Dans le processus de signature des accords de paix, deux
aspects retiennent particulièrement l'attention des chefs
rebelles : la question du partage du pouvoir, nous l'avons analysée
ci-dessus, et la question de l'amnistie.
En effet, afin de montrer sa volonté de régler
le différend et permettre une nouvelle vie commune dans la
société, le gouvernement, dans les accords de paix, accorde une
amnistie aux anciens rebelles.
Dans le Vocabulaire Juridique80(*), l'amnistie est
« une mesure qui ôte rétroactivement à
certains faits commis à une période déterminée leur
caractère délictueux ». L'amnistie n'efface pas
les faits mais leur fait perdre leur caractère délictueux ;
ils ne sont plus punissables, ne constituent plus une première
infraction pour les récidives. L'amnistie est, selon Stéphane
Gacon, « un processus juridique surprenant par l'effet radical
qu'il impose : on oublie tout, rien ne s'est
passé »81(*). Et dans cette logique, elle doit être
l'émanation du peuple, ce qui justifie son origine législative.
C'est la loi d'amnistie qui est votée par le parlement. Elle est un acte
du parlement qui a pour but d'exonérer de toutes responsabilités
les rebelles pour les actes commis dans la rébellion afin
d'éviter d'éventuelles poursuites. Notion de droit public
pénal, l'amnistie se distingue de la grâce présidentielle
qui permet au président de la République, dans certaines
conditions, d'accorder la remise ou la modération des peines
définitives.
Selon les termes de Stéphane Gacon82(*), « l'amnistie a
une utilité première et immédiate, celle de la
pacification définitive, de la volonté affirmée d'un
retour à la normale ». Il est admis que les effets de
l'amnistie participent à la réconciliation du corps social, et
constituent un artifice pour pouvoir vivre ensemble après la
lutte ; mais les effets de l'amnistie font apparaître une autre
question, celle de l'impunité.
En effet, il faut admettre que de graves soupçons de
détournement de deniers publics et de violations massives des droits
humains pèsent sur certains chefs rebelles. Et le retour à la
vie normale expose beaucoup de leaders politico-militaires aux poursuites si
aux termes de leur rébellion ils n'ont pas
bénéficié d'une loi d'amnistie. C'est pourquoi dans les
accords de paix qu'ils signent, la question de l'amnistie apparaît aussi
cruciale que celle du partage des postes.
Par l'effet de l'amnistie, ils ne seront ni jugés, ni
condamnés. Et partant des exemples antérieurs de
« va et vient » des rebelles, on constate que
l'amnistie apparaît pour les rebelles comme un moyen de se mettre
à l'abri des poursuites.
Au lieu d'être un acte de pacification, l'amnistie au
Tchad bascule plutôt vers l'impunité, car les accords de paix
durent seulement le temps que les uns et les autres affinent leurs nouvelles
stratégies. Pour les victimes des exactions commises par les rebelles,
l'amnistie apparaît comme un déni de justice, car leurs causes ne
seront jamais élucidées. L'impunité tend donc à
devenir une règle car on peut tuer, voler et se rebeller pour voir ses
fautes absoutes.
Dans cette logique, l'acte de réconciliation ne peut
pas apporter le sentiment de retour à la normale mais participe à
installer la méfiance au sein de la communauté où,
parfois, la justice privée est vivante.