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Les rébellions sous le régime d'Idriss Déby (1990-2008)

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par Eugène Le-yotha NGARTEBAYE
Université Jean Moulin Lyon 3 -  Master 2 sciences politiques, option: sécurité et défense 2008
  

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· B- Les clivages ethniques

L'une des accusations récurrentes du pouvoir de Déby est la base clanique ou ethnique de son pouvoir. Tous ses détracteurs s'accordent à reconnaître qu'Idriss Déby assoit son pouvoir sur son ethnie, son clan ; ce qui explique les mécontentements tous azimut dont il est l'objet.

Curieusement, toutes ces personnes qui dénoncent la volonté de Deby à avoir comme critère important de sa gouvernance l'ethnie, n'échappent elles non plus à cette logique.

En effet, il n'est de secret pour personne que toutes les rebellions actuellement au Tchad ont leurs bases et leurs fiefs dans les régions dont sont issus leurs chefs respectifs. De même, tous les postes de commandements de factions rebelles se trouvent soit entre les mains des cousins et frères du chef du mouvement, soit dans le cercle de l'ethnie. Cette configuration ethnique des rébellions explique les difficultés qu'éprouvent celles-ci à harmoniser leur point de vue et à avoir une audience nationale. Nous sommes loin de la lutte armée comme une continuité de la lutte politique par d'autres moyens, postulat cher à Clausewitz.

Par ailleurs, la configuration ethnique obéit parfois à des antagonismes historiques qui règnent entre telle ou telle ethnie. Cette situation apparaît de plus en plus établie depuis que l'aire géographique de la rébellion se concentre vers le Nord-Est et l'Est du pays. Cette concentration de la rébellion dans cette partie du pays trouve ses sources dans l'histoire du peuplement de cette partie du territoire87(*). A titre d'exemple, nous prenons le tandem Tama - Zaghawa.

En effet, l'animosité entre les Tama, (vivier producteur des combattants du FUC) et les Zaghawa (au pouvoir et en rébellion) trouve ses origines dans la conscience collective de rejet mutuel de ces deux couches de population. Ces deux communautés véhiculent des préjugés qui sont tenaces. Ces préjugés alimentent et compliquent la situation du conflit actuel. A Iriba (considéré comme fief des zaghawa) les Tama sont vus comme des esclaves et les serviteurs des zaghawa. A Guereda (capitale du Dar Tama) les zaghawa ont une réputation de voleurs, de paresseux et de cupides88(*).

A cette considération de mépris réciproque entre les deux communautés vient s'ajouter le fait que c'est un zaghawa qui est au pouvoir central au Tchad. Cet élément va exacerber le climat déjà morose et délétère qui règne au sein de ces deux communautés. Fort des appuis de leurs frères installés au palais à N'djamena, certains zaghawa n'hésitent pas à commettre des exactions contre la population civile d'origine Tama. Ces actes ne seront jamais punis et engendrent des frustrations au sein de la communauté Tama. C'est en réponse à ce climat « d'impunité » et « supériorité » des zaghawa que certains officiers Tama se rebellent. C'est l'explication première que l'on pourrait fournir à la naissance des mouvements rebelles d'obédiences Tama (de l'ANR à RDL puis FUC). Ce climat explique aussi les difficultés de Mahamat Nour, responsable du FUC, à avoir une entente solide avec les rebellions d'obédience zaghawa (le RFC, le SCUD) d'une part, et à consolider la paix avec Idriss Deby quand il avait signé l'accord de paix, de l'autre.

Vient ensuite le tandem Zaghawa- Gorane. L'animosité Zaghawa- Gorane remonte à la perte du pouvoir des seconds au profit des premiers. En effet, sous Hisseine Habré, les Goranes avaient tous les privilèges. Mais cette situation n'existe plus depuis que le pouvoir s'est déplacé chez les zaghawa. Les Goranes qui le digèrent très mal veulent à tout prix reconquérir le pouvoir. Et les conflits Goranes-Zaghawa sont mûs par cette logique de revanche. C'est pourquoi les chefs rebelles issus du milieu zaghawa conçoivent très mal d'être sous le commandement Mahamat Nouri pour évincer un autre zaghawa du pouvoir. L'échec des attaques menées par la coalition (Alliance Nationale) dirigée par Mahamat Nouri aux portes de N'djamena en février 2008 résulterait de ces antagonismes ethniques sourdines qui traversent la coalition.

En effet, sur le plan tactique, l'attaque lancée par l'UFDD sur N'djamena devrait bénéficier du soutien de RFC. Mais la rivalité entre Nouri (Gorane) et Timane (Zaghawa) a commencé à être visible lorsque la victoire semblait être à portée de main. Timane Erdimi avait donné un contre ordre pour ne pas engager ses troupes en soutien des autres forces de la coalition89(*). Cette division peut s'expliquer par le fait que les rebelles ne se sont pas entendus sur celui à qui devait échoir la présidence.

Et le porte-parole de la coalition, Abderamane Koulamalah avait reconnu, quelques jours après l'échec de la coalition sur les antennes de la Radio France Internationale, que «l'opposition avait commis une erreur historique en ne s'entendant pas sur un gouvernement d'unité nationale avant de prendre N'djamena »90(*). L'échec est également dû au caractère circonstanciel, voire forcé, de la coalition qui a été relayé par les rebelles eux mêmes91(*). Par exemple, Timane Erdimi se voyait très mal contribuer à aider un Gorane à prendre le pouvoir qui se trouvait entre les mains d'un zaghawa. Il préfère les disputes au sein du clan Bideyat à ceux l'opposant à des Goranes. De plus, peut être qu'un beau jour viendra où la solidarité zaghawa trouvera une issue à ses différends et lui permettrait de sauver la face. L'échec de l'attaque de la coalition UFDD révèle aussi l'épineuse question de la synchronisation des forces rebelles. Cette synchronisation sans laquelle les rebelles ne parviendront pas à renverser la situation.

L'histoire des coalitions rebelles sous Idriss Déby montre qu'il n'y a jamais eu une intégration des différentes factions lorsqu'elles sont parties à une coalition. En outre le plan de stratégie adopté dans la coalition ne rencontre pas souvent les considérations des officiers de certaines factions qui hésitent parfois à mobiliser leurs troupes.

Le constat qui s'impose aujourd'hui est que le conflit tchadien est un conflit de certaines communautés à l'échelle local qui prend des proportions nationales du fait de son instrumentalisation par les acteurs. Les rebellions comme projet national n'existent presque pas. C'est pourquoi toutes les tentatives de fédérer les forces sont des échecs annoncés, car les relents ethniques sont trop prégnants dans les stratégies des rebelles. Et Idriss Déby ne peut que jouer sur ces aspects pour pouvoir diviser afin de mieux conforter sa position dominante.

* 87 Gérard- François Dumont, « géopolitique et populations au Tchad »,Outre-Terre,2007/3 n° 20 pp.263-288

* 88 Pour plus d'informations, lire Jérôme Tubiana, la guerre par procuration entre le Tchad et le Soudan et la « Darfourisation » du Tchad : mythe ou réalité, op.cit . Ou encore lire Crisis Group, Tchad : la poudrière de l'Est, Rapport n°149, 15 avril 2009, p.5-8.

* 89 Lire les notes de la page17 du Rapport n°144 de Crisis group

* 90 Voir Interview de Koulamalah, le 21 mars 2008. « Tchad, le manque cohésion a coûté la victoire aux rebelles », www.rfi.fr.

* 91 les chefs rebelles reconnaissent que l'enjeu de la coalition voulu par le parrain était de « faire tomber Idriss Deby » et pour la suite « on verra ». voir Jeune Afrique, www.jeuneafrique.com/ n°5116

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