1.3 Les étudiants
Les flux migratoires d'étudiants en quête de
savoir constituent une dimension essentielle de la présence
sénégalaise en France. La mobilité géographique des
Sénégalais
79
vers la France, dans le but d'y poursuivre des études
supérieures (universitaires et non universitaires) est un
phénomène relativement ancien. La France est le pays
étranger qui accueille la plus forte communauté
d'étudiants sénégalais. Les données fournies par le
ministère français de l'éducation, de l'enseignement
supérieur et de la recherche révèlent que près de
60.767 étudiants sénégalais se sont inscrits dans les
universités françaises de 1998 à 2007. Selon la Direction
de la Programmation et du Développement (D.P.D.) du ministère de
l'éducation nationale française, 68% des étudiants
sénégalais expatriés ont choisi de se rendre en France en
2001-2002, représentant ainsi la deuxième communauté de
l'Afrique francophone en nombre d'étudiants derrière les Gabonais
75% et devant les Camerounais 55% et les Marocains et Tunisiens 60%. Les
chiffres officiels du ministère de la coopération
française estimaient en 2002 à près de 95.000 le nombre
d'étudiants africains, soit plus de la moitié des 180.400
étudiants étrangers dans les universités
françaises. L'Afrique sub-saharienne fournissait le plus gros du
contingent avec 69.671 étudiants tandis que l'on dénombrait
25.000 ressortissants du Maghreb. Comme on peut le voir sur le tableau de la
page suivante, le nombre des étudiants sénégalais dans les
universités françaises a régulièrement
augmenté au cours de la période 1998-2006.
Jusqu'au début des années 1980, le fait
d'obtenir un diplôme d'une université française
était la garantie de l'accès à un emploi stable
prestigieux et bien rémunéré au Sénégal, le
plus souvent dans l'administration, ce qui est loin d'être le cas
aujourd'hui. Toutefois, dans l'imaginaire de nombreuses familles
sénégalaises, les diplômes acquis dans les écoles et
universités françaises restent encore pour leurs enfants le gage
d'une insertion professionnelle sécurisante notamment, à leur
retour. La renommée et l'attrait de l'enseignement dans les
écoles et universités françaises ont été
considérablement rehaussés au cours de ces dernières
années par la dégradation et la faillite du système
éducatif sénégalais. Depuis quelques années,
l'enseignement supérieur au Sénégal se trouve dans une
véritable impasse. Les manquements sont, de manière
générale, criants à tous les niveaux. Le principal
écueil est l'effectif pléthorique de la population estudiantine.
Les capacités d'accueil, notamment de l'université Cheikh Anta
Diop de Dakar (UCAD) sont largement insuffisantes et dérisoires pour
assurer de bonnes conditions d'études aux étudiants. La situation
est encore plus alarmante quant aux possibilités d'hébergement.
Le Sénégal a connu une année blanche en 1988 et une
année invalide en 1994. Les grèves cycliques et
répétitives ont fini de saper le moral des étudiants les
plus endurants et les plus aguerris. Dans de telles conditions, beaucoup de
80
jeunes restent persuadés que les formations et les
enseignements dispensés en France sont sans commune mesure avec ce
qu'ils peuvent recevoir dans leur propre pays. Guilaine Thébault (2008)
a constaté pendant ses enquêtes menées au
Sénégal sur des étudiants suivant une formation à
distance cet intérêt prononcé des étudiants
sénégalais dans l'acquisition de diplômes étrangers.
Elle ajoute que « ces universités de renom qui délivrent
leurs diplômes à distance sont mieux réputées que
l'université sénégalaise, au sein de laquelle
sévissent crise et perturbations, amputant les perspectives d'insertion
sur la marché du travail ». Même si les coûts de
formation dans les instituts d'enseignement supérieur privé ou
à l'étranger sont beaucoup plus élevés que les
coûts de l'enseignement dans les universités
sénégalaises, la plupart des étudiants considèrent
l'investissement plus sûr pour trouver ensuite des
débouchés, « contrairement à l'université
d'Etat, dont on dit qu'elle est une fabrique de chômeurs
maîtrisards. Il existe donc réellement une volonté
d'extraversion, autrement appelée « désir d'ailleurs
» extrêmement vivace, et notamment chez les étudiants
sénégalais » (G. Thébault, 2008).
Le désir de poursuivre ses études en France est
en outre motivé en partie par l'exemple de certaines élites
rentrées au pays où elles ont acquis une position sociale et
financière extrêmement confortable. Ainsi, chaque année,
des centaines de jeunes étudiants sénégalais prennent
d'assaut le site web de Campus France Sénégal avec un infime
espoir de trouver une inscription dans une université française,
et ensuite pour y effectuer les démarches de demande de visa.
81
Tableau 1. Effectifs des étudiants
sénégalais dans les universités françaises de 1998
à 2007
Années
|
Effectifs
|
1998-1999
|
3548
|
1999-2000
|
4078
|
2000-2001
|
5147
|
2001-2002
|
6166
|
2002-2003
|
7324
|
2003-2004
|
8020
|
2004-2005
|
8565
|
2005-2006
|
9019
|
2006-2007
|
8900
|
Total
|
60767
|
Source : SISE, ministère de l'Education
nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche
82
Graphique 2. Effectifs des étudiants
sénégalais dans les universités françaises de 1998
à 2007
![](Dynamique-des-reseaux-et-des-systemes-de-communication-des-migrants-senegalais-en-France4.png)
Source : SISE, ministère de l'Education
nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.
1.3.1 Des conditions de vie et d'études
généralement difficiles
Il faut préciser d'abord que la procédure pour
trouver une inscription dans une université française est
extrêmement compliquée. Les étudiants
sénégalais sont présents dans presque tous les
établissements universitaires de l'Hexagone. Une large majorité
des étudiants sénégalais en France est inscrite dans les
universités de la région parisienne. Ils sont également
nombreux à Reims, à Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Lyon,
Grenoble...
La plupart des étudiants ne sont pas boursiers. Seule
une petite partie dispose d'une bourse ou d'une aide offertes par le
gouvernement sénégalais. Les parents qui en ont les moyens
envoient régulièrement de l'argent à leurs enfants.
Cependant, la grande majorité doit chercher du travail en dehors des
horaires de cours pour financer ses études.
L'observation des données statistiques fournies par la
D.P.D. en 2001-2002 nous fait constater que les étudiants
sénégalais s'inscrivaient principalement en premier cycle et
s'orientaient d'abord dans les disciplines comme les sciences
économiques, juridiques et de gestion. Les étudiants poursuivant
des études supérieures dans les filières sciences humaines
et sociales étaient également très nombreux, de même
que ceux qui sont dans
83
les disciplines techniques (A. Coulon et S. Paivandi, 2003).
Pour bon nombre d'étudiants, l'arrivée dans ce nouvel
environnement géographique et social a été un
véritable choc. Passer l'euphorie du départ et l'angoisse des
premiers jours d'arrivée, le mythe de la France comme eldorado commence
peu à peu à s'effondrer. En effet, les différences
culturelles sont tellement énormes que beaucoup se retrouvent un peu
déboussolés dans les premiers instants. Tout au long de leur
parcours scolaire, ils sont confrontés à des procédures
administratives et scolaires multiples et particulièrement complexes.
Les difficultés pour trouver un logement constituent
une préoccupation permanente et un problème majeur. Les
étudiants qui sont dans les villes de province sont parfois
obligés de recourir à toutes sortes de subterfuges avec les
services des Centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires
(Crous) afin de pouvoir obtenir une chambre de petite taille, ne
dépassant pas 9 m2, en résidence universitaire à Bordeaux.
Ceux qui sont à Paris ont généralement beaucoup plus de
difficultés pour obtenir un logement, notamment en cité
universitaire. Le mode de logement le plus fréquent en région
parisienne semble être la cohabitation, le partage d'un appartement
(loué dans le logement privé) avec des amis ou proches. Souvent
peu spacieux, ils (ces chambres et ces appartements) n'en constituent pas moins
de véritables lieux de vie et de sociabilité. Les
étudiants s'y retrouvent souvent pour préparer les repas et le
thé, mais surtout pour discuter (de politique ou de sport la plupart du
temps), partager leurs peines, leurs angoisses et leurs déceptions ainsi
que leurs rares moments de bonheur et leurs espérances en des lendemains
meilleurs. Ces logements ont pu servir de cadre à la naissance de
solides liens d'amitié. C'est là aussi que certains couples se
sont rencontrés. La religion occupe également une place
importante dans ces espaces. Les résidences universitaires servent de
temps en temps à accueillir les activités des dahiras des
étudiants mourides en particulier. Les restaurants universitaires sont
aussi des espaces collectifs où les étudiants peuvent se
rencontrer de temps en temps pour discuter et échanger. Tous les espaces
collectifs aménagés dans les cités universitaires (salles
de télé, salles de travail, salles de jeux...) sont
utilisés comme des lieux de rencontre. Ces espaces ont aussi permis
parfois d'entretenir des échanges interculturels assez enrichissants
avec des étudiants français et européens (étudiants
séjournant en France dans le cadre du programme Erasmus), ou encore soit
avec d'autres étudiants africains ou soit avec des étudiants
venus d'autres continents avec des cultures complètement
différentes.
84
Les jobs pour étudiants se faisant de plus en plus
rares, certains sont prêts à accepter tout ce qui leur tombe entre
les mains, des emplois parfois très mal rémunérés,
à des heures pénibles. Bon nombre d'entre eux sont presque
contraints d'être manutentionnaires, agents d'entretien ou de
surveillance. Certains sont obligés de travailler en tant que
saisonniers dans les vignobles champenois et bordelais. D'autres sont
recrutés pour aller faire la récolte des myrtilles, des fraises,
des pommes, des melons dans l'Aviron, d'aller castrer les maïs à
Mont de Marsan dans les Landes.
Soumis à des obligations de réussite de la part
des services de la préfecture ou de la sous-préfecture, selon les
régions, les étudiants préfèrent se consacrer corps
et âme à leurs études et nettement moins à des
activités culturelles, sociales, ludiques ou sportives. Le redoublement,
un changement d'orientation ou un manque de cohérence dans les
études peuvent être considérés par les services
administratifs habilités comme des prétextes suffisants pour
refuser le renouvellement de la carte de séjour de l'étudiant
qui, s'il n'y prend garde, risque ainsi d'aller grossir le contingent des
« sans-papiers ». Dans ce contexte de difficultés,
réussir son insertion et ses études relève naturellement
d'un véritable exploit pour beaucoup d'étudiants.
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