La CEDEAO dans la crise ivoirienne: 2002- 2007( Télécharger le fichier original )par Didier Parfait BAPIDI- MBON Université Jean Moulin Lyon 3 - Master 2 en science politique 2010 |
INTRODUCTIONUniversité Jean Moulin Lyon 3 Année académique 2009-2010 10 Programme d'Enseignement à Distance Master 2 Science Politique Après la guerre froide et l`avènement du multipartisme en Afrique au début des années 90, des conflictualités internes ont abouti notamment dans certains pays de l`Afrique de l`Ouest, à des guerres fratricides. Au Liberia, en Sierra-Léone, en Guinée-Bissau et en Côte d'Ivoire entre autres. Dans toutes ces crises, la Communauté Economique des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a joué un rôle prépondérant pour ramener l`ordre et éviter le pire. Sa force d`intervention l`ECOMOG1 a mis un terme à la guerre civile au Liberia (1990), en Sierra Leone (1997 et 2003), en Guinée-Bissau (1998) et en Côte d`Ivoire (2003)2. « Toujours préoccupée par la paix et la stabilité dans son espace, la CEDEAO s`est intéressée, en dehors des opérations militaires, aux crises politiques qui ont secoué certains de ses Etats membres. Il s`agit de la Guinée Bissau en 2000 et 2003, du Togo en 2005 et de la Guinée Conakry en 2007 où elle a initié plusieurs actions politiques et diplomatiques pour un retour à la normalité dans ces différents Etats3 ». Ce sont ces actions politiques et diplomatiques que l`organisation sous-régionale a commencé à mener au lendemain du coup d`état manqué du 19 septembre 2002 en Côte d`Ivoire. Une posture constante qui conforte l`idée selon laquelle, l' « appropriation » africaine de la sécurité collective est devenue un concept-clé pour la gestion des crises sur le continent : les puissances extérieures encouragent cette prise de responsabilité et y voient un gage de légitimité et un moyen de « partager le fardeau », tandis que pour leur part, les Etats africains y expriment la prise en mains de leur destin4. Ce renouveau de l`afro-appropriation de la gestion des crises tire ses racines au début des années 90. Dans son Agenda pour la paix publié en 1992, le Secrétaire-général de 1 ECOMOG : Economic Community for West African States Cease-fire Monotoring Observer Group. De groupe de supervision, l`ECOMOG est devenu une force d`interposition en 1999. Composé de plusieurs modules polyvalents (civils et militaires) en attente dans leurs pays d`origine et prêts à être déployés dans les meilleurs délais , l`ECOMOG est chargé entre autres :de la mission d`observation et de suivi de la paix; du maintien et rétablissement de la paix; de l`action et de l`appui aux actions humanitaires; du déploiement préventif; des opérations de consolidation de la paix, du désarmement et de la démobilisation. 2 DOUKOUA MAHAMIDOU Alassane : Le rôle des acteurs sous-régionaux dans l'intégration économique et politique : l'étude de cas de la CEDEAO, Université des Sciences Sociales de Toulouse 1, 2006-2007, p.14 3. MAHANOUN Maurice: La CEDEAO dans les crises et conflits ouest africains, Institut de Recherches et d`Etudes en Relations Internationales et Européennes, juin 2007, p.23 4 DULAIT André (dir), HUE Robert (dir), POZZO di BORGO Yves (dir) et BOULAUD Didier (dir) : La France et la gestion des crises africaines : quels changements ?, Rapport d`information au Senat français en juillet 2006, p.18 Université Jean Moulin Lyon 3 Année académique 2009-2010 11 Programme d'Enseignement à Distance Master 2 Science Politique l'ONU, Boutros Boutros Ghali, consacre un chapitre à la « coopération avec les acteurs et organismes régionaux » dans le cadre du chapitre VIII de la Charte des Nations Unies. C`est un peu ce que Luk Van Langenhove5 appelle l`« ordre mondial régional ». Si les organisations régionales prennent désormais autant d`importance dans les questions internationales, c`est parce que beaucoup de pays, en Afrique de l`Ouest notamment, sont instables pour des raisons diverses. Fort opportunément, Michael W. Doyle et Nicholas Sambanis6, annoncent que l`ONU et les organisations régionales auront fort à faire, si on s`en tient aux prévisions de la Central Intelligence Agency (CIA ) pour qui, d`ici 2015, les conflictualités internes seront la menace la plus fréquente pour la sécurité internationale. Ce qui signifierait que les conditions de leur émergence seront les mêmes ou alors pourraient s`empirer. Nous essayerons de comprendre cette logique de transfert de la responsabilité de protéger de la communauté internationale à la lumière de la théorie des « Etats fragiles » ou des « Etats faillis », (Failed States)7. Pour Jean-Loup Samaan8, l`effondrement d`un État se définit par l`incapacité des dirigeants de ce dernier, généralement minés par la corruption et le patrimonialisme, à assurer un minimum de régulation politique, à fonder un pacte social et à conquérir une légitimité minimale. Mais, la définition d` « Etat failli » est très large, englobant autant les aspects politique, économique, humanitaire ou sécuritaire. Dans la théorie, postule Jean-Marc Châtaigner9, « le mot est souvent employé sans que son sens
9 CHATAIGNER Jean-Marc, « Agir en faveur des acteurs et des sociétés fragiles. Pour une vision renouvelée des enjeux de l`aide au développement dans la prévention et la gestion de crises, Agence Française de Développement, septembre 2005, p.5 Université Jean Moulin Lyon 3 Année académique 2009-2010 12 Programme d'Enseignement à Distance Master 2 Science Politique soit en fait précisé. La définition minimale du ministère britannique du Développement international (DFID) insiste sur la non-réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) comme critère principal d`une « fragilité » calculée à partir de l`échelle de la Banque mondiale et qui concernerait 14 % de la population mondiale (870 millions d`habitants, principalement en Afrique subsaharienne). La doctrine américaine, en revanche, refuse toute réalité à un ensemble d`« Etats fragiles» qui se confondrait essentiellement avec le groupe des pays les moins avancés (PMA), lorsqu`on compare les agrégats économiques aux agrégats de gouvernance. Elle insiste sur la spécificité absolue des cas individuels de « fragilité », des pays démunis mais en paix relative, ne devant pas être traités de manière similaire à des Etats potentiellement riches mais ravagés par des guerres civiles (République démocratique du Congo, Côte d`Ivoire, Soudan) ». Mais le débat n`est pas pour autant clos. Shahrbanou Tadjbakhsh10 rappelle que deux écoles de pensée sont à l`origine de la littérature sur les Etats fragiles. « L`école réaliste conceptualise les Etats fragiles comme étant dangereux pour la sécurité nationale et internationale. Les Etats faibles précise-t-elle, sont déterminants pour la sécurité internationale dans le sens où leur faiblesse peut "déborder" par effet de spill-over et menacer les Etats voisins. En revanche, l`école développementaliste s`intéresse à l`efficacité de l`aide dans les "environnements difficiles". L`on retrouve ici les institutions financières internationales (IFI) qui évaluent la possibilité d`accorder de l`aide aux Etats dits fragiles ». Néanmoins, remarque-t-elle, « les deux visions ont eu tendance à se rapprocher, entraînant ainsi des réponses qui mettent l`accent tant sur la lutte contre le terrorisme que sur l`éradication de la pauvreté et sur le renforcement de la démocratie ». Beaucoup plus précisément, Janine Krieber11 définit l`État fragile comme un État qui connaît une crise de ses trois fonctions principales qui sont : (1) assurer la sécurité de la population, (2) garantir une répartition équitable des ressources et (3) assurer la représentation politique des différents groupes qui évoluent au sein de la société. L`incompétence de l`État à gérer ces fonctions précise-t-elle, permet à certains groupes d`utiliser des moyens qui autrement seraient non légitimes, tels que la violence ou le terrorisme. « Ainsi, la fragilité étatique ne doit pas se résumer à la pauvreté et au sous-développement, elle doit avant tout se comprendre en termes d`incapacité à gérer la compétition politique interne et à imposer un état de paix acceptable pour tous les groupes ». La comparaison avec la Côte d`Ivoire n`est pas fortuite. A un moment donné ou à un autre, elle est apparue ou apparaît encore comme un « Etat failli ». En 2006, elle est ainsi considérée par la Banque mondiale. En 2009, la Côte d`Ivoire est 11e parmi les 14 États classés comme « en situation critique »12.
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