A.3) Le courant hétérodoxe ou relativiste (a
le révisionnisme »)
L'étude des relations entre population et croissance
économique mérite deux remarques liminaires. En premier lieu,
elle doit être soigneusement distinguée des relations entre
population active et croissance car même si on en doute, les deux
relations sont étroitement liées. Ensuite, elle ne doit pas
être étudiée avec le préjugé qu'un
excès de population freine la croissance
'Université Quisqueya
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Impact de Ça croissance démographique sur
Ça croissance économique clans Ces pays en voie de
développement de 1980 à 2008.
économique. Alfred Sauvy avait développé
le concept d'optimum de peuplement pour bien montrer que le
défaut de population, autant que son excès, pouvait freiner le
développement économique.
Le classique : "il n'est de richesses que d'hommes" de Jean
Bodin a été relayé, entre autres, par l'analyse d'Emile
Durkheim13 pour qui " le développement numérique
de la population est une des causes de la division du travail social ; la
division du travail social est elle-même le point de départ de
toute une série de perfectionnements dans tous les domaines de la
vie".
Dans le même ordre d'idée, Ester Boserup (1965)
présenta des arguments dans le but de réfuter l'idée selon
laquelle la croissance démographique rapide est un frein au
développement. Selon elle, cette croissance engendre de
préférence une nouvelle organisation dans la collecte et dans la
progression des denrées agricoles par tête. C'est de
l'accroissement de la population que résultent des modifications dans le
mode d'exploitation des terres et non l'inverse. Ainsi, c'est la croissance
économique qui incite les sociétés à se trouver de
nouvelles techniques pour l'exploitation des terres. Par contre, moins le pays
est peuplé moins cette société cherchera à trouver
de nouvelles techniques pour améliorer la production de ces terres. Par
là, Boserup défend le rôle moteur que joue la croissance de
la population dans le changement des techniques. Ce qu'elle désigne sous
le nom de pression créatrice.
La perspective orthodoxe fut attaquée dès la fin
des années soixante, sous le double effet de l'absence durable de
corrélation significativement négative entre croissances
démographique et économique et de la remise en cause
théorique et empirique de ses principaux résultats. Mais, elle ne
vit cependant s'édifier, face à elle, un paradigme alternatif
cohérent et robuste qu'à partir des années quatre-vingt.
Paul Demeny appela alors révisionnisme cette perspective
renouvelée, par opposition à l'orthodoxie que pouvait constituer
le corpus néo-classique et néo-malthusien des effets
négatifs de court terme. La définition du révisionnisme
est nécessairement critique par rapport à la théorie de
Malthus, puisque ce mouvement d'analyse se construit sur les échecs et
les apories du système orthodoxe. Le problème est en substance de
vérifier si la croissance
13 Dans son ouvrage : « De la division du travail
social, 1893 ».
Impact de Ça croissance démographique sur
Ça croissance économique clans Ces pays en voie de
développement de 1980 à
2008.
démographique a réellement (révisionnisme
extrême) des effets négatifs sur la croissance économique,
ou de mesurer et relativiser la portée réelle de ces effets
(révisionnisme modéré) au cas où ils existeraient
réellement.
Le point essentiel sur lequel tous s'entendent, est que les
conséquences de la croissance démographique sur la croissance ne
peuvent être isolées de façon agrégée et
monolithique, sans prendre en compte les liaisons multiples qui
caractérisent le système démo-économique, dans
toutes ses temporalités. De plus, la forte croissance
démographique est un facteur parmi d'autres, qui peut, selon les
circonstances, jouer soit négativement dans le court terme, soit
positivement dans le moyen et le long terme, sur la croissance du niveau de
vie. Les conclusions orthodoxes doivent donc être relativisées,
nuancées et contextualisées.
La réponse de Karl Marx à la théorie
malthusienne est cinglante. Le marxisme a toujours eu une attitude de rejet
à l'égard de l'interprétation malthusienne des rapports
entre croissance de la population et bien-être, reprochant aux
Malthusiens de négliger les processus réels (en particulier le
progrès technique) et de vouloir rendre la croissance
démographique responsable du chômage et d'autres vices
découlant de la nature même du capitalisme. La polémique
avec le malthusianisme a conduit à des attitudes extrêmes :
à nier, par exemple, l'influence négative de l'explosion
démographique sur la solution des problèmes économiques et
sociaux des pays en voie de développement.
A présent, les démographes marxistes se sont
libérés de leur façon simpliste de comprendre les
interactions des processus économique et démographique. Mais dans
l'ensemble, la tradition marxiste continue, comme par le passé, à
ne pas surestimer le rôle du facteur démographique, surtout ses
incidences négatives sur le développement économique et
l'augmentation du bien-être, qu'il soit question de croissance rapide ou
de croissance lente de la population.
Par ailleurs, l'une des synthèses les plus efficaces de
la perspective révisionniste est donnée par Kelley dans son
importante revue de la recherche en 1996. Il affirme que : «Dans de
nombreux pays en développement, la croissance économique (telle
qu'elle est mesurée par le produit par tête) aurait
été plus rapide dans un environnement de croissance
démographique plus faible, ceci bien que dans nombre de pays, l'impact
de la population fut vraisemblablement
'Université Quisqueya
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Impact de Ça croissance démographique sur
Ça croissance économique clans Ces pays en voie de
développement de 1980 à 2008.
négligeable et fut même positif dans certains
d'entre eux (...). Parce qu'il n'y a pas d'estimation fiable et
généralement acceptée de l'effet de la population sur le
développement, seule une appréciation qualitative semble pouvoir
être formulée. Cette appréciation, positive ou
négative, varie d'un pays à l'autre, à travers le temps
et, potentiellement, avec le taux de croissance démographique. Ce qui
est clair, c'est qu'une appréciation de l'impact d'une poussée
démographique sur la croissance peut être très complexe,
tenant compte des problèmes tels que le chômage, la famine et la
malnutrition pour ne citer que ceux-là. Insister sur les politiques de
ralentissement de la croissance démographique sans tenir compte
simultanément de tous les autres facteurs fondamentaux, peut conduire
à des résultats très décevants».
Toujours selon Kelley, le ralentissement de la croissance
démographique semble avoir un effet net positif sur le ratio
capital/travail et un effet probablement positif sur les taux d'épargne.
Simultanément, même si le ralentissement de la croissance
démographique a un effet d'approfondissement du capital «capital
deepening», cet effet semble être relativement modeste car, dans
l'industrie, les économies d'échelle sont épuisées
pour des tailles urbaines modérées. Le ralentissement de la
croissance démographique n'a donc vraisemblablement pas d'impact
négatif sur la productivité dans le secteur manufacturier urbain.
Dans l'agriculture, la relation positive qui existe entre la densité et
la productivité (choix des techniques, économies
d'échelle, infrastructures) semble se transformer en relation
négative (rendements décroissants) pour des densités trop
importantes.
D'où, les mécanismes qui relaient la pression
démographique pour la transformer en "mal malthusien" ou en richesses
supplémentaires sont complexes et ambivalents.
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