Section 2.2) De la position de l'Union Africaine
à l'africanisation de la Cour : rupture avec le « double standard
» et solution à la contrainte politique ?
L'Union Africaine (UA), organisation internationale
composé de tous les Etats africains à l'exception du Maroc
(reconnaissance par l'UA du Sahara occidental), est en opposition totale avec
le processus enclenché par la CPI. Au regard de la décision de 3
juillet 2009 de l'Assemblée de l'UA, qui s'est tenue à Syrte en
Libye, l'Union a clairement exprimé sa préoccupation quant au
mandat d'arrêt émis par la CPI la même année (4 Mars
2009)86. A la note n°4, il est inscrit que l'Union «
exprime sa profonde inquiétude au regard des décisions prises par
les pays européens à l'encontre des chefs d'Etats africains
». De plus, en juillet 2010, lors du sommet de Kampala en Uganda, l'UA a
explicitement affirmé une
85 Rodman, p535. Rodman reprend une citation
effectuée par Richard Goldstone, dans laquelle il affirme « le
manque de volonté de la part des pays occidentaux de supporter les
tribunaux internationaux ».
86 Compte rendu de la Session du 3 juillet 2009 de
l'Assemblée de l'Union Africaine, page 1.
38
position radicalement opposée au mandat d'arrêt
contre Omar El Bachir, en s'en prenant directement à au procureur de la
CPI, Luis Moreno-Ocampo87.
Plusieurs raisons ont été invoquées
concernant cette réticence des Etats Africains, et de manière
plus globale, de l'UA. Le facteur culturel a été mis en avant par
Lutz Oette, considérant que la culture juridique occidentale est
incompatible avec les modes de justice et réconciliation africains
(« the use of international criminal prosecutions is ignorant of, or
even antithetical to, African modes of justice and reconciliation
»)88. Un facteur régional peut également
expliquer la défiance de l'UA à l'égard du rôle de
la CPI au Darfour.
En effet, lors de la 207e session du Conseil de
paix et de sécurité de l'UA, à Abuja au Nigéria, du
29 Octobre 2009, les chefs d'Etats et gouvernements ont émis un rapport
sur la situation au Darfour. Ce rapport souligne les atrocités commises
au Darfour par le Gouvernement soudanais et ses milices Janjaweeds, tout en
affirmant l'idée de renforcer le système judiciaire soudanais, en
vue de punir les auteurs desdites atrocités89. A la note
n°17, on peut effectivement constater que les Etats «
considèrent que la priorité doit être de renforcer le
système légal soudanais afin de mener de manière
appropriée à l'incrimination des auteurs de violations, et
d'assurer des réparations aux victimes au Soudan
»90. De surcroît, la note n°247 vient
implicitement remettre l'efficacité de la Cour en l'espèce, en ce
que « les tribunaux hybrides ad hoc, à l'instar de
l'ex-Yougoslavie et du Rwanda, sont plus efficaces que les tribunaux
internationaux, ces derniers étaient plus couteux et fonctionnant
à un rythme moins rapide ».
Une autre raison invoquée par les Etats africains est
le problème du « double-standard ». Alors que la CPI
prétend être une juridiction permanente à vocation
universelle, certains pays, dont le gouvernement soudanais, doutent de son
universalité. En effet, la Cour a été saisie seulement
pour des cas africains. Dans un entretien accordé au journal canadien
Global Brief, Philippe Kirsch,
87 Article de la Nehanda Radio par Sanderson
N'Makombe, « Africa's confused relationship with ICC », 26 Mars
2011.
88 Lutz Oette, « Peace and Justice : the
repercussions of the Al-Bachir case for International Criminal Justice in
Africa and Beyond», Journal of International Criminal Justice, Vol.8,
p345365, 2010 (p359).
89 Rapport de l'UA sur le Darfur : « African
Union Panel on Darfur » (AUPD), du 29 Octobre 2009.
90 Rapport de l'UA, p18.
39
40
premier président de la CPI reconnait l'africanisation
de la CPI tout en pointant le constat suivant :
« Avec le temps, il va être essentiel que la
Cour pénale internationale aille au-delà de l'Afrique et
s'attaque à des situations qui existent dans d'autres continents. Mais
il faut se rappeler que la Cour est une cour très jeune, qui ne date que
de quelques années. Le procureur, d'ailleurs, est en train d'effectuer
les analyses préliminaires des situations dont certaines sont en dehors
de l'Afrique (par exemple, l'Afghanistan, la Palestine, la Colombie et la
Géorgie) »91.
Au regard de la position africaine, la CPI est
dépendante de la coopération des Etats, et en l'occurrence, des
Etats africains. Le poids colonial des pays occidentaux vis-à-vis des
Etats africains contraint la Cour à se tourner vers des solutions moins
enclines au « consensus occidental » traditionnel, au regard de la
nomination récente d'une juge de la CPI africaine, chargée de
superviser la situation au Darfour. Alors que Khartoum refuse toujours de
reconnaitre la légitimité de la Cour, considérant qu'elle
est n'est pas indépendante et instrumentalisée par les puissances
occidentales, comme il fut reconnu par Alex de Waal (« Khartoum simply
refuses to believe that the ICC is independent»), la nomination d'une
juge africaine charge du conflit au Darfour pourrait opérer un
changement de perception par le gouvernement soudanais.
Au regard de cette non-coopération régionale, il
convient d'envisager des solutions quant à une éventuelle
intervention destinée à mettre en application les
décisions de la Cour au Darfour.
|