Chapitre 1 : Evaluation des freins institutionnels
à l'autonomisation de la Cour
Pénale Internationale 23
Section 1.1) Le processus politique de résolution du
conflit au Darfour : chronologie d'un
échec...........................................................................23
Section 1.2) L'instabilité du Conseil de
Sécurité des Nations Unies : le décalage
entre la résolution 1593 et les divergences
idéologiques........................... 25
6
Chapitre 2 : La mise en application des sanctions juridiques
dépendantes des Etats : la politisation de la justice pénale
internationale dans le cas du conflit au
Darfour ..28
Section 2.1) L'incapacité de prévention,
d'application et de finalisation de la
Cour 28
Section 2.2) De la position de l'Union Africaine à
l'africanisation de la Cour : rupture avec le « double standard » et
solution à la contrainte
politique ? 30
Titre 2 : Solutions politico-institutionnelles
nécessaires à la continuation de
l'exercice des compétences de la Cour 31
Chapitre 1 : L'hypothèse de la
responsabilité de protéger comme principe
complémentaire de la Cour pénale
internationale .32
Chapitre 2 : La relation entre la Cour Pénale
Internationale et les Etats-Unis : l'impossible résistance
étatique à l'idée d'une universalisation de la justice
pénale
internationale ? 35
Conclusion générale 38
Bibliographie .39
Annexes .43
7
INTRODUCTION GENERALE
Le phénomène d'universalisation de la justice
pénale internationale est en adéquation avec les récentes
violations des droits de l'Homme par des chefs d'Etats en exercice1.
En cela, le cas du Soudan s'inscrit directement dans cette tendance et
constituerait un laboratoire d'analyse desdites violations. Au regard de
l'écart entre la recrudescence des résolutions du Conseil de
Sécurité des Nations Unies concernant la situation au
Darfour2 et de leur efficience sur le terrain, les Etats,
représentatifs stricto sensu de l'émanation des décisions
politiques, ont été conduits à s'atteler à des
décisions d'ordre juridique, concernant le maintien de la paix et de la
sécurité internationales3. La Cour pénale
internationale (CPI) verrait ainsi son rôle renforcé concernant la
mise en oeuvre des sanctions allant à l'encontre des auteurs de
violations des droits de l'Homme. Néanmoins, le droit, et plus
particulièrement le droit international, est confronté à
un obstacle majeur qui n'est autre que le politique, d'où l'expression
anglo-saxonne « peace versus justice »4. Le cas du conflit
au Darfour constitue une mise en perspective du positionnement de la justice
pénale internationale sur l'échiquier international, qui selon un
nombre important d'auteurs serait partagé autour du débat «
réalistes contre libéraux ». Qu'en est-t-il de ce
débat ? Le réalisme voit la structure politique du Monde comme
n'étant composé que d'Etats souverains n'oeuvrant ainsi dans une
logique hobbesienne que pour leur survie et mus par le maintien de
l'équilibre des pouvoirs5. Dès lors, la justice
pénale internationale verrait son rôle limité et
dépendant uniquement des Etats-nations. D'un autre côté,
les libéraux acceptent l'idée d'une « transnationalisation
» des frontières, ainsi que d'une justice qui serait
indépendante des Etats, représentative non pas de ceux-ci, mais
des individus qui les composent. La justice pénale internationale aurait
donc dans
1 MSNBC Journal: «Flurry of Activity as ICC tackles
current wars» (7 avril 2011), concernant l'ouverture d'une enquête
par le procureur de la Cour pénale internationale, Luis Moreno Ocampo,
à l'encontre des « possibles » crimes contre l'humanité
commis par Mouammar Kadhafi.
2 Marc Lavergne, « Darfour : un Munich
Tropical », in Politique Internationale, 4e trimestre,
n°117, p145-171, 2007, qui pointe qu'entre 2004 et 2007, Le Conseil de
Sécurité a adopté 12 résolutions, concernant la
situation au Darfour (de 1556 à 1769) sans voir de réel
résultat sur le terrain.
3 « Le maintien de la paix et de la
sécurité internationales » était l'objectif principal
de l'Organisation des Nations Unies, sous le chapitre VII de la Charte des
Nations Unies.
4 Bubna Mayank, « The ICC's role in Sudan :
Peace versus Justice », Institute for Defense Studies and Analyses,
2009.
5 Dario Batistella, Théorie des Relations
internationales, Presses de Science Po, 2e Edition revue et
augmentée, 2006.
8
cette situation une meilleure position sur l'échiquier
international. Dans une certaine mesure, le cas du conflit au Darfour sera le
baromètre qui va nous permettre de mettre en lumière la «
santé » de la justice pénale internationale concernant
« les crimes de masse », son positionnement sur l'échiquier
international, et les avancées qui seront entre autre analysées
en rupture de l'ancien modus operandi d'incrimination des auteurs de violations
des droits de l'Homme, à l'image des tribunaux ad hoc. En
effet, comme il sera étudié, la Cour pénale internationale
est une juridiction permanente à vocation universelle qui n'a
compétence que des crimes de masses « les plus graves qui
touchent l'ensemble de la communauté internationale
»6. Dès lors, l'emphase sera mise sur cette
juridiction afin d'évaluer le degré d'importance de son
rôle dans la résolution du conflit au Darfour. Il convient donc
d'opérer une contextualisation historique du conflit afin d'analyser la
nature de la réaction de la Cour, les modalités de cette
réaction, et l'analyse de son éventuelle émancipation des
Etats-nations.
Historique d'une région conflictuelle
Géographiquement, le Darfour, dont la superficie est
égale à environ 400 000 km2, est
précisément la province Ouest du Soudan7. Le Darfour
signifie en langue arabe « la Terre des Fours », ou encore la «
Maison des Fours ».8 Cette traduction est importante à
souligner pour l'étude du conflit en ce que ce dernier est souvent
interprété comme étant de nature ethnique. En effet, les
Fours sont les « africains » par opposition aux populations du Nord
qui seraient des « arabes » et musulmans, bien que l'ensemble de la
population soudanaise soit homogène. Comme il sera fait état, le
Darfour fut l'objet d'une confrontation permanente entre les Soudanais
africains Four et les Soudanais arabes. Les soubassements de la crise de l'Etat
de droit ainsi que de la crise humanitaire sont ancrés dans une histoire
remontant à une période antérieure à la
colonisation britannique9.
En 1650, le Sultanat Fur fut établi afin de contenir
les nomades arabes dont l'objectif était de conquérir cette
partie du Soudan. Quant aux 17e et 18e siècles,
6 Préambule du Statut de Rome de 1998,
définissant le champ de compétence de la Cour pénale
internationale.
7 Voir Figure n°1 : Le Darfour, entre camps de
déplacés et énergie à proximité.
8 De Waal, Alex, Who are the Darfurians ? Arab
and African identities, violence, and external engagement, African
Affairs, 104/415, p181-205.
9 Gérard Prunier, Le Darfour, un
génocide ambigu, Edition La Table Ronde, 2005.
9
ceux-ci furent marqué par des confrontations entre ces
nomades arabes et sédentaires Fours. Bien que les nomades aient
réussis à faire chuter le Sultanat, l'intervention des
Britanniques en 1898 permit aux Fours de s'imposer face à l'Etat
Mahdiste nouvellement structuré par les nomades, dont les fondements
furent basés sur les principes islamiques. Durant la colonisation, le
condominium anglo-égyptien, établit en 1916 et qui dès
lors contrôlait entièrement le Soudan, décida d'y
intégrer la région du Darfour en l'annexant. Néanmoins,
l'objectif principal de la Grande-Bretagne dans cette aire géographique
fut de stabiliser le sud du Canal de Suez, point stratégique pour le
passage de la Navy vers l'Inde, également colonisée. Une
préoccupation plus secondaire fut de développer le Nord du
Soudan, développement qui est constatable au regard du système
ferroviaire performant, des infrastructures et des routes situées au
Nord. Entre 1899 et 1956, date de l'indépendance du Soudan, les
britanniques s'attachèrent à contrôler le Nord et le Sud,
composé essentiellement de chrétiens animistes, qui fut
également isolé. Dès lors, le Darfour fut quant à
lui totalement « négligé »10 par les
autorités anglaises.
La marginalisation politique, économique et sociale du
Darfour fut donc un phénomène antérieur à celle qui
s'opéra sous le gouvernement post-indépendance du Soudan.
En réalité, ce gouvernement du Nord du Soudan,
composé essentiellement d'Arabes et ne représentant que 5% de la
population, n'a oeuvré qu'en continuation de la marginalisation
opérée par les autorités britanniques. La famine de 1984
accentua cette marginalisation post-indépendance, et conduisit la
population du Darfour, dont les trois tribus majoritaires, les Zaghawa, les
Fours et les Masalit, à s'organiser pour réagir à
celle-ci. Cela déboucha sur la guerre civile de 1987, qui fut
caractérisé par l'opposition entre le Rassemblement arabe dont
l'instigateur ne fut autre que Sadiq Al Mahdi, premier ministre et les rebelles
qui ne furent pas encore institutionnellement organisées. Dans ce
contexte, les « Janjaweeds », milices à la portée du
gouvernement central dont la caractéristique est d'être à
cheval et munis d'armes automatiques, virent le jour pour contenir la
rébellion de plus en plus grandissante.
10 De Waal, 2005. Prunier, 2005: Chapitre 3 : «
De la marginalisation à la révolte : « l'arabisme » et
l'anarchie ethnique 1985-2003 », p101.
10
L'arrivée d'Omar El Bachir au pouvoir le 12
décembre 1999, par la voie d'un « soft coup », obligeant
Hassan Al Tourabi de quitter le pouvoir par la dissuasion et la proclamation de
l'Etat national d'urgence11, changea la donne concernant la nature
du conflit intra-soudanais. Le conflit devint désormais ethnique, de par
la division du Darfour, effectuée immédiatement après la
prise de pouvoir d'Omar El Bachir, en trois régions : Nord, Sud et Ouest
qui selon De Waal, fut « un changement alarmant dans la nature du
conflit dont l'ethnie est devenu le facteur principal ». En
réaction à cette séparation, les principales tribus
darfuriennes institutionnalisèrent leurs capacités politiques et
militaires. Le Mouvement pour la Justice et l'Egalité (MJE/ JEM),
composé de Zaghawa et Masalit et d'anciens membres dissidents du
gouvernement, est basé sur des principes islamiques, alors que le
Mouvement de Libération du Soudan (SLM) est un mouvement séculier
composé majoritairement de Fours. Le soubassement de ces mouvements fut
inscrits dans le « Livre Noir » publié en 2000 (Black Book /
Qitab Al Assouad). Les rebelles y exposent la marginalisation et ses
conséquences, ainsi que la sous-représentation des populations du
Darfour dans les institutions politiques, exposé qui servit de base
à la mobilisation des mouvements nouvellement
crées12.
L'accentuation de la légitimité des mouvements
de rebelles n'est pas sans lien avec le point de non-retour qui fut
indubitablement l'année 2003.
2003 : Le point de non retour
En effet, à cette date symbolique, l'attaque de
l'aéroport d'Al Fasheir, où se trouve le matériel
militaire du gouvernement par les deux mouvements de rebelles, provoqua une
réponse par le gouvernement qui fut sans précédent dans
l'aggravation du conflit. Le gouvernement soudanais répondit par l'envoi
massif de bombardiers Antonov (russes), d'hélicoptères, ainsi
qu'à la mise à disposition de matériel aux Janjaweeds,
dont la seule motivation fut de s'en prendre à toute personne habitant
cette région, indépendamment de sa qualité de soldat ou de
simple agriculteur. Ces violations notables du droit international humanitaire
et des Conventions de Genève de 1949, et le constat des massacres des
populations
11 Prunier, 2005 : Chapitre 4 : « La peur du
centre : de la campagne contre-insurrectionnelle au quasi-génocide
(2003-2005), p143, où il est expliqué qu'Omar El Bachir force
l'ancien guide de la révolution islamique « à
démissionner de sa position de Président du Parlement ».
12 De Waal, 2005.
11
ouest-soudanaises provoqua une réaction dans un premier
temps régionale. Le président tchadien Idriss Deby entreprit
d'accueillir sur son territoire les déplacés et les
rescapés des attaques, et de mettre en oeuvre une médiation entre
Khartoum et les rebelles, via le cessez-le-feu d'Abéché en 2003.
La paix d'Abuja en 2004 sous l'égide de l'Union Africaine (UA) fut
également l'une des initiatives majeures dans l'objectif de cesser les
hostilités. Cependant, l'opposition des différentes parties
ralentissait les processus de paix.
Eu égard à la difficulté du politique
à arrêter les combats permanents, les atteintes à la
population civile, et dans l'incapacité à faire face à la
hausse important du nombre de déplacés, le juridique fut «
jugé » nécessaire à la mise en oeuvre d'une solution
à l'égard des auteurs des violations des droits de l'Homme,
inscrits dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948,
ainsi que dans le Statut de Rome de 1998. En effet, la CPI se verra «
référée » par la résolution 1593 du Conseil de
Sécurité du 31 mars 2005 afin de mettre en oeuvre un mandat
d'arrêt à l'encontre des différents présumés
coupables, essentiellement membres du Gouvernement soudanais. Cependant, il a
fallu attendre le mois de juillet 2010 pour qualifier les actes du gouvernement
central de génocide, bien qu'un mandat d'arrêt ait
été lancé en mars 2009 à l'encontre d'Omar El
Bachir. Concernant l'efficience actuelle, seuls deux prévenus,
appartenant aux mouvements rebelles, se sont volontairement
présentés devant la Cour, en raison de leur responsabilité
présumée concernant l'attaque qui causa la mort de 12 soldats de
la force hybride UNAMIS13.
Ce déroulé historique permit de constater la
difficulté du conflit. Cependant qu'en est-il des modalités de
résolution juridique de celui-ci ? En quoi cette décision des
Etats à « déléguer » à la Cour le cas du
Darfour justifie-t-il l'importance qui est donnée à la justice
pénale internationale ? De manière plus centrale, en quoi la
résolution juridique du Conflit au Darfour permet-elle de constater une
émancipation voire un début d'universalisation de la justice
pénale internationale ? Quels sont les freins qui empêchent la
Cour Pénale Internationale
13 BBC News, 8 mars 2011 : «Darfur, Sudan
Rebels to face ICC war crimes trials» concernant l'attaque
préméditée par Abdallah Banda et Saleh Mohammed de forces
de maintien de la paix de l'UNAMIS.
12
d'être reconnue comme une juridiction à vocation
universelle en matière de sanction des crimes de masses (« mass
atrocities ») ? Quelles peuvent être les solutions
nécessaires à son émancipation de la tutelle
étatique ?
Hypothétiquement, la création de la Cour
pénale internationale constitue un changement majeur de
référentiel d'incrimination des auteurs de violations des droits
de l'Homme. A travers l'étude du déroulé juridique
concernant la situation au Darfour, il convient d'affirmer que la place de la
justice pénale internationale s'est indubitablement affirmé.
Dès lors, cette résolution va indubitablement servir de
jurisprudence aux futures incriminations.
Nonobstant, cet effort de punir les crimes de masses, mis en
lumière par le conflit au Darfour, n'est pas sans lien avec le
politique, politique qui acquiesce progressivement de la
nécessité d'un organe supranational pour la résolution
juridique des conflits de cette nature, où des crimes de masse ont
été commis. Bien que des barrières politiques soient
existantes, celles-ci sont de plus en plus minces. De nouvelles logiques, comme
l'intervention humanitaire, contrebalancent fortement l'ancien
référentiel basé sur la souveraineté des Etats.
Dans cette logique, il existe une forte collusion entre le caractère
transnational de la Cour et l'intervention humanitaire, au regard des nouveaux
modes d'application des décisions juridiques émanant de celle-ci,
notamment à travers la notion de « responsabilité de
protéger » en réponse à l'incapacité des
gouvernements de protéger leurs propres populations.
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