1.2.2 Des liens multiples et forts avec le pays d'origine
1.2.2.1 La ville sainte de Touba, lieu de retour final
et de vie rêvé
Les commerçants mourides en France restent très
attachés à Touba, la capitale du mouridisme. Officiellement,
Touba est une communauté rurale située à 193 km de Dakar,
dans le département de Mbacké dans la région de Diourbel.
Mais avec sa population, ses équipements et infrastructures urbains,
Touba est devenue de fait la deuxième ville du Sénégal, la
seule capable de rivaliser plus ou moins avec la capitale Dakar. Chaque
année, des milliers de pèlerins convergent de tous les coins du
Sénégal et d'un peu partout à travers le monde pour
célébrer le Magal, le grand rassemblement de la communauté
mouride commémorant le départ en exil de Cheikh Ahmadou Bamba. Au
Sénégal, les lieux-dits Touba sont légion sur l'ensemble
du territoire national. D'ailleurs, le plus grand centre commercial du pays
porte le nom de Touba-Sandaga.
64 Serigne Mourtada est le fils cadet de Cheikh
Ahmadou Bamba. Désigné comme « l'Ambassadeur du mouridisme
dans le monde entier ou encore ministre des affaires étrangères
du khalife général des mourides », cet infatigable voyageur,
toujours muni de son bâton de pèlerin, est quasiment le principal
artisan de l'implantation du mouridisme dans de nombreux pays en Afrique, en
Europe et aux Etats-Unis. Sa réputation au Sénégal s'est
faite à travers la construction d'instituts islamiques et la mise en
place d'autobus aux tarifs sociaux. Sa disparition, le 8 août 2004, est
une grande perte pour toute la communauté mouride en particulier et
toute la communauté sénégalaise en
général.
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L'idéal pour le migrant commerçant, où
qu'il se trouve, reste d'acquérir dans la migration des moyens
financiers afin d'investir dans la ville sainte de Touba, lieu de retour final
et de vie rêvé. Régulièrement, ils envoient de
l'argent au pays afin de pouvoir construire rapidement une maison dans la
cité religieuse. Car pour le migrant mouride, la migration ne peut
être considérée comme une réussite qu'à
partir du moment où il a pu se faire construire sa propre maison
à Touba. A travers l'habitat et l'ouverture de négoces, les
migrants ont également beaucoup contribué à l'urbanisation
de la ville de Touba, au dynamisme urbain de la cité religieuse. Cheikh
Guèye souligne d'ailleurs que, du fait de sa croissance
démographique (environ 500 000 habitants), Touba est devenue aujourd'hui
« la deuxième ville du Sénégal après
l'agglomération de Dakar-Pikine »65. La
réalisation du projet urbain constitue un enjeu primordial qui mobilise
les migrants mourides. Ces derniers restent constamment en contact avec leurs
marabouts, leurs guides religieux.
La ville de Touba est le lieu de la décision ; elle a
une fonction centrale de commandement qui peut être même parfois
beaucoup plus puissante que celle de Dakar, pourtant la capitale
administrative, politique et économique du Sénégal. Et
cela est symbolique à plus d'un titre quand l'on sait l'hypertrophie de
Dakar par rapport aux autres villes sénégalaises. Touba est
à la fois un point de convergence et de divergence, et aussi un lieu
d'apprentissage et d'acquisition d'expériences. C'est parfois en effet
depuis Touba, haut lieu emblématique de la communauté mouride,
que les élites maraboutiques et commerçantes mettent en place les
stratégies et gèrent les actions qui se déploient sur les
différents espaces où s'est répartie la communauté
mouride. Les marabouts et certains grands commerçants jouent un
rôle fondamental dans la mise en relations de ces différents
lieux, dans les échanges notamment entre les lieux de commercialisation
et les lieux d'investissement.
En outre, dès que possible, dès que ses moyens
le lui permettent, le migrant commerçant mouride commence à
organiser peu à peu sa migration, sa mobilité géographique
à travers de perpétuels va-et-vient, d'incessants allers-retours
entre son lieu de migration et la ville de Touba. Pour les disciples mourides,
Touba est à la fois un « refuge spirituel et un espace
économique ». Des sommes d'argent colossales transitent
65 GUEYE, Cheikh. Touba : La capitale des
Mourides. Paris : Karthala, 2002.
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par des moyens formels et aussi à travers surtout des
canaux informels pour l'entretien des familles des migrants, et aussi pour des
investissements individuels et collectifs.
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