A.2) Le courant orthodoxe ou courant malthusien
Avec Malthus, l'étude de la démographie prend un
nouveau tournant. Lors de la parution en 1798 de 1"'Essai sur le principe
de population'; il déclare que "le pouvoir multiplicateur de la
population est infiniment plus grand que le pouvoir de la terre de produire
à la subsistance de l'homme". Aussi l'homme doit-il par tous les
moyens pallier les menaces de la loi de population. En effet, les moyens de
subsistance ne croissent pas au même rythme que la population. Par
conséquent, lorsque la population augmente, ces hommes sont de trop :
ils n'ont pas leur place "au banquet de la nature". La
société n'a pas besoin de la force de travail qu'ils
représentent parce qu'elle ne peut pas les nourrir. L'excès de
population constitue d'ailleurs un frein actif à son augmentation par la
mortalité qu'elle engendre. D'autre part, Malthus prône le retard
de l'âge du mariage, le célibat et la limitation des
naissances.
Les thèses malthusiennes présentent une vision
pour le moins étriquée du potentiel de la terre à produire
des richesses et surtout de la capacité de l'homme à s'adapter et
à trouver de nouvelles ressources.
L'ensemble des discours malthusiens a été repris
par les libéraux tels que Jean-Baptiste Say qui n'a pas
hésité à affirmer qu'il était bien plus important
d'épargner que de féconder. Par ailleurs, en reconnaissant la
capacité de l'espèce humaine à se reproduire à
l'infini, il met en place un schéma bien précis selon lequel
l'augmentation de la population est bornée par le défaut de
moyens d'existence. Cependant cette théorie repose sur la prise en
compte du rendement, qui constitue le rapport entre la quantité produite
et la surface cultivée et non de la productivité, qui correspond
au rapport entre la quantité produite et le travail de l'homme
Pour Ricardo, l'augmentation de la population est naturelle
mais les conditions économiques en limitent la croissance. Afin de
favoriser le maintien d'une population nombreuse et de promouvoir la croissance
démographique par le développement des richesses, et vice-versa,
il faudrait donc développer le progrès technique et le
libre-échange. Au début du XXème siècle,
Impact de Ça croissance démographique sur
Ça croissance économique clans Ces pays en voie de
développement de 1980 à 2008.
l'effort général de rationalité touche la
science de la démographie et se traduit par l'utilisation de
modèles. Mais le clivage entre les malthusiens et les anti-malthusiens
demeure. L'analyse démographique s'appuie encore davantage sur des
considérations d'ordre économique. Pareto affirme la
dépendance mutuelle entre l'évolution démographique et
l'évolution économique. Cependant, contrairement à Malthus
qui analyse les effets de la croissance de la population uniquement en termes
de prospérité, Pareto met en évidence une pluralité
de causes : le mode d'organisation de la société, l'utilisation
des capitaux, etc... La théorie de Pareto illustre une approche
économique de la famille et lorsqu'il déclare que l'augmentation
des richesses conduit à une chute de la natalité par le
désir de conserver une vie aisée, il ne fait que décrire
le tableau que nous avons aujourd'hui sous les yeux.
La doctrine malthusienne, quant à elle, subit deux
courants : l'un qui lui marque une opposition farouche et l'autre qui lui
imprime une réactualisation intéressante. Dans l'ensemble, les
opposants au malthusianisme formulent des objections importantes. Tout d'abord,
la croissance démographique s'inscrit dans un processus de
développement économique non négligeable. Elle crée
en effet "une pression créatrice'; selon les termes d'Ester
Boserup, qui modifie les modes de production. Contrairement à la
proposition de Thomas Malthus selon laquelle les méthodes agraires
définissaient la taille de la population (fonction de la nourriture
disponible), elle démontra au contraire que c'est la pression
démographique qui impose l'évolution des techniques agraires. En
bref, « la nécessité est la mère de l'invention.
». L'augmentation de la population se traduirait alors par une
augmentation des ressources, ce qu'Alfred Sauvy soulignait également en
reconnaissant l'importance des relations entre le progrès technique et
le volume de la population active occupée.
En 1958, Kuznets soulevait encore la question des avantages
économiques d'une croissance démographique rapide. Il
déclare au début d'un rapport que les récents ouvrages
spécialisés (et de vulgarisation) soulignent
spécifiquement les aspects négatifs et le danger de la croissance
de la population : épuisement des ressources non renouvelables,
détérioration des conditions de l'accumulation du capital,
difficultés d'organisation, etc. Il propose d'envisager l'apport positif
de la croissance de la population, estimant qu'il devra tôt ou tard
l'emporter sur l'effet négatif. Mais ses intentions n'aboutirent
à rien. On peut lire dans les dernières pages du rapport que,
même dans le cas d'une économie développée, la
question principale de la
Impact de Ça croissance démographique sur
Ça croissance économique clans Ces pays en voie de
développement de 1980 à 2008.
discussion comme dans la plupart des recherches dans le
domaine des relations entre la démographie et la croissance reste
ouverte. Il poursuit que nous n'avons même pas de données
empiriques approximatives pour pouvoir soupeser les divers aspects positifs et
négatifs de la croissance de la population. Bien que nous puissions, en
toute vraisemblance, distinguer ce qui est avantageux de ce qui ne l'est pas,
il est rare que nous connaissions le caractère des fonctions qui les
relient aux diverses valeurs de la croissance démographique. Revenant
sur cette question, mais cette fois en 1965, Kuznets affirmait qu'on ne peut
répondre aux différentes questions liées à ces deux
variables que par des jugements spéculatifs, en ayant recours à
toutes sortes de connaissances incomplètes.
Ainsi, simultanément et de façon surprenante, la
recherche s'orienta peu, jusqu'à la fin des années soixante-dix,
vers l'exploration des conséquences économiques de la forte
croissance démographique. Les quelques analyses théoriques
développées avaient donc pour but de soutenir les positions
antinatalistes. Face à ces analyses qui se bornaient à prolonger
les modèles canoniques de croissance par accumulation, les études
réellement empiriques orientées vers la recherche de liaisons
statistiques pertinentes et significatives entre la croissance de la population
et les performances macroéconomiques furent relativement rares. La
recherche ne s'orienta vers cette démarche empirico-inductive
qu'à partir des années quatre-vingt, principalement en divisant
le champ des relations démo-économiques en quelques domaines
d'interaction séparés les uns des autres et étudiés
de façon indépendante ceteris paribus. C'est ce que McNicoll
appelle les «topical studies», que nous traduirons par études
thématiques partielles. Cette méthodologie sera très
liée au renouvellement de la conception des conséquences
économiques de la croissance démographique vers des positions
plus neutralistes et relativistes, généralement qualifiée
de révisionnistes.
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