3-La CEDEAO se remet en scène
L`idée de l`appropriation de la gestion des crises par
les organisations régionales justifie en grande partie la distance que
la France veut prendre dans le cas ivoirien. C`est pourquoi un consensus de
toutes les organisations internationales ayant participé aux
négociations inter ivoiriennes de Marcoussis se dégage
aisément en faveur de la CEDEAO, afin qu`elle poursuivre sa
médiation en Côte d`Ivoire. Le 1er février 2003,
juste après le sommet extraordinaire de la CEDEAO à Dakar
(Sénégal), le Groupe de contact désormais élargi
au
103. SEREQUEBERHAN Hewane, Op.cit., p.328
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Sénégal se rend à Abidjan pour rencontrer
le président Laurent Gbagbo et tient informées l`UA et l`ONU.
La résolution 1464 votée à
l`unanimité le 4 février par le Conseil de Sécurité
des Nations Unies salue les efforts de la CEDEAO, et se félicite des
décisions du 26e sommet extraordinaire des chefs
d`État et de gouvernement de l`organisation tenu le 31 janvier 2003
à Dakar104. Cette résolution autorise par ailleurs le
déploiement de la force de la CEDEAO et de la force française qui
la soutient pour six mois105 . Sur place à Abidjan, la
situation reste tendue à cause des différences
d`interprétations des Accords de Marcoussis et des prétentions
des deux principaux acteurs (le pouvoir et la rébellion). Il faudra donc
aller une fois encore chercher la paix à l`extérieur, à
Accra au Ghana voisin précisément.
a) Les Accords d'Accra II et III
C`est sur invitation du président ghanéen John
Kuofor, président en exercice de la CEDEAO que les protagonistes de
Marcoussis et le président Gbagbo se rendent à Accra pour
s`accorder finalement sur la formation du gouvernement de réconciliation
dont deux moutures avaient déjà été rejetées
par le chef de l`Etat ivoirien. Le conclave se tient du 6 au 8 mars 2003 et
aboutit à ce que certains ont appelé « le compromis d`Accra
» : partis politiques, mouvements rebelles (qui se font appeler depuis
Marcoussis les Forces Nouvelles) et présidence ivoirienne s`accordent
sur la formation du gouvernement. Les pommes de discorde
104. « La Conférence a exprimé sa vive
préoccupation face à la persistance de la crise en Côte
d`Ivoire. Les Chefs d`Etat et de Gouvernement ont réaffirmé leur
décision du 29 septembre 2002 à Accra de privilégier le
règlement de cette crise par des voies pacifiques. Ils ont
décidé d`apporter leur soutien aux résultats des travaux
de la Table ronde sur la Côte d`Ivoire qui s`est tenue à Linas
Marcoussis du 15 au 24 janvier 2003 et ont invité les parties
concernées à travailler ensemble en vue de mettre scrupuleusement
en oeuvre l`Accord qui en a résulté. Les Chefs d`Etat et de
Gouvernement ont lancé un appel pressant au Président de la
République de Côte d`Ivoire, Son Excellence Laurent Gbagbo pour
qu`il s`investisse pleinement dans l`aboutissement du processus de paix.
»
105. A son 9e point, la résolution 1464
stipule que, « Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations
Unies, et conformément à la proposition contenue au paragraphe 14
des conclusions de la Conférence des chefs d`État sur la
Côte d`Ivoire (S/2003/99), autorise les États Membres participant
à la force de la CEDEAO en vertu du Chapitre VIII, de même que les
forces françaises qui les soutiennent, à prendre les mesures
nécessaires pour assurer la sécurité et la liberté
de circulation de leurs personnels et pour assurer, sans préjudice des
responsabilités du Gouvernement de réconciliation nationale, la
protection des civils immédiatement menacés de violences
physiques à l`intérieur de leurs zones d`opérations et en
fonction de leurs moyens, pour une période de six mois à l`issue
de laquelle le Conseil évaluera la situation sur la base des rapports
mentionnés au paragraphe 10 ci-dessous et discutera du bien-fondé
du renouvellement de l`autorisation.
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que sont l`attribution des ministères de
l`Intérieur et de la Défense reviennent à un Conseil
National de Sécurité composé notamment des signataires de
Marcoussis106.
La dernière étape à franchir avant
l`instauration effective du gouvernement de réconciliation nationale
dans les termes fixés par les textes fut le transfert de certaines
prérogatives de l`exécutif au premier ministre.
Conformément à l`article 53 de la Constitution ivoirienne, le
président Gbagbo délégua certaines de ses
compétences au gouvernement par voie d`un décret signé le
10 mars. Les pouvoirs ainsi attribués à Seydou Elimane Diarra,
seize au total, recoupent presque entièrement les missions du
gouvernement de réconciliation nationale ainsi qu`elles figurent dans
les textes des Accords signés à Marcoussis. Mais cette
délégation de pouvoir au premier ministre porte en elle les
germes d`un gouvernement clopin-clopant et se retrouvera quelques mois
après dans l`impasse, incapable d`appliquer les réformes
prévues par l`Accord de Marcoussis. Du fait notamment des accusations de
mauvaise foi et de refus d`appliquer ces accords portées par
l`opposition et les Forces Nouvelles contre le président Gbagbo. Du fait
aussi de la politique de la chaise vide pratiquée par l`opposition et
les ex-rebelles qui tergiversent à désarmer. Par exemple, les
neuf ministres FN suspendirent leur participation au gouvernement le 22
septembre 2003 pour ne revenir que le 6 janvier 2004. Deux mois après,
les FN se joignent à l`opposition et boycottent le gouvernement pendant
quatre mois. La manifestation qu`elle organise les 25 et 26 mars 2003 est
violemment réprimée par le pouvoir (au moins 120 morts selon
l`ONU). Dans la résolution 1479, adoptée le 13 mai 2003, le
Conseil de sécurité crée la Mission des Nations Unies en
Côte d`Ivoire (MINUCI). Le Conseil de sécurité justifie
cette résolution par « l`existence de défis pour la
stabilité de la Côte d`Ivoire et considère que la situation
en Côte d`Ivoire constitue une menace à la paix et à la
sécurité internationales dans la région107
». Sur demande du président
106. Le " Conseil de sécurité ", indique le
communiqué final, comprendra " le président de la
République, le Premier ministre, un représentant de chacune des
forces politiques signataires de l`accord de Marcoussis, un représentant
des Fanci (Forces armées nationales de Côte d`Ivoire), de la
gendarmerie nationale et de la police nationale ". C`est sur proposition de ce
conseil que les futurs ministres de l`Intérieur et de la Défense
seront désignés par le président Laurent Gbagbo.
107. L` ONUCI aura une durée initiale de 12 mois à
compter du 4 avril 2004 et comprendra, en sus de l`effectif civil, judiciaire
et pénitentiaire approprié, une force de 6 240 militaires des
Nations Unies au maximum, dont 200 observateurs militaires et 120 officiers
d`état-major, et jusqu`à 350 membres de la police civile. En
coordination avec les forces françaises l`ONUCI sera notamment
chargé de : observation du cessez-le-feu et des mouvements de groupes
armés ; Désarmement, démobilisation, réinsertion,
rapatriement et réinstallation ; appui à la mise en oeuvre du
processus de paix ; assistance dans le domaine des droits de l`homme ;
information et ordre public.
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Laurent Gbagbo et de la CEDEAO entre autres, la MINUCI
deviendra en février 2004 une opération de maintien de la paix :
l`Opération des Nations Unis en Côte d`Ivoire (ONUCI).
Face au blocage et aux risques d`escalade, John Kuofor
président du Ghana et président en exercice de la CEDEAO et le
secrétaire général de l`ONU Kofi Annan, invitent à
nouveau tous les participants du précédent sommet à
revenir ibidem. En présence d`une dizaine de chefs d`Etat africains dont
Thabo Mbeki d`Afrique du Sud et Blaise Compaore du Faso, les forces politiques
ivoiriennes vont se réunir du 29 au 30 juillet 2004 pour s`entendre sur
ce qui sera appelé les Accords d`Accra III108. Elles disent
notamment réitérer leur engagement aux principes et programme de
gouvernement contenu dans les accords de Linas-Marcoussis et d`Accra II. Elles
ont aussi réaffirmé leur détermination à s`engager
résolument dans la voie d`une application intégrale et
inconditionnelle desdits accords. Le 9 août, le conseil des ministres se
tient avec 41 membres sur 42. Les trois ministres FN limogés quelques
mois avant par le président de la république ont
été réintégrés dans leurs fonctions. Le
processus de sortie de crise paraîtra se mettre une fois sur les rails
mais les dissensions ont la peau dure. Le 20 octobre, la CEDEAO tire la
sonnette d`alarme et dit exprimer avec préoccupation l'absence de
progrès enregistré dans le processus de paix en Côte
d'Ivoire. On en était là lorsqu`intervint l`Opération
Dignité : l`aviation des FANCI bombarda les villes de Korhogo et Bouake,
tuant civils (86 selon les FN) et neuf militaires
français109.Violation flagrante du cessez-le-feu, ce
bombardement a été condamné à l`intérieur et
à l`extérieur du pays. Le 15 novembre 2004, sur proposition de la
France, le Conseil de Sécurité vote la résolution 1572 sur
les armes en Côte d`Ivoire et un régime de sanctions contre des
individus des deux camps considérés comme des obstacles à
la paix. Mais, quelques jours avant (le 6 novembre) le président
nigérian, Olusegun Obasanjo, président en exercice de l`UA a eu
à Ota au Nigeria, des consultations avec la Commission de l`UA et Nana
Addo Akufo-Addo, le ministre ghanéen des Affaires
étrangères, représentant le président John Kufuor,
président de la CEDEAO. Au terme de cette rencontre, le président
Thabo Mbeki reçoit mandat du président en exercice de l`UA
d`entreprendre d`urgence en Côte d`Ivoire une mission en consultation
avec la
108. Accra III revient sur tous les points des Accords
antérieurs et notamment les conditions d`éligibilité
à la présidence.
109. La riposte de la Licorne détruisit l`aviation
ivoirienne au sol à Yamoussoukro. Cette réaction française
entraina à son tour de violentes manifestations antifrançaises
à Abidjan notamment. Les militaires français tueront pendant ces
manifestations 67 personnes, des milliers de blessés seront aussi
dénombrés. Plus de 8000 fiançais et environ 2000 autres
européens quittèrent la Côte d`Ivoire à la suite ces
événements.
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Commission de l`Union africaine, en vue de promouvoir une
solution politique110. L'Union africaine qui jusque là avait
simplement mandaté un envoyé spécial pour suivre les
différentes initiatives de la CEDEAO et les appuyer se saisit
résolument du dossier ivoirien. Thabo Mbeki, sera l`artisan des
négociations et Accords de Pretoria...
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