statut que les membres gouvernementaux. Elle est composée de seize membres : huit gouvernementaux, et huit autochtones, tous siégeant pour trois ans, renouvelable une fois.

L'Instance examine « les questions autochtones relevant du mandat du Conseil en matière de développement économique et social, de culture, d'environnement, d'éducation, de santé et de Droits de l'Homme » 47. En outre, elle fait des recommandations au Conseil économique et social, et a pour fonction de diffuser toutes les informations utiles pour une meilleure prise en compte des questions autochtones. Elle n'est cependant qu'un organe consultatif et n'a pas de rôle normatif.

L'Instance tient une session annuelle de dix jours, qui ont toutes eu lieu, jusqu'à présent, au Siège de l'ONU à New York. Lors de ces réunions, la participation est largement ouverte, et l'on retrouvera donc des représentants étatiques, des organes et institutions des Nations Unies, des organisations internationales, des organisations autochtones et des organisations non gouvernementales, dotées ou non d'un statut consultatif. Les organes onusiens sont ainsi directement confrontés aux bénéficiaires de leurs travaux. Le rapport élaboré est ensuite soumis au Conseil économique et social.

Toutes ces instances invitent les peuples autochtones à participer pleinement à leurs travaux. Pourtant, cette structure originale est menacée par certaines délégations gouvernementales souhaitant la disparition du Groupe de travail sur les populations autochtones, ce dernier étant jugé inutile depuis la création de l'Instance permanente. Une telle disparition verrait la fin de la principale structure de réflexion et de création normative en faveur des peuples autochtones, l'instance permanente disposant plutôt d'un rôle politique. Le mandat du Groupe de travail fut néanmoins pérennisé en 2004, après un combat politique et diplomatique acharné, même si son avenir à long terme reste incertain.

Cet ensemble disparate d'institutions soulève nécessairement le problème de leur coordination. Face à cette prolifération de règles, il apparaît donc délicat de justifier l'existence de mécanismes et de règles propres. Selon Anne-Thida Norodom, « le droit des peuples autochtones n'est pas spécifique au point de justifier un droit dont la logique serait différente de celle du droit international, en ce qu'il serait constitutif d'une exception au principe de souveraineté des États » 48.

47 Résolution 2000/22, article 2

48 NORODOM Anne Thida, « L'Organisation des Nations unies au service des peuples autochtones : quelle efficacité ? » Cahiers d'anthropologie du droit, 2011, p. 63

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Au regard d'une mobilisation internationale sans précédent, les avancées de ce mouvement autochtone restent cependant très modestes, et ce du fait de la réticence des États qui abritent des communautés autochtones sur leurs territoires. En effet, ceux ci se sentent menacés par les revendications de nature collective, qui remettent en cause la colonisation et donc les fondements de l'État.

Il s'agit dès lors de s'intéresser à la vocation collective de ce droit et à la reconnaissance de droits collectifs pour les communautés autochtones.

ii. Un droit à vocation collective

Les droits des peuples sont des droits d'exercice collectif , ce qui rend leur manipulation assez malaisée. Il s'agit dès lors de dépasser la conception individualiste des droits de l'Homme pour aller vers la dimension collective du droit des peuples. Sur un plan général, les Droits de l'Homme, dont l'idéologie demeure marquée par l'Occident, apparaissent comme plus limités que les droits des peuples. Ceux ci, au contraire, ont une vocation fondamentalement universaliste. Le discours autochtone se centre sur les droits collectifs qui permettent aux peuples d'exister et de se développer. Dans cette optique, les droits collectifs sont une condition de l'exercice des droits individuels.

Les autochtones doivent donc dépasser leur identités locales pour constituer une entité globale autochtone, ayant comme ressources des valeurs qui les rassemblent, et qui légitiment la frontière symbolique qui les différencie des non autochtones. Ils invoquent par exemple le concept de « terre-mère », selon lequel la terre est de nature collective, et doit être préservée afin d'assumer leurs responsabilités envers les générations futures.

Reconnu dans les instruments internationaux comme un attribut de tous les peuples, le droit à l'autodétermination est le premier droit collectif qui permet d'exercer tous les autres. Cependant, son exercice n'empêche pas qu'un individu se réclame à la fois de son appartenance au peuple qui inclue tous les ressortissants de l'État et à un autre peuple composé d'individus partageant une conscience collective et des liens de nature différente qui les distinguent en tant que peuple 49.

49 Séminaire Droit à l'autodétermination des peuples autochtones (New York, le 18 mai 2002 ; National Library of Canada, second quarter 2002.) p.47

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Voyons donc la spécificité du droit des peuples autochtones qui impose une reconnaissance de droits collectifs (1.), avant de s'intéresser au droit des peuples autochtones à la participation collective aux décisions prises les concernant (2.).

1) Spécificité : reconnaissance de droits collectifs.

Le respect de l'identité collective des peuples autochtones est la condition sine qua non à leur participation effective aux processus de décisions. Ils entendent démontrer, dans une variété de secteurs, que l'universalisme des droits humains fondés sur l'individu ne résout pas leurs problèmes, y compris dans les pays démocratiques, ce qui les conduit à défendre la formulation de principes de droit collectifs.

La France s'est toujours opposée à la reconnaissance de droits collectifs, même pour les minorités et les peuples autochtones. Le juriste Jean Rivero écrivait d'ailleurs :

« Lorsqu'il s'agit de collectivités qui ne reposent pas sur l'adhésion volontaire, le danger augmente à la mesure de leur puissance et de leurs ambitions. Face aux intérêts du groupe, les Droits de l'Homme pèsent peu [...] Que le groupe cherche son unité dans une idéologie, et le goulag s'ouvre pour ceux qui la refusent. Que cette idéologie soit la supériorité de la race, et le droit de l'ethnie aryenne à imposer au monde sa juste domination légitime Dachau, Auschwitz et Maydanek. Sur les droits des collectivités, la fumée des fours crématoires projette la plus grande des menaces, car leur reconnaissance risque de donner le sceau de la justice à la domination du plus fort sur le faible » 50.

La position des auteurs Norbert Rouland , Stéphane Pierré-Caps et Jacques Poumarède est cependant moins excessive, ceux ci soutenant que la collectivisation de certains droits peut être la condition de leur effectivité, particulièrement dans le cas des minorités et des peuples autochtones. Selon eux « l'Homme a des droits en tant qu'être humain, mais il ne les réalise, dans toute société, qu'au sein et en fonction de groupes, dans un jeu de droits et obligations réciproques entre la personne et les groupes auxquels elle appartient. Les droits collectifs sont inséparables de la dimension sociale de l'homme et lui sont bénéfiques, à condition qu'ils ne détruisent pas la personne » 51.

50 RIVERO Jean, Les Droits de l'Homme : droits individuels ou droits collectifs ?, dans A.Fenet (dir.), Les Droits de l'Homme :droits collectifs ou droits individuels ?, Paris, PUF, 1982, pp.23

51 Voir ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane, POUMARÈDE Jacques « Droit des minorités et des peuples

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Ils reconnaissent donc une dimension collective de ces droits sous trois conditions :

- Ils doivent reposer sur la participation volontaire des membres du groupe à celui-ci et à ses valeurs.

- Ils doivent être compris dans une hiérarchie des normes juridiques, et donc ne pas être contraires aux libertés et droits fondamentaux.

- Leur processus d'élaboration doit être pris très au sérieux, autant que la détermination de leur contenu.

Le principe de la non-discrimination est nécessaire à la reconnaissance des droits collectifs des autochtones. C'est d'ailleurs par le biais de ce principe, reconnu et accepté par de nombreux instruments internationaux, qu'a été abordée leur situation aux Nations Unies. Pourtant en droit international, le principe de non-discrimination est essentiellement un droit individuel, dont le but est de garantir que tous les individus d'une société soient égaux, qu'ils jouissent des mêmes droits et qu'ils se voient imposés les mêmes devoirs, sans distinction d'origine ethnique, de langue, de sexe ou de religion.

C'est avec l'article 2 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones que va apparaître le caractère collectif de la non-discrimination :

« Les autochtones, peuples et individus, sont libre et égaux à tous les autres, et ont le droit de ne faire l'objet, dans l'exercice de leurs droits, d'aucune forme de discrimination fondée, en particulier, sur leur origine ou leurs identités autochtones ».

L'application de ce principe aux peuples autochtones vise à réparer les effets des situations coloniales qui les ont marginalisés. La réparation doit donc être individuelle, mais aussi et surtout collective. Il s'agit donc de redonner aux communautés autochtones leurs différentes compétences : se gérer, s'administrer avec leurs propres institutions, se développer, décider de leur avenir dans le respect de leurs coutumes et traditions... Plusieurs dispositions dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones sont consacrées au respect de ces formes traditionnelles d'organisation.

Le principe de non-discrimination est cependant délicat à mettre en oeuvre, vu que l'État, pour mettre fin à une situation de discrimination, doit adopter des mesures spéciales qui peuvent être elles mêmes discriminatoires, puisqu'elles ne visent qu'un groupe. Il s'agit donc pour l'État de faire en sorte que ces mesures n'aient pas d' « effets discriminatoires disproportionnés vis-à-vis des autres éléments de la population. Elles doivent avoir une base objective ainsi qu'une cause raisonnable et

autochtones », PUF, 1996, pp. 458-459

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légitime » 52.

L'application collective de ce principe implique en outre que les peuples autochtones ont notamment droit au respect de leur intégrité culturelle. En effet, malgré les impacts des différentes politiques coloniales, les autochtones sont parvenus à conserver leurs institutions traditionnelles, auxquelles ils veulent redonner pleine compétence avec le droit à l'autodétermination. C'est au travers de ces institutions qu'ils vont pouvoir exercer leurs droits collectifs et contrôler les événements qui les concernent. Le respect de l'identité culturelle des autochtones est donc fondamental pour l'exercice du droit à l'Autodétermination.

Le principe de l'intégrité culturelle a été admis en droit international par la C.P.I.J en 1935, dans un avis consultatif sur l'affaire des Écoles minoritaires en Albanie 53. Dans cet avis, la Cour déclare que les minorités ont le droit de préserver leurs caractéristiques distinctives propres, et qu'au nom de l'égalité entre la majorité et la minorité, cette dernière doit disposer de ses propres institutions ; et demande que des moyens appropriés soient mis en oeuvre afin que la minorité ne soit pas « contrainte à renoncer à ce qui constitue l'essence même de sa vie en tant que minorité » 54.

Les peuples autochtones exigent ainsi que leurs cultures et leur droit à la libre détermination soient reconnus au même titre que ceux des autres peuples. Cela suppose donc que leurs droits fonciers soient déclarés inaliénables ainsi que leurs droits sur les ressources naturelles. De la même manière, les droits collectifs que les peuples autochtones possèdent sur la connaissance de leurs propriétés doivent être garantis comme le stipule la convention sur la diversité biologique.

La seule chose qui garantisse l'autodétermination, c'est l'amélioration des relations entre les peuples autochtones et leurs voisins non autochtones. Il s'agit donc d'avoir un respect mutuel entre ces communautés. L'autodétermination n'est en effet jamais garantie quand elle repose sur des mesures législatives ou des décisions politiques, car les philosophies politiques des gouvernements nationaux changent, comme cela a été le cas pour les Aborigènes d'Australie ou les Amérindiens.

Dès lors que les principes de la non-discrimination et de l'intégrité culturelle sont respectés, le droit à l'autodétermination peut être exercé. Une des modalités de base de ce droit est le droit de participer à la prise de décision dans tous les domaines qui concernent les peuples autochtones.

52 BERTIN Marie-Claire « Le statut des peuples autochtones en droit international » / Atelier National de Reproduction des Theses / 2008 ; pp.367

53 C.P.I.J, Écoles minoritaires en Albanie, Avis consultatif, 6 avril 1935, série A/B, n°64

54 Jbid, p.17

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2) Le droit des peuples autochtones à la participation collective

La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones évoque deux types de participation :

· la participation à la vie publique de l'État, reconnue à l'article 5 qui énonce le droit « de participer pleinement à la vie politique, économique, sociale et culturelle de l'État ».

· la participation aux processus de prises de décisions, prévue à l'article 18 qui énonce le droit de participer à la prise de décisions pour les questions qui concernent leurs droits.

La Déclaration demande que les États prennent en compte la volonté des peuples autochtones dans tous les domaines les concernant : elle requiert que les États consultent, coopèrent, se concertent avec les peuples autochtones pour « combattre les préjugés et éliminer la discrimination » (art.15.2), pour prendre des mesures pour protéger les femmes et les enfants (art.27 et 17.2), pour « reconnaître les droits des peuples autochtones en ce qui concerne leurs terres, territoires et ressources » (art.27), pour reconnaître les droits des peuples autochtones à leur patrimoine culturel, traditionnel, et intellectuel (art.31.2) etc.

Elle précise en outre que les États doivent consulter les peuples autochtones dans certains domaines, dans le but d'obtenir leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Bien que cette exigence d'un consentement ne soit pas à l'heure actuelle considérée comme une obligation internationale, on constate que le principe de la participation collective bénéficie d'une autorité grandissante.

Il est d'ailleurs affirmé dans la Convention 169 de l'OIT qui lui consacre deux articles :

· l'article 6, qui pose l'obligation pour les Gouvernements de consulter les peuples autochtones « à travers leurs institutions représentatives, chaque fois que l'on envisage des mesures législatives ou administratives susceptibles de les toucher directement » ainsi que d'assurer leur participation à la prise de décisions dans tous les organes « responsables des politiques et des programmes qui les concernent » ;

· l'article 7, qui prévoit que les peuples autochtones « doivent avoir le droit de décider de leurs propres priorités en ce qui concerne le processus du développement » 55.

55 Au sens de cette Convention, la participation est donc entendue comme un droit d'exprimer un point de vue et de pouvoir influencer la décision. Les consultations, quant à elles, doivent être transparentes et permettre aux peuples autochtones de donner leur avis éclairé.

Le Comité des Droits de l'Homme affirme en outre que le droit des peuples autochtones de participer à la prise de décisions les concernant est une application du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Il fonde ce droit sur l'article premier du Pacte des droits fondamentaux de 1966, ainsi que sur l'article 27, relatif au principe de l'intégrité culturelle.

Sur la scène internationale, cette participation des peuples autochtones est assurée au travers de l'Instance permanente sur les questions autochtones grâce aux délibérations du Groupe de travail. Il existe plusieurs sortes d'institutions représentatives autochtones, soumises à l'approbation d'autorités étatiques, qui sont soit consultatives, soit dotées d'un pouvoir de décision.

Dans l'ensemble, les États admettent ce principe de participation à tous les niveaux de décision, dans tous les domaines qui les concernent, mais sont toujours réticents à accepter qu'un groupe puisse bénéficier d'un droit collectif à participer avec une structure institutionnelle distincte. Pour les États, reconnaître un tel droit de véto supposerait également qu'ils reconnaissent aux peuples autochtones des droits territoriaux.

Certains États ont accordé aux peuples autochtones vivant sur leurs territoires une certaine autonomie, qui équivaut à un droit des peuples autochtones à participer aux prises de décisions qui les concernent. Pour déterminer si ces peuples disposent d'une réelle autonomie, il faut examiner si les autorités autonomes disposent de compétences propres et d'un réel pouvoir de décision.

Il existe différentes formes d'autonomie, elle peut être culturelle, territoriale ou politique ; et dans chaque catégorie, il y a différents degrés en fonction des compétences exercées et du pouvoir de décisions dont disposent les autorités autonomes. Chaque situation est donc particulière bien que les expériences présentent des caractéristiques communes.

Il semble donc qu'une norme coutumière de droit international se forme en ce qui concerne la participation des peuples autochtones à la prise de décisions qui les concernent. Les États sont en effet nombreux à admettre progressivement la nécessité de prendre en compte les besoins, l'opinion des peuples autochtones et de les consulter avant de prendre une décision les concernant.

iii. L'apparition d'une identité transnationale autochtone

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Dès les années 1970, les militants de la cause autochtone accompagnent son internationalisation, à

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travers leurs ONG spécialisées, en soutenant les rencontres entre organisations des différents pays, en soulignant les revendications communes et en opérant un travail de sensibilisation de l'opinion publique de la communauté internationale.

Ce travail va permettre de faire émerger une véritable identité autochtone sur la scène internationale. Nous allons donc nous intéresser à ces nouveaux sujets du droit international (1.), avant de traiter de l'identité transnationale autochtone (2.).

1) Des sujets en devenir du droit international

« La participation des autochtones aux processus internationaux est un véritable succès dont on mesure l'importance en termes quantitatifs puisque le nombre des représentants accrédités a été multiplié par cinq ou six, et en termes institutionnels puisque la question autochtone est à l'agenda de pratiquement toutes les agences de la famille onusienne » 56.

C'est donc sous l'impulsion des peuples autochtones eux mêmes que va naître un véritable mouvement autochtone dans la deuxième moitié du XXe siècle. Les peuples autochtones veulent devenir des « acteurs » de la scène internationale, et demandent la reconnaissance par le droit international de la qualification de peuples autochtones, en vue de pouvoir disposer d'une capacité à décider d'eux-mêmes, et à disposer de leurs territoires traditionnels et de leurs ressources. Mais ils ne veulent pas nécessairement se séparer de l'État sur le territoire duquel ils vivent. Les revendications autochtones ne sont, en général, pas sécessionnistes, et c'est plutôt l'autonomie régionale qu'ils envisagent.

L'ONU va donc leur fournir les outils pour construire un mouvement international autochtone. Ainsi après avoir reconnu leur spécificité, elle a accepté de leur attribuer un espace, le Groupe de Travail sur les Populations Autochtones, où ils viennent chaque année élaborer leurs droits collectifs autochtones. Leur présence dans le contexte onusien va se pérenniser en 2002 avec la création de l'Instance Permanente sur les Questions Autochtones. Plusieurs centaines de représentants d'ONG autochtones sont également accréditées à l'ONU, et ont pour mandat de faire des recommandations à l'ECOSOC.

Au fil du temps, d'autres organismes vont s'attaquer à la problématique autochtone.

56 BELLIER Irène, « La participation des peuples autochtones dans la constellation onusienne : les enjeux d'une présence institutionnelle » ; LAIOS - CNRS ; Colloques Cultures et pratiques participatives ; 20 et 21 janvier 2004 ; p.19

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L'UNESCO va proposer dans son rapport sur la réunion internationale d'experts sur l'approfondissement de la réflexion sur le concept de droit des peuples en novembre 1989, une nouvelle définition de la notion de peuple :

« 1. un groupe d'êtres humains qui ont en commun plusieurs ou la totalité des caractéristiques suivantes :

(a) une tradition historique commune ;

(b) une identité raciale ou ethnique ;

(c) une homogénéité culturelle ;

(d) une unité linguistique ;

(e) des affinités religieuses ou idéologiques ;

(f) des liens territoriaux ;

(g) une vie économique commune ;

2. le groupe, sans nécessairement être considérable (par exemple, la population des micro-Etats), doit être plus qu'une simple association d'individus au sein d'un État ;

3. le groupe en tant que tel doit désirer être identifié comme un peuple ou avoir conscience d'être un peuple - étant entendu que des groupes ou des membres de ces groupes, tout en partageant les caractéristiques susmentionnées, peuvent ne pas avoir cette volonté ou cette conscience ; et, éventuellement ;

4. le groupe doit avoir des institutions ou d'autres moyens d'exprimer ses caractéristiques communes et son désir d'identité » 57.

On retrouve dans cette définition quelques éléments distinctifs des peuples autochtones, qui sont des communautés homogènes, conscientes d'elles mêmes et de leur identité collective, et qui se distinguent de la population dominante du territoire sur lequel elles vivent.

Une autre institution a joué un rôle important en la matière : la Banque Mondiale. Agence spécialisée de l'ONU dans le domaine financier, elle est chargée de contribuer à améliorer le niveau de vie dans le monde. Après avoir défini sa politique envers les groupes qu'elle appelait alors les « populations tribales » en 1982, la Banque Mondiale dressa un premier bilan de ses activités en lien avec les peuples autochtones en 1986. Après l'adoption de la Convention 69 de l'OIT en 1989, elle pris en 1991 la directive opérationnelle 4.20. Elle y donne sa propre définition des peuples autochtones :

57 Réunion internationale d'experts sur l'approfondissement de la réflexion sur le concept de droit des peuples, UNESCO, Paris 2730 novembre 1989, SHS-89/CONF.602/7, p.8

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« Les peuples autochtones (Indigenous Peoples) sont identifiés dans des zones géographiques particulières par l'existence à des degrés variables des caractéristiques suivantes : a) le ferme attachement aux territoires ancestraux et aux ressources naturelles de ces zones ; b) l'auto-identification et l'identification par les autres comme des membres d'un groupe culturellement distinct ; c) une langue autochtone (indigenous language) ; d) l'existence d'institutions sociales et politiques coutumières ; et e) un mode de production principalement orienté vers la subsistance » 58.

Elle vise ici les « peuples autochtones », parlant de la nécessité de les protéger contre les projets de développement qui pourraient leur nuire, tout en permettant de s'associer à ceux qui leur conviennent.

En outre une année puis deux décennies internationales leur ont été consacrées, le but étant de « renforcer davantage la coopération internationale aux fins de résoudre les problèmes qui se posent aux peuples autochtones dans des domaines tels que la culture, l'éducation, la santé, les droits de l'homme, l'environnement et le développement économique et social, au moyen de programmes orientés vers l'action et de projets concrets, d'une assistance technique accrue et d'activités normatives en la matière » .

Le droit international ayant parfois une portée et des implications limitées, un tel bilan pourrait sembler dérisoire. Pourtant, la décennie internationale a contribué à changer les mentalités à l'égard des peuples autochtones et à rendre visible leurs problèmes tout en contribuant à en faire des acteurs de leur avenir par une participation efficace et dorénavant reconnue. Le droit semble donc être le seul outil à la disposition de la communauté internationale, des États et des communautés autochtones elles mêmes pour établir un lieu de dialogue et de reconnaissance.

L'intensification des relations sociales planétaires a ouvert un nouvel espace politique pour ces peuples autochtones, et a ainsi instauré un nouveau rapport de force avec les sociétés nationales. Il n'est pas possible pour l'ONU d'obliger un État à résoudre directement le litige que soulève une organisation autochtone, mais la verbalisation de celui ci sur la scène internationale peut conduire l'État à trouver des solutions. C'est pour cette raison que le dialogue onusien s'est intensifié dans les années 1990. Ce partenariat d'un genre nouveau se construit sur la scène onusienne qui représente sans doute la forme la plus politique de la communauté internationale.

58 World Bank Operationnal Manual, Operationnal Directive 4.20, Septembre 1991

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Les peuples autochtones « ont fait leur place à l'ONU » en s'appropriant le Groupe de Travail pour qu'il ne soit pas seulement un lieu de discussion avec les experts et les représentants des États, ou une tribune où ils peuvent présenter leurs doléances, mais pour qu'il soit aussi un outil politique identitaire. Le Groupe de Travail est ainsi devenu, selon la métaphore d'Arjun Appadurai, célèbre anthropologue indien, un lieu essentiel du « paysage autochtone ». Les peuples autochtones sont, chacun, le porte-parole d'un « local » dont ils véhiculent, dans leurs déclarations, des images et des valeurs. C'est ainsi que se construit au niveau international l'autochtonie 59.

Soutenues sur le plan financier par divers Fonds de contribution, les organisations autochtones ont su exploiter la dynamique du forum pour se construire comme des représentants légitimes capables de proposer un modèle alternatif à une gouvernance qui les exclue. D'une manière générale, la raison de l'entrée des peuples autochtones sur la scène internationale est de participer à la contestation d'un modèle global dans lequel ils se sentent totalement écrasés.

Par leur constante implication dans les mécanismes onusiens, les représentants autochtones sont devenus « partenaires » des États, mais ces derniers demeurent les véritables « maîtres » du jeu puisqu'ils détiennent le pouvoir de décision. On observe donc un « décalage entre la scène internationale qui avance à grands pas dans la prise en compte des perspectives autochtones en raison de la participation des représentants non étatiques qui ont su construire une véritable expertise, et les scènes nationales dans lesquelles les bases sociales du mouvement international évoluent à un rythme différent dans les cinq continents concernés par la présence autochtone » 60.

Cet enjeu du partenariat et de l'égalité s'incarne dans la volonté autochtone de se voir reconnaître le statut de « peuples », afin de jouir du droit internationalement reconnu à l'autodétermination.

Pour parvenir à leurs fins, les autochtones ont progressivement imposé deux modalités de participation :

· La première concerne le principe de l'assemblée générale (caucus) qui attire quotidiennement l'ensemble des organisations autochtones présentes pour discuter des problèmes à l'ordre du jour, sous une présidence bicéphale, à double parité de genre et de langues. Contrairement aux états, le Caucus s'entend sur un certain nombre de concepts de base mais il n'est pas exempt de conflits et de dissensions.

· La seconde est le principe de la décision par consensus, par lequel rien ne peut être adopté

59 MORIN Françoise, « L'ONU comme creuset de l'Autochtonie » , Parcours Anthropologiques, n°5, p. 40

60 BELLIER Irène, « La participation des peuples autochtones dans la constellation onusienne : les enjeux d'une présence institutionnelle » ; LAIOS - CNRS ; Colloques Cultures et pratiques participatives ; 20 et 21 janvier 2004 ; p.2

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sans l'assentiment actif ou passif de la totalité des organisations présentes, ce qui donne force à la voix autochtone et conforte le sentiment de son unité.

Tous les autochtones ne participent pas non plus aux travaux de l'ONU. En effet, certains manquent de moyens financiers pour assurer une représentation égale à celle des États, et les réglementations onusiennes limitent l'accès à la plupart des instances de l'ONU aux organisations accréditées par le Conseil Économique et Social.

Aujourd'hui il apparaît que les États, les Organisations internationales, ou encore les multinationales partagent la qualité de sujets de droit international avec les peuples. Selon R-J Dupuy « le peuple, titulaire de droits, sinon de devoirs », est « en train de devenir - si ce n'est déjà fait - un 'sujet' de droit international » 61. Néanmoins, subsiste toujours un conflit entre les différentes interprétations du mot « peuple » : les États défendant leur intégrité territoriale considèrent généralement l'ensemble de leurs citoyens comme un peuple unique ; tandis que les mouvements séparatistes de certaines minorités nationales considèrent les communautés (linguistiques, religieuses ou autres) qu'ils affirment représenter, comme des peuples à part entière et revendiquent leur droit à l'autodétermination.

L'adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones a conduit à la formulation rhétorique de l'identité globale peuples autochtones, en tant que sujets de droits. « Elle configure un nouvel imaginaire, en postulant une égalité de traitement entre ces derniers et les peuples (à État) des Nations unies, via la reconnaissance de droits collectifs dans le respect du droit international (art. 46) » 62.

Voyons donc comment le droit des peuples autochtones a évolué depuis son émergence dans les années 1970, jusqu'à constituer un champ d'activité international aux formes d'interactions multiples.

2) L'identité transnationale autochtone

Confronté à une forte marginalisation politique, les peuples autochtones se sont organisés à plusieurs niveaux en construisant des identités interethniques voire transnationales. L'inscription

61 R-J DUPUY, « Communauté internationale et disparités de développement », La Haye, Martinus Nijhoff, 1981

62 BELLIER Irène, « Les peuples autochtones aux Nations unies : un nouvel acteur dans la fabrique des normes internationales », Critique internationale, 2012/1 n° 54, p.78

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des acteurs autochtones dans une forme de démocratie transnationale induit une dynamique politique de transformation des situations de négociation tant dans le cadre des grandes conférences onusiennes, qu'au niveau local. Cette notion de démocratie participative nourrit une demande profonde de mutation des rapports de forces locaux, avec pour objectif de faire évoluer les systèmes politiques et juridiques dominants.

Les peuples autochtones du monde ont, en effet, progressivement entrepris un processus de résistance qui s'exprime à l'occasion des diverses rencontres ou forums organisés en vue de délégitimer l'ordre libéral mondialisé et de proposer des alternatives. Les voix de ces peuples s'y sont faites entendre et ils ont pu acquérir un statut de négociateurs à part entière non seulement avec les organisations non gouvernementales mais aussi directement avec les gouvernements. En même temps, les processus de destruction des communautés autochtones, qu'ils soient génocidaires, ethnocidaires ou écocidaires, les ont obligés à s'organiser et à développer des propositions alternatives fondées sur le concept de l'unité dans la diversité. Les peuples autochtones ne demandent donc rien d'autre que d'être les principaux acteurs de leur propre construction sociale, expression de leur droit fondamental à l'autodétermination 63.

L'entrée des peuples autochtones à l'ONU a scellé le début d'un processus d'institutionnalisation fondamental pour la construction d'une voix collective. Cet espace de parole a été organisé par les représentants autochtones, qui se posent en acteurs doués d'autonomie réflexive pour construire les moyens de la reconnaissance comme « peuple » en droit international. Le groupe de travail de l'ONU a constitué d'ailleurs un lieu essentiel pour les rencontres transnationales, l'échange d'informations et, finalement, la création d'une identité autochtone mondiale. Celle-ci prend la forme d'une « communauté imaginée transnationale » 64 sous le signe de laquelle les dirigeants du monde entier partagent leurs problèmes, leurs revendications, et réaffirment leur « identité autochtone » .

L'institutionnalisation internationale de la cause des peuples indigènes est perceptible à la fois dans la multiplication des normes internationales, les financements disponibles et les réunions interagences. Elle oblige aujourd'hui à prendre en compte une arène complexe à laquelle participent des acteurs étatiques, des organisations intergouvernementales et des experts de la cause autochtone. Ces systèmes de réseaux transnationaux militants sont appelés des « champs

63 GESLIN Albane, « La protection internationale des peuples autochtones : de la reconnaissance d'une identité transnationale autochtone à l'interculturalité normative » , Annuaire français de droit international ; vol. 56 (2010), p. 665

64 DUMOULIN David, « Les réseaux transnationaux de défense des populations autochtones : évolution des alliances et dilemmes d'institutionnalisation », Colloque SEl « Les solidarités transnationales », 21-22 Octobre 2003 ; p. 3

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globalisés » dans la mesure où la focalisation sur un problème commun et leurs interactions multiples tendent à mieux définir les acteurs que leurs divisions nationaux / internationaux, gouvernementaux / non-gouvernementaux, experts / militants. Cette notion aide à voir les conflits puisqu'il s'agit d'un champ de position ou les acteurs ne s'entendent pas toujours sur la définition du « problème indigène ». Ce fonctionnement se retrouve dans les cas de l'institutionnalisation internationale d'autres thématiques militantes, comme le montre par exemple une comparaison entre les logiques d'action qui gouvernent aujourd'hui le champ indigène et celui de la protection de l'environnement 65.

Pour construire un espace politique commun, encore faut il reconnaître l'autre. L'enjeu n'est pas de tenter de masquer les différences existant entre les peuples autochtones au nom d'une commune vision du monde, il est celui de l'altérité. « Identifier » c'est, étymologiquement, faire du même, rendre semblable. « Reconnaître » c'est poser comme déjà connu, sans l'a priori d'un projet d'assimilation. L'enjeu est donc de porter les valeurs communes de ces peuples sur la scène internationale pour la reconnaissance de leurs existence et de leurs droits.

La cause des peuples autochtones est un des domaines par excellence de la solidarité transnationale, où des militants des pays du Nord défendent des victimes lointaines oppressées par leurs États. Prise dans le sens de collaboration entre organisations indigènes par-delà les frontières, la notion de solidarité nationale doit être encore étendue pour parvenir à saisir l'influence du contexte institutionnel ainsi que l'évolution des alliances stratégiques et des cibles de ces réseaux militants. Ainsi, selon David Dumoulin, doctorant à l'IEP de Paris :

« La recherche d'efficacité dans l'action transnationale oblige à étudier comment la mise en scène de l'identité indigène, la définition du «problème indigène», et les répertoires d'action peuvent évoluer suivant les époques et des pays. De nombreux autres acteurs doivent ainsi être pris en compte pour comprendre la trajectoire d'ensemble de l'internationalisation de la cause indigène » 66.

Cette solidarité se traduit en deux volets : des collaborations entre organisations indigènes qui parviennent à créer une nouvelle « identité autochtone » au niveau mondial, et des collaborations très dynamiques entre organisations indigènes et « ONG de soutien » qui épousent la cause des premières 67.

La construction de solidarités transnationales est donc profondément stratégique, puisque des

65 Jbid ; p. 9

66 Jbid ; p. 5

67 Jbid ; p. 2

collaborations doivent se tisser entre acteurs dont les objectifs ultimes sont différents radicalement différents. Elle doit être perçue comme une instrumentalisation réciproque, car les acteurs internationaux ont besoin de la légitimité indigène.

Aujourd'hui cependant, la dimension proprement transnationale et militante n'est plus qu'une des logiques d'action de ce qui est devenu un champ globalisé où se confrontent des acteurs de différents statuts.

Il convient dès lors d'illustrer nos propos par la présentation d'un exemple concret : le traitement des autochtones sur le territoire australien.

C) Le processus de reconnaissance des Aborigènes dans la société australienne (de l'intégration à la réconciliation)

Les peuples autochtones océaniens présentent la caractéristique d'avoir été formellement reconnus indépendants sur leurs territoires avant d'être dépouillés de leurs attributs en tant que peuples souverains.

Nous allons donc nous intéresser au traitement des communautés autochtones sur le territoire australien. Leurs revendications ont en effet été à l'image de la mobilisation autochtone, et ont émergé dans les années 1960 avant de se répercuter sur la scène internationale avec la reconnaissance de représentants autochtones au sein du Conseil économique et social. Nous traiterons donc de l'assimilation et l'intégration des aborigènes au sein de la société australienne (i.) puis de leur reconnaissance institutionnelle (ii.), avant d'en aborder les enjeux et les limites (iii.).

i. Assimilation et intégration des aborigènes au sein de la société australienne

Il s'agit ici de traiter du contexte historique qui a vu naître les premières relations entre colonisateurs et habitants (1.), avant de s'intéresser à la période d'Assimilation des Aborigènes au sein de la société australienne (2.).

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1) Le contexte historique

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« Aborigène » est un terme technique qui signifie « depuis le début ». En réalité, il désigne des peuples comme étant les « premiers peuples » d'une région ou d'un endroit donné. L'Australie n'a pas adopté irrévocablement une définition définitive des « peuples autochtones », que ce soit dans sa législation nationale ou en droit international.

Une définition a été donnée par la Cour suprême de l'Australie, qui figure dans le Commonwealth

of Australia and Anor.v State of Tasmania (1983) 46 ALR 625 at 817, et dont les critères figurent

également dans la définition qui a été donnée par M. Cobo en 1983. On peut y lire ce qui suit : « Par 'Australien aborigène' j'entends (...) une personne d'origine aborigène, même partiellement, qui s'identifie comme telle et qui est reconnue par la communauté aborigène comme faisant partie de cette communauté ». (Deane J.)

En 1770, lorsque James Cook pris possession de l'Australie au nom de la couronne d'Angleterre, sa mission était de rechercher un nouveau continent à l'ouest de la Nouvelle Zélande. Cette mission fut un succès, et Cook, après avoir rencontré pour la première fois les natifs du pays, ceux qu'il appela les « bons sauvages », planta le drapeau britannique, en signe de prise de possession du territoire, sur la côte orientale de l'Australie et la baptisa Nouvelle Galles du Sud. À l'époque, un racisme fort s'exerçait à l'égard des aborigènes. Tout au long du XIXe siècle, ils furent considérés comme un obstacle à l'expansion britannique, et furent donc violemment chassés de leurs terres.

La colonisation en Australie n'a pas été pacifique, et les Aborigènes n'en n'ont pas été les victimes passives. Ils ont en effet su développer au fil du temps des formes de résistance et d'opposition politique et culturelle devant l'usurpation de leurs terres.

La doctrine qui prévalait au XVIIIe siècle, était celle de la terra nullius (terres n'appartenant à personne) qui autorisait les colonisateurs à acquérir un territoire habité dès lors qu'ils jugeaient l'organisation sociale des populations indigènes trop primitive. C'est ainsi que la couronne britannique s'empara de l'Australie, les aborigènes étant considérés comme des peuplades primitives, qui ne possédaient aucun lien avec la terre. Cette doctrine avait donc pour effet immédiat d'affirmer les droits exclusifs de la Couronne devenue, par la prise de possession, l'unique propriétaire foncier en Australie.

Auparavant, selon la conception du common law, le Droit anglais avait seul vocation à s'appliquer dans les colonies de la Couronne, ces « Terres de peuplement » aux sociétés considérées comme archaïques. L'Australie fut classée dans cette catégorie, et dès lors les droits subjectifs des Aborigènes furent niés, et leurs biens considérés comme des res nullius. Le pays fut donc considéré

comme une colonie de peuplement dont l'existence était fondée sur un acte unilatéral de prise de possession. Une fois devenue une colonie de peuplement anglaise, l'île resta très fermée et ne connut qu'une faible expansion démographique. Cela peut s'expliquer par une politique d'immigration très restrictive appliquée par la Couronne, qui voulait faire de l'Australie une sorte de nouveau royaume anglo-saxon.

Du fait des théories de Darwin sur l'évolution de l'espèce humaine, et de la forte influence du mouvement évangélique à la fin du XVIIIe siècle, qui condamnait l'idée du bon sauvage, il fut impossible d'éviter le racisme et ses conséquences socio-culturelles. L'opinion publique en Angleterre voyait en ces êtres des spécimens incapables d'être civilisés et ne s'émouvait guère de leur sort. Ainsi l'on va considérer que l'aborigène est, par essence, incapable d'accéder à la civilisation blanche et protestante, l'infériorité étant inscrite dans sa nature. Le développement de la colonie se fera donc sans l'aborigène qui restera enfermé dans ses traditions ancestrales. Les Aborigènes sont d'ailleurs considéré comme un peuple en voie d'extinction, dont il faudrait assouplir la disparition.

Plus tard, en 1787, le Parlement britannique décide de faire de ce pays une colonie pénitentiaire : l'Australie devint dès lors une terre d'exportation des bagnards. Le pays a servi de colonie pénale entre 1788 et 1868, recevant plus de 160 000 condamnés, originaires pour l'essentiel des îles Britanniques. Le capitaine Arthur Phillip, réaffirmant la souveraineté britannique, devint le premier gouverneur de la Nouvelle Galles du Sud. Il reçut d'ailleurs comme instructions de lier d'amitié avec les indigènes présents sur le territoire.

Au début du XIXe, plusieurs tentatives d'approches, menées par le Gouverneur à qui il revenait de gérer les relations avec les Aborigènes, se révélèrent infructueuses. Après les échecs successifs d'Arthur Phillip, le gouverneur Macquarie essaya en 1816 de sédentariser les Aborigènes en leur proposant des parcelles de terre. Ce fut là le début de la politique d'assimilation, censée mener les Aborigènes vers la « civilisation ». Deux protectorats furent mis en place après la production d'un rapport sur la situation des Aborigènes dans les colonies qui reconnaissait la dépossession de leurs terres, et préconisait qu'ils soient protégés et éduqués. L'objectif de ces protectorats était de rassembler les différentes communautés en un lieu paisible pour les protéger du comportement des colons. Cette pratique ségrégationniste va se solder par un échec, et va se révéler être extrêmement préjudiciable pour la préservation de l'identité culturelle des Aborigènes.

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A la fin du XIXe siècle, après avoir chassé les Aborigènes des terres les plus fertiles, le

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gouvernement commença à créer des réserves où l'on parqua les survivants. Les Aborigènes furent placés sous la tutelle du gouvernement ou des missions religieuses. Une nouvelle politique fut menée à l'égard des Aborigènes de « sang pur », les parquant dans les réserves, tandis que les Métis et les enfants étaient exclus de celles ci. Cette politique visait à faire disparaître avec les Aborigènes de pure souche les souvenirs de la dépossession de leurs terres, de façon à ce que les Métis soient assimilés plus facilement. Cette politique fut qualifiée de « protection » et des fonctionnaires furent nommés « protecteurs » pour régir et contrôler la vie et la localisation de ces tribus autrefois nomades.

Le 1er janvier 1901, la nouvelle Constitution australienne va prendre effet, et marquer une étape importante de l'Histoire australienne : la Fédération, avec son gouvernement installé provisoirement à Melbourne. Les six colonies, la Nouvelle-Galles du Sud (le premier État, fondé en 1788), la Tasmanie (fondée en 1824 sous le nom de Van Diemen's Land), l'Australie-Occidentale (1829), l'Australie-Méridionale (1836), le Victoria (1851) et le Queensland (1859), décident donc de s'unir pour former une fédération.

N'ayant pas pris part à l'élaboration de ce processus, les Aborigènes étaient une nouvelle fois exclus, bien qu'ils possédaient le droit de vote dans certains États comme la Nouvelle Galles du Sud, l'Australie-Méridionale, la Tasmanie et le Victoria. Le texte de la Constitution de 1901 excluait les Aborigènes de la fédération, ces derniers n'apparaissant que dans deux brèves références :

· Le Placitum 26 de la section 51 donnait au Parlement du Commonwealth le pouvoir de légiférer pour les personnes de toutes les races, « à l'exception de la race aborigène, et ce dans tous les États ».

· La section 127 excluait, elle, les Aborigènes des recensements, ce qui témoignait du statut humiliant qui leur était réservé.

La nouvelle nation affirme en outre avec force son identité « blanche », et le Parlement fédéral adopte cette même année l'Immigration Restriction Act qui vise à prévenir l'immigration d'une main d'oeuvre bon marché asiatique ou « de couleur ».

Toutefois, le besoin de main d'oeuvre va faire naître une nouvelle politique d'immigration, ouvrant les frontières aux ressortissants de l'Europe de l'Est, ainsi qu'aux méditerranéens Italiens et Grecs. N'ayant pas pris part à l'élaboration du processus fédéral, les Aborigènes ne sont guère concernés par cette nouvelle organisation politique. Ils ne sont donc pas considérés comme des citoyens de la Fédération des États d'Australie, et subissent la même politique ségrégationniste basée sur des

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critères racistes.

Au cours des années qui suivirent, la situation évolua et en 1936 fut pour la première fois posée la question du contrôle fédéral des affaires aborigènes lors de la réunion des Premiers 68 à Adélaïde, qui sera suivie d'une autre conférence l'année suivante. Après s'être interrogé sur l'augmentation croissante de la population Aborigène et sur la place des métis dans la société, le gouvernement en arrive à la conclusion que les Aborigènes de pure souche doivent rester dans les camps, mais les métis doivent être absorbés dans la communauté blanche. Ainsi les autorités semblaient espérer l'extinction des Aborigènes de pure souche, et la décoloration des métis en les mêlant à la population, en général blanche.

C'est au cours de la 2e Guerre mondiale que la condition aborigène connaît ses premières avancées. Le gouvernement fédéral étend en effet peu à peu ses aides sociales à certains Aborigènes, comme les « non nomades » à partir de 1941, ou les femmes aborigènes en cas de grossesse ou de veuvage à partir de 1942. Les Aborigènes ayant servi pendant la guerre se voient octroyer le droit de vote à partir de 1943, et en 1949 le Commonwealth Electoral Act est amendé afin d'étendre le droit de vote aux élections du Commonwealth à ceux qui ont déjà le droit de vote aux élections locales de leur État. Bien qu'ayant accédé à la citoyenneté australienne depuis 1948, ils restent très largement exclus de la vie politique et continuent d'occuper les positions les plus basses de l'espace social.

À partir des années 1950, les Australiens ont commencé à repenser leur attitude à l'égard des questions raciales. Un mouvement pour les droits des autochtones fut créé et une campagne contre la politique de l'Australie blanche fut également lancée.

À la fin des années 1960, va apparaître un mouvement pour la défense de leurs droits fonciers. La doctrine Terra Nullius niant toute appropriation du sol, n'était que la conséquence d'un principe plus général : l'absence de personnalité juridique reconnue aux Aborigènes. C'est pour cette raison que le gouvernement fit le choix de les assimiler au sein de la société dominante.

2) La période d'assimilation

C'est dans les années 1950 que les législateurs lancèrent le programme d'« assimilation » qui

68 Premier désigne le chef de gouvernement d'un État

74

devait amener les Aborigènes à « obtenir dans le futur le même mode de vie que les autres australiens ».

Le gouvernement fédéral était alors confronté à un problème : l'augmentation croissante de la population Aborigène qui pouvait constituer un « péril noir ».

Selon A. O. Neville, protecteur en chef des Aborigènes en Australie-Occidentale :

« Les différents États créent des institutions pour le confort de la race aborigène et cette politique a pour conséquence d'augmenter la population aborigène. Quelle sera la limite ? Aurons-nous une population d'un million de noirs dans le Commonwealth, ou allons-nous les mélanger à la communauté blanche et oublier au bout du compte qu'il y a eu des Aborigènes en Australie ? » 69

Ainsi, en favorisant les mariages avec des européens, on éliminerait progressivement toute population de couleur. L'objectif était de faire des Aborigènes des citoyens « utiles », c'est à dire des citoyens actifs dans le système économique et non dépendants dudit système, en prétendant les élever au même rang que leurs concitoyens blancs. Les autorités semblaient donc compter d'une part sur l'extinction des Aborigènes de pure souche, et de l'autre semblaient espérer une décoloration des métis en les mêlant à la population générale. Cette politique qui envisageait l'octroi des droits de citoyenneté, a également nécessité la suppression de l'identité culturelle 70.

Les différentes administrations se mirent d'accord sur une certaine uniformité dans leurs législations et exprimèrent leur préférence pour l'emploi du terme « Native » tel que défini dans le Native Administration Act 1905-1936 de l'Australie-Occidentale.

Selon les directives officielles, les Aborigènes de sang pur devaient être confinés dans des réserves, et privés de la plupart des droits civiques. D'autre part, l'existence d'un nombre important de métis représentait une menace pour l'idéal d'une Australie blanche. Le gouvernement décida donc d'arracher les enfants métis à leurs mères pour les élever dans des orphelinats où ils pourraient être assimilés à la population blanche en rompant les liens avec leur culture d'origine. Les enfants métis étaient enlevés par des fonctionnaires des services sociaux, aidés lorsqu'il le fallait des forces de police. Les conditions de vie dans les camps d'Aborigènes étaient pénibles et carcérales, punitions corporelles et sévices sexuels étant fréquents.

En réalité, cette politique a conduit à de nombreux abus, et nombre de ces enfants, appelés les « générations volées », se retrouvèrent marginalisés et stigmatisés, et donc incapables d'obtenir une place digne dans la société australienne. Cette formule désigne les victimes des enlèvements

69 Commonwealth of Australia, Aboriginal Welfare.

70 The First Australians: A Fair Deal for a Dark Race par SBS TV 2008.

75

arbitraires qui furent commis légalement sur une base raciale à l'encontre de milliers d'enfants issus du métissage. Cette expression est un rappel constant de la politique d'Assimilation de l'Australie aborigène noire par l'Australie blanche et, par conséquent, des inégalités sociales accentuées par ces politiques.

Pour la grande majorité de ces enfants, les dégâts ont été irrémédiables : impossibilité et incapacité à trouver une place, que ce soit dans la société blanche qui les rejette ou dans la société aborigène qui ne les reconnaît plus puisqu'ils ont été privés des codes sociaux qui régissent les tribus aborigènes. Parfois même s'ajoute une impossibilité de communiquer autrement qu'en anglais, dans la mesure où les enfants enlevés ont été forcés à ne plus utiliser leur dialecte.

Ces actes sont reconnus par la majorité de la classe politique australienne comme l'un des chapitres les plus sombres de l'histoire du pays. En 1997, un rapport intitulé « Bringing them home » 71 détaille l'histoire de ces pratiques, publie des témoignages, et suggère qu'environ cent mille enfants appartiennent aux « générations volées ». Le rapport révèle en outre que les enfants aborigènes placés dans des institutions ou familles d'adoption se virent souvent interdits de pratiquer leur langue, l'idée étant de les couper définitivement de leurs racines culturelles aborigènes. D'après ce même rapport, 17 % des filles et 8 % des garçons des « générations volées » furent victimes d'abus sexuels au sein des institutions d'accueil et des familles d'adoption 72.

Le rapport révèle en outre que les enfants « volés » ont en moyenne, par la suite, connu un taux d'éducation légèrement plus faible que les enfants aborigènes qui n'avaient pas été retirés à leurs parents, un taux de chômage légèrement plus élevé, et un taux d'incarcération pour crimes et délits trois fois plus élevé 73.

Ainsi, à partir de 1950, chaque État australien disposait d'un arsenal législatif permettant à la police et aux agences gouvernementales d'enlever les enfants métis de la communauté aborigène, et de les confier à des institutions spécialisées.

L'idée d'une assimilation des Aborigènes est ravivée dans les années cinquante par le Ministre des Territoires Paul Hasluck. Constatant que plus de deux tiers des Aborigènes vivaient en contact direct avec le monde européen, il prône une certaine avancée sociale de l'ensemble de ces individus dans la société australienne :

« Leur avenir se situe en association avec nous, et ils doivent s'associer à nous sur des normes qui leur donneront une opportunité de vivre dignement et heureux ou ils seront réduits au statut social de parias et de proscrits vivant sans une place stable dans la

71 « Bringing them Home: The "Stolen Children" report », 1997

72 « Bringing them Home », « 10 Childrens Experiences » , 1997

73 « Bringing them Home », « Introduction » , 1997

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communauté. En d'autres termes, soit nous permettons cette plaie sociale, soit nous y remédions » 74.

C'est à son initiative que va se tenir la Native Welfare Conference à Canberra les 3 et 4 septembre 1951, au cours de laquelle va être adopté cette nouvelle politique d'assimilation pour tous les Aborigènes.

« Assimilation signifie en termes pratiques qu'au cour du temps, il est attendu que toutes les personnes de sang aborigène ou de sang-mêlé, en Australie vivront comme des Australiens. L'acceptation de cette politique gouverne tous les autres aspects de l'administration des affaires indigènes (natives) » 75.

Depuis cette conférence la politique d'assimilation est associée à l'idée d'une avancée sociale et de droits égalitaires pour les Aborigènes. Mais dans la réalité, ces derniers continuent d'être une catégorie à part, et l'essentiel des législations de ségrégation reste en vigueur. L'Australie était à cette période un État raciste pratiquant ouvertement la discrimination envers ses populations indigènes, et le contrôle sur leur vie restait très oppressif.

Nous allons donc nous intéresser à la reconnaissance progressive des populations indigènes au sein de la société australienne.

ii. La reconnaissance institutionnelle des aborigènes dans la société australienne : de l'intégration à la réconciliation

Nous allons ici nous intéresser à l'évolution progressive du traitement accordé aux population indigènes par le gouvernement australien. Pour cela, il s'agit de traiter de la période d'intégration des Aborigènes au sein de la société dominante (1.), avant d'aborder la révolution judiciaire engendrée par l'arrêt Mabo (2.).

74 « Their future lies in association with us, and they must either associate with us on standards that will give them full opportunity to live worthily and happily or be reduced to the social status of pariahs and outcasts living without a firm place in the community . In other words, we either permit this social evil, or we remedy it » ; HASLUCK, Native Welfare

75 « Assimilation means in practical terms that in the course of time, it is expected that all persons of aboriginal blood or mixed blood in Australia will live like Australians. The acceptance of this policy governs all other aspects of native affairs administration » HASLUCK, Native Welfare

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1) La période d'intégration des Aborigènes

L'idée d'un droit des autochtones à l'autodétermination apparaissait déjà dans les années 1960 accompagnant la revendication de droits de citoyenneté et de droits fonciers.

À partir de 1962, les politiques autochtones contemporaines laisseront transparaître la volonté d'acquérir une certaine autonomie politique, administrative, socio-économique et culturelle.

Ces politiques doivent donc être perçues comme la preuve de l'échec de l'assimilation structurelle, et à la fois comme son produit. En effet, la plupart des leaders aborigènes avaient bénéficié d'une éducation de type occidental, leur permettant d'utiliser des concepts, des outils et des arguments politiques directement issus de la tradition politique occidentale 76.

En 1966, le peuple Gurindji dirigé par Vincent Lingiari organisa une grève contre leurs mauvaises conditions et rémunérations. Ce qui était à l'origine un problème de salaire devint très vite une réclamation pour la récupération des terres traditionnelles.

La grève Gurindji a été l'un des premiers mouvements pour les droits fonciers autochtones à obtenir un large soutien. Elle fut un tournant important et un symbole essentiel de la lutte pour les droits fonciers autochtones en pleine émergence. Neuf longues années plus tard, la demande Gurindji aboutit : en 1975, le terrain fut remis à la population par le premier ministre Gough Whitlam.

En 1967, sous le mandat du premier ministre Harold Holt, eu lieu un important référendum en vue d'inclure les Aborigènes dans le recensement national. Il donna lieu a un vote massif approuvant la modification de la Constitution, en supprimant les références discriminatoires et en donnant au Parlement fédéral le pouvoir de légiférer spécifiquement pour les Australiens autochtones. Le référendum fut approuvé par plus de 90 % de la population. Il ne s'agissait pas de leur donner le droit de vote : ils l'avaient déjà en théorie dans la plupart des États (sauf dans le Queensland et l'Australie-Occidentale), même si ce droit n'était pas toujours effectif car ils participaient rarement aux scrutins.

La période 1966-1972 ne doit pas pour autant être perçue comme le véritable début d'une politique d'autodétermination. En effet, pour les différents gouvernements libéraux qui se succédèrent, la défense des velléités autochtones ne constituait pas une priorité. Cette période de transition qui a

76 Paul HASLUCK, Shades of Darkness : Aboriginal Affairs 1925-1963, Melbourne University Press,1998, pp. 139-141

78

suivi le référendum de 1967 fut baptisée par certains analystes « période d'intégration ». Ce référendum fut très important pour les communautés aborigènes et obtint l'appui de plus de 90% des électeurs.

Peu après vont être élus bon nombre d'Aborigènes à des postes importants, comme Neville Bonner qui devint, en 1971, le premier membre indigène du Parlement fédéral, ou encore Ernie Bridge qui fut le premier membre indigène du parlement d'Australie-Occidentale en 1980. La loi issue de ce référendum donna au gouvernement fédéral un pouvoir législatif en matière de questions aborigènes, les États étant dans l'obligation de fournir aux Aborigènes les mêmes services qu'aux autres citoyens. À cette occasion fut créé le « Department of Aboriginal Affairs » (Ministère des Affaires Aborigènes) dont les buts étaient de définir les besoins spécifiques des Aborigènes et de garantir leur application sur le plan législatif.

Vers la fin des années soixante, la politique de l'Australie blanche commença d'être assouplie. C'est dans cette même période que les aborigènes se mirent à militer pour leurs droits. Avec l'accession de Gough Whitlam au poste de premier ministre en 1972, fut inaugurée une politique de multiculturalisme, ayant pour objectif de permettre aux minorités ethniques de préserver leur patrimoine culturel au sein de la société australienne. Whitlam prit donc les premières mesures pour satisfaire la principale revendication des aborigènes : la récupération de leurs terres ancestrales dont ils avaient été dépossédés pendant la colonisation. Considérant la question aborigène comme « le problème central sur lequel l'Australie sera jugée par le reste du monde », Whitlam va donc accorder une importance nouvelle à la politique d'autodétermination, soutenue par la mise en place d'une bureaucratie aborigène.

Le 26 janvier 1972, un groupe d'activistes inaugura une « ambassade aborigène » en montant une tente devant le parlement à Canberra. À l'époque leur revendications portaient sur la reconnaissance du droit à la propriété des terres traditionnelles, mais par la suite le discours s'élargit et la « Tent embassy » est devenue le symbole de toutes les causes aborigènes.

Le problème avec les Aborigènes était, à l'époque, culturel, l'État contrôlant la répartition des aides. C'est alors que ceux ci ont commencé à développer leurs propres programmes de santé, de services juridiques, ou encore d'assistance sociale et sanitaire. Soutenant ce mouvement, le gouvernement va nommer plusieurs Aborigènes à de hauts postes du Department of Aboriginal Affairs, et va également constituer la Commission des Aborigènes et des peuples des îles du Détroit de Torres (ATSIC), organisme chargé de gérer le budget des activités essentielles pour leurs peuples,

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et composé d'Aborigènes élus par leur propre communauté.

Certains ont fait valoir qu'il s'agissait d'une forme d'autodétermination ou représentait, à tout le moins, une première étape vers l'autodétermination car on accordait aux Aborigènes un statut d'autonomie. Cependant, d'autres ont fait valoir que ce n'était pas suffisant, tout simplement parce que le gouvernement fédéral conservait et parfois exerçait son pouvoir sur les communautés autochtones et sur l'ATSIC.

En novembre 1975 le gouverneur général, Sir John Kerr destitue Whitlam en profitant d'une crise constitutionnelle inédite due à la montée des oppositions internes et externes, et convoque de nouvelles élections. Le successeur de Whitlam, Malcom Fraser, bien que conservateur, ne revint pas sur les transformations engagées par le précédent gouvernement. Il y a même une certaine continuité dans de nombreux domaines, tels que le multiculturalisme, l'immigration ou encore les affaires aborigènes. Ce mouvement va se poursuivre avec les gouvernements travaillistes de Bob Hawke arrivé au pouvoir en 1953, et de son ministre des Finances Paul Keating qui lui succède en 1991. Hawke sera pourtant contraint par le lobby minier à renoncer à la politique de droits fonciers qu'il avait annoncée pour les Aborigènes.

À partir de 1976, le gouvernement australien va entreprendre la restitution partielle de terres à de nombreux Aborigènes. Ils sont pour la plupart concentrés dans les régions septentrionales du pays, se rassemblant dans des réserves appelées « communautés », et subissent les fléaux de l'alcool et de l'acculturation. Cette même année, le gouvernement produit l'Aboriginal Land Rights Act (Northern Territory), (Loi sur les Droits fonciers des Aborigènes dans le Territoire du Nord), qui définit les droits fonciers des Aborigènes dans le Territoire du Nord, où se situent une bonne partie des communautés autochtones.

Avec l'arrivée du Parti travailliste au pouvoir en 1983, va se développer l'idée de réconciliation entre Aborigènes et non-Aborigènes. Cette réconciliation pouvait se révéler être un moyen d'accompagner les Aborigènes sur la voie de l'autodétermination au sein de l'État, et requérait donc de la société dominante qu'elle offre aux Aborigènes « un développement socio-économique, des droits fonciers, une garantie de justice, une admission des méfaits de la colonisation et une reconnaissance de leurs peuples comme premiers peuples australiens » 77

77 Voir les discours de Robert HAWKE, 1984 ; Voir aussi : Department of the Prime Minister & Cabinet - Clyde Holding devant la Chambre des Représentants, 8 décembre 1983

80

Il faudra attendre 1992 pour que le débat sur les droits fonciers autochtones soit relancé. C'est au gouvernement Keating qu'il reviendra de répondre au problème du Titre Indigène soulevé par une nouvelle décision juridique qui ébranla l'Australie.

2) La « révolution judiciaire » avec l'arrêt Mabo

Parachevant la remise en cause des options assimilationnistes condamnées par le référendum de 1967, la propriété foncière ancestrale des Aborigènes est reconnue avec le jugement Mabo le 3 juin 1992, et la fiction juridique de terra nullius est finalement rejetée par la Haute Cour. Dès lors, la législation fédérale et les lois des Territoires ont dû être révisées en tenant compte de ce nouveau « droit ancestral ».

Dans cette décision, la Haute Cour a déclaré qu'une concession consentie par la couronne sur son domaine ne conférait à son bénéficiaire qu'un simple droit d'usage, et n'éteignait pas les droits fonciers traditionnels exercés par les populations indigènes, à condition que celles ci aient gardé suffisamment de liens traditionnels avec la terre en question. La Haute Cour affirmait, pour la première fois, la coexistence de deux types de droits « privés » s'exerçant concurremment sur un même fonds à charge pour leurs divers titulaires de respecter les droits de l'autre 78.

À l'origine, la Cour devait juger de la validité des revendications d'un groupe d'Insulaires dirigé par Edward Koiki Mabo, qui demandait la reconnaissance de leurs droits territoriaux sur les îles Murray dans le Détroit de Torres, lesquelles avaient été annexées à la Couronne en 1879. Il était allégué que leurs habitants, en dépit de cette annexion, n'avaient pu voir leurs droits éteints, qu'il s'agissait de droit immémoriaux s'exerçant sur ces îles, et qu'ils n'avaient jamais cessé d'avoir, à l'égard de ces îles, la qualité de possesseurs et un usage continu. Ils fondaient leur demande sur trois moyens : le premier étant la reconnaissance par le Droit anglo-australien, du Droit coutumier et, donc de l'existence de titre fonciers traditionnels et enfin, la constatation d'un exercice continu de ces droits. En outre, ces droits n'avaient jamais été éteints par la Couronne britannique ou par la Fédération Australienne qui avait depuis l'indépendance hérité de ce droit de légiférer sur ce domaine 79.

Dépassant ce cas particulier du Queensland au cas général de l'Australie, la Cour décréta qu'il

78 La Cour précisait également que que les droits traditionnels cèdent toujours le pas face aux droits détenus en pleine propriété (freehold titles). La Haute Cour a, ainsi, élaboré un compromis fondé sur une discrimination juridique en créant un principe général d'irrecevabilité opposable aux revendications dirigées à l'encontre des droits fonciers « modernes » détenus en pleine propriété.

79 LAFARGUE Régis, « La Révolution Mabo ou les fondements constitutionnels du nouveau statut des Aborigènes d'Australie », Revue du Droit Public et de la Science Politique, n°5, septembre-octobre 1994, p. 1337

81

existait des titres autochtones valables et reconnaissable sur l'ensemble du territoire australien.

La Cour considéra que la common law « perpétuerait l'injustice si elle continuait à embrasser la notion élargie de terra nullius et si elle persistait à définir les habitants autochtones des colonies australiennes comme des personnes trop basses dans l'échelle de l'organisation sociale pour que leurs droits et leurs intérêts sur la terre soient reconnus » 80.

La Haute Cour revient ainsi sur le terme de terra nullius adoptant ainsi la même position de principe que la Cour Internationale de Justice, qui avait estimé en 1975 dans son avis consultatif relatif au Sahara occidental que ce terme devait être réservé aux terres véritablement inhabitées 81.

À l'issue du jugement Mabo, les Aborigènes pouvaient prétendre à la reconnaissance d'un titre autochtone sur toutes les terres domaniales que la Couronne avait laissé libre de droits en ne posant aucun acte de propriété, ainsi que sur les terres restées dans le domaine public, comme les réserves ou les parcs nationaux. Pour obtenir des droits sur leurs terres traditionnelles en vertu d'un titre autochtone, les Aborigènes devaient démontrer qu'ils constituent une « communauté organisée distincte depuis la déclaration de la souveraineté britannique, qu'ils avaient toujours maintenu un lien à leurs terres coutumières, qu'ils continuaient d'utiliser ou d'occuper ces terres, et parce qu'elles justifiaient que des titres autochtones soient octroyés, que les lois et les coutumes traditionnelles avaient été en grande partie conservées » 82.

Cette décision allait faire jurisprudence et transformer la manière dont l'histoire et l'identité australiennes étaient conçues. Elle fut interprétée comme l'amorce d'une remise en cause des droits fonciers hérités de la colonisation sur l'ensemble du pays. L'Australie reconnaissait la souveraineté initiale des autochtones, l'existence de droits et coutumes sur le continent australien avant 1788, et la loi avait ainsi été alignée sur la nouvelle historiographie. En rejetant ainsi le concept de Terra nullius, la Cour traduisait l'abandon des dernières séquelles du colonialisme en imposant une réinterprétation de l'histoire de ce pays et la définition de nouveaux rapports inter-ethniques.

Cette décision de la High Court fit l'effet d'une révolution judiciaire tant elle provoqua de bouleversements. Pourtant, les principes formulés dans cet arrêt n'avaient rien de très « révolutionnaires ». En effet, bon nombre de colons avaient déjà fait remarquer que dans les premières années de la colonisation les Aborigènes possédaient la terre selon des lois et des

80 BERTIN Marie-Claire, Le statut des peuples autochtones en droit international , / Atelier National de Reproduction des Thèses / 2008, p. 284

81 CIJ Avis consultatif sur le Sahara Occidental, 16 octobre 1975

82 Mabo v. Queensland (No2) (1992) 175 C.L.R. : J.BRENNAN à 58, JJ. DEANE & GAUDRON à 59 et 61 ; JJ. DEANE & GAUDRON à 90, 110 ; J.TOOHEY à 188.

82

traditions coutumières. Par ailleurs, le principe de titres autochtones avait déjà été accepté par la plupart des anciennes colonies britanniques. En Nouvelle Zélande par exemple, les droits autochtones des Maoris furent reconnus en 1975 dans la Loi sur le traité de Waitangi, puis confirmés par la Cour d'Appel en 1986. Au Canada c'est l'affaire Calder de 1973 qui va faire admettre l'existence de titres autochtones, et qui sera plus tard confirmée par la Cour Suprême du Canada dans l'affaire Delgamuukw v. British Columbia en 1997. L'arrêt Mabo s'inscrivait donc dans l'alignement de la jurisprudence internationale.

En outre, l'arrêt Mabo a exclu la contestation des droits fonciers attribués aux colons, de même que toute tentative d'anéantissement du principe selon lequel l'État fédéral exerce un droit sur ces terres. Pour motiver son refus, la High Court a ainsi affirmé qu'elle n'avait pas à connaître des actes de gouvernement. « Il n'appartient donc pas aux juridictions qui ont nié la validité de la doctrine Terra nullius afin de reconnaître des droits subjectifs à des individus ou à des communautés d'en pousser les conséquences jusqu'à exercer un contrôle sur les actes relevant soit du droit international, soit d'une décision politique tel l'acte par lequel, le 7 février 1788 fut établie la « colonie de Peuplement » à l'origine de l'Australie actuelle 83.

Telles sont les limites de la jurisprudence Mabo mais elles ne doivent pas en dissimuler l'importance. L'arrêt Mabo ouvre en effet une voie nouvelle avec la reconnaissance officielle au sein de l'Australie, de deux société, deux cultures et deux systèmes juridiques. Il est ainsi apparu comme une consécration de l'action menée par le gouvernement depuis le référendum de 1967 : la High Court a entériné les réformes passées en conférant au pouvoir politique une légitimité à poursuivre son action jusqu'alors paralysée par les États.

Ce jugement s'inscrivait en essence dans la logique de réconciliation telle qu'elle était comprise par les partisans de l'autodétermination des autochtones au sein de l'État. Il est d'ailleurs fort probable que « la réconciliation ait participé à créer un environnement favorable à la prise de décision de la High Court, parce que le processus garantissait une meilleure compréhension et une meilleure réception de ce type de décision dans la société australienne » 84.

Le Premier Ministre travailliste Paul Keating tenta d'établir un lien fort entre la décision Mabo et la réconciliation recherchée entre Aborigènes et non-Aborigènes, présentant cette dernière comme une décision juste, motivée par une recherche de justice et de vérité, comme une preuve du courage et de la sagesse de la nation australienne 85. Cette décision s'inscrit donc dans son grand dessein de

83 LAFARGUE Régis, « La Révolution Mabo ou les fondements constitutionnels du nouveau statut des Aborigènes d'Australie », Revue du Droit Public et de la Science Politique, n°5, septembre-octobre 1994, p. 1343

84 Voir Lisa Strelein, 25 Octobre 2001, Entretien M , (annexe) BERTIN Marie-Claire, Le statut des peuples autochtones en droit international , / Atelier National de Reproduction des Thèses / 2008, p. 289

85 Department of the Prime Minister & Cabinet - Paul KEATING, 30 août 1994, dans Mark RYAN (ed), 1995.

83

faire de l'Australie, libérée de son douloureux passé et de son allégeance à la Couronne britannique, la Grande République fondée sur la réconciliation des communautés qui pourra s'imposer comme un modèle de démocratie pour tous les pays du Sud-Est asiatique 86.

En 1993, il fit d'ailleurs voter une loi très importante pour les Aborigènes : le Native Title Act (la Loi sur le Titre Autochtone) qui avait pour objectif de « permettre la reconnaissance et la protection du titre autochtone ; établir un processus et des normes pour les opérations futures qui affecteraient les titres autochtones ; établir un mécanisme pour déterminer les revendications de titres autochtones, prévoir la validité d'actes passés, comme l'octroi de titres, qui peuvent être invalides du fait de leur effet sur les titres autochtones » 87.

Cette loi visait donc à définir les conditions et les procédures de réclamation relatives au titre autochtone. Elle confirmait que certains actes législatifs ou exécutifs purent avoir mis fin au titre autochtone sur certaines terres, et validait rétroactivement tous les titres de propriété clairement définis. En outre, cette loi accordait aux autochtones un droit spécifique : le « droit de négocier » (Right to Negociate), qui contraint les gouvernements et les entrepreneurs privés à consulter les populations Aborigènes en amont de tout projet d'acquisition ou de développement conçu à partir du 1er janvier 1994. Ce droit prévoyait une période de six mois durant laquelle les investisseurs devaient trouver un compromis direct avec les Aborigènes. Si toutefois aucun accord n'était trouvé, le litige était soumis à l'arbitrage du Tribunal National pour les Titres Autochtones (National Native Title Tribunal) spécifiquement créé par la Loi sur le Titre Autochtone.

En résumé, le Native Title Act comportait quatre éléments principaux :

· Il établissait un processus de reconnaissance des droits fonciers autochtones dans le système juridique australien;

· Il assurait la protection future des droits fonciers autochtones, puisque en common law, les droits fonciers autochtones étaient susceptibles d'extinction du fait de l'octroi de droits incompatibles;

· Il garantissait, pour les gouvernements et les autres intéressés, la sécurité des activités de gestion des terres passées et à venir;

· Il fournissait un cadre permettant de régler les questions se rapportant aux droits fonciers autochtones.

En 1996, c'est l'arrêt Wik Peoples, rendu le 23 décembre, qui vient préciser la portée de la jurisprudence Mabo. Dans cet arrêt, la Haute Cour affirmait la coexistence possible de droits de

86 LAFARGUE Régis, « La Révolution Mabo ou les fondements constitutionnels du nouveau statut des Aborigènes d'Australie », Revue du Droit Public et de la Science Politique, n°5, septembre-octobre 1994, p. 1356

87 Native Title Act, S.3.

84

nature différente sur un même fonds, pourvu que ces droits ne soient pas incompatibles dans leur exercice pratique. La High Court établissait ainsi une hiérarchie de normes au regard de laquelle le freehold title ne peut jamais être mis en danger par le titre indigène et au regard de laquelle le titre indigène n'est qu'un droit subsidiaire ou concurrent par rapport au leasehold title.

En l'espèce, les populations Wik et Thayorre du nord du Queensland soulevaient une ambiguïté majeure de la Loi sur le Titre Autochtone : le statut du titre autochtone sur les pâturages loués à bail qui constituait une zone d'ombre dans la législation. La question était donc de savoir si l'octroi de baux pastoraux constituait un acte de propriété de la part de la Couronne, et le cas échéant, si les baux pastoraux étaient concernés, ou pas, par des titres « exclusifs ».

La High Court jugea que les baux pastoraux étaient assimilables à des licences statutaires ; ils donnaient à leurs bénéficiaires des droits exclusifs de pâturage, mais en aucun cas ils ne donnaient de droit exclusif d'occupation des terres.

Cette décision fit l'effet d'une nouvelle révolution judiciaire, puisque les pâturages loués à bail représentent environ 42% de l'Australie 88. Elle constituait en outre un autre pas important vers la réconciliation nationale, puisqu'elle reconnaissait que les droits et les intérêts des Aborigènes et des non-Aborigènes n'étaient pas mutuellement exclusifs.

La reconnaissance institutionnelle des Aborigènes a donc été le fruit d'un long processus. Il convient pour terminer notre propos de traiter des enjeux et des limites de cette reconnaissance.

iii. Enjeux et limites de la reconnaissance

Nous allons ici nous intéresser à la situation actuelle des communautés autochtones, sur le continent australien (1.), et plus particulièrement dans le Territoire du Nord et sur les îles du Détroit de Torres (2.).

1) Bilan sur le continent Australien

Les différentes politiques gouvernementales ont eu un impact considérable sur le développement et la pérennité des cultures aborigènes, qui dépendaient très largement de leurs droits fonciers.

La question se posait de savoir si « une reconnaissance accrue, une prise en charge politique et une

88 Wik (1996) 141 ALR 129, J.KIRBY en 260.

85

protection légale des droits autochtones iraient plutôt dans le sens d'une séparation au sein de l'État, ou bien d'une intégration, ainsi rendue possible, dans la société multiculturelle » 89.

Avec l'élection de John Howard en 1996, c'est une révolution « conservatrice » qui se met en place dans de nombreux domaines. Le nouveau gouvernement dénigre le multiculturalisme mis en place par Whitlam et adopte une nouvelle politique d'immigration très restrictive.

Howard va revenir en outre sur la question aborigène. Il conteste toutefois la légitimité des organisations communautaires, refuse de présenter des excuses aux Aborigènes et aux générations volées au nom de l'État australien, et défend une conception positive de l'histoire australienne, contre une vision de la repentance (ce qu'il appelait la Black Armband History). En réponse à cela, de gigantesques manifestations sont organisées en faveur de la réconciliation avec les Aborigènes en 2000.

En 2001, à l'issue de la décennie officielle de la réconciliation, les Aborigènes possédaient ou contrôlaient un peu plus de 15% du continent australien. La presque totalité des titres autochtones avait été obtenue et déterminée par la négociation.

En 2007, aura lieu une nouvelle alternance : dans une volonté de se distinguer clairement de son prédécesseur, le Premier ministre travailliste Kevin Rudd, accepte enfin de présenter des excuses aux peuples aborigènes pour les souffrances qu'ils ont dû subir. Il présentera ses excuses, au nom du Parlement et de la nation australienne, le 13 février 2008, dans un discours « historique » télévisé en direct et projeté sur des écrans géants installés sur des places publiques à travers le pays. Cette présentation d'excuses ne concerne pas uniquement les gestes et faits du passé, mais aussi l'absence de mémoire dont l'Australie a été coupable.

Deux points essentiels se dégagent de ce discours :

· s'atteler à réduire la différence en termes d'espérance de vie, de réussite scolaire et d'opportunités économiques 90 ;

· promouvoir l'égalité des chances et une part égale dans l'avenir du pays.

Le discours est axé sur un avenir où les Aborigènes pourront prétendre prendre une réelle place dans la société australienne et dans l'univers économique du pays. Pour de nombreux Aborigènes, les excuses formelles du gouvernement vont permettre d'évoluer vers une véritable réconciliation

89 BERTIN Marie-Claire, Le statut des peuples autochtones en droit international , / Atelier National de Reproduction des Theses / 2008, p. 283

90 Discours du 13 février 2008, « New Beginning » « Close tue gap between us in life expectancy, educationnal achievement and economic opportunity ».

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entre les peuples. Au delà de l'intensité symbolique du moment, l'annonce de mesures concrètes de la part du nouveau gouvernement pour attaquer certains des déséquilibres sociaux les plus alarmants a fait naître en Australie un réel espoir de changement.

Ainsi, le 20 mars 2008, le gouvernement, des organismes de santé aborigènes et non aborigènes, le Commissaire pour la justice sociale, l'opposition et de nombreuses organisations nationales signent la Déclaration d'intention pour réduire l'écart entre les populations (« Close the Gap, Statement of Intent ») afin de mettre en oeuvre la politique de réduction des écarts entre Aborigènes et non-Aborigènes.

Ce plan ambitieux concerne en priorité le domaine de la santé, mais aussi l'éducation ainsi que la question des qualifications professionnelles. Les six objectifs fixés visent la réduction des inégalités sociales et structurelles : augmentation de l'espérance de vie chez les Aborigènes, diminution du taux de mortalité chez les enfants Aborigènes âgés de moins de 5 ans, garantie d'un accès à l'éducation pour les enfants de 4 ans vivant dans des communautés éloignées, augmentation du taux d'alphabétisation, diminution de moitié des différences entre les élèves obtenant le baccalauréat ou un niveau équivalent d'ici à 2020 et, enfin, diminution des différences en termes d'emploi 91.

Ce projet va donc tenter, en partenariat avec les Aborigènes et le reste de la population australienne, de remédier aux injustices dont ils souffrent afin de leur garantir un avenir meilleur.

En 2007, le Gouvernement Australien avait refusé d'adhérer à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, prétextant que ce texte ne correspondait pas à la norme souhaitée par l'Australie.

Revenant sur son opposition afin d'améliorer les relations entre aborigènes et descendants de colons britanniques, l'Australie a adhéré, le 3 avril 2009, à la cette Déclaration. Dans le contexte australien, elle représente un énoncé complet des obligations existantes en matière de droits de l'homme pour les Aborigènes et pour les habitants insulaires du Détroit de Torres. Bien qu'elle ne crée pas de nouveaux droits, elle fournit au gouvernement australien un cadre global d'action. Elle constitue une garantie que les droits des peuples autochtones à l'autodétermination, à la terre et aux territoires, à l'identité culturelle, à l'auto-représentation seront respectées au niveau international.

« En tant qu'instrument international, la Déclaration fournit un schéma directeur pour les peuples autochtones et les gouvernements partout dans le monde, fondée sur les principes

91 HAVIEL Gwénaëlle, « Situation des Aborigènes australiens : inégalités sociales et réponses politiques », Informations sociales, 2012/3 n° 171, p. 76

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de l'autodétermination et de la participation, en vue de respecter les droits et les rôles des peuples autochtones au sein de la société. C'est l'instrument qui contient les normes minimales pour la survie, la dignité et le bien-être des peuples autochtones du monde entier » - Mick Gooda, Commissaire à la Justice sociale pour les Aborigènes et les Insulaires du détroit de Torres 92.

Lors d'une séance à l'Assemblée générale en 2010 93, le représentant de l'Australie s'est réjoui que la Nouvelle-Zélande ait suivi la même démarche, et que le Canada ait annoncé des mesures similaires, alors que les États-Unis ont indiqué qu'ils étaient prêts à revoir leur position.

Le représentant a exprimé l'engagement du Gouvernement australien à travailler avec les peuples autochtones et la volonté des Australiens à obtenir la reconnaissance constitutionnelle des peuples autochtones. Il a également précisé que l'Australie était heureuse d'avoir contribué au Mécanisme d'experts des Nations Unies sur les peuples autochtones sur la question des droits de ces peuples à la participation au processus de prise de décisions 94.

Ce soutien à la Déclaration s'ajoute aux fondements d'un nouveau partenariat entre le Gouvernement fédéral, les peuples aborigènes du continent, ceux du Détroit de Torres, et la communauté générale. Cependant, les communautés aborigènes restent plutôt marginalisées en Australie, et font face à de nouvelles menaces.

Le réchauffement climatique constitue par exemple une véritable menace pour la santé et les cultures des peuples autochtones. Ses effets suscitent donc des inquiétudes importantes, particulièrement pour les peuples des petites nations insulaires et de la région du détroit de Torres, qui sont très touchées par le problème de la montée des eaux. D'autres craintes sont portées sur la perte d'accès aux terres traditionnelles, ou sur les changements dans les modes de migrations des espèces et dans la répartition de la végétation.

Le rapport de la Commission Australienne des Droits de l'Homme paru en 2009, intitulé Native Title Report 2008, a mis en évidence face aux effets du réchauffement climatique le souci immédiat du « maintien de la vie, de la langue et de la culture traditionnelles » 95. Le rapport a en outre souligné la reconnaissance de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples

92 «As an international instrument, the Declaration provides a blueprint for Indigenous peoples and governments around the world, based on the principles of self-determination and participation, to respect the rights and roles of Indigenous peoples within society. It is the instrument that contains the minimum standards for the survival, dignity and well-being of Indigenous peoples all over the world» ; Mick Gooda, Commissaire à la Justice sociale pour les Aborigènes et les Insulaires du détroit de Torres

93 Assemblée générale Troisième Commission - 18e et 19e séances, AG/SHC/3982 , 18/10/2010

94 Voir ANAYA James, « La déclaration sur les droits des peuples autochtones doit être un impératif moral et politique », Assemblée générale Troisième Commission - 18e et 19e séances, AG/SHC/3982 , 18/10/2010

95 Australian Human Rights Commission. 2009. 2008 Native Title Report. Human Rights and Equal Opportunity Commission. Sydney ; http://humanrights.gov.au/social_justice/nt_report/ntreport08/p124

autochtones par le gouvernent australien comme un pas important pour répondre aux complexités du réchauffement climatique.

En outre, les projets d'exploitation du sous-sol, le développement du tourisme et le lancement de grands programmes de développement agro-pastoral menacent gravement l'intégrité des droits des aborigènes sur leurs terres et risquent d'entraîner la disparition de sites sacrés. Le Native Title Act 1993 ouvre la possibilité pour les communautés autochtones de bénéficier de la création de richesses découlant du développement de leurs terres, en particulier par les mines. En 2011, les négociations se sont poursuivies entre communautés autochtones, gouvernements et compagnies minières quant à l'utilisation de terres sujettes au Native Title, en particulier dans le nord du pays.

D'importantes questions demeurent quant à la capacité à la fois des parties autochtones et non- autochtones à effectivement mettre en oeuvre et gérer de tels services et de telles opportunités économiques sur le long terme.

Le Pitjantjatjara Land Rights Act 1981 (South Australia) (Loi sur les Droits fonciers des Pitjantjatjara en Australie Méridionale datant de 1981) est le deuxième texte législatif du pays. Il reconnaît aux Aborigènes visés la pleine propriété de 10 % de l'Australie Méridionale. Un autre texte existe : l'Aboriginal Land Trust Act 1966 (South Australia), (Loi sur les terres aborigènes en Australie Méridionale datant de 1966) qui accorde aux Aborigènes un certain contrôle sur leurs terres et qui a permis la création d'autres petites réserves

Dans le Queensland, moins de 2 % du territoire appartient officiellement aux Aborigènes. Les terres qu'ils peuvent revendiquer en invoquant l'Aboriginal Land Act 1991 (Queensland), (Loi sur les terres aborigènes dans le Queensland datant de 1991) sont celles que les autorités déclarent disponibles par voie de presse.

En Australie Occidentale, les réserves aborigènes s'étendent sur 13 % du territoire : 1/3 leur appartient au moyen d'un bail de 99 ans ; 2/3 dépendent de l'Aboriginal Affairs Planning Authority, (L'autorité d'organisation des affaires aborigènes) un organisme gouvernemental.

En Nouvelle-Galles du Sud, l'Aboriginal Land Rights Act 1983 (New South Wales), (Loi sur les Droits fonciers des Aborigènes en Nouvelle-Galles du Sud datant de 1983) a transféré la pleine propriété des réserves à leurs occupants, qui peuvent prétendre à celle d'une petite portion d'autres terres.

Enfin, en Tasmanie et dans le Victoria, les droits fonciers des Aborigènes sont réduits à leur plus simple expression

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En 2008, selon l'Australian Bureau of Statistics (ABS), 30 % des Aborigènes vivaient en

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Nouvelle-Galles-du-Sud, 28 % dans le Queensland, 13 % en Australie-Occidentale et 12 % dans le Territoire du Nord 96.

Selon le recensement de 2000 établi par ce même Bureau 97, le Territoire du Nord comptait 202 729 habitants, dont 50 785 autochtones (aussi bien Aborigènes qu'insulaires du détroit de Torres), soit 25,1 % de la population de l'État. Toutefois, en effectif absolu de population aborigène, le Territoire du Nord n'arrive qu'en quatrième position au niveau national, derrière la Nouvelle Galles-du-Sud avec 119 865 autochtones (1,9 % de la population de l'État), le Queensland avec 112 772 (3,1 % de la population) et l'Australie Occidentale avec 58 496 (3,2 % de la population). Il devance le Victoria, qui compte 25 078 autochtones (0,5 % de la population), l'Australie Méridionale avec 23 425 (1,6 % de la population), la Tasmanie avec 15 773 (3,5 % de la population) et le Territoire de la Capitale avec 3 576 (1,2 % de la population). Bien que l'effectif absolu de la population aborigène du Territoire du Nord soit moindre que dans d'autres États, il représente néanmoins en pourcentage de la population totale une plus grosse part dans ce Territoire.

En 2008, 68 % des Aborigènes vivaient à l'extérieur des grandes villes, soit 44 % dans des « zones régionales » (le bush) et 24 % dans des régions éloignées ou très éloignées. À titre indicatif, les Aborigènes représentaient alors 2,2 % de la population totale australienne avec un total de 410 003 individus. À l'arrivée des premiers colons, en 1788, les estimations de la population aborigène varient, selon les recherches anthropologiques, entre 300 000 et 1 million d'individus. Le chiffre le plus communément accepté se situe aux alentours de 300 000 personnes réparties entre 600 à 700 tribus différentes et parlant 500 langues différentes 98.

Les Aborigènes demeurent fortement attachés à leurs traditions sociales et religieuses, mais ils sont de plus en plus contraints d'abandonner leurs anciennes activités de subsistance. Il semble que ces communautés autochtones soient amenées à choisir entre la préservation de leur culture traditionnelle et l'amélioration de leur niveau de vie, autrement dit entre le spirituel et le matériel. Imposé par les conséquences de la colonisation, ce choix place les Aborigènes dans une situation difficile.

Bien qu'ils aient quand même réussi à récupérer une partie de leur terres ancestrales (ils contrôlent désormais près d'un million et demi de kilomètres carrés, soit environ 20% du pays), cela n'a pas résolu tous leurs problèmes. En effet, les régions reculées où vivent bien des communautés offrent

96 http://www.abs.gov.au/AUSSTATS/abs@.nsf/Latestproducts/4714.0Main%20Features42008? opendocument&tabname=Summary&prodno=4714.0&issue=2008&num=&view=

97 http://www.abs.gov.au/websitedbs/d3310114.nsf/Home/census , 2001 Census data by Location, QuickStats.

98 Hamel Gwénaëlle, « Situation des Aborigènes australiens : inégalités sociales et réponses politiques », Informations sociales, 2012/3 n° 171, p. 71

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très peu d'opportunités économiques. En outre, ils forment la communauté la plus défavorisée d'Australie. Ce groupe social à part cumule une multitude de handicaps sociaux depuis plus de deux siècles. Le taux de mortalité infantile parmi ces communautés demeure beaucoup trop élevé (10 à15%), et leur espérance de vie (59 pour les hommes et 65 ans pour les femmes) est de 17 ans inférieure à celle des autres ; il y a proportionnellement moins d'Aborigènes qui poursuivent leur scolarité jusqu'au Bac ; leur taux de chômage est plus de trois fois supérieur à la moyenne nationale ; ils sont six fois plus souvent victimes d'homicides que les autres Australiens, du fait de la violence qui règne dans leurs communautés, et ont onze fois plus de chances que ces derniers de se retrouver en prison. Le taux d'incarcération des personnes autochtones est en effet beaucoup plus élevé que celui applicable à l'ensemble de la population.

En Australie, les enfants Aborigènes ont un risque de détention largement supérieur à celui des autres jeunes Australiens, et un nombre important d'Aborigènes meurent en détention. C'est pour répondre à cela que le gouvernement va créer en 1992, par le biais de l'organisme indépendant chargé de surveiller le respect des Droits de l'Homme : The Human Rights and Equal Opportunity Commission, une unité spéciale pour contrôler le racisme et la discrimination envers les Aborigènes. En dépit de cette création, l'incidence des décès de ces personnes demeure toujours élevée.

Malgré les efforts des gouvernements fédéraux et des États, les Aborigènes des villes, au nombre de 90 000 forment la seule classe nécessiteuse d'Australie. Le problème le plus préoccupant est le chômage et sa conséquence : l'alcoolisme.

Mais le principal problème des Aborigènes d'Australie n'est pas l'alcool mais l'acculturation. Les générations d'aujourd'hui ont non seulement perdu leur propre culture, pourtant très forte, mais se sont approprié la culture australienne occidentalisée. Les Aborigènes sont donc incompris, perdus et ne trouvent pas facilement leur place au sein de la société Australienne.

Bill Jonas, le Commissaire à la Justice sociale pour les Aborigènes et les Insulaires du détroit de Torres déclarait en 2002 lors d'un séminaire sur le droit à l'autodétermination des peuples autochtones que :

« En Australie, les politiques et les programmes gouvernementaux à l'endroit des peuples autochtones obéissent à une approche que je qualifierai de « gestion de crise » et qui alimente l'inégalité que subissent les autochtones australiens en accordant les subsides destinés à pallier à leurs problèmes de santé, d'éducation, de logement, de chômage, etc.

Malgré des budgets énormes, cette approche ne fait rien d'autre que gérer l'inégalité que nous vivons en tant que peuples. Ce qu'il convient de faire, c'est d'adopter une approche fondée sur le partenariat et le respect mutuel et qui vise à faciliter la participation des

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autochtones sur un pied d'égalité, ou à permettre aux peuples autochtones, pour reprendre l'expression de Mme Daes de « bien vivre ».

Nous n'avons besoin de rien de moins que de la reconnaissance de notre droit à l'autodétermination pour commencer à remédier à la situation » 99.

Voyons maintenant le résultat des politiques gouvernementales sur le Territoire du Nord et le Détroit de Torres

2) Bilan sur le Territoire du Nord et le Détroit de Torres

Le Territoire du Nord possède la plus grande densité d'Aborigènes et 22 % de la population aborigène totale, plus ou moins sédentarisées.

Aujourd'hui, près de la moitié du Territoire du Nord a fait ou fait l'objet d'une revendication de ses propriétaires traditionnels. Les Aborigènes doivent prouver que la loi aborigène leur donne la responsabilité des sites sacrés sur ces terres. Lorsque leur droit a été reconnu, les Aborigènes peuvent négocier avec les compagnies minières et accepter ou non l'exploitation.

Auparavant, le Territoire du Nord faisait partie de l'État d'Australie méridionale. Pendant longtemps, le Territoire du Nord a exprimé le voeu de devenir un État à part entière. Un référendum sur cette question a eu lieu en octobre 1998, après un processus au cours duquel un comité de la

législature du Territoire du Nord avait étudié les diverses options possibles pour devenir un État et rédigé un projet de Constitution, prévoyant un certain nombre de dispositions cruciales pour les peuples autochtones du Territoire, qui sera rejeté par le gouvernement de l'époque. Lors du référendum, 52 % des citoyens du Territoire ont voté non à l'accession au statut d'État et ont rejeté la proposition gouvernementale de remplacer leur Constitution. Les Nations aborigènes se sont à nouveau réunies en décembre 1998 afin de définir des critères pour encadrer l'élaboration d'une Constitution. Les résultats de leurs différentes rencontres ont pris le nom de Stratégie constitutionnelle pour le Territoire du Nord 100.

Il s'agit d'un élément important, dans le contexte de l'Australie, car les autochtones du Territoire du Nord constituent 28,5 % de la population. Rappelons que le Territoire du Nord possède un régime de droits fonciers qui a permis aux autochtones de devenir propriétaires de 80 % de la côte et de plus de 50 % du territoire, et que c'est un endroit où le droit, les langues et les cultures

99 Séminaire Droit à l'autodétermination des peuples autochtones , New York, le 18 mai 2002, National Library of Canada, second quarter 2002 ; « L'Autodétermination, une perspective australienne » Bill Jonas, p. 37

100 Indigenous Constitutionnal Convention Secretariat, Indigenous Constitutionnal Strategy Northern Territory, Northern Land Council and Central Land Council, Casuarina and Alice Springs, 1998

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autochtones sont bien préservés et largement pratiqués 101.

Vu les ressources et les terres dont disposent les autochtones, ainsi que leur poids démographique, le Territoire du Nord semble être l'endroit où le désir de sécession ou de rupture avec les structures gouvernementales australiennes pourrait le plus se justifier.

D'autres développements vont progressivement prendre place, en particulier dans le domaine de la gestion interculturelles des terres, et la reconnaissance des domaines maritimes aborigènes. C'est pour cela qu'a été créé le programme de Zone Protégée autochtone, affirmant les droits des autochtones à la gestion de la terre et de la mer. Il s'agit d'une « portion de terre ou de mer que les Aborigènes déclarent volontairement et gèrent pour la conservation de la biodiversité et des valeurs culturelles dans les catégories UICN. » 102 (Union internationale pour la conservation de la nature). Ce système fournit un lien important entre les diverses priorités culturelles, sociales et économiques des Australiens autochtones et les buts de biodiversité du gouvernement australien. À ce jour, on compte en Australie 33 ZPA et 40 projets consultatifs en cours 103.

L'arrêt Blue Mud Bay de la Haute Cour de Canberra du 31 juillet 2008 est venu renforcer la protection et la gestion autochtone des zones côtières isolées en Australie. La Cour a ainsi décidé qu'il était illégal d'autoriser la délivrance de certificats de pêche dans les eaux qui se trouvent dans les limites du territoire couvert par l'Aboriginal Land Rights Act. Bien que la décision du tribunal porte sur la baie de Blue Mud, à environ 550 km à l'est de Darwin, elle aura une incidence sur 80% des côtes du Territoire du Nord.

Dans le cadre de l'Aboriginal Land Rights (Northern Territory) Act 1976 (ALRA), la propriété aborigène ne s'étend que jusqu'à la ligne de marée haute. Cette décision a donc accordé aux propriétaires traditionnels les droits fonciers autochtones, jugeant que l'ALRA s'applique également à la zone intertidale (estran). Cela signifie que les licences de pêche délivrées par le gouvernement du Territoire du Nord sont illégales. Il n'y a que le Conseil foncier autochtone qui a le droit d'accorder ces licences. Par conséquent, les licences de pêche devront être négociées avec les communautés autochtones sur une zone intertidale qui couvre 80% de la cote du Territoire duNord.

De plus, cela signifie que les pêcheurs commerciaux ne peuvent pas entrer sans autorisation dans des terres autochtones, ce qui signifie qu'ils ne peuvent pas pêcher là non plus. Cette décision confère donc d'importants droits de propriété et de gestion au peuple autochtone de terre d'Arnhem et génère également un potentiel pour le développement d'opportunités économiques. L'affaire Blue

101 Séminaire Droit à l'autodétermination des peuples autochtones , New York, le 18 mai 2002, National Library of Canada, second quarter 2002 ; « L'Autodétermination, une perspective australienne » Bill Jonas, p. 34

102 KAJLICH Anton , JULL Peter « Australie » http://sogip.ehess.fr/IMG/pdf/monde_autochtone_2011_australie_gitpa.pdf ;

103 EPA 2010. About Indigenous Protected Areas. Retrieved Jan 29, 2010, from http://www.environment.gov.au/indigenous/ipa/background.html

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Mud Bay est l'une des plus importantes pour les propriétaires fonciers autochtones depuis la décision Mabo.

Le gouvernement du Territoire du Nord, le Northern Land Council et les intérêts économiques liés à la pêche commerciale et de loisir, principales parties prenantes de la décision, se sont mis d'accord en 2011 pour étendre jusqu'à la mi 2012 le moratoire pendant qu'un accord de plus long terme est négocié 104.

Le Détroit de Torres :

S'étendant de la pointe du cap York à la Papouasie-Nouvelle-Guinée et composée de plus de 270 iles, le Détroit de Torres est perçu comme un coin de Mélanésie sous juridiction australienne. Les Insulaires du détroit de Torres forment la majorité de la population avec leur culture unique et leur histoire propre, distinctes de celles des Aborigènes d'Australie. Ils militent pour une forme d'autonomie régionale et la reconnaissance de leurs droits sur la mer depuis des décennies. Malgré le fait que la Droite comme la Gauche soient généralement attentives aux aspirations des Insulaires, dans les dernières décennies la question de l'autonomie est restée bloquée.

La population totale actuelle des deux communautés métropolitaines dans le Détroit de Torres et des 14 communautés des îles au large se monte à 8.000 habitants dont environ 6.000 sont des Insulaires du Détroit de Torres et des Aborigènes. Quelque 21.000 Insulaires du Détroit de Torres vivent dans une autre région, essentiellement sur la côte du nord du Queensland, particulièrement à Townsville et à Cairns. Une quinzaine de communautés de 30 à 400 personnes chacune vivent toujours dans les îles. «Thursday Island» a encore plus de 2 000 habitants.

Les Insulaires du Détroit de Torres du Détroit de Torres et de la métropole ont une voix distincte dans les affaires nationales. Avec la création en 1990 de la Commission des Aborigènes et Insulaires du Détroit de Torres (ATSIC), ils ont obtenu une reconnaissance officielle. L'ATSIC comporte un Bureau des Affaires des Insulaires du Détroit de Torres dans le cadre de son siège à Canberra et un Conseil des Insulaires du Détroit de Torres avec des membres de chaque État et Territoire 105.

En outre, l'Autorité Régionale du Détroit de Torres (TSRA) a été créée pour représenter les intérêts des Insulaires du Détroit de Torres dans le Détroit de Torres. Elle reconnaît que la réconciliation entre les indigènes et les non-indigènes d'Australie est fondamentale quant à la condition des

104 KAJLICH Anton , JULL Peter , MOORES Gareth « Australie » ; IWGIA, The Indigenous World 2012

105 Voir http://terrescontees.free.fr/evenements/aborigenes.htm

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Insulaires du Détroit de Torres et des Aborigènes en Australie et quant à l'essor de la nation.

Depuis plus de vingt ans, les Insulaires du détroit de Torres cherchent à accéder à une autonomie régionale par la mise en place d'un gouvernement régional qui représente les intérêts des autochtones comme des non autochtones.

Lors d'un discours prononcé à la Conférence de réconciliation australienne sur la gouvernance autochtone du 3 avril 2002, le Président de l'Autorité régionale du détroit de Torres, M. Terry Waia a déclaré :

« Ce à quoi aspirent depuis longtemps les Insulaires du détroit de Torres, c'est une région autonome... L'une des raisons pour lesquelles nous tenons à acquérir une plus grande autonomie, c'est parce que nous voulons être habilités à nous occuper de nos propres affaires. Une autre raison, c'est que nous savons que celui qui est sur le terrain est en meilleure position pour identifier les besoins. Il est arrivé par le passé, et cela se passe encore aujourd'hui, que certaines décisions prises à Canberra ou à Brisbane fassent abstraction de nos besoins et de notre culture. La bonne gouvernance implique que les décisions soient prises par les gens qu'il faut à l'échelon qu'il faut, au bon endroit et au bon moment » 106.

Cette démarche est largement soutenue par le gouvernement fédéral australien, bien que les choses progressent encore lentement.

La question de l'autonomie politique des îles du détroit de Torres a été soulevée et mise en avant par le premier ministre du Queensland, Anna Bligh, en octobre 2011 au moment où il fut révélé que le Premier Ministre du gouvernement fédéral prêtait attention aux appels des insulaires à un « territoire autogouverné » au sein de la fédération australienne. Alors que cette mise en avant de l'autonomie par le premier ministre du Queensland a suscité beaucoup d'enthousiasme à l'idée d'un changement progressif dans cette région, le Premier Ministre fédéral a pris beaucoup de précautions et n'a que timidement accepté de continuer à se pencher sur la question.

Une évolution significative eu lieu en 2011 avec les consultations menées par le gouvernement national sur la possible reconnaissance des Aborigènes et des Insulaires du Détroit de Torres, ainsi que sur d'éventuels changements au sein de la Constitution australienne. Le nouveau Groupe

106 WAIA, T. , Greater autonomy and improved governance in the Torres Straits Islands Region

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d'experts sur la reconnaissance constitutionnelle des Aborigènes et des Insulaires du détroit de Torres a pour ambition de lancer un débat national sur la réforme constitutionnelle.

Une autre entité a été formée en 2011, le Congrès national des Premiers Peuples de l'Australie. Il s'agit d'un organe de pointe pour les peuples autochtones créé indépendamment du gouvernement. Le rôle le plus important pour le congrès sera de plaider pour la reconnaissance des droits des Aborigènes et des Insulaires du détroit de Torres. Ces évolutions laissent espérer des changements constitutionnels progressifs ainsi que des possibilités d'amélioration de l'engagement des peuples autochtones dans l'élaboration des politiques autochtones.

En 2007, la voie vers la reconnaissance et la réconciliation a de nouveau subi un dur revers à la suite de la mise en place par le gouvernement Howard de « mesures d'urgence », à caractère nettement coercitif et interventionniste, dans les communautés aborigènes du Territoire du Nord. Le gouvernement fédéral a utilisé le prétexte d'un rapport de recherche (Little Children are sacred) déposé en juin 2007 (Northern Territory Government), lequel expose les problèmes sociaux que rencontrent les communautés du Territoire du Nord, pour mettre en place ces mesures. Leur mise en place a d'ailleurs nécessité la suspension du Racial Discrimination Act (1975). Le gouvernement travailliste de Kevin Rudd, élu en 2007, a maintenu ces mesures.

Le rapport d'évaluation du gouvernement sur l'intervention, publié en octobre 2011, Closing the gap in the Northern Territory Monitoring Report (January-June 2011), relève un déclin mesurable dans les inscriptions scolaires, une hausse du nombre d'allocataires sociaux, une hausse des cas rapportés d'abus contre les enfants et de violences faites aux femmes, ainsi qu'une hausse dans le nombre confirmé de tentatives de suicide ou d'automutilation dans les communautés visées par la Réponse d'Urgence dans le Territoire du Nord. En outre, comme l'a souligné le Rapporteur Spécial des Nations Unies James Anaya dans son rapport de 2010, ces mesures ont pour effet de saper l'autodétermination aborigène, de limiter leur contrôle de leurs propriétés, d'inhiber l'intégrité culturelle et de restreindre l'autonomie individuelle 107.

À la suite de critiques généralisées contre ces mesures, le gouvernement fédéral a annoncé en 2011 qu'il remplacerait la Réponse d'Urgence dans le Territoire du Nord en 2012 par l'ensemble de mesures spéciales réunies sous le nom de « des futurs plus solides » (stronger futures).

107 ANAYA James, « Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l'homme et des libertés fondamentales des peuples autochtones », A 2010 /HRC/15/37/Add.4

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Depuis une trentaine d'années, la question autochtone tend à émerger sur la scène internationale, avec pour but de créer un régime international effectif capable de régir les peuples autochtones dans toute leur diversité. Après avoir analysé le passage d'une conception interne de l'autochtonie à la conception internationale, il s'agit de traiter de l'exercice du droit à disposer d'eux-mêmes par les peuples autochtones. Ces derniers ont en effet demandé réparation de leur situation, en se mobilisant sur les plans internationaux afin d'être reconnus en qualité de peuples en droit International, et ainsi retrouver leur capacité à disposer d'eux-mêmes.

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