TITRE 2 : Le Darfour : empiricité d'un nouveau
mode de résolution des conflits
Le vote de la résolution 1593 du Conseil de
Sécurité marque une étape majeure concernant le rôle
conféré à la Cour, rôle accru qui est
également caractérisé par l'ébranlement de
l'immunité présidentielle d'Omar El Bachir.
CHAPITRE 1 : Le vote de la résolution 1593 du
Conseil de Sécurité des Nations Unies, caractéristique de
l'émancipation de la Cour lors du processus de résolution
juridique du conflit au Darfour
Selon le Procureur de la CPI Luis Moreno-Ocampo, dans une
déclaration du 29 Juin 2005, le renvoi par le Conseil de
Sécurité à la CPI de la situation au Darfour constitue une
progression de la justice pénale internationale en ce que ce renvoi
« a apporté une justice indépendante et impartiale
venant confirmer les efforts régionaux et internationaux d'en finir avec
les atrocités commises au
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Darfour »44. En effet, à la
date du 31 mars 2005, l'Organisation des Nations Unies (ONU) a
décidé de référer la situation au Darfour à
la CPI par la résolution 1593 du Conseil de
Sécurité45.
Quels ont été les raisons de ce renvoi et les
caractéristiques de celui-ci concernant la situation au Darfour ?
Ce renvoi constitue une nouveauté car c'est la
première fois depuis la création de la CPI que la saisine de
celle-ci s'effectue par la voie d'un « référé »
(« referral ») du Conseil de Sécurité, les
saisines précédentes étant été
formulées à l'initiative des Etats eux-mêmes (Ouganda,
République démocratique du Congo, etc..). Avant d'analyser
minutieusement le vote, il convient de pointer le rôle d'une
entité « sous-traitée » par l'ONU, la Commission
d'enquête sur le Darfour.
Préalablement, ce sont en effet les résultats de
la Commission d'enquête sur le Darfour qui ont permis de faire
état de la gravité de la situation, et ainsi d'obtenir un certain
nombre d'éléments nécessaire à la poursuite des
officiels soudanais et de leurs milices Janjaweeds. Cette commission a
établi un rapport « en application de la Résolution 1564 du
18 septembre 2004 »46 . Bien que cette commission ait
été mandatée avant le vote de la résolution, le
Procureur de la CPI n'a pu obtenir les résultats que quelques jours
après le vote de la résolution 1593 à la date du 7 avril
2005. Subséquemment, le document de la Commission contenait des charges
allant à l'encontre de 51 suspects pour lesquelles des preuves assez
suffisantes révèlent leur responsabilité pénale
concernant d'éventuels crimes commis au Darfour. Le 1er juin,
le Procureur décida d'ouvrir une enquête47.
Quid du vote de la résolution 1593 ? Si ce vote fut
symptomatique du franchissement d'une étape majeure, nous verrons que ce
cap fut motivé par des considérations purement politiques,
économiques et conjoncturelles.
Les membres permanents du Conseil de Sécurité,
composé des Etats-Unis, de la Chine, de la Russie, de la Grande-Bretagne
et de la France, dotés du pouvoir de s'opposer à une
résolution par un veto, ainsi que les membres non permanents, se sont
accordés le 31 mars 2005 à renvoyer la situation au Darfour aux
mains de
44 Antonio Cassesse, « Is the ICC still have
teething problems ?», Journal of International Criminal Justice, Vol. 4,
p434-441, 2006.
45 Résolution 1593 du Conseil de
Sécurité adopté lors de la 5158e séance.
Alinéa 1er de la Résolution, en vertu du Chapitre VII
de la Charte des Nations Unies.
46 Rapport de la Commission d'enquête sur le
Darfour, contenue dans la lettre adressée le 31 Janvier 2005 au
Président du Conseil de Sécurité par le Secrétaire
général.
47 Cassesse, p437.
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Luis Moreno Ocampo. 11 votes ont été
exprimés en faveur du renvoi à la CPI et 4 abstentions ont eu
lieu (Algérie, Brésil, Chine et Etats-Unis)48. En
science politique, l'abstention peut revêtir un message politique
(différence entre abstentionnistes « hors-jeu » et « dans
le jeu »). En l'espèce, l'analyse de l'abstention de la Chine et
des Etats-Unis lors du vote nous amène à conclure paradoxalement
de l'importance du rôle de la CPI.
En raison de sa tradition du respect des souverainetés
et intégrités territoriales des Etats, la Chine s'est abstenu
lors du vote. De plus, les officiels chinois ont revendiqués
l'idée d'obtenir le consentement des autorités
soudanaises49. Comme il fut étudié ci-dessus, il
serait illogique au regard de la culpabilité avérée du
gouvernement soudanais de laisser le choix à ce dernier quant à
l'idée de se voir imposé ou non une enquête internationale
de la CPI.
La position des Etats-Unis fut relative à la
création d'une juridiction hybride à l'image de celle crée
pour le Sierra Leone50. Bien que les Etats-Unis se soient abstenus,
ils reconnurent, par la voie de leur ambassadeur auprès de l'ONU, que
« ce fut important que la communauté internationale parle d'une
seule voix dans l'objectif d'assurer une responsabilité internationale
des coupables »51.
La position de ces deux Etats est intéressante
puisqu'ils ne sont pas parties au Statut de Rome. Néanmoins, la nature
de leurs votes, bien qu'ils pouvaient opposer leur veto, nous conduit à
affirmer qu'ils ont reconnus tacitement la compétence de la Cour
Pénale Internationale52.
Le vote de ce renvoi et la reconnaissance implicite par deux
puissances mondiales majeures, constitue une légitimation de la Cour, en
ce que les membres permanents se sont accordés à renvoyer la
résolution du conflit à la CPI, renvoi qui ne fut entaché
par aucun vote négatif, bien que des Etats non parties au Statut aient
voté.
On retrouve ici notre interprétation libérale du
positionnement de la CPI dans l'ordre juridique international. Plus
précisément, ce vote pourrait être interprété
par le néoinstitutionnalisme, une branche du courant libéral qui
insiste sur l'importance des institutions internationales. Empiriquement, les
Etats ont
48 Nsongurua Udombana, «Pay Back Time In Sudan :
Darfur and the International Criminal Court», Tulsa Journal of Comparative
and International Law, Vol. 13:1, 2006, p8.
49 Udombana, p.8 et 9.
50 Idem, p.10.
51 Idem, p.11.
52 Idem, p18.
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clairement affichés leur volonté de
déléguer à un organe supranational la décision
d'enquêter et de résoudre le conflit au Darfour, estimant que, du
bilan coût-avantage juridique, adviendrait un gain supérieur en
référant à la CPI.
Cette avancée, qui vient rompre avec les tribunaux
crées pour des cas circonstanciels (Rwanda, Ex-Yougoslavie), souligne le
caractère de plus en plus universel, au regard de ce vote concernant les
crimes commis au Darfour.
Le positionnement de la Cour, par le biais de ce vote n'est
pas sans lien avec l'individualisation des sanctions et la levée du
garde-fou qu'est l'immunité présidentielle.
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