Le juge du contentieux des communications électroniques au Cameroun( Télécharger le fichier original )par Stéphane Maviane EFFA EFFA Université catholique d'Afrique Centrale Yaoundé - Master 2 en contentieux et arbitrage des affaires 2012 |
Section II : Le règlement des différends par l'Agence de Régulation des Télécommunications.En tant qu'autorité administrative indépendante, l'A.R.T dispose « d'un arsenal de prérogatives diversifiées. Les unes sont juridiques, comme le pouvoir de prendre des décisions exécutoires ou celui d'édicter des sanctions79(*) (...)». Mais le règlement des différends par l'A.R.T répond à une procédure bien déterminée, de même que l'exercice de son pouvoir de sanction. Paragraphe I : La procédure de règlement des différends par l'Agence de Régulation des Télécommunications.
La procédure de règlement d'un différend par l'A.R.T diffère selon qu'il oppose un opérateur à un autre, ou un consommateur à un opérateur. A. Les phases du règlement des différends entre opérateurs.Lorsqu'une autorité a en charge la régulation d'un secteur économique, réconcilier les parties peut permettre de diminuer les chocs de transformation du secteur, notamment lorsqu'il s'agit de transformer une organisation monopolistique en une économie de compétition. A ce titre, le régulateur peut jouer le rôle de conciliateur ou de médiateur dans le règlement des différends de droit privé. Ce pouvoir relève de son rôle pédagogique80(*). Le législateur camerounais a conservé le pouvoir de conciliation de l'Agence81(*), à la différence du législateur français82(*). Pour ce dernier, la procédure de conciliation apparaissait « (...) comme une perte de temps et un manque d'efficacité dans des matières mettant en jeu des investissements considérables et de long terme83(*) ». C'est la raison pour laquelle elle a été supprimée. Au Cameroun, l'A.R.T peut d'office ou à la demande des parties, procéder à une tentative de conciliation avant toute décision84(*). La conciliation peut opposer : des opérateurs exploitants de réseaux de télécommunications ouverts au public ; des fournisseurs de services de télécommunications ; des opérateurs exploitants de réseaux de télécommunications ouverts au public et des fournisseurs de services de télécommunications ; des opérateurs exploitants de réseaux de télécommunications ouverts au public et des exploitants de réseaux privés indépendants85(*). Avant de saisir l'Agence, le demandeur doit apporter la preuve qu'il a préalablement saisi l'autre partie sans succès, des faits objet du litige86(*), sous peine d'irrecevabilité. Il en découle que la saisine de l'Agence est conditionnée par un règlement amiable préalable entre les parties. En cas d'échec, l'Agence est saisie : soit par requête adressée au Directeur Général, et déposée au siège ou dans une antenne de l'Agence contre décharge ; soit par lettre recommandée avec accusé de réception adressée au Directeur Général ; soit par tout autre moyen laissant trace écrite. La requête et les pièces justificatives sont déposées à l'Agence en autant d'exemplaires qu'il y a de parties87(*). En ce qui concerne les conditions tenant à la recevabilité de la demande, les articles 12 et suivants de la loi sur les communications électroniques énoncent que la requête doit préciser la qualité du demandeur et son adresse complète. Elle doit également indiquer les faits à l'origine du différend, exposer les moyens invoqués et préciser les chefs de demande. Outre la pièce prouvant l'échec de la tentative de règlement amiable, les parties joignent à l'appui de la demande, tout document justifiant leurs prétentions. Elles doivent également préciser l'adresse à laquelle elles souhaitent se voir notifier les actes de procédure. Les frais de procédure sont non remboursables, et le récépissé de leur versement doit être joint à la requête. Si l'acte de saisine ne satisfait pas aux conditions sus indiquées, l'Agence invite le demandeur à compléter sa requête par tout moyen laissant trace écrite, dans le délai de 8 jours, sous peine d'irrecevabilité. Cependant, la demande de complément de pièces ne préjudicie pas à la validité de la saisine. Lorsque la demande est recevable, le Directeur informe les parties des possibilités de conciliation. Les parties disposent alors de 8 jours pour se prononcer. En cas d'avis favorable, le Directeur Général organise une procédure de conciliation88(*). Les audiences de conciliation qui sont présidées par le Directeur Général ou son représentant se déroulent à huis clos. La décision de conciliation doit intervenir dans un délai maximum de 30 (trente) jours, à compter de la saisine de l'Agence89(*). Lorsqu'une solution amiable est trouvée, l'Agence dresse un procès verbal de conciliation totale ou partielle, qui doit être signé des parties et des représentants de l'Agence. Le procès verbal de conciliation est annexé au protocole d'accord convenu entre les parties90(*). Il doit contenir : l'identification des parties ; l'exposé des prétentions respectives des parties et les moyens invoqués ; l'issue de la procédure de conciliation et la mention des engagements réciproques des parties ; le calendrier précis de l'exécution de l'accord ; la date et le lieu de signature du procès verbal et du protocole afférent ; et les noms des signataires du procès verbal. Les parties ont 30 (trente) jours à compter de la notification de la décision de conciliation pour s'exécuter91(*). Si dans ce délai l'une des parties ne s'exécute pas, l'Agence met en demeure la partie défaillante de s'y conformer dans un délai de 15 jours, sous peine de sanctions prévues par la règlementation en vigueur et/ou la convention de concession et les cahiers de charges des opérateurs92(*). En cas d'échec de la tentative de conciliation sur tout ou partie du différend, un procès verbal de non conciliation totale ou partielle est établi, et signé par les parties. Commence alors le règlement du différend proprement dit. Le Directeur Général transmet le procès verbal de non conciliation au Comité de Règlement des Différends (C.R.D.), assorti du dossier de procédure, et en désigne le coordonnateur. Le C.R.D doit statuer dans les 45 (quarante cinq) jours qui suivent le dépôt de la requête93(*). Mais avant, le Comité transmet le dossier à la Commission Technique de Règlement des Différends (C.T.R.D). Dès sa saisine, le coordonnateur de la Commission Technique de Règlement des Différends adresse à la partie adverse une copie de l'acte de saisine et fixe le délai dans lequel la partie concernée doit répondre94(*). Ensuite, il invite les parties à se réunir en sa présence, afin de déterminer de commun accord, un calendrier prévisionnel fixant les dates de production des observations. Les parties doivent déposer leurs observations et pièces en autant d'exemplaires qu'il y a de parties concernées, et dans les délais convenus. La C.T.R.D peut procéder à toute mesure d'instruction qui lui paraît utile. Cela doit se faire dans le respect du principe du contradictoire. A cet effet, la Commission Technique peut inviter les parties à fournir oralement ou par écrit, des explications nécessaires à la solution du différend. Elle peut procéder à des constatations, qui doivent être contenues dans un procès verbal signé des parties. Après signature, une copie dudit procès verbal est transmise à chaque partie, aux fins d'observations éventuelles. La C.T.R.D peut également procéder à des consultations techniques, économiques et juridiques. Les débats devant la C.T.R.D sont consignés dans des procès verbaux signés par tous les participants. Tous les actes de la C.T.R.D sont soumis au secret de l'instruction, qui est close cinq (5) jours francs avant l'audience devant le C.R.D95(*). Dès que l'instruction est terminée, le dossier est renvoyé au Comité de Règlement des Différends, qui convoque les parties 5 (cinq) jours francs avant la date de l'audience, par tout moyen laissant trace écrite et permettant d'attester de sa date de réception. Pour les mesures conservatoires, ce délai de convocation est de 3 (trois) jours. Lors de l'audience, le secrétariat du C.R.D expose oralement les moyens et les conclusions des parties, qui présentent leurs observations et peuvent se faire représenter. Le C.R.D ne peut délibérer que si au moins deux tiers de ses membres sont présents. Il statue à huis clos, hors la présence des parties. Les décisions sont prises à la majorité des voix. En cas de partage, la voix du président est prépondérante96(*). Les décisions du C.R.D sont notifiées par exploit d'huissier. Elles ont force exécutoire, en vertu de l'article 65 (11) de la loi régissant les communications électroniques qui dispose que : « Le recours à l'une des procédures prévues à l'alinéa 8 ci- dessus97(*) ne suspend pas l'exécution de la décision lorsque le litige porte sur l'un des domaines visés à l'alinéa 1 ci-dessus ». Ce qui voudrait dire en d'autres termes que le recours devant un arbitre ou une juridiction de droit commun, contre une décision de règlement rendue par l'A.R.T ne suspend pas l'exécution de celle-ci. Par conséquent les décisions de l'A.R.T rendues à l'issue d'un règlement des différends ont un caractère exécutoire immédiat98(*). Elles sont exécutoires, même par la force, puisqu'elles s'inscrivent dans le cadre de l'exercice de prérogatives de puissance reconnues à l'A.R.T. Il s'agit d'une garantie d'efficacité très forte, et il en va rarement de même dans l'ordre judiciaire général99(*). Les parties sont tenues au respect de l'obligation de confidentialité de la procédure de règlement qui les concerne. De même, aucune pièce de la procédure ne peut être utilisée ultérieurement par l'une des parties, au détriment de l'autre au cours d'une instance ou pour en tirer quelque avantage. A tout moment de la procédure, l'Agence peut demander ou accepter des parties, des documents additionnels. De ce qui précède, la procédure de règlement des différends de droit privé entre opérateurs révèle une certaine efficience, ce qui n'est pas le cas de la procédure de règlement des différends de droit privé entre un opérateur et un consommateur. * 79 Jean-Louis AUTIN, « La modernisation du service public », Regards sur l'actualité, janvier 1997, p. 33. * 80 Les autorités administratives indépendantes : évaluation d'un objet juridique non identifié (Tome I : Rapport), la composition et les pouvoirs des Autorités Administratives Indépendantes. http://www.senat.fr/rap/r05-404-1/r05-404-14.html, 28.2011, 10 : 25. * 81 Article 65 (4) de la loi régissant les communications électroniques. * 82 L'ARCEP a été déchue de son pouvoir de conciliation depuis la loi du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle. En effet, la procédure de conciliation devant l'ARCEP avait été jugée inadapté à la régulation, notamment en raison de son champ trop restrictif. Michel VIVANT et Autres, « droit de l'informatique et des réseaux », éd. lamy, 2006, p. 1717 * 83 Rapport AN, N° 2004, P. 5. * 84 Article 65 (4) de la loi régissant les communications électroniques au Cameroun : « L'Agence peut, d'office ou à la demande de l'une des parties, procéder à une tentative de conciliation (...) ». * 85 Article 4 (2) de la décision n° 000098/ART/DG/DAJCI du 31 Juillet 2008 portant régime du règlement des différends dans le secteur des télécommunications. * 86 Article 2 de la décision N°000098/ART/DG/DAJCI du 31 juillet 2008, portant règlement des différends devant le régulateur. * 87 Article 11 de la décision sus citée. * 88 Article 18 (2) de la décision n° 000098/ART/DG/DAJCI du 31 Juillet 2008 portant règlement des différends devant l'A.R.T. * 89 Article 65 (4) de la loi du 21 décembre 2010 régissant les communications électroniques au Cameroun. * 90 Article 19 de la décision N° 000098/ART/DG/DAJCI, du 31 juillet 2008 portant règlement des différends devant l'A.R.T. * 91 Article 65 (5) de la loi régissant les communications électroniques. * 92 Article 23 (3) de la décision du 31 juillet 2008 portant règlement des différends devant l'A.R.T. * 93 Article 65 (7) de la loi sur les communications numériques. * 94 Article 26 (1) de la décision sus citée. * 95 Article 35 de la décision N° 000098/ART/DG/DAJCI du 31 juillet 2008 portant règlement des différends devant l'A.R.T. * 96 Article 33 de la décision sus citée. * 97 L'article 8 de la loi régissant les communications électroniques énonce en effet que les décisions de l'Organe de Règlement des Différends de l'A.R.T sont susceptibles de recours soit devant un arbitre, soit devant les juridictions de droit commun. Il s'agit donc du recours à l'arbitrage et à la procédure judiciaire. * 98 Décision N°000049/D/ART/DG/DAJCI du 19 mars 2007, enjoignant la société ORANGE Cameroon à signer une convention d'interconnexion avec la les Etablissements GECOMIEX, fournisseur de services de télécommunications à valeur ajoutée au public. Voir aussi Décision N° 000028/D/ART/DG du 04 mars 2003 portant règlement du litige d'interconnexion entre MTN et CAMTEL. * 99 Cf. H. Castelnau, « L'Autorité de régulation : des décisions vraiment exécutoires ? », La lettre des télécommunications, 13 mai 2002, n° 99, p. 8 et 9. |
|