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Mémoire, identité et dynamique des générations au sein et autour de la communauté harkie. Une analyse des logiques sociales et politiques de la stigmatisation.

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par Emmanuel BRILLET
Université Paris IX Dauphine - Doctorat de sciences politiques 2007
  

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B. « Des espaces de contrôle totalitaire » (M. Abi Samra, F.-J. Finas)

Dans leur fonctionnement quotidien, les structures d'accueil réservées aux Français musulmans rapatriés sont conçues comme des univers sinon militarisés, du moins disciplinaires. Et ceci non seulement pour ce qui a trait aux camps de transit (qui sont des camps militaires proprement dits), que pour ce qui concerne les cités périurbaines et les hameaux forestiers où, significativement, « la totalité des emplois de chefs de hameau sont occupés par d'anciens officiers des Affaires musulmanes ou sahariennes »848(*). Plus significativement encore, les services de la préfecture décident au printemps 1963 que « la cité du Logis d'Anne [alors en cours d'aménagement] sera considérée un peu comme un camp » et qu'à ce titre « le personnel d'encadrement sera logé sur place »849(*).

H., qui avait 30 ans lorsque Michel Roux l'a interrogé, et qui a grandi au camp de Bias, témoignait du fonctionnement machinique du lieu : « Je me souviens d'avoir fait mes devoirs à la lueur des bougies. Le couvre-feu était à dix heures : le gardien coupait alors l'électricité. Sauf, bien entendu, sur les bâtiments des Européens. Walou pour les frigos, walou pour la télé. De toute façon, ceux qui en avaient une n'avaient pas le droit de poser l'antenne sur le toit. Il n'y avait pas d'eau chaude dans les baraques, les toilettes étaient à l'extérieur, quant aux douches - douze pour le camp entier - leur utilisation était réglementée quasi-militairement : les hommes se lavaient le samedi, les femmes le dimanche »850(*).

Ce régime disciplinaire spécifique est multidimensionnel : il repose à la fois sur l'isolement géographique, la dispersion des groupes d'affinités, l'infantilisation des chefs de famille et la violation de l'intimité.

- 1. Des espaces enclavés

Le contrôle des Français musulmans rapatriés passe par leur enclavement : c'est donc dans des camps militaires mis à disposition par l'armée, dans des hameaux forestiers reculés ou dans des cités bâties plusieurs kilomètres à l'écart des bourgs que sont regroupées les intéressés. Ainsi que le soulignent Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, « il n'est pas un seul des quelques 75 hameaux forestiers installés entre 1962 et 1974, qui ne fasse exception à la règle de l'isolement géographique »851(*). Selon Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, sur ces 75 hameaux, « seul le hameau du lieu-dit Les Peyrouas est proche de sa petite ville, Saint-Maximin, à environ un kilomètre et demi ! »852(*). Ce qui vaut pour les hameaux forestiers vaut pour les cités semi-rurales ou périurbaines. Selon Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, la cité du Logis d'Anne, dans les Bouches-du-Rhône, est située à douze kilomètres de Jouques et à dix kilomètres de Peyrolles (six et huit selon Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou). Enfin, « l'éclosion d'une quarantaine de cités urbaines s'est faite encore et toujours en périphérie des villes »853(*). Il est même des cas - s'agissant plus particulièrement des camps militaires reconvertis en cités - où l'isolement géographique se double d'un isolement physique, matérialisé par des murs ou grillages d'enceinte : ainsi en va-t-il du camp de Bias, où le portail est verrouillé chaque soir à 19 heures par le responsable du camp, et où « nuit et jour un gardien armé vérifie les allées et venues »854(*).

Certes, grâce à l'action conjuguée d'officiers européens et de familles de notables musulmans, des implantations non (ou moins) directement sériées par la politique de reclassement collectif ont pu s'opérer dans des espaces théoriquement non ségrégés, c'est-à-dire mixtes et relativement ouverts sur l'extérieur. Mais ces exemples n'offrent parfois eux-mêmes qu'un semblant d'exception. Ainsi en est-il, avons-nous dit, de la cité dite « Neuilly-Nemours » (ou Volpilliaire) à Largentière (Ardèche), bâtie en 1962 grâce à l'initiative conjointe d'une association d'officiers de Marine et de la ville de Neuilly, qui est située sur les hauteurs du village, sur un versant et à une distance telle qu'elle est invisible depuis le centre du bourg : c'était là une exigence sine qua non de la municipalité alors en place pour accorder le permis de construire. Elle a d'ailleurs, par la suite, été « gérée et encadrée par l'administration »855(*), à l'instar des autres sites de reclassement collectif856(*).

* 848 Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Paris, Éditions Autrement, 1999, p.98.

* 849 Le rédacteur du compte-rendu de la réunion extraordinaire du jeudi 25 avril 1963, cité in Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, op.cit., p.103.

* 850 H., 30 ans, interrogé par Michel Roux, « Bias, Lot-et-Garonne. Le camp des oubliés », Hommes et migrations, n°1135, septembre 1990, p.43.

* 851 Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion. Relégation, réseaux et territoires des Français musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales, Université de Lyon 2, mars 1987, p.53 et p.71-72.

* 852 Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Paris, Éditions Autrement, 1999, p.97.

* 853 Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion. Relégation, réseaux et territoires des Français musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales, Université de Lyon 2, mars 1987, p.32.

* 854 Dalila Kerchouche, Mon père, ce harki, Paris, Seuil, 2003, p.129.

* 855 Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas, op.cit., p.11.

* 856 Sur la cité de Volpilliaire, à Largentière, voir Christine Font-Piquet, L'engagement des anciens harkis de Largentière auprès de l'armée française : connaissance et interprétation de leurs descendants, DEA d'anthropologie, Université de Montpellier III, 1993. Voir aussi Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Paris, Éditions Autrement, 1999, p.98-99.

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