Chapitre 2 L'éclosion des mouvements rebelles
de 2001-2008
Pendant la première décennie de son
règne, Idriss Deby a dû affronter plusieurs sortes de conflits.
D'abord, il fait face, dès sa prise du pouvoir, aux caciques du
précédent régime d'Hisseine Habré qui souhaitent
revenir sur le devant de la scène politique.
Il est ensuite confronté au phénomène
d'empilement des allégeances qu'il avait lui-même utilisé
pour conquérir le pouvoir. De plus, son noyau militaire vole très
rapidement en éclats à cause de la marginalisation dont sont
victimes les militaires qui l'avaient préalablement soutenu. Il faut
noter également qu'il a surmonté durant cette période la
fronde de la population et de certains groupes d'officiers qui n'ont
cessé de critiquer sa gestion du pays.
Mais, en dépit de tous ces tumultes, il a
résisté et s'est même constitué un autre soutien,
celui de son clan zaghawa. Grâce au soutien de ce clan et de ses
alliés, Idriss Deby pense assurer la pérennité de
son régime.
Cependant, ce soutien clanique, pour des raisons de partage du
pouvoir, va lui aussi voler en éclat. De ces dissensions claniques entre
Zaghawa naîtront la majeure partie de la seconde vague de
rebellions. Ces dernières viendront grossir le rang des anciens
mouvements qui continuent toujours de mener la lutte armée contre le
pouvoir. Si ce recours à la lutte armée contre le régime
d'Idriss Deby n'apparaît pas comme un fait nouveau, de nouveaux facteurs
entrent en jeu dans la formation de ces rebellions (section 1). La
présentation de ces facteurs nous aidera dans l'identification de ces
nouvelles rébellions et coalitions rebelles (section 2).
Section 1 Les nouveaux facteurs de l'émergence
des rébellions.
Un observateur averti de la scène insurrectionnelle
tchadienne pourrait dire qu'il n'y a pas véritablement de changement
dans les causes qui expliquent la naissance de cette seconde vague de
rébellions. La nature des revendications et les acteurs n'ont pas
profondément changé depuis FROLINAT jusqu'à aujourd'hui.
On retrouve toujours en filigrane la question du partage du pouvoir, de la
forme de l'état, de l'éthnitisation du pouvoir.
Toutefois, depuis le début de l'année 2000, on
peut noter une relative mutation dans les revendications des rébellions
ainsi que l'apparition de nouveaux acteurs. Cette mutation des revendications
s'explique dans une certaine mesure par l'ouverture démocratique voulue
par le régime de N'djamena et la gestion des revenus du
pétrole. Notons par ailleurs l'implication active du gouvernement
soudanais dans l'émergence de ces nouvelles rebellions. Ces
éléments font que les facteurs qui légitiment la prise des
armes aujourd'hui au Tchad sont tant endogènes (§1)
qu'exogènes (§2).
§1- Les facteurs
endogènes
Les opposants au régime d'Idriss Deby peuvent trouver
plusieurs raisons pour justifier leur recours aux armes. Nous ne pourrons
malheureusement pas, au cours de cette analyse, toutes les identifier. Nous
nous limiterons aux questions relatives à la difficile mise en oeuvre du
processus démocratique (A) et à la mauvaise gouvernance (B).
· A- La difficile mise en oeuvre du processus
démocratique.
Une observation attentive de la manière avec laquelle
Idriss Déby règle les questions des mouvements rebelles, pendant
la première décennie de sa gestion du pays, fait apparaître
de façon éloquente l'issue des accords de paix signés avec
les différentes factions rebelles.
En effet, dans le but d'instaurer la paix et la
cohésion sociale, plusieurs formations rebelles ont signés des
accords de paix avec le gouvernement. Pour la plupart, ces accords se
résument à la mutation de la branche armée en parti
politique, à l'intégration des anciens rebelles dans les forces
armées gouvernementales et à l'insertion de ceux qui le
désirent dans la vie socio-professionnelle.
Mais très vite, il est apparu que ces accords sont
devenus une stratégie politique du président Déby visant
à diviser les rebellions et à atténuer leur ardeur. A la
différence d'Hisseine Habré qui répondait à toute
dissidence, velléitaire ou ouverte, par une répression aveugle
visant indistinctement l'ensemble du groupe ethnique concerné45(*), Idriss Déby a en
revanche tempéré l'usage de la force et a
privilégié le recours aux moyens financiers pour diviser les
dissidents. L'échec de la plupart des alliances entre dissidents est le
résultat de cette tactique. Il s'est maintenu en rachetant des anciennes
allégeances temporaires passées entre dissidences ou en
créant de nouvelles dans l'entourage adverse46(*). Cette tactique a jusque
là porté ses fruits et a permit au régime de surmonter les
défis des mouvements rebelles. Elle a aussi occasionné le retour
de nombreux combattants du maquis au sein des forces gouvernementales. C'est ce
qui explique en partie une nette floraison des formations rebelles dans la
période allant de 2001 à 2008.
Outre la question de la gestion des accords, se trouve
l'épineux problème de la consolidation du processus
démocratique. En effet, le processus de démocratisation
enclenché en 1990 avec la venue d'Idriss Déby n'a pas produit les
résultats escomptés. Dès le début de la
conférence nationale jusqu'aux consultations
référendaires, législatives et présidentielles qui
se sont succédées, les contestations n'ont pas cessé de
grandir. Et la démocratie apparaît comme une simple vitrine vivant
à donner bonne conscience au régime.
Devant les critiques de la population et les nombreuses
réserves émises par la communauté internationale, Idriss
Déby s'est engagé à respecter la constitution en
promettant de ne pas la modifier pour briguer un troisième mandat. Cette
promesse sonne comme une voie de succession ouverte dans le cercle des
dirigeants du MPS et de l'Etat.
A partir de 2002, des cercles de réflexion
zaghawa planchent sur la question de succession et le nom de Timane
Erdimi est évoqué comme une alternative47(*). Mais au congrès du
MPS de 2003, le débat tourne autour d'un troisième mandat et
d'une éventuelle modification constitutionnelle. Paradoxalement, deux
éminences grises du MPS, les frères Erdimi, étaient
absents à ce congrès48(*). La proposition de loi de la révision
fût adoptée par l'Assemblée Nationale (majoritairement issu
du MPS) le 23 mai 2004. Un referendum va avaliser la modification
constitutionnelle le 6 juin 2005. Cette modification permet à Idriss
Déby de briguer un troisième mandat et de se représenter
sans aucune limitation.
Cette situation va être perçue par certaines
élites zaghawa (au rang desquelles figurent les frères
Erdimi), ainsi que par certains barons du MPS qui aspiraient à remplacer
Idriss Deby (Hassaballah Soubiane), comme un coup d'Etat. Ces derniers
préfèreront l'option militaire à celle d'un dialogue
démocratique avec Idriss Deby. Cette volonté de pérenniser
son pouvoir, et face aux différentes contestations va faire resurgir la
question de la bonne gouvernance.
* 45 A l'est comme au sud
du Tchad, Habré n'a pas hésité à utiliser son
appareil répressif contre les populations civiles afin de
décourager toute tentative de soutien aux contestataires. Cela a
été le cas en 1984 au sud, en 1987 dans le Guera contre les
Hadjaraï, mais aussi en 1990 dans le Biltine à l'encontre
des zaghawa.
* 46 Les illustrations sont
les cas de Abbas Koty, Mahamat Garfa, Kette Nodji Moise, Mahamat Nour, Yaya
Dillo, Hassane Al Djineid dont le pouvoir a obtenu le ralliement.
Excepté le cas Koty, tous ces leaders sont en retour promus
ministres.
* 47 Lire International
Crisis Group, Tchad : vers le retour de la guerre ? Rapport
Afrique n°111, juin 2006, p.9. Il faut noter par ailleurs le rôle
joué par les frères Timane et Tom Erdimi dans la
prévarication et l'impasse du régime d'Idriss Déby. Nous
reviendrons dans la section 2 sur la présentation de ces deux
personnages.
* 48 Pour amples
informations se reporter au rapport n°111 op. cit.
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