Section 2 - Les accords de paix comme droit d'accès
aux richesses nationales
La construction de la nation, définie comme un
plébiscite quotidien par René Renan, résulte des
sacrifices conjugués de tous les éléments composant
celle-ci. Il importe de maintenir le plébiscite en faisant des
concessions pour s'accorder sur la manière dont les affaires publiques
doivent être conduites. En cas de rupture du plébiscite, les
concessions doivent être faites pour le rétablir.
C'est pourquoi on s'attèle à signer les actes de
réconciliation avec les rebelles pour favoriser la construction de la
nation (§1). Mais il arrive que cet acte de réconciliation soit
détourné de son but et produise des déçus
(§2).
§1- L'acte de la
réconciliation nationale.
Personne aujourd'hui ne peut s'opposer à la sortie
d'une crise armée. C'est l'explication du travail de médiations
ou de bons offices entrepris auprès des belligérants pour leur
permettre d'harmoniser leur point de vue afin d'aplanir leurs divergences. En
soi, négocier et signer un accord de paix reste salutaire.
Toutefois dans le contexte insurrectionnel tchadien, la
conclusion des accords de paix ressemble beaucoup plus à un tremplin
pour accéder aux postes juteux dans l'administration publique, donnant
droit au partage de richesses nationales (A). De plus, les accords de paix
participent à favoriser l'émergence et la consolidation de la
culture de l'impunité (B).
· A- L'acte de réconciliation comme droit
d'accès aux richesses.
Depuis l'effondrement du mur de Berlin et la fin de la
bipolarisation qui en résulte, bon nombre de conflits en Afrique cessent
d'attirer l'attention de la communauté internationale. Ce
désintéressement fait place à un certain nombre d'acteurs
qui entrent en scène. On retrouve d'une part les sociétés
et firmes transnationales et les entrepreneurs de la guerre de l'autre. La
combinaison des intérêts de ces deux nouveaux acteurs va plonger
l'Afrique dans une situation de crises de basses intensités mais
interminables.
L'Afrique, après les guerres de libération,
renoue avec une recrudescence de la violence. Cette violence résulte
soit de la contestation du pouvoir central par un groupe d'insurgés,
soit des actes de groupes incontrôlés qui bradent les richesses
nationales. L'intensité et la médiatisation de la violence
dépendent en grande partie du contrôle de richesses nationales. Ce
sont les guerres de rentes. Ainsi la capacité des groupes ou coalitions
rebelles à combattre ou à résister aux forces
gouvernementales dépend étroitement des gisements passés
sous leur contrôle. Ces gisements constituent les sources de
financement de leur action. C'est ce qui explique l'éclosion des
mouvements rebelles en Angola, en République démocratique du
Congo, au Libéria, en Sierra Leone où le diamant, l'or, le
cobalt et autres matières premières ont permis d'alimenter les
différents fronts des conflits.
Contrairement à leurs homologues d'Angola, du
Libéria, ou de la République Démocratique du Congo, les
rebelles au Tchad n'ont pas de ressources minières sous leur
contrôle77(*). Ce
n'est pas que les ressources n'existent pas, mais elles ne sont pas encore
exploitées. Par ailleurs, celles qui sont exploitées (l'or de
Pala, le pétrole de Doba ou celui du Bassin de Mogo) sont sous le
contrôle du gouvernement. Les rebelles ne peuvent donc pas
s'auto-financer. Ils dépendent toujours des financements
extérieurs, qu'ils proviennent des Tchadiens vivant à
l'extérieur ou des bailleurs étrangers, le plus souvent des pays
voisins. Cette dépendance financière, surtout des pays voisins,
fait que les rebelles n'ont pas souvent assez de marges de manoeuvres dans
leurs décisions. Le plus souvent, ils sont soumis au diktat des
bailleurs qui ne rentrent pas forcement dans leur logique de lutte. Les
rebelles se trouvent face à un dilemme : continuer à
guerroyer avec les finances du bailleur pour ses visées ou cesser la
lutte armée et regagner la légalité.
En général, c'est la seconde option que beaucoup
de mouvements choisissent. Mais étant donné que le retour
à la légalité ne se fait pas de manière
automatique, il faut un accord de réconciliation entre les
insurgés et le gouvernement.
Le but avoué et affiché des accords de
réconciliation reste la résolution du conflit par les moyens
pacifiques. La réconciliation est un acte courageux qui profite beaucoup
à la population civile victime des différentes atrocités
liées aux affrontements. Cependant, la lecture des accords de paix varie
suivant que l'on se situe du côté du gouvernement ou des rebelles.
Pour le gouvernement, les accords de paix sont
considérés comme une tactique visant à affaiblir les
rebelles en créant des tensions au sein des formations rebelles. Par
contre, bien des chefs rebelles trouvent dans les accords de paix un moyen de
se faire entendre et d'obtenir certains avantages qu'ils ne peuvent avoir par
la prise des armes.
C'est ainsi que la question de partage de postes
ministériels et autres avantages occupent une place
prépondérante lors des négociations. Preuve en est, la
quasi-totalité des chefs rebelles ont été promu ministres
lorsqu'ils ont accepté de rendre les armes. La classe dirigeante de la
formation ayant signé l'accord est récompensée par les
postes de responsabilité (direction des douanes, direction des
impôts, direction de la police) et par des rétributions
monétaires. Certains combattants ralliés sont d'office
affectés dans les effectifs des officiers de police ou de la
gendarmerie, d'autres par contre vont grossir les rangs de la fonction publique
et ce, sans aucune véritable qualification. La kalachnikov permet de
gravir plus rapidement les échelons de l'Etat que l'école ou le
stylo. La rébellion devient un ascenseur social ; c'est ce qui
facilite le recrutement massif des enfants78(*). Cette pratique tend à s'institutionnaliser au
Tchad. Elle n'est certes pas nouvelle79(*), mais sous Idriss Déby, elle se produit de
manière récurrente.
Une fois les postes partagés, le gros des combattants
est laissé à son triste sort dans les camps de cantonnements. Les
chefs ont pour préoccupation l'adoption de la loi d'amnistie synonyme
d'impunité.
* 77 Cette
considération est à atténuer car depuis 2005 les soutiens
de la Chine à certaines forces rebelles s'expliquent par les promesses
de contrat de l'exploitation de pétrole passées entre les
rebelles et la Chine. Toutefois, il convient de souligner que cette situation
s'est estompée depuis que le pouvoir de N'djamena a renoué les
relations diplomatiques avec la Chine populaire.
* 78 Remadji
Beguy, « les enfants soldats. Le phénomène
persiste », Tchad et Culture, n° 258
* 79 L'histoire politique
du Tchad recèle d'exemples, à ce sujet lire Mohamed
Tétémadi Bangoura, violence politique op. cit.
|