CHAPITRE 2 : La mise en application des sanctions
juridiques dépendantes des Etats : la politisation de la justice
pénale internationale dans le cas du conflit au Darfour
Section 2.1) L'incapacité de prévention,
d'application et de finalisation de la Cour
Malgré l'efficacité et le caractère
supranational de celle-ci, la CPI est confronté à deux carences
majeures, à savoir son manque de prévention des crimes
prévues à l'article 5 et suivants, ainsi sa difficulté
à appliquer les décisions juridiques qu'elle entreprend.
Rodman, en opérant une comparaison entre l'aspect
juridique et l'aspect politique du processus de sanctions des auteurs de crimes
de masses, distingue la dissuasion (« deterrence »), qui est
caractéristique de la Cour, de la capacité à exercer un
pouvoir de coercition (« compellence »)78. En
effet, il oppose le concept de « dissuasion juridique » à
celui de « diplomatie coercitive », en affirmant que les tribunaux
pénaux internationaux à l'image du TPIY, ont pour unique objectif
de dissuader les auteurs de crimes de masses, les attaques comme celles de
l'OTAN contre la Bosnie en 1999 revêtant le second
caractère79. Enfin le point le plus important de son analyse
est l'idée que le TPIY, en opérant une comparaison avec la CPI,
« était handicapé par l'incapacité de mettre en
application ses décisions car ce tribunal n'avait pas de force de
polices propres, dans l'optique d'arrêter les coupables
»80. En effet, la CPI ne dispose d'aucun mécanisme
institutionnel lui permettant d'appliquer ses décisions81.
Elle est par conséquent intégralement dépendante de la
coopération des Etats, concernant la finalisation du processus
d'incrimination. Mayank Bubna affirme le constat suivant : « On ne
peut pénaliser Omar El Bachir seulement s'il est conduit devant la Cour.
Néanmoins,
78 Rodman, p531.
79 Idem, p533.
80 Idem, p534 : «The ICTY lacked the capability
to enforce its own decisions because it had no police force to stop and arrest
those indicted».
81 Mayank Bubna, «The ICC's role in Sudan : Peace
versus Justice», IDSA Issue Brief, 2008.
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si le gouvernement soudanais refuse de le délivrer,
il n'y a rien que la CPI puisse faire »82.
Si Rodman entreprend une comparaison avec le TPIY, celle-ci
peut être partiellement par le fait que cette juridiction fut ad hoc et
circonstancielle au cas de la Bosnie. Par conséquent, elle n'est pas
représentative de tous les crimes de masses. La CPI est une juridiction
qui n'est pas entièrement politisée au regard des dispositions de
l'article 13, dont l'alinéa c) prévoit une auto-saisine de la
Cour par le procureur en cas de constatation de violations des droits de
l'Homme. Seule la branche « finalisation » est un frein à
ladite Cour.
Néanmoins, alors que le cas du Darfour fut saisi en
vertu de l'article 13 b) (renvoi par le Conseil de Sécurité), la
frontière entre le TPIY et la CPI est poreuse, une résolution du
Conseil de Sécurité ayant crée le TPIY (résolution
827 de 1993).
Concernant le champ de la finalisation, elle ne pourrait donc
nullement être résolue par une initiative juridique
indépendante d'une initiative politique. Au regard de la faiblesse des
forces de maintien de la paix de l'ONU déployées au Darfour (vu
précédemment) et au regard de l'échec du processus
politique de résolution du conflit, seule une intervention coercitive
peut mettre fin aux violations commises de concert par les Janjaweeds et le
gouvernement soudanais. Alex De Waal estime « qu'au contraire des
forces de maintien de l'ONU opérant dans le cadre de l'UNAMIS, il serait
plutôt judicieux de mettre en oeuvre un cessez-le-feu robuste, qui
relève du consentement des deux parties, les rebelles ayant
été aussi à l'origine de crimes qui tombe sous le coup des
dispositions de la CPI »83. Rodman, lui, affirme
radicalement que « dans des situations comme le Darfour, où le
gouvernement est en partie la cause du problème, la solution appartient
au politique, non au droit »84.
Alors que dans la pratique, la CPI requière la
coopération des Etats, notamment pour arrêter Omar El Bachir, le
préambule du Statut de Rome est paradoxalement en contradiction avec
cette dépendance vis-à-vis des Etats. L'alinéa 8
prévoit en effet le principe suivant : « Soulignant à
cet égard que rien
82 Bubna, p8 : « For one, the ICC has no
enforcement mechanism. It can only penalize al Bashir if he is brought to
court. But if the Sudanese government refuses to turn al Bashir over (which it
would do as long as he is in power), there is little the ICC can
do».
83 Rodman, p556 en référence à
la déclaration d'Alex De Waal devant le Comité des Affaires
Etrangères (« Current Situation in Darfur: Hearing Before the
H. Comm. on Foreign Affairs », 110th Cong.
25-26 (2007)).
84 Rodman, p559.
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dans le présent Statut ne peut être
interprété comme autorisant un État Partie à
intervenir dans un conflit armé ou dans les affaires intérieures
d'un autre État ». Incriminer Omar El Bachir et ses milices
passerait obligatoirement par une atteinte à la souveraineté de
l'Etat soudanais (question qui sera étudiée dans un prochain
chapitre). Encore faudrait-il qu'une opération soit mise en oeuvre, le
manque de volonté politique de la part des pays occidentaux de mettre
fin aux conflits ayant suivi le génocide du Darfour étant un
frein majeur à l'exercice de la CPI85.
Comme le souligne le dernier sommet d'Addis-Abeba honorant la
nouvelle Constitution du Kenya, la présence d'Omar El Bachir, venu
assister à la conférence, ne poussa nullement le pays hôte
à arrêter ce dernier. Le manque d'intervention extérieure
est ponctué par un manque de coopération régionale au
regard de la réticence des Etats africains concernant le mandat
d'arrêt prononcé par la CPI à l'encontre du
Président soudanais.
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