2.5.5.L'ACCES AU FONCIER DANS LE CANTON DE QUININDE
Après les réformes agraires et les
différentes colonisations, la structure agraire de l'Equateur
présente une accumulation de la terre : selon INDA, « 45% de la
terre appartient à 0,4% des propriétaires terriens. En contre
parti, avec le phénomène corrélatif de
prolifération des minifundistes, seul 7% de la terre agricole du pays
est partagé par 73% des producteur, soit plus 500 000 producteurs ayant
une superficie moyenne de 1,45 ha en 2008.» (Brassel,2010)
La fragmentation des petites exploitations est un
énorme problème entraînant en premier lieu une
déstructuration de l'économie paysanne, puis une
paupérisation de ces populations, obligées de vendre leur terre
et d'émigrer vers les villes.
2.5.5.1. L'ACCES A LA TERRE AU NIVEAU NATIONAL
Bien qu'il existe des efforts de la part de l'Etat
résultant en impacts économiques positifs (par exemple
l'expansion de la palme africaine dans le canton de Quininde augmente beaucoup
la richesse économique de cette partie de la côte), s'il n'y a pas
d'accès à la terre pour chacun, base d'un développement
économique et social, alors l'Etat ne pourra en aucune manière
résoudre le problème de la pauvreté, ni enrayer l'exode
rural.
En effet, un des grands problèmes lié à
l'insécurité des producteurs est un manque de titre de
propriété ; sans ce titre, il n'y a pas de garanties juridiques
de leur terre ni d'accès aux crédits. Cette
insécurité, principalement dans une zone en pleine expansion de
palme, d'agro business, fait apparaître des conflits locaux, des
déplacements de paysans en faveur des acteurs privés, donc des
entreprises, s'implantant de façon « légale » mais sans
morale vis-à-vis des paysans sur leur terre.
En rappel, l'IERAC, créé au moment de la
réforme agraire de 1964, adjudiquait des lopins de terres aux
agriculteurs (en fait les vendait par manque de fond propre pour perdurer).
Pour autant, il n'y eu que 10% de cette population qui fit la démarche
de légaliser sa terre dans les années qui suivirent : à
leurs dires, le coût n'en valait pas la peine puisque le titre
n'était pas ressenti comme une nécessité à cette
époque (Cordelier, 2003).
Aujourd'hui, il devient indispensable de posséder un
titre de propriété pour pouvoir effectuer une demande de
crédit auprès des banques privées comme publiques.
Actuellement le processus de légalisation des terres et donc d'obtention
d'un titre de propriété est peu répandu car il est devenu
plus coûteux du fait que l'INDA doit se financer par elle-même ; il
n'y a pas de subvention de l'Etat. De plus, les frais perçus par INDA
finissent par décourager l'agriculteur qui en fait la demande
(Cordelier, 2003).
En revanche, un projet de « légalisation des
terres communales » a été récemment mis en place.
Cette légalisation consiste à définir un territoire pour
l'ensemble de la communauté et à donner un titre de
propriété pour ce territoire. Toutes les familles membres de
l'association peuvent décider d'inclure leurs terres dans le territoire.
Il est important de préciser que, bien que le titre soit communal, les
terres des familles sont toutes individualisées à
l'intérieur de ce territoire.
ISTOM 2010 Mémoire de fin d'études
Cycle INGENIEUR
Les familles gardent donc un droit d'usage librement
transmissible au sein de la famille. Par contre, la communauté a un
droit de regard quand il s'agit de vendre la terre. Ceci a pour but de
sécuriser les terres, notamment face à la vente à de
grands entrepreneurs ou rentiers susceptibles de capter la rente
foncière (Cordelier, 2003).
Si nous regardons les lois de la constitution
équatorienne via les droits des communautés, il est écrit
:
- Article 57 - il est reconnu et garanti aux
communautés, communes, villages et nationalités indiennes,
conformément à la Constitution, aux déclarations, [...],
les droits suivants :
- 5 : conserver la propriété des terres
communautaires est un droit inaliénable, insaisissable et indivisible.
Ces terres seront exemptées des taxes et impôts.
- 6 : Maintenir la possession des terres et territoires
ancestrale et obtenir gratuitement leur légalisation.
Au niveau de la constitution de INDA, il est écrit
:
- INDA est le propriétaire de toutes les terres en
relation avec les lois de l'Etat équatorien, les mêmes terres qui
servent à développer les populations indiennes, [...], et afro
équatorienne. En faveur de ces populations, la légalisation se
fera gratuitement si ces communautés et ethnies respectent leurs
traditions, cultures et organisation sociale propres. (article 3.1.2.1
Legalizacion)
- L'Etat protègera les terres de l'INDA qui sont
destinées aux populations [...] afro équatoriennes et
légalisera leurs terres gratuitement à la condition qu'ils
respectent leur tradition, culture et organisation propre. Sous la
responsabilité de INDA, les éléments qui vont
améliorer leurs systèmes de production, d'obtenir de nouvelles
technologies, récupérant et diversifiant leurs semences, ou
autres facteurs permettant d'élever leur niveau de vie, doivent
préserver le système écologique. (Article 49)
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Dans notre zone d'étude, il y a de nombreux conflits de
terre, principalement entre des communautés afro-équatoriennes,
représentant la majorité des exploitations familiales de notre
zone d'étude, et des grands agro-exportateurs. Le grand problème
de ces populations vient du fait qu'elles n'ont pas de titre de
propriété.
Parmi les 40 % de la population n'ayant pas
légalisé la terre, la part des petits producteurs et
principalement des communautés afro-équatorienne est en
majorité. Pourquoi ?
Si nous nous appuyons sur les textes de lois ci-dessus, on
constate que l'Etat s'est engagé à ne pas faire payer les titres
de propriété à ces populations, ni d'impôts sur le
foncier. De plus, l'Etat insiste que ces terres ne puissent pas être
fragmentées, ainsi qu'exploitées par des populations
extérieures.
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Cycle INGENIEUR
En revanche, les lois de INDA sont floues au travers de la
légalisation gratuite des terres des afro équatoriens entre
autres. En effet, il est écrit que tout développement et
changement des modes de productions doivent être en respect avec
l'écologie. Est-ce une manière de dire que si une
communauté ancestrale (plus de trois générations) associe
du cacao national avec un hybride dans le but de contrer la progression des
maladies, cela signifie donc que cette communauté n'est plus
perçue comme ethnie afro-équatorienne par l'INDA ?
Ce manque de lisibilité dans les textes de loi et cette
différence entre la constitution de l'Equateur et INDA sur la
légalisation des terres, est un énorme problème pour la
majorité des communautés afro-équatoriennes dans le canton
de Quininde, n'étant pas reconnu comme tel par l'Etat. Cela induit
qu'ils doivent payer pour la légalisation de leur terre.
Voici un exemple des démarches à suivre pour
tenir son titre de propriété :
Le producteur voulant légaliser son terrain doit passer
par 7 niveaux différents de démarches administratives
réparties en 3 offices différentes :
1 Il doit réaliser une « Inderacion »,
c'est-à-dire réaliser une cartographie de son terrain
(coûtant entre 150$ et 180$ pour un terrain de moins de 30 ha).
2 Il doit certifier que son terrain ne fait pas partie d'un
espace protégé et qu'il n'est pas déjà
occupé par quelqu'un d'autre.
3 Il doit faire une sollicitude pour un titre de
propriété (il doit transmettre des informations avec preuve
à la clef de son exploitation, depuis combien de temps il est ici,
etc.).
4 Son exploitation est ensuite visitée et
inspectée par un inspecteur de l'INDA faisant le déplacement.
5 Toutes ces informations remontent jusqu'à Quito
où on va lui remettre le prix de la terre de son exploitation.
6 Il doit ensuite aller notarier ses documents pour enregistrer
sa propriété.
7 Enfin, il doit faire de même au niveau de la commune.
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En exemple concret, pour un producteur voulant
légaliser sa propriété ne faisant que 8,1 ha, il devra en
plus du temps des démarches qu'il perdra au détriment de son
travail, débourser plus de 550$, ce qui représente un coût
énorme et le plus souvent impossible à payer.
Du fait des incohérences dans les textes de lois, ces
producteurs sont véritablement vulnérables à perdre leur
terrain, surtout dans un contexte de croissance fulgurante d'agro exportateurs
dans ce canton.
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Cycle INGENIEUR
Voici ci-dessous en résumé les
problèmes actuels des producteurs, principalement les exploitations
familiales de la zone voulant légaliser leur terre afin d'en assurer
leur pérennité :
- Les offices pour légaliser la terre sont
situés seulement à Quininde qui est difficile d'accès pour
des producteurs isolés, sans moyen de transport, dans le canton,
à plus de six heures de « rancherra » (petit bus passant deux
fois par jour au mieux).
- Les exigences administratives sont difficiles pour le
producteur à se procurer (manque de ressources et de documents à
la ferme).
- Le prix du dossier INDA coûte cher, ce qui est
impossible à payer sans aides pour la majorité de petits
producteurs.
- La réalisation des démarches représente
beaucoup de temps perdu (les allers-retours à l'office) ; il faut
compter environ un an pour obtenir son titre de propriété.
- Les informations allant entre les offices INDA communales,
cantonales, nationales sont perdues facilement, ce qui annule le dossier. Il y
a un manque de coordination entre les offices.
Aujourd'hui, l'INDA manque de fonds propres. L'INDA est en
remise en question par l'Etat voulant complètement résoudre ce
problème de concentration et fragmentation de la terre ; cela se
traduisant par la création de nouvelles réformes au niveau des
systèmes de titularisation. De plus, il est question de rendre publique
cette institution qui permettra à l'Etat une marge d'action plus
importante et directe.
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