Chapitre 4 Les rébellions : entre logique
de revanche et contribution à la pérennisation du régime
d'Idriss Déby
Si l'époque de la prise du pouvoir par les armes au
Tchad semble revoulue comme le font remarquer Jean Marc Balencié et
Arnaud de la Grange85(*),
on se pose la question du bien fondé de la naissance tout azimut de
mouvements rebelles au Tchad aujourd'hui. Il est vrai que l'aboutissement de la
prise du pouvoir par un mouvement armé résulte de la combinaison
de plusieurs facteurs : la bonne organisation du mouvement, l'aide
extérieure, le programme politique, etc.
Cependant se rebeller peut aussi suivre d'autres logiques si
les facteurs sus cités ne sont pas réunis. C'est la logique
revanche (Section 1). Mais la naissance de la rébellion peut aussi
s'analyser comme une oeuvre ou une stratégie élaborée par
le régime pour pérenniser son règne (section 2).
Section1 La rébellion comme logique de
revanche.
Le pouvoir reste un site de contestation par excellence. La
contestation peut émaner de la population, de la société
civile, des organisations internationales mais aussi des personnes
impliquées dans la gestion du pouvoir. Cette dernière forme de
contestation, lorsqu'elle se fait entendre, résonne le plus souvent
comme un acte de revanche de certains alliés ou supposés dauphins
(§1).
Elle commence de l'intérieur pour aboutir à des
actes violents conduisant à la rébellion. Mais parfois, la
logique de revanche peut aussi provenir d'un ancien parrain sans lequel le
régime ne serait jamais établi (§2). Elle vient
généralement de l'extérieur et s'analyse à des
actes entrepris par le parrain pour se défaire de son mentor.
§1 -La revanche des
anciens alliés et anciens dauphins du régime de N'djamena
La construction du régime d'Idriss Déby s'est
faite en deux temps. Il a d'abord été construit sur l'alliance de
Bamina, puis sur la solidarité Béri. Mais ces phases
successives de sédimentation du régime n'ont pu résister
aux ambitions personnelles de certains caciques et à la volonté
de Déby d'être le seul maître à bord. De cette
situation, chaque acteur se positionne en vue de reprendre le devant de la
scène politique nationale ; d'où le climat ambiant de
revanche dans le pays.
D'abord, le climat de revanche apparaît des
« associés de Bamina. Ce sont les
« Baministes86(*) » qui ont tenté de s'emparer du
pouvoir, mais en vain (les tentatives des coups d'Etat de Abbas Koty, Maldoum
Bada Abbas et de Hissein Dassert). Officiellement les
« baministes» reprochaient à Déby de
s'être trop écarté de leurs logiques de départ en
faisant de l'administration publique un domaine presque exclusif de son ethnie
ainsi que de l'armée. Leur action s'inscrit dans la logique d'une
punition à l'égard d'un ancien associé devenu nuisible
pour la poursuite du projet de Bamina dont ils sont porteurs. Leurs
différentes actions n'ont pas abouti car Idriss Déby a pu les
éliminer (Abbas Koty, Maldoum Bada Abbas) et éloigner au maximum
Hissein Dassert. Ce dernier continue toujours de poursuivre la lutte
armée mais peine jusque là à être réellement
crédible faute de moyens financiers et de soutiens extérieurs. Le
pouvoir de N'djamena considère que Dassert ne représente que
l'ombre de lui-même.
Puis vient l'affaiblissement de la solidarité
Béri. En effet, le régime d'Idriss Déby repose en
grande partie sur la solidarité Béri. Cette même
solidarité lui avait permis de recruter les Kobé du
Soudan lors de son avancée sur N'djamena en 1990. Curieusement les cinq
ou six dernières années, on note un effritement dans le cercle
clanique de Déby. Les kobé et les Bideyat,
majoritaires au sein de la garde présidentielle, font
défection pour tenter de renverser le régime depuis
l'éclatement du conflit au Darfour. Cette divergence inter
zaghawa peut certes s'expliquer par l'ambiguïté d'Idriss
Déby dans la gestion de la crise du Darfour. Mais elle
révèle davantage une volonté affichée de certains
barons zaghawa de remplacer leur parrain. Mais devant
l'impossibilité d'obtenir la place du parrain par les voies
légales (la prise de la tête du parti MPS par exemple), Idriss
Déby pouvant briguer autant de mandats qu'il le souhaite depuis la
modification constitutionnelle, certains barons zaghawa ont
préféré les armes pour opérer leur vengeance afin
d'obtenir le changement.
Dans cette atmosphère de revanche des
« Baministes » d'une part et de certains barons
zaghawa de l'autre, il apparaît de manière établie
que tous en veulent à Idriss Déby parce que tous ont le
rêve de devenir président. Il n'existe aucun projet politique
solide, comme nous l'avons analysé dans le chapitre
précédent, chez les mouvements rebelles. C'est de l'antipathie
pure et simple. Sinon comment comprendre que ces chefs rebelles qui connaissent
bien le régime et qui disposent d'hommes bien placés dans le
système n'arrivent pas à le faire basculer après de
sérieuses incursions aux portes de la capitale tchadienne ? Comment
expliquer la non-adhésion de la population à la cause rebelle
nonobstant les critiques, vraisemblablement fondées, formulées
contre Idriss Déby ?
Il apparaît de toute évidence, et tirant les
enseignements des échecs des tentatives de fédérations des
forces rebelles, que ce sont les ambitions personnelles de certains chefs
rebelles qui prédominent et non la cause nationale. C'est pourquoi il
serait plus à propos de parler des actions de certains mouvements
rebelles comme des actes de revanche des anciens alliés et anciens
dauphins du régime de N'djamena. Cette volonté revancharde
rencontre celle du parrain qui veut aussi se débarrasser du poulain
devenu depuis lors encombrant.
* 85 Jean Marc
Balencié et Arnaud de la Grange, les nouveaux mondes rebelles,
op.cit p.165
* 86 Baministe est le terme
utilisé pour désigner ceux qui étaient à l'origine
de la victoire du 1er décembre 1990, ceux ayant pris part au
congrès de Bamina et qui ont signé l'acte constitutif du MPS.
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