L'une des accusations récurrentes du pouvoir de
Déby est la base clanique ou ethnique de son pouvoir. Tous ses
détracteurs s'accordent à reconnaître qu'Idriss Déby
assoit son pouvoir sur son ethnie, son clan ; ce qui explique les
mécontentements tous azimut dont il est l'objet.
Curieusement, toutes ces personnes qui dénoncent la
volonté de Deby à avoir comme critère important de sa
gouvernance l'ethnie, n'échappent elles non plus à cette logique.
En effet, il n'est de secret pour personne que toutes les
rebellions actuellement au Tchad ont leurs bases et leurs fiefs dans les
régions dont sont issus leurs chefs respectifs. De même, tous les
postes de commandements de factions rebelles se trouvent soit entre les mains
des cousins et frères du chef du mouvement, soit dans le cercle de
l'ethnie. Cette configuration ethnique des rébellions explique les
difficultés qu'éprouvent celles-ci à harmoniser leur point
de vue et à avoir une audience nationale. Nous sommes loin de la lutte
armée comme une continuité de la lutte politique par d'autres
moyens, postulat cher à Clausewitz.
Par ailleurs, la configuration ethnique obéit parfois
à des antagonismes historiques qui règnent entre telle ou telle
ethnie. Cette situation apparaît de plus en plus établie depuis
que l'aire géographique de la rébellion se concentre vers le
Nord-Est et l'Est du pays. Cette concentration de la rébellion dans
cette partie du pays trouve ses sources dans l'histoire du peuplement de cette
partie du territoire87(*).
A titre d'exemple, nous prenons le tandem Tama - Zaghawa.
En effet, l'animosité entre les Tama, (vivier
producteur des combattants du FUC) et les Zaghawa (au pouvoir et en
rébellion) trouve ses origines dans la conscience collective de rejet
mutuel de ces deux couches de population. Ces deux communautés
véhiculent des préjugés qui sont tenaces. Ces
préjugés alimentent et compliquent la situation du conflit
actuel. A Iriba (considéré comme fief des zaghawa) les
Tama sont vus comme des esclaves et les serviteurs des
zaghawa. A Guereda (capitale du Dar Tama) les
zaghawa ont une réputation de voleurs, de paresseux et de
cupides88(*).
A cette considération de mépris
réciproque entre les deux communautés vient s'ajouter le fait que
c'est un zaghawa qui est au pouvoir central au Tchad. Cet
élément va exacerber le climat déjà morose et
délétère qui règne au sein de ces deux
communautés. Fort des appuis de leurs frères installés au
palais à N'djamena, certains zaghawa n'hésitent pas
à commettre des exactions contre la population civile d'origine
Tama. Ces actes ne seront jamais punis et engendrent des frustrations
au sein de la communauté Tama. C'est en réponse à
ce climat « d'impunité » et
« supériorité » des zaghawa que
certains officiers Tama se rebellent. C'est l'explication
première que l'on pourrait fournir à la naissance des mouvements
rebelles d'obédiences Tama (de l'ANR à RDL puis FUC). Ce
climat explique aussi les difficultés de Mahamat Nour, responsable du
FUC, à avoir une entente solide avec les rebellions d'obédience
zaghawa (le RFC, le SCUD) d'une part, et à consolider la paix
avec Idriss Deby quand il avait signé l'accord de paix, de l'autre.
Vient ensuite le tandem Zaghawa- Gorane.
L'animosité Zaghawa- Gorane remonte à la perte du
pouvoir des seconds au profit des premiers. En effet, sous Hisseine
Habré, les Goranes avaient tous les privilèges. Mais
cette situation n'existe plus depuis que le pouvoir s'est déplacé
chez les zaghawa. Les Goranes qui le digèrent
très mal veulent à tout prix reconquérir le pouvoir. Et
les conflits Goranes-Zaghawa sont mûs par cette logique de
revanche. C'est pourquoi les chefs rebelles issus du milieu zaghawa
conçoivent très mal d'être sous le commandement Mahamat
Nouri pour évincer un autre zaghawa du pouvoir. L'échec
des attaques menées par la coalition (Alliance Nationale) dirigée
par Mahamat Nouri aux portes de N'djamena en février 2008
résulterait de ces antagonismes ethniques sourdines qui traversent la
coalition.
En effet, sur le plan tactique, l'attaque lancée par
l'UFDD sur N'djamena devrait bénéficier du soutien de RFC. Mais
la rivalité entre Nouri (Gorane) et Timane (Zaghawa) a
commencé à être visible lorsque la victoire semblait
être à portée de main. Timane Erdimi avait donné un
contre ordre pour ne pas engager ses troupes en soutien des autres forces de la
coalition89(*). Cette
division peut s'expliquer par le fait que les rebelles ne se sont pas entendus
sur celui à qui devait échoir la présidence.
Et le porte-parole de la coalition, Abderamane Koulamalah
avait reconnu, quelques jours après l'échec de la coalition sur
les antennes de la Radio France Internationale, que «l'opposition
avait commis une erreur historique en ne s'entendant pas sur un gouvernement
d'unité nationale avant de prendre N'djamena »90(*). L'échec est
également dû au caractère circonstanciel, voire
forcé, de la coalition qui a été relayé par les
rebelles eux mêmes91(*). Par exemple, Timane Erdimi se voyait très mal
contribuer à aider un Gorane à prendre le pouvoir qui se
trouvait entre les mains d'un zaghawa. Il préfère les
disputes au sein du clan Bideyat à ceux l'opposant à des
Goranes. De plus, peut être qu'un beau jour viendra où la
solidarité zaghawa trouvera une issue à ses
différends et lui permettrait de sauver la face. L'échec de
l'attaque de la coalition UFDD révèle aussi l'épineuse
question de la synchronisation des forces rebelles. Cette synchronisation sans
laquelle les rebelles ne parviendront pas à renverser la situation.
L'histoire des coalitions rebelles sous Idriss Déby
montre qu'il n'y a jamais eu une intégration des différentes
factions lorsqu'elles sont parties à une coalition. En outre le plan de
stratégie adopté dans la coalition ne rencontre pas souvent les
considérations des officiers de certaines factions qui hésitent
parfois à mobiliser leurs troupes.
Le constat qui s'impose aujourd'hui est que le conflit
tchadien est un conflit de certaines communautés à
l'échelle local qui prend des proportions nationales du fait de son
instrumentalisation par les acteurs. Les rebellions comme projet national
n'existent presque pas. C'est pourquoi toutes les tentatives de
fédérer les forces sont des échecs annoncés, car
les relents ethniques sont trop prégnants dans les stratégies des
rebelles. Et Idriss Déby ne peut que jouer sur ces aspects pour pouvoir
diviser afin de mieux conforter sa position dominante.