2. PERSPECTIVES
L'historique des moulins (Chapitre 3) montre que ceux-ci n'ont
pas été construits au départ dans l'objectif
d'alléger le travail domestique des femmes, et leur diffusion
obéit jusqu'à aujourd'hui une logique commerciale. Même
dans les groupements féminins, on voudrait encore que le moulin
réalise des objectifs financiers. Mais, la récupération
des moulins par les ONG au profit des femmes impose aujourd'hui des choix
stratégiques. En effet, si l'on veut que les moulins allègent le
travail domestique des femmes, ils doivent être construits pour les
femmes et en fonction des contextes sociaux locaux. C'est pourquoi, la simple
reproduction du moulin par imitation est insuffisante. Il faut modifier sa
conception en l'adaptant. Ceci dit, nous proposons quelques pistes de
réflexion.
+ Par rapport à la mécanique.
Nous avions déjà relevé que le
système de démarrage à la manivelle est difficile et
dangereux pour la santé. Il faudrait maintenant concevoir un
modèle de moteur pouvant démarrer à clé ou par
contact. De tels modèles existent déjà au Tchad et sont
largement diffusés en milieu rural sahélien. Il s'agit notamment
de la marque indonésienne ANDOURIA.
Nous avions également constaté que le
système de transmission (la courroie) comportait des risques. Il est
possible de couvrir la courroie afin d'empêcher que les gens s'y
accrochent ou qu'elle les cingle en cas de rupture. En outre, dans la mesure
où le mouvement se transmet de plusieurs manières (courroie,
chaîne et engrenage), nous proposons un système de transmission
à engrenage avec embrayage permettant d'établir ou de supprimer
le contact moteur-moulin. Ceci à pour avantage d'éviter que le
moulin tourne à vide. La transmission à engrenage et le
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démarrage à clé iraient ensemble. Les
ingénieurs devront revoir à ce moment la question de la vitesse
de rotation et de la puissance.
Puisqu'il arrive que des objets (pièces de monnaie,
clés ...), enfouis par mégarde dans les céréales,
soient broyés et occasionnent le blocage du moulin, on peut envisager de
mettre un tamis sur la trémie.
Jusqu'ici, les petits modèles de moulins sont
inexistants à Toma, faute d'électricité pour les
alimenter. Mais, il n'empêche qu'on puisse amorcer une réflexion
sur la possibilité de les mettre au service des ruraux, car ils sont
intéressants pour l'exploitation familiale. En outre,
l'électrification des zones rurales est aujourd'hui une urgence de
développement.
Enfin par rapport à la mécanique, le choix des
moulins de qualité importe dans l'aide au développement de la
zone rurale.
+ Par rapport à la gestion dans les GVF
:
Les ONG promoteurs de moulins imposent et insistent sur la
gestion communautaire non pas pour aider les femmes, mais pour s'assurer du
remboursement de leurs prêts avec intérêts (l'ADRTOM
appliquait un taux de 7%). Mais nous signalons que la gestion communautaire
n'est pas un passage obligé pour permettre aux femmes d'alléger
leurs tâches. C'est même conditionner les femmes. Nous pensons
qu'il faudrait faire un choix de priorité entre les aider à
alléger leurs tâches et les amener à maîtriser les
outils de gestion. Vouloir à tout prix une gestion communautaire se
soldant en échecs, peut rendre une technologie inappropriée ;
pourtant celle-ci peut s'avérer appropriée au contexte. C'est
pourquoi, considérant la condition des femmes rurales, nous proposons
que les ONG aident des individus parmi les femmes à acquérir les
moulins, comme elles le font déjà pour les charrues et les
charrettes des hommes.
Dans le cas où ces deux objectifs seraient visés
: gestion communautaire et service social de mouture, il faudrait revoir
l'organisation des GVF et le système de gestion en exploitant les
valeurs socioculturelles quant à la vie communautaire, au bien commun et
aux moyens locaux de contrôle social. Ceci a pour avantage de les
assouplir et de débarrasser les femmes, majoritairement
analphabètes, de la kyrielle de papiers de gestion.
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+ Par rapport aux sources de revenus
Les ONG devront aider les populations qu'elles encadrent
à trouver et à créer des sources de revenus. C'est
pourquoi tout projet d'innovation technologique doit insister sur les moyens de
fonctionnement, d'entretien et de prise en charge. Sans cela, l'aide au
développement risque de ne pas atteindre son objectif premier qui est
d'améliorer les conditions de vie des populations. Elle créerait
plutôt des problèmes.
+ Par rapport aux fabricants de moulins
On observe que les fabricants locaux de moulins se
débrouillent individuellement dans l'informel sans grands moyens
d'innover. Nous pensons qu'il est possible, dans le cadre des programmes de
soutien aux PME, de les regrouper et de leur donner les moyens
nécessaires (formation, finance et matériel) à la
fabrication des modèles adaptés aux besoins locaux. Il est
également opportun d'organiser des journées technologiques,
à l'instar des semaines nationales de la culture, afin de promouvoir
l'innovation technologique. De telles solutions permettent de stimuler
l'initiative locale et de répondre aussi bien aux besoins de la zone
rurale et que de la ville. Ce faisant, on consolide le tandem technologie
appropriée - développement.
+ En vue du changement social
De nos jours, la nécessité d'oeuvrer pour le
développement rural devrait conduire les chercheurs et les agents de
développement à une lutte contre les inégalités
sociales, et à une recherche plus approfondie en vue de
l'intégration des activités des femmes au processus global de
développement.
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