2ème PARTIE : LA VARIABLE POLITIQUE, CONTRAINTE
LIMITATIVE DE L'AUTONOMISATION DE LA JUSTICE PENALE INTERNATIONALE
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Malgré les efforts entrepris par les Etats de
déléguer la répression des violations des droits de
l'Homme à une instance juridique supranationale, il n'en demeure pas
moins que ceux-ci font souvent obstacle à cette volonté
d'autonomisation60. Cette instance juridique connait une limite
majeure qui n'est autre que la variable politique. En effet, comme l'argue
Rodman, «international tribunals cannot deter criminal violence as
long as States and international institutions are unwilling to take enforcement
actions against perpetrators»61.
Néanmoins, le politique, dans la résolution du
conflit au Darfour, peine à mettre un terme aux dites violations. Si la
Cour éprouve des difficultés à la fois
opérationnelles et « relationnelles », cela ne vient pas
pointer une prépondérance du politique. Nous ne serions donc pas
dans un jeu à somme nulle, où la faiblesse du juridique
augmenterait la capacité d'action du politique. Dès lors, il est
nécessaire d'évaluer les interactions entre le politique et le
juridique, qui se manifeste dans un premier temps sur le plan supranational,
entre l'ONU et la CPI et dans un second temps, qui se caractérise par
une relation entre la CPI et les Etats pris indépendamment (Etats-Unis,
Chine, etc..) ou siégeant au sein d'une institution internationale,
l'Union Africaine étant la mieux placée pour rendre compte du
degré des rapports conflictuels.
TITRE I : Freins institutionnels et carences
opérationnelles du système d'incrimination de la Cour
pénale internationale
Les freins institutionnels sont tributaires des Etats qui
malgré un consensus sur la situation au Darfour ne constitue pas une
garantie à la stabilité de ce système particulier de
répression des crimes de masse. Les considérations
60 Kenneth Rodman, « Darfur and the limits of
legal deterrence », Human Rights Quarterly, John Hopkins University Press,
p529-560, 2008.
61 Rodman, p529.
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idéologiques des Etats constituent un frein qui vient
entraver un éventuel consensus transnational.
CHAPITRE 1 : Evaluation des freins institutionnels
à
l'autonomisation de la Cour Pénale
Internationale
Indépendamment des freins institutionnels que l'on
étudiera dans une deuxième section, un processus de paix a
été mis en oeuvre par les parties « au conflit », sous
la médiation d'Etats, ou d'institutions internationales, afin de mettre
fin diplomatiquement au conflit au Darfour62.
Section 1.1) Le processus politique de
résolution du conflit au Darfour : chronologie d'un échec
Au lendemain des attaques perpétrées par le
gouvernement soudanais en 2003, un processus politique de résolution du
conflit entre les groupes de rebelles et ledit gouvernement soudanais a
été entrepris afin de mettre fin aux hostilités, bien que
la réponse du gouvernement ait été jugée
disproportionnée63. S'inscrivant dans le temps long, ce
processus qui débuta en 2004, appelé le « Darfur Peace
Agreement » (DPA/ Accord de paix du Darfour), n'a toujours pas abouti. Le
8 avril 2004 fut implémenté un accord pour le cessez-le-feu de
N'Djamena (appelé « cessez-le-feu humanitaire »), entre
plusieurs groupes de rebelles (le Mouvement de Libération du Soudan
(MLS/SLM) et le Mouvement pour la Justice et l'Egalité (MJE/JEM)) et le
gouvernement du Soudan64. Ces négociations ne permirent pas
de cesser les hostilités mais conduisirent à la création
de la mission de l'Union Africaine pour le Soudan (AMIS). Subséquemment,
au regard de l'échec de ce processus s'inscrivant dans le cadre du DPA,
des médiateurs ont été chargés d'intervenir afin
d'encadrer les pourparlers. En juillet 2004 s'ouvrirent donc les
négociations d'Abuja sous la médiation de l'Union Africaine et du
Tchad. La raison principale invoquée
62 Laurie Nathan « No ownership, no peace :
The Darfur Peace Agreement », Working Paper n°5, Crisis States
Research Centre, September 2006.
63 Nathan, p.1.
64 Article du Media Support Project : David Lanz,
« Sudan/Darfur, Abuja Negotiations and the DPA », 2008.
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concernant la nécessité d'une médiation
fut expliquée par le principe suivant : « Solutions africains
pour un problème africain »65, la logique
secondaire étant d'empêcher une ingérence des pouvoirs
occidentaux dans le conflit.
Alors qu'en juillet 2005, les soubassements du processus de
paix furent établis (adoption des « Déclarations de
Principes »), celui-ci prit une tournure différente en Novembre de
la même année, le MLS s'étant divisée en deux
factions (une Fur et une Zaghawa). Conséquemment, la « date limite
» fixée par le Conseil de Sécurité (31
décembre 2005) quant à la conclusion de l'accord de paix ne fut
pas respectée66.
Le processus sera relancé par l'Union Africaine et le
Conseil de Sécurité, avec comme « date limite »
(« deadline ») le 30 avril 2006. Bien que les parties
s'accordèrent sur un accord compréhensif («
Comprehensive Agreement »), celui-ci n'entra en vigueur seulement
cinq jours avant le délai prévu67. L'accord fut
signé le 5 mai 2006 par le gouvernement soudanais et une faction du MLS
alors que parallèlement le MJE rejeta l'accord, considérant que
les dispositions furent inégales, concernant les conditions de
désarmement des milices Janjaweeds ainsi que le partage des ressources.
Selon Lanz, « le fait que le Parti National (National Party Congress,
parti central du gouvernement)) eut préservé une majorité
dans toutes les législatures du Darfour, ne fut pas représentatif
de la société civile. De plus, des doutes ont été
émis par le « Justice and Equality Movement » à propos
du fait que le Gouvernement soudanais puisse ou pas mener à bien le
processus de désarmement des Janjaweeds »68. Les
accords de Syrte de 2007, en Libye, aboutirent au même résultat et
mêmes conclusions : partage inégal des ressources,
sous-représentation politique, et désarmement des Janjaweeds non
garanti.
Les principaux points du DPA sont effectivement axés
sur le partage des pouvoirs, le partage des richesses et la
sécurité (Chapitre 1 du texte sur le Partage des pouvoir («
Power sharing »), Chapitre 2 sur le partage des richesses
(« Wealth sharing »), Chapitre 3 sur la
sécurité (« Comprehensive Ceasefire and Final Security
Arrangements »). Au regard des dispositions du texte du DPA, il est
difficile de corréler celles-ci aux divisions, retards, et absence de
consensus des
65 Lanz, p.2.
66 Nathan, p.4.
67 UN center press : «Security Council Calls for
Smooth Transition to UN Operation in Darfur», 11 Avril 2006.
68 Lanz, p.8.
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parties. Néanmoins, plusieurs raisons permettent de
rendre compte de l'échec politique de cette solution diplomatique.
Dans un premier temps, le contexte national et international
n'était pas favorable. Le début des négociations
(2003-2004) fut en adéquation avec la période, d'un
côté de la tentative de résolution du conflit Nord-Sud au
Soudan (Comprehensive Peace Agreement) et de l'autre le contexte de la guerre
en Irak. La Communauté Internationale fut donc à la fois
divisée et mue par d'autres préoccupations géopolitiques
autres que le Darfour69. Sur le plan régional, le Soudan
était en conflit avec le Tchad, bien que ce dernier ayant
contribué à accueillir les déplacés et à
tenter d'implémenter une paix dans la région.
Enfin, Laurie Nathan estime que « la diplomatie des
délais » ou des « dates butoires » (« Deadline
diplomacy ») est à l'origine des ralentissements du processus
de paix et de l'échec de celui-ci, ces dates limites ne laissant pas le
temps aux parties de négocier les dispositions du texte du DPA et leur
conférant une faible marge de flexibilité.
L'échec de ce processus, qui continue de
courir70, est actuellement entaché la querelle actuelle est
le statut administratif du Darfour (choix entre l'unification des trois
régions ou maintien du statu quo, choix dont le gouvernement du Soudan
tenta de proposer un référendum).
Là où le politique a échoué, le
juridique a-t-il un rôle à jouer ? Cet échec ne laisse t-il
pas le choix à la mise en application des décisions juridiques ?
Selon Lanz, les parties sont face à un dilemme : mener à bien le
processus politique, ou « enforcer » les décisions
juridiques de la CPI («The question thus arises whether international
actors in Sudan want to give priority to peace negotiations or if they prefer
other, potentially contradictory strategies, for example providing leverage for
the enforcement of arrest warrants of the International Criminal
Court»).
A travers l'étude de cette « chronologie d'un
échec politique », un constat paradoxal peut être fait. La
Cour pénale internationale et la résolution du conflit au Darfour
relève d'un mode opératoire purement réaliste. Alors que
des tentatives diplomatiques de résolution du conflit furent
implémentées parallèlement aux décisions juridiques
de la Cour, celles-ci n'ayant nullement
69 Idem, p.6.
70 Article de la Sudan Tribune : « JEM to resume
direct peace talks if Sudan discusses Darfur status first », 18 Avril
2011.
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recours à la force s'inscrivent dans le courant
libéral des relations internationales. Inversement, bien que la Cour
soit un organe supranational, elle n'est que la continuation du chapitre VII de
la Charte des Nations Unies, dont l'organe garant de ce chapitre, le Conseil de
Sécurité connait une instabilité qui pourrait handicaper
l'efficacité de la Cour (Section 1.2).
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