Mémoire, identité et dynamique des générations au sein et autour de la communauté harkie. Une analyse des logiques sociales et politiques de la stigmatisation.( Télécharger le fichier original )par Emmanuel BRILLET Université Paris IX Dauphine - Doctorat de sciences politiques 2007 |
B. La notion de « déchirement » (Vincent de Gaulejac) : « l'insécurité ontologique des enfants de harkis, entre irrésolution identitaire et ambivalence des sentiments filiaux » (Mohamed Kara)Selon Jean-Claude Deschamps et Alain Clémence, la notion d' « équilibre cognitif », conceptualisée notamment par Fritz Heider1563(*) et Leon Festinger1564(*), part de l'idée qu'il existe chez l'individu un « besoin » fondamental d'organiser ses relations interpersonnelles, d'atteindre à une vision équilibrée, congruente de son environnement, « de telle manière que, dès qu'il y a déséquilibre, il y a tentative de restaurer un état équilibré ». Et ils ajoutent : « La non cohérence, l'inconsistance, ou même la contradiction, entraînent un processus d'autorégulation visant à restaurer la cohérence ou l'équilibre »1565(*). Or, en l'espèce, la mise en branle de tels mécanismes d'autorégulation et de retour à la consonance cognitive est rendue particulièrement difficile du fait de la situation décrite par le triangle de stigmatisation (voir ci-dessus). Les enfants de harkis, nous l'avons vu, vivent en France dans le paradoxe de ne pouvoir être (du fait de l'amalgame avec les populations issues de l'immigration maghrébine) et de devoir ne pas être (pour ne pas s'exposer aux avanies véhiculées par ceux-là mêmes avec lesquels ils sont ordinairement confondus). Et le silence du père, parce qu'il ne sait pas ou ne veut pas expliquer, va, d'une certaine manière, "donner raison" aux éléments de stigmatisation. La honte surgit dès lors au centre des possibilités chez l'individu stigmatisé. Celle-ci, précisément, peut être définie comme un « méta-sentiment », « un conglomérat de charges et de réactions émotionnelles, d'affects, de sensations où se mêlent des aspects psychoaffectifs et psychosociaux » ; selon Vincent de Gaulejac, ces différents aspects « peuvent, soit se compenser et faciliter les processus de dégagement, soit se renforcer mutuellement et enchaîner le sujet dans l'impossibilité de trouver une issue aux contradictions qui le traversent »1566(*). En l'espèce, la honte liée au poids des "étiquetages" dans l'ordinaire des relations sociales se nourrit de l'ambivalence des sentiments filiaux (ambivalence liée à la "démission" apparente des pères face aux pressions inhibitrices de l'environnement social). Il s'ensuit une forme de "noeud socio-psychique" qui ajoute la culpabilité à la honte : c'est la "honte d'avoir honte". C'est aussi ce que suggère Mohamed Kara, qui évoque, à propos des enfants de harkis, « un sentiment de double honte : honte persistante de son stigmate et, contradictoirement, honte de ne point l'assumer »1567(*). De même, Erving Goffman souligne que « celui qui fait semblant doit se sentir déchiré entre deux attachements », car « il ne peut manquer de se sentir déloyal et de se mépriser quand il ne réagit pas contre les remarques «insultantes» qu'adressent les membres du groupe au sein duquel il fait semblant à ceux de la catégorie hors de laquelle il feint d'être, surtout s'il lui paraît dangereux de se tenir à l'écart de ces séances de dénigrement »1568(*). En témoigne Kamel, interrogé par Mohamed Kara : « C'est plus douloureux parce qu'on se sent frustrés. Normalement, on devrait dire qu'on est harkis et qu'ils se trompent en étant racistes (les immigrés), ils ne connaissent pas l'histoire »1569(*). Aussi, placés routinièrement - c'est-à-dire au gré de leur « ronde journalière » - au coeur d'une situation d'intercommunication paradoxale, et parfois durablement confrontés à l'interdit paternel, les enfants de harkis traversent généralement, à un moment ou à un autre de leur « itinéraire moral », ce que Vincent de Gaulejac décrit comme une situation de « déchirement ». La notion de « déchirement » est définie par cet auteur comme « le produit de contradictions face auxquelles le sujet ne trouve pas de médiations satisfaisantes »1570(*) : « D'une part, on avait les Français "de souche" qui, eux, nous considéraient comme... «l'Arabe» voire, pour certains, «le bougnoule» tout simplement, et puis de l'autre côté vous aviez l'immigré algérien qui lui nous disait : «Mais ça c'est des harkis ou fils de harkis», avec tout ce que ça a de péjoratif quand c'est dit par un Algérien, c'est-à-dire que c'est un traître, vous comprenez » (Mohamed, 42 ans). Dès lors, adolescent, Mohamed (42 ans) en vient à se sentir complètement "paumé" ; lui qui a perdu très tôt son père manque, plus encore que ses camarades peut-être, des référents, des repères nécessaires pour faire face aux assignations statutaires, le plus souvent contradictoires, mais qui toutes tendent à les marginaliser, dont sont l'objet les membres de la communauté harkie : « Et donc, c'est vrai que nous... on était là, on... nos repères, nos références, on en avait pas, on savait pas si on était français, si on était arabes, si on était... on le savait pas du tout parce quelle que soit la personne avec qui on pouvait parler, on ne pouvait jamais s'associer ni à son discours, ni à ses références à elles parce que bon... on était rejetés, tout simplement. Et c'est vrai que, encore une fois, en tant qu'adolescent, c'est quelque chose qui vous trouble pendant des années, et... en ce qui nous concerne, moi et des dizaines d'autres enfants à l'époque, on a eu du mal à se raccrocher à quelque chose, on a eu du mal à se dire : «Bon, ben... on va dans cette direction ou dans celle-là», parce qu'on était paumés, tout simplement, on était paumés ». K.D. Bouneb constate « l'incapacité [de certains enfants de harkis] d'avoir une identité propre investie positivement. Les jeunes ne possèdent ni groupe de référence, ni groupe d'appartenance précis, c'est en marge de deux cultures [et de deux mémoires] qu'identification et identité, chez eux, se constituent et se structurent, et les difficultés de rejet vont être une entrave à une identification valorisante (...). Le désir d'avoir une identité propre [leur] est refusé aussi bien par la société d'origine que par la société d'accueil »1571(*). Soulignant le rôle déterminant du regard de l'autre dans la qualité de l'adaptation de la deuxième génération, l'auteur ajoute : « Etre traité de «fils de traître» par les Algériens ou de «bougnoule» par les Français, cela n'est pas sans conséquence sur le devenir psychologique du jeune, enfant de harki »1572(*). Il cite, à cet égard, le témoignage de N., 17 ans, fille de harki : « (...) mais il y a une chose qui me désole beaucoup, c'est que nous les Français Musulmans, nous sommes pris entre deux feux, nous sommes comme des girouettes. Pour les Français, nous ne sommes pas chez nous, car ce n'est pas écrit sur notre front qu'on est des Français. Et si nous voulons aller en Algérie, on nous dit : «oui, vous êtes des Français, retournez chez vous !». Alors vers qui se tourner ? Et dire qu'après plus de 20 ans l'Algérie est toujours aussi rancunière envers nos parents, qui par la faute de cette rancune ne peuvent plus retourner voir leur pays, leurs familles. Alors, lorsque l'on nous dit à nous les jeunes : vous êtes des Français à part entière, je rigole, car comment voulez-vous être Français ou Algérien en étant souvent rejeté des deux côtés. Nous sommes de vraies girouettes »1573(*). Mohamed Kara souligne ainsi que « c'est la réversibilité des effets de leur identification par autrui, selon qu'elle s'effectue par les Français de souche européenne ou les enfants d'immigrés, qui est source de tension morale permanente et d'insécurité ontologique. (...) Selon l'interlocuteur, le harki tendra à l'exaltation factice de certains traits identitaires susceptibles de lui faciliter l'inclusion parmi les Français de souche européenne ou, alternativement, à occulter des informations stigmatisantes vis-à-vis des immigrés algériens et de leurs enfants. (...) En permanence et selon les circonstances, le harki s'aliène dans un personnage et édifie, bricole même, un rôle de composition ». Et il ajoute : « L'enfant de harki est agi, plus qu'il n'agit, par les termes confus de ce paradoxe identitaire qui scelle son irrésolution »1574(*). De même, par « atteintes à l'unité de sens », Carmel Camilleri désigne les atteintes à la cohérence entre la « fonction ontologique » de l'identité et sa « fonction pragmatique », la seconde étant régie par l'accommodation à l'environnement1575(*). Précisément, par-delà l'amalgame et la flétrissure per se, ce sont les stratégies adaptatives visant à composer avec le regard de l'autre qui - plus encore - sont susceptibles de toucher à l'estime de soi de l'individu stigmatisé. De telles stratégies marquent en effet l'intériorisation du stigmate par le sujet, elles fabriquent de l'aliénation : la dialectique dissimulation/divulgation, entre "faux-semblant" à l'égard des populations issues de l'immigration et "surmarquage des attributs de francité" à l'égard du groupe majoritaire, condamne les enfants de harkis à vivre sans cesse dans l'intermédiarité, la composition, le "bricolage identitaire". Dans les cas extrêmes, l'identité sociale constitue un "faux-self", servant à masquer et à protéger le "vrai self" (Donald W. Winnicott). A cet égard, Edmond-Marc Lipiansky avance l'hypothèse que plus les limites du moi intime sont mal établies, plus l'identité pour soi est fragile ou mal étayée, et plus fortes seront la coupure et la barrière entre le moi social et le moi intime. En l'occurrence, la difficulté d'assumer aux yeux d'autrui une filiation aux frontières mal établies dépêche la dilution du moi intime des fils et filles de harkis lors des contacts "mixtes". Ce faible degré de correspondance, cette faible "congruence" (Carl Rogers) entre le moi intime, la conscience qu'en a le sujet et la façon dont il l'exprime socialement dans ses relations à autrui est source de souffrance pour les intéressés : « J'ai beaucoup de mal à le dire et... je le dis en fait quand je suis au pied du mur, quand je peux pas esquiver (...) ; ça me fait peur d'en parler, j'ai pas envie que les gens le sachent (...) c'est assez difficile à porter (...) c'est pas quelque chose que je dis spontanément quand je rencontre quelqu'un » (Dalila, 23 ans) ; « C'est-à-dire qu'on est obligé de cacher ce qu'on est parce que aussi bien du côté français que du côté algérien, euh... on se fera toujours insulter par des gens... côté français qui sont plus ou moins de tel bord politique, on se fera toujours insulter de «traîtres» et de... d'«enfants de traîtres», etc., et du côté algérien, c'est encore pire, donc quelque part on en souffre de ne pas pouvoir revendiquer ce qu'on est. Voilà, c'est... c'est très, très difficile et c'est... des fois ça peut vous briser (...) » (Jacqueline). « On comprend donc, écrit Erving Goffman, que le faux-semblant soit un phénomène qui a toujours amené à se poser des questions sur l'état d'esprit de ceux qui s'y livrent ». Et il ajoute : « Avant tout, on suppose qu'à vivre une existence sans cesse en danger de s'effondrer, le dissimulateur doit nécessairement payer un prix psychologique très lourd, connaître une angoisse très profonde »1576(*). C'est assurément le cas de Leila, 39 ans, qui a perdu son père alors qu'elle était encore enfant, et qui ne sait comment se défaire de l'étiquette infamante accolée à son père - cette « tare morale contagieuse »1577(*) - et du mal de vivre qui lui est corrélatif : « Être harki, c'est être coupable. On m'a collé une étiquette, "harki", et elle ne me quittera jamais. (...) J'ai vu des psychiatres, mené plusieurs psychothérapies, pris des médicaments. Mais je me sens impuissante face à ce problème. Je ne peux pas déclarer la vérité à tout le monde, ni changer les mentalités. Dans l'esprit des gens, le harki reste un traître, un point c'est tout. Et moi, je me sens fragilisée par tout ça »1578(*). Il peut résulter de cette atteinte à la cohérence entre la « fonction ontologique » de l'identité et sa « fonction pragmatique » une forme d'incapacité des individus à se constituer en acteurs. Cette incapacité se traduit par des comportements de retrait, de raréfaction des relations amicales et sociales. Vincent de Gaulejac note qu' « une fois installée, la honte devient alors inhibition ». « Le sujet, ajoute-t-il, redoute toutes les situations qui pourraient réveiller sa blessure. Il les évite, tend à s'isoler, à se replier sur lui-même, à se couper de toute relation pour ne risquer de revivre une telle violence »1579(*). « En gardant ainsi ses distances, écrit Erving Goffman, l'individu discrédité parvient du même coup à limiter les tendances qu'ont les autres à se construire une image de lui »1580(*). La situation de Karim, qui vit seul à Paris, est exemplaire à cet égard : « Moi, je te dis franchement, depuis que je suis à Paris : boulot-maison, boulot-maison, de temps en temps je sors voir des amis, mais autrement, aller me balader dans Paris, pour être catalogué, pour être euh... pour qu'on te dévisage... (...) Ce que je ne tolérerai jamais, c'est que... on est des bouc émissaires, on nous confond, on sait pas qui on est, qui nous sommes. Ils vont dire : «C'est des Arabes». Et puis voilà, c'est clair ». S'agissant plus spécifiquement des populations "assignées", socialisées dans des "sites réservés" en marge de la société d'accueil et du "Nous" de référence, l'intériorisation du stigmate peut générer des phénomènes de repli communautaire, de mise au ban "volontaire" par rapport au reste de la société, sur un mode plus ou moins anomique. Ainsi en va-t-il des attitudes et comportements de certains jeunes enfants de harkis issus des sites "ségrégés" de Largentière (la ville fut d'ailleurs classée "site sensible" en 1981) ou Lodève, par exemple. La relégation géographique originelle, liée au parcage et à la mise sous tutelle par les autorités de familles jugées globalement inaptes à s'intégrer au mode de vie métropolitain (voir la Partie 1), a accouché, pour les générations nées et socialisées dans ces territoires d'exception, d'une relégation sociale différée en même temps que de la cristallisation progressive d'un sentiment sinon d'une "culture" de la marginalité. A cet égard, Vincent de Gaulejac pointe les effets de « glissement entre situation sociale et qualité morale »1581(*) (perçue et auto-attribuée), à travers « la chaîne : mépris, relégation, perte symbolique de l'utilité sociale, mise en cause de l'identité collective et personnelle, retrait social, mépris, relégation, etc. »1582(*). Le cas de Lodève (dans l'Hérault), qui m'a été rapporté par un étudiant en sciences politiques issu d'une famille lodèvoise "de vieille souche", illustre la lente cristallisation, d'une génération l'autre, de la logique de l'exclusion. À leur arrivée, les familles de Français musulmans rapatriés étaient communément désignés par les Lodévois sous le vocable de « harkis », conformément à leur statut durant la guerre d'Algérie. En dehors des activités salariées, les contacts "mixtes" restaient exceptionnels, les anciens harkis et leurs familles vivant dans une cité à l'écart du village. Cette situation d'enclosure relative, acceptée avec "fatalisme" (et peut-être aussi parfois avec soulagement) par la génération des pères, fût progressivement perçue comme une situation d'exclusion par les générations suivantes, confrontées dès leur plus jeune âge au décalage existant entre le discours de l'intégration et les conditions pratiques de sa (non-)matérialisation dans un cadre à la fois ségrégé, donc, et progressivement sinistré au plan industriel. Sensibles au regard porté sur leurs parents (et à la résignation apparente de ces derniers face à la situation qui leur était faite), et rendus amers par les conditions de leur socialisation, certains enfants de harkis ont pu ainsi développer des comportements qui - plus ou moins "volontairement" - les plaçaient en porte-à-faux avec la société « d'accueil », conformément à la logique de l'exclusion décrite par Vincent de Gaulejac. Celle-ci veut que la perte de l'estime de soi [l'intériorisation du stigmate] s'objective dans des comportements asociaux à l'encontre de l'environnement immédiat, comportements qui, à leur tour, alimentent la chaîne de l'exclusion. Or, la multiplication des actes d'incivilité n'est pas sans conséquence sur la perception des intéressés par la communauté villageoise. C'est ainsi que, toujours selon notre source estudiantine, les Lodévois, au vu des actes de petite délinquance dont certains enfants de harkis se rendent effectivement responsables, les ont progressivement assimilés aux jeunes issus de l'immigration maghrébine, ou plutôt à leur stéréotype négatif. De fait, sans égard pour la destinée de leurs parents, les générations suivantes sont désormais désignées sous le vocable indifférencié (et connoté péjorativement dans l'esprit de ceux qui l'emploient) d' « Arabes ». Il en résulte, d'une part, que les intéressés sont symboliquement exclus de la communauté villageoise - l' « Arabe » c'est l' « Autre » - et que, d'autre part, ils sont dépouillés de leur spécificité pour être assimilés à un groupe - les "Beurs" - dans lequel ils peuvent ne pas se reconnaître et qui, par surcroît, est susceptible de les rejeter. Et l'on pressent combien cette déictique dépersonnalisante est à même de nourrir la chaîne de l'exclusion, avivant frustration et sentiment de perte de l'utilité sociale, et motivant en retour des comportements de retrait ou de mise au ban volontaire. De même, à Largentière (Ardèche), où j'ai séjourné, c'est la défiance, la crispation sur les identités qui l'emportent sur l'ouverture à l'autre (y compris au sein des jeunes générations). Le quartier de Volpillaire, où furent accueillis les anciens harkis et leurs familles en 1962 est situé sur des hauteurs insoupçonnées (car barrées par la végétation) depuis le bourg, qui plus est sur le versant opposé (à l'instar de la mine argentifère, désaffectée depuis le début des années 1980, distante de seulement cinq cent mètres), à 3 kilomètres du coeur de Largentière. Situation d'enclosure relative et déclin de l'activité industrielle, donc, là encore. Il est vrai que cette implantation avait été opérée en dépit de la volonté des autorités municipales de l'époque, grâce à la mise à disposition par l'armée de terrains dont elle était propriétaire. Il est clairement apparu, au cours de mon séjour, que les passerelles entre autochtones et familles de harkis étaient peu nombreuses, tant au plan de la vie de la cité (on ne compte qu'une fille de harki au sein du Conseil municipal alors que la communauté harkie représente près de 20% de la population de Largentière) qu'au plan de la sociabilité proprement dite : les hommes ne fréquentent pas les mêmes cafés, et l'Union Sportive de Largentière (le club de football local) loin de jouer un rôle de trait d'union entre jeunes "gaouris" (Français dits "de souche") et enfants de harkis est l'objet d'ambitions mutuellement exclusives (voir l'Annexe n°2 : « De l'entre-soi des rencontres de football dominicales à Largentière au repli communautaire »). Jean-Claude, un fils de harki de 31 ans, qui exerce la profession d'aide-soignant et s'investit en tant que secrétaire au sein de l'association des harkis et de leurs enfants (voir supra), m'a fait bénéficier de son regard distancié sur sa propre communauté. Sa position, il est vrai, est relativement atypique puisqu'il est l'un des seuls, parmi les jeunes de sa génération, à avoir poursuivi des études supérieures et réussi un concours administratif : « J'ai dû d'abord m'intégrer à ma propre communauté », reconnaît-il. Jean-Claude regrette l'absence de mixité au sein de l'équipe de football de Largentière, son côté « harka reconstituée » depuis sa reprise en main par des jeunes issus de la communauté il y a deux ans. Cette fermeture relative lui semble préjudiciable à une véritable intégration de la deuxième génération dans le tissu social de Largentière : « Les "gaouris", dit-il, ont peur de venir jouer dans l'équipe, ils craignent d'être rejetés, voire d'être violentés ». Comment en est-on arrivé là ? Jean-Claude insiste sur l'« arriération » des mentalités sur Largentière, tant d'un côté que de l'autre : il pointe à la fois la mentalité « paysanne » (qu'il emploie au sens de « rétrograde ») des populations autochtones, qui les préparait mal à s'accommoder de l'arrivée massive de populations allogènes, et le fait que les enfants de harkis ont tendance à reproduire certaines traditions « aliénantes » héritées de leurs parents, notamment la séparation garçons/filles (très prégnante, au point que les filles demeurent relativement "invisibles" dans la ville1583(*)). A rebours de certains de ses congénères, qui disent vouloir constituer une liste à fort accent communautaire pour s' « emparer » de la mairie, Jean-Claude marque plus nettement sa volonté, au cas où il participerait à la compétition électorale, de figurer au sein d'une liste pluraliste où les candidats issus de la communauté harkie figureraient en nombre limité (pas plus de 3). Plus généralement, il refuse le repli sur soi fataliste de ses congénères, tout en concédant que son pouvoir de changer les choses à cet égard reste limité : « Déjà, quand j'étais au primaire, et au collège ensuite, on était deux clans : y'avait le clan des... des Français, "de souche", et nous. Pour te dire, j'étais le seul à faire l'intermédiaire entre les deux. Le seul. Que ça soit au primaire ou au collège. Au lycée, bon, là, par contre, on était tellement en minorité que... on faisait difficilement le clan : j'étais le seul au lycée ». Les attitudes de Jean-Claude renvoient à la notion goffmanienne de « normification », à savoir « l'effort qu'accomplit le stigmatisé pour se présenter comme quelqu'un d'ordinaire, sans pour autant toujours dissimuler sa déficience »1584(*). A l'inverse, les propos de Rachid et Mohamed (28 ans), par exemple, sont illustratifs de cette "tentation du repli communautaire"1585(*) qu'avive, à Largentière, la socialisation dans un environnement clos, en marge des grands noeuds de communication et des grands bassins de vie et d'emploi : « Je vais te dire un truc : tu sais c'est qui les racistes en... en Ardèche ? A Largentière, je te parle, c'est pas nous les Arabes qui sommes racistes ; et je vais te dire même mieux, on est plus avancés qu'eux. On est même plus avancés que les Français quelques fois. C'est eux qui sont racistes, les paysans du coin, les jeunes paysans du coin, et tout, pas que les paysans, les jeunes en général. Ils en sont encore euh... euh... euh... «Sale Arabe !», j'sais pas si à Paris tu l'entends : «Sale Arabe !», ou... à Paris, c'est mélangé, quoi, tu vois, c'est mélangé, c'est bien mélangé, y'a pas tellement de problèmes comme... ici, tu sais, c'est quoi ? C'est les "Arabes" , tu vois ce que je veux dire, c'est les Arabes » (Mohamed, 28 ans). « Et c'est vrai aussi qu'on a une grande gueule, on accepte pas euh... on est les premiers "rebeus", on va dire, dans le coin... à s'être rebiffés ; et du coup : «Largentière, ouais, c'est des sauvages». Mais les gens qui viennent à Largentière, qui s'installent à Largentière, qui y vivent, qui y ont des vacances, on va dire, qui ont la chance de nous rencontrer nous, les fils de harkis ou d'autres, des fils d'immigrés ou quoi que ce soit, se rendent compte que non, ils avaient tout faux, c'était que des ragots. Tu comprends où je veux en venir ? »1586(*) (Rachid). Mohand Hamoumou souligne ainsi que « la concentration et l'isolement d'une minorité conduisent à des projections, des interprétations, qui génèrent la marginalisation de cette minorité ». Et il ajoute : « Les harkis, en certains lieux comme à Bias, Narbonne ou Jouques, n'ont pas fait exception à cette règle sociologique. Leur mise à l'écart a empêché les autochtones de les connaître réellement. La concentration a mis en avant, en les amplifiant, les différences culturelles du groupe plutôt que les qualités individuelles de ses membres. (...) L'isolement provoque un sentiment d'exclusion et par réaction de défense, un repliement sur sa culture d'origine. Ce retour aux sources, parfois ostentatoire et agressif, est vécu par l'environnement comme un refus d'intégration, alors qu'il est la conséquence d'un sentiment de rejet. On mesure la difficulté de sortir d'un tel cercle vicieux »1587(*). Par-delà même ces comportements de repli et de fermeture à l'autre (au sens d' « autrui généralisé »), l'intériorisation du stigmate, et de la honte qui lui est corrélative, peut induire des attitudes de forclusion de la figure du père (cet « autrui significatif »1588(*)), c'est-à-dire de rejet de tout ce qui, symboliquement, rattache l'enfant à la trajectoire singulière de son père, même si un tel positionnement est l'exception plutôt que la règle. Erving Goffman évoque à cet égard « l'ambivalence qui imprègne l'attachement de l'individu pour sa catégorie stigmatique »1589(*), laquelle ne vas pas sans vacillation, notamment à l'adolescence, marquée par une plus grande perméabilité aux influences extérieures : « Les critères que la société lui a fait intérioriser sont autant d'instruments qui le rendent intimement sensible à ce que les autres voient comme sa déficience, et qui, inévitablement, l'amènent, ne serait-ce que par instants, à admettre qu'en effet il n'est pas à la hauteur de ce qu'il devrait être », et « [à percevoir] l'un de ses propres attributs comme une chose avilissante à posséder, une chose qu'il se verrait bien ne pas posséder »1590(*). C'est le cas de Leila, 39 ans, qui, fragilisée par la déchéance progressive puis la mort prématurée de son père, se sent aujourd'hui totalement écrasée par le poids de la honte, écartelée entre « la haine des immigrés algériens et le mépris des Français à notre égard » : « En Algérie, mon père a été emprisonné pendant six ans. Il ne m'a jamais raconté ce qu'il avait subi là-bas. La guerre d'Algérie puis la prison l'ont achevé : il s'est mis à boire, il gaspillait tout son argent dans les bars, il était déboussolé. Quand j'étais petite, je lui en voulais. Maintenant, je le comprends, mais je ne lui pardonne pas. Il est mort en 1975 d'un accident de voiture. (...) Nous, les enfants, avons hérité de nos pères l'identité de traîtres, de collabos, de harkis... Ces mots me font mal. "Harki", je ne supporte plus ce mot. On m'a trop appris qu'il voulait dire "traître". Bien que je ne sois pour rien dans cette histoire, je me sens coupable. J'en veux à mon père et à ma mère de nous avoir embarqués, nous, leurs enfants, dans cette histoire. Ils ont fait de nous des enfants de traîtres. Le mot "harki", je le hais de toutes mes fibres, c'est une culpabilité insupportable. J'ai honte d'être une harkie. J'en veux à mes parents d'avoir choisi la France »1591(*). De même, les échanges parfois virulents entre Rachid et Mohamed1592(*) (28 ans)1593(*), en désaccord quant à la manière d'apprécier et d'intégrer - à des fins de construction identitaire - ce que fut le choix de leurs pères pendant la guerre, témoignent de ce que le mutisme des Français musulmans rapatriés, leur résignation apparente peut résonner chez certains enfants comme un aveu de culpabilité, et nourrir chez ces derniers un vif sentiment de honte. Ainsi en va-t-il de Mohamed (28 ans), qui s'imaginerait volontiers être le fruit d'un autre "voyage" : « Mohamed (28 ans) - Moi, personnellement, je revendiquerai jamais que je suis un harki. Je préfère qu'on considère comme si j'étais arrivé hier dans un bateau, quoi, tu vois ; je le revendiquerai jamais, j'suis pas fier de ce qu'ont fait mes parents, franchement, fils de harki, j'aime pas... - Et toi Rachid, est-ce que tu tiens le même raisonnement que Mohamed ? Est-ce que tu es fier de ce qu'ont fait tes parents, ou pas ? Rachid - Ah ! oui, que mon père ait été harki, oui, OK !, y'a pas de problèmes, mais il l'a été pour diverses raisons, c'est sa vie on va dire. Non, j'ai pas de jugement à prendre sur mon père. J'ai pas le droit de juger mon père. C'est mon père. Quelle que soit la décision qu'il ait prise, je l'approuve. [S'adressant à Mohamed] C'est l'histoire de ton père, hein, que tu le veuilles on non, hein, faut pas renier... si tu renies ton passé, tu renies ton avenir aussi, hein... Mohamed - ...non, moi je veux défendre l'histoire de mes parents lorsque... Rachid - ...tu vas dire quoi à tes futurs enfants, hein ?! [Rachid élève singulièrement le ton] Tes gamins, tu leur diras quoi : que leurs ancêtres s'appellent Vercingétorix ? Tes gamins, il faudra qu'ils sachent exactement les choses... Mohamed - ...non, moi, personnellement, tu vois, mon père c'est un harki et tout, mais moi personnellement... j'ai la carte d'identité française, tu vois, mais, pour moi, je suis algérien. Tu vois, si on me demande : « De quelle race tu es ? De quelle origine tu es ? », ou même : « Comment vous sentez-vous : français ? algérien ? », moi je dirai que je suis algérien, mais... Rachid - ...moi je dis plutôt que je suis français d'origine algérienne... Mohamed - ...non, moi je dis : « Je suis algérien »... - Et pourquoi tu ne veux pas dire, comme Rachid, que tu es français d'origine algérienne ? Ça te gêne ? Mohamed - Non, non. Non, ça me gêne pas, mais je suis algérien, c'est ça, je suis algérien... Rachid - ...alors sors moi une carte verte, enculé va !... Mohamed - ...moi je suis fier d'être algérien, si tu veux, c'est pas... mes parents ils ont pris le bateau, un jour, pour venir en France, mais moi, franchement, je suis fier d'être algérien. Une fois, je parlais avec des mecs, y'a pas longtemps, ils me disaient : « Ouais, mais si t'es fier d'être algérien, pourquoi tu retournes pas en Algérie faire quelque chose pour ton pays ? », moi je lui dis : « Mais même... Rachid - ...exactement, dans ce cas, va le reconstruire ! » Mohamed Kara signale lui aussi, à propos des plus jeunes d'entre les enfants de harkis, que « la frustration est immense - produit de l'exclusion et du racisme - au point qu'il semblerait qu'ici ou là, certains jeunes soient tentés de remettre en question les choix parentaux d'origine ou de rechercher une identité plus uniforme du côté de l'islam »1594(*). L'auteur s'appuie notamment, pour ce dire, sur les propos d'Yves, qui a longtemps vécu en site fermé : « Il y a des enfants, explique Yves, qui remettent en cause le choix de leurs parents et donc qui veulent redevenir algériens »1595(*). Cependant, à l'instar de Rachid (voir ci-dessus), une majorité d'enfants de harkis, même parmi ceux qui n'osent ou n'ont pas la possibilité d'interroger leurs parents, refusent de se poser en contre la destinée familiale. C'est le cas de Jean-Claude, secrétaire de l'association des anciens harkis et de leurs enfants, qui assimile les attitudes de forclusion de la figure du père à des comportements de "fuite", aussi vains que délétères pour les intéressés eux-mêmes : « On peut pas se détacher de nos parents, on peut pas se détacher des harkis, on peut pas dire : «Eux, ils ont fait ça, tant pis, je suis contre ce qu'ils ont fait, je n'accepte pas ce qu'il a fait mon père, mais moi je suis...». Non. Tu es en lien avec eux. Que tu le veuilles ou que tu le veuilles pas ». Cet écartèlement entre « des identifications nécessaires et impossibles »1596(*) est générateur de souffrance en même temps que d'aliénation : l'intériorisation du stigmate peut aller jusqu'à des formes d'isolement volontaire (notamment dans le cas des "disséminés", socialisés dans un environnement "mixte", doublement dépersonnalisant), de repli communautaire (cas des "assignés", socialisés en marge de la société d'accueil et du "Nous" de référence), voire de forclusion de la figure du père (quand le sentiment d'humiliation est trop fort, et l'étayage biographique trop fragile pour se constituer des réserves de "répliques symboliques"). Dans tous les cas, cela signe la difficulté des enfants de harkis - en butte aux effets cumulatifs des stigmatisations croisées et de l'interdit parental - de s'assumer et de s'affirmer individuellement dans l'ordinaire des relations sociales autrement qu'en usant de techniques d'ajustement. Il y a là comme une forme de "mort sociale", qui constitue une atteinte profonde à l'estime de soi : « Avoir une place sociale, écrit Vincent de Gaulejac, c'est avoir un statut, une identité, une reconnaissance. La place est structurante. L'absence de place sociale confronte le sujet au vide, à l'inexistence. Il est renvoyé à lui-même, à ses failles et à ses angoisses »1597(*). Et il ajoute : « La honte isole parce que le sujet ne sait jamais quelle place occuper. (...) Littéralement : «Il ne sait plus où se mettre» »1598(*). Pour autant, le déploiement systématique de "stratégies d'ajustement" au(x) regard(s) de l'Autre, et plus encore les comportements - plus spécifiques à certains individus ou contextes - de "fuite" ou de "refus" de la relation à l'autre (isolement volontaire et repli communautaire), ne circonscrivent jamais qu'un premier stade dans l' « itinéraire moral » des enfants de harkis1599(*). Car si « dans un premier temps l'expérience de la honte est un élément neutralisateur qui le coupe de sa subjectivité, (...) dans un second temps, la honte va être l'élément dynamisant qui va pousser [l'individu] à devenir le sujet de son histoire »1600(*). Ainsi, il vient généralement un moment où, par-delà les stratégies d'accommodation, ces stratégies élusives qui visent à composer au jour le jour avec les assignations statutaires formulées par autrui, se fait jour le désir inverse : celui de ne plus subir l'influence des autres, de ne plus s'y conformer jusqu'à s'effacer, mais de gagner les autres à sa part d'influence, d'imposer le respect en toute connaissance de cause et en toute transparence. Et plutôt que de régler individuellement leur conduite sur la manière dont les autres les (dé)considèrent (stade des stratégies réflexes), il s'agit, pour les enfants de harkis, de faire en sorte d'accéder collectivement à une forme de reconnaissance sociale (stade des stratégies réflexives). Une reconnaissance qui sape en leurs fondements les idéologies de statut qui ont cours à leur endroit, et vise à "retourner" la qualité de fils ou fille de harki en un signe valorisant. Cette inscription volontariste dans un travail collectif de réparation des termes de l'échange passe préalablement ou simultanément par un travail intime de "dégagement" par rapport à la honte, au sens de recouvrement des capacités de symbolisation. Le sentiment intime de ne pas avoir prise sur - et de ne pas être en prise avec une identité qui s'interdit de poindre autrement qu'en pointillés de la mémoire réprimée des pères exacerbe le désir des enfants de harkis de transgresser le tabou paternel et de recouvrer, à travers la résurgence du drame vécu par leurs parents, un sentiment d'appartenance assumable et autonome. * 1563 Fritz Heider, The psychology of interpersonal relations, New York, John Wiley & Sons, 1958. * 1564 Leon Festinger, A theory of cognitive dissonance, Stanford, Stanford University Press, 1957. * 1565 Jean-Claude Deschamps, Alain Clémence, L'explication quotidienne, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2000, p.11-12. * 1566 Vincent de Gaulejac, op.cit., p.73. * 1567 Mohamed Kara, Les Tentations du repli communautaire. Le cas des Franco-Maghrébins et des enfants de Harkis, Paris, L'Harmattan, 1997, p.146-147. * 1568 Erving Goffman [1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.107. * 1569 Kamel (sans précision d'âge), cité in Mohamed Kara, op.cit., p.147. * 1570 Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p.65. * 1571 K.D. Bouneb, op.cit., p.61. * 1572 Ibidem. * 1573 Ibid, p.104. * 1574 Mohamed Kara, Les Tentations du repli communautaire. Le cas des Franco-Maghrébins et des enfants de Harkis, Paris, L'Harmattan, 1997, p.138, 152 et 153. * 1575 Carmel Camilleri, « Identité et gestion de la disparité culturelle : essai d'une typologie », in C. Camilleri, J. Kastersztein, E. M. Lipiansky, H. Malewska-Peyre, I. Taboada-Leonetti, & A. Vasquez (Eds.), Stratégies identitaires, Paris, PUF, 1990, p.85 à 110. * 1576 Erving Goffman (1963), Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.106-107. * 1577 Erving Goffman (1963), Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.49. * 1578 Leila, 39 ans, Bias (Lot-et-Garonne) ; citée par Stéphane Gladieu et Dalila Kerchouche, Destins de harkis. Aux racines d'un exil, Paris, Autrement, 2003, p.92. * 1579 Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p.69. * 1580 Erving Goffman [1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.120. * 1581 Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p.87. * 1582 Vincent de Gaulejac et Isabelle Taboada Léonetti (dir.), La lutte des places. Insertion et désinsertion, Marseille/Paris, Desclée de Brouwer, 1994 ; voir aussi Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p.72. * 1583 Commentaire de Lahcène à ce sujet : « Ici, c'est plutôt discret, ici. Ici, tu peux pas te montrer avec une femme. Tu sais, c'est le respect par rapport... le respect, c'est les traditions, quoi. Tant que t'es pas marié ou fiancé, tu peux pas... ». * 1584 Erving Goffman (1963), Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.44. Plus loin, Goffman ajoute : « Allié ou non à ses semblables, l'individu stigmatisé manque rarement à manifester l'ambivalence de ses identifications lorsqu'il voit l'un de ceux-ci exhiber, sur un mode baroque ou pitoyable, les stéréotypes négatifs attribués à sa catégorie. (...) D'où les tentatives d'"épurement" par lesquelles l'individu stigmatisé s'efforce non seulement de "normifier" sa conduite, mais aussi d'amender celle de certains de ses pareils. Et c'est peut-être lorsqu'un stigmatisé, se trouvant "avec" un normal, vient à croiser l'un de ces éléments déplaisants de son groupe que l'ambivalence s'exprime avec le plus d'acuité » (p.129-130. C'est nous qui soulignons). * 1585 Mohamed Kara, Les Tentations du repli communautaire. Le cas des Franco-Maghrébins et des enfants de Harkis, Paris, L'Harmattan, 1997. * 1586 Ces remarques recoupent en partie l'impression qui avait été la mienne au contact de certains Ardéchois de "vieille souche". Alors que j'expliquai à un homme d'un certain âge habitant un village voisin de Largentière la raison de ma présence dans la région, sa première réaction fut de se lamenter que les harkis et leurs enfants n'étaient « pas très travailleurs ». Il est ainsi bien évident qu'une "réputation" précède les enfants de harkis, qui, sans autre égard pour la trajectoire particulière des anciens harkis et de leurs familles, ne facilite pas leur insertion socioprofessionnelle dans la région. * 1587 Mohand Hamoumou, « Révoltes des enfants d'anciens harkis : quelques clés pour comprendre », Esprit, septembre 1991, n°174, p.113. * 1588 Les notions d' « autrui généralisé » et d' « autrui significatif » sont empruntées à G. H. Mead [1934], L'esprit, le soi et la société, Paris, PUF, 1963. * 1589 Erving Goffman (1963), Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.52. * 1590 Ibid, p.17-18. * 1591 Leila, 39 ans, Bias (Lot-et-Garonne) ; citée par Stéphane Gladieu et Dalila Kerchouche, Destins de harkis. Aux racines d'un exil, Paris, Autrement, 2003, p.92. * 1592 Entretien, novembre 1998, Largentière (Ardèche). Mohamed a 28 ans. Il est sans emploi. * 1593 Notre corpus d'entretiens comprenant trois Mohamed (28, 35 et 42 ans), nous préciserons leur âge pour les distinguer. * 1594 Mohamed Kara, Les Tentations du repli communautaire. Le cas des Franco-Maghrébins et des enfants de Harkis, Paris, L'Harmattan, 1997, p.139. * 1595 Ibidem. * 1596 Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p.65. * 1597 Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p.201. * 1598 Ibid, p.66. * 1599 Par « itinéraire moral », Erving Goffman entend désigner la « suite d'adaptations personnelles » auxquelles sont contraintes « les personnes affligées d'un certain stigmate » (Erving Goffman [1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.45-46). * 1600 Vincent de Gaulejac, op.cit., p.69. |
|