CHAPITRE 2 : L'individualisation des sanctions à
l'égard des auteurs de violations des droits de l'Homme : le
dépassement des frontières étatiques
L'actuel président soudanais, Omar El Bachir, en cas
d'arrestation, verrait-il sa position de Chef d'Etat et son immunité
ébranlée ?
Le statut de Rome est un traité international qui lie
les Etats, sujets de droit international, donc logiquement n'ayant aucun impact
juridique sur les individus53. Néanmoins, certaines
dispositions de ce statut consacre une responsabilité pénale
individuelle, mais pour les chefs d'Etats en exercice. En effet, l'article 25
du statut prévoit que « quiconque commet un crime relevant de
la compétence de la Cour est individuellement responsable et peut
être puni conformément au présent statut ». De
plus, l'article 27 est directement en corrélation avec la
responsabilité d'Omar El Bachir, prévoyant que « le
présent statut s'applique à tous de manière égale,
sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En
particulier, la qualité officielle de chef d'Etat ou de gouvernement, de
membre d'un gouvernement ou d'un parlement, de représentant élu
ou d'agent d'un Etat, n'exonère en aucun cas de la responsabilité
pénale au regard du présent Statut(...). Les immunités ou
règles de procédure spéciale qui peuvent s'attacher
à la qualité officielle d'une personne, en vertu du droit interne
ou du droit international, n'empêchent pas la Cour d'exercer sa
compétence à
53 Marko Milanovic, « Is the Rome Statute binding
on individuals (and why we should care)?», Journal of International
Criminal Justice, Vol.9, p25-52, 2011.
l'égard de cette personne ». Au regard de
cette disposition, toutes les conditions sont réunies pour arrêter
légalement le Président Soudanais. Néanmoins, l'article 98
peut éventuellement faire obstacle à celle-ci54.
L'article 98 prévoit que la Cour ne peut aucunement poursuivre un
individu si l'Etat requis pour l'arrestation fait obstacle à cette
dernière. Par conséquent, en l'espèce, Omar El Bachir,
garant de la République islamique soudanaise, peut lui-même
s'opposer à ce que la Cour entreprenne une quelconque mesure visant
à l'arrêter, pourvu qu'il soit sur le territoire soudanais. Les
tensions entre l'article 27 et l'article 98 sont donc un obstacle à la
mise en application des décisions prises par la Cour. En effet, comme le
pointe Allen, d'un côté, l'article 27 vient conférer
à la Cour une émancipation notable des Etats, alors que l'article
98 est représentatif du souci de rester dans une logique
stato-centrée concernant la mise en application des sanctions
juridiques55.
Néanmoins, la portée du vote de la
résolution 1593 vient conférer à la Cour la
possibilité d'incriminer sans obstacles juridiques les auteurs de
violations des droits de l'Homme au Darfour56. Dès lors, une
hiérarchie entre les dispositions du Statut est à noter. En
effet, l'article 13 (b) du statut de Rome vient balayer les exceptions
relatives aux immunités. Et comme il fut conclu ci-dessus, la
résolution 1593 s'inscrit non pas dans une logique stato-centrée
mais plutôt dans une position supranationale. Cette résolution
remet également à plat l'idée que le Soudan ne soit pas
partie au statut de Rome.
Indépendamment de cette résolution, en vertu de
la Convention de Vienne de 196957, le Soudan, pays n'ayant pas
ratifié le statut de la CPI, est légitimement en droit d'invoquer
que celui-ci ne lui est pas opposable. De plus, l'ordre juridique international
est caractérisé par une absence de hiérarchie entre les
normes internationales. La résolution du Conseil de
Sécurité fut donc d'une nécessité majeure pour
conférer à la Cour un poids important dans la résolution
du conflit, les résolutions du Conseil de Sécurité rendant
obligatoire leur portées à l'égard de tous les membres des
Nations Unies58.
54 Jake Hirsh Allen,« Bashir's immunity »,
Thesis held on December 15th, 2008.
55 Allen, p4 : «While Article 27 represents
the move away from traditional State sovereignty and Head of State immunity,
Article 98 is evidence of the Statute's drafters' necessary concessions to
power politics and a State-centric international system».
56 Allen, p7.
57 Pascale Martin-Bidou, « Fiches de Droit
International Public », Ellipses Editions, 2009.
58 Allen, p17.
Néanmoins, étant dans le champ des droits de
l'Homme, ceux-ci justifieraient l'intervention juridique de la CPI, ayant
probablement une supériorité sur la souveraineté des
Etats59. De la même manière que la R2P justifie une
« ingérence » dans les affaires intérieures d'un Etat
en cas de constat de crimes graves menaçant la paix et
sécurité internationales, la gravité des crimes commis par
le gouvernement soudanais justifierait une supériorité du Statut
sur son immunité présidentielle.
26
59 Idem, p17.
27
L'autonomisation de la Cour pénale internationale
est notable au regard des dispositions du Statut de Rome, Statut qui s'est vu
conférer un rôle de premier plan au regard du vote historique de
la Résolution 1593 du Conseil de Sécurité. Le passage
progressif à un positionnement libéral de la CPI est du à
la reconnaissance des Etats de la nécessité de poursuivre un mode
opératoire transnational en matière de répression des
auteurs de violations de droits de l'Homme.
La résolution du conflit au Darfour met
également en lumière les carences de la CPI, et plus globalement,
les carences de la justice pénale internationale. Cette tentative de
résolution, malgré les efforts considérables de
transnationalisation de la méthode employée, reste tributaire des
Etats. De plus, plusieurs facteurs politiques font vaciller l'efficacité
de la Cour. D'un côté, l'échec du politique sur le terrain
pourrait redonner une marge de manoeuvre à la CPI. D'un autre
côté, le caractère « africaniste » du conflit
provoque une réticence de la part des Etats africains, au regard du
positionnement de l'Union Africaine vis-à-vis de la politique de la CPI.
Enfin, le pays clef qui pourrait contrebalancer la perception de la CPI et lui
renforcer son rôle serait les Etats-Unis, pays qui peine à montrer
une position claire concernant les violations des droits de l'Homme au
Darfour.
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