La victoire du MPS fut le résultat de la coalition des
formations rebelles en luttes contre Hisseine Habré. En effet, c'est
à Bamina au Soudan que les formations rebelles suivantes, l'Action du
1er avril d'Idriss Deby et d'Abbas Koty, le Mouvement du salut
national du Tchad (MOSONAT) de Maldoum Bada Abbas et les Forces armées
tchadiennes-mouvement révolutionnaires populaire (FAT/MRP) de Hissein
Dassert ont fusionné pour créer le mouvement patriotique du salut
(MPS).
Ces différentes formations rebelles étaient
construites sur des piliers ethniques. Ainsi, l'action du 1er avril
était essentiellement composée des Béri (repartis
en sous clans kobé, bideyat, boragate, et
kapka) du Tchad comme du Soudan. C'est cette configuration ethnique
qui permit à plusieurs Beri soudanais de prendre activement
part au combat aux côtés de leurs frères tchadiens. Le
MOSONAT avait pour bastion de recrutement les Hadjaraï du Guerra
et les FAT/MRP les ouddaiens et apparentés. Ces
différents groupes ethniques constituaient le socle des premières
années du régime d'Idriss Deby. Le partage des postes de
responsabilités obéissait à cette configuration des
différents piliers.
On retrouvait ainsi Idriss Deby président de la
république et président du MPS, Maldoum Bada Abbas ministre de
l'intérieur et vice président du MPS, Hisseine Dassert ministre
de la défense et Abbas koty chef d'Etat major des armées. Le
pouvoir MPS s'impose ainsi selon cette logique aux tchadiens qui avaient cru
entrevoir des lueurs d'espoir avec l'arrivée au pouvoir du MPS.
Toutefois, au début du règne d'Idriss Deby, Gata Nder observait
que « le despote Habré parti, le soulagement qui a
traversé d'un bout à l'autre le Tchad ne s'est paradoxalement pas
transformé en une liesse délirante. Les incertitudes de
demain font planer quelques inquiétudes sur les esprits habitués
aux lendemains qui déchantent. Les tchadiens de toute évidence
ont mûri. Les promesses non tenues, les incitent à observer un
prudent `wait and see' »23(*). Cette observation sonne, avec la tournure que vont
prendre les évènements, comme une prédiction.
En effet, le MPS tint un congrès extraordinaire du 25
au 28 juillet 1991. Au cours de ce congrès, des voix
s'élèvent pour contester le cumul des fonctions du numéro
deux du régime, Maldoum Bada Abbas. Il était question pour ce
dernier de choisir entre le poste de ministre de l'intérieur et le poste
de vice président du MPS. A la fin du congrès le poste de vice
président du MPS fut purement et simplement supprimé. Cette
suppression a été mal reçue par le clan
Hadjaraï et par Maldoum lui même. Elle fut
interprétée comme une mise à l'écart du pouvoir des
Hadjaraï, alors que ces derniers venaient de contribuer
de manière significative à son instauration. Elle donna lieu
à des frustrations qui conduisirent à l'arrestation de Bada Abbas
Maldoum au motif de tentative de coup d'Etat. S'agissait-il d'un vrai coup
d'Etat ou d'une stratégie d'Idriss Deby pour se défaire d'un
allié devenu trop gênant ? Une chose est sûre, en
octobre 1991, Bada Abbas Maldoum et plusieurs de ses partisans meurent dans des
conditions non encore élucidées aujourd'hui. Aucune enquête
officielle n'a été diligentée pour faire la lumière
sur ces disparitions. Plusieurs partisans de Maldoum, à la tête
desquels se trouvait le Colonel Kafine Chadallah, reprirent le chemin du
maquis.
Ensuite vint le cas Abbas Koty. Ce dernier est
considéré dans l'action du 1er avril comme
représentant de tous les zaghawa (surtout le clan Kobé), tant du
côté soudanais que du côté tchadien. Issu du clan
Bideyat, Idriss Deby s'est fortement appuyé sur les
éléments appartenant aux autres clans du groupe zaghawa
pour sa prise du pouvoir. Abbas Koty constituait donc une pièce
maîtresse dans cette stratégie. Par son poste de chef
d'état major général des armées, Abbas Koty issu du
clan Kobé était au centre de l'appareil d'Etat. Il avait
le contrôle de l'ensemble des forces armées. Ce poste constituait
pour les autres clans zaghawa une garantie et un contre pouvoir pour
contrebalancer le pouvoir d'Idriss Deby au cas où ce dernier venait
à rompre le pacte qui les unissait. Cependant, le sort de Koty sera
réglé lorsque la question de la réorganisation de
l'armée s'invite dans le débat politique.
En effet, aux questions de l'insécurité24(*), où le tristement
célèbre « secteur n°5 »
composé essentiellement des Kobé du soudan, est
pointé du doigt par la population, la question de la
réorganisation de l'armée devient de plus en plus pressante pour
Idriss Deby.
A l'arrivée d'Idriss Deby au pouvoir, l'armée
tchadienne était caractérisée par le nombre
pléthorique de ces membres. Cette augmentation du nombre des soldats
s'expliquait par le recrutement massif dans le milieu Béri au
Soudan pendant la conquête du pouvoir par le MPS. En été
1991, la presse tchadienne annonça que la France avait accordé un
crédit d'un montant de cinq milliards de francs Cfa à la
démobilisation et la réinsertion des soldats désireux de
quitter les Forces Armées Tchadiennes25(*). Le but de l'opération était donc de
contribuer à la réduction des effectifs militaires en passant de
50 000 à 25 000 hommes.
Beaucoup d'éléments appartenant au clan
Béri du côté soudanais seront visés par
cette mesure car la restructuration s'opère au profit des soldats de
carrières et ceux issus de milieu scolarisé26(*). Profitant de cette
réorganisation, Idriss Deby choisit de muter Abbas Koty de l'Etat major
général pour lui confier le Ministère de la Défense
en juillet 1991. Cette mutation fut perçue comme la fin du
contrôle d'Abbas Koty sur les effectifs militaires et la mise à
l'écart implicite du leader et de son clan Kobe.
Du ministère de la défense, Koty passa au
ministère des Travaux Publics et des Transports. Ce nouveau changement
confirmait l'hypothèse de la mise à l'écart d'Abbas Koty.
Se trouvant hors du dispositif militaire, il ne pouvait plus rien faire pour
influer sur les décisions concernant l'armée. La
réorganisation de l'armée entamée, beaucoup de
Béri soudanais furent remerciés et priés de
retourner chez eux. Il naît ainsi un climat de suspicion entre les clans
Kobé et Bidéyat. Ce climat
délétère fait de rumeurs persistantes sur une possible
préparation de coup d'Etat contre le régime ou d'une très
prochaine arrestation d'Abbas Koty, poussa ce dernier en juin 1992 à
rejoindre la rébellion qui s'était déjà
constituée27(*).
Enfin, le congrès qui avait scellé ou
précipité la descente aux enfers de Maldoum n'a pas oublié
de fixer le destin d'Hissein Dassert,28(*) le chef de la fraction rebelle FAT- MRP, le
troisième pilier du régime d'Idriss Deby. En effet, depuis
juillet 1991, ce dernier avait perdu le poste de Ministre de la défense,
obtenu pour sa contribution à la victoire du MPS. Il était
« quasiment entré en rébellion contre son
mouvement, après son limogeage du ministère de la
défense »29(*). Restant dans la légalité, le colonel
Dassert finit par démissionner du MPS vers la fin de l'année
199230(*). Aussi, comme
les partisans de Maldoum et d'Abbas Koty, Dassert renoua avec ses anciennes
habitudes et reprit la route du maquis.
En définitive, on note qu'à peine
installé au pouvoir l'alliance de Bamina vole en éclat et fait
place à une guerre sourde au sein du MPS. S'agissait-il d'un calcul
tactique orchestré par Idriss Deby pour se débarrasser de ses
associés de Bamina ? Il est difficile à partir des
informations dont nous disposons de répondre à cette question.
Toutefois, un constat du retour à la case départ s'impose.
L'alliance se disloque et les anciens alliés reprennent les armes. Si au
sein du MPS les dissonances se font de plus en plus entendre, elles atteignent
également certaines personnes se considérant comme les exclus du
pouvoir.