II.2. La constitution civile
La constitution civile est un rapport d'hommes libres, mais
soumis à des lois de
contrainte. Il y a comme un besoin de se constituer en Etat
pour se conserver. Ainsi Kant l'exprime-t-il en ces termes :
Une multitude d'êtres raisonnables souhaitent tous pour
leur conservation des lois universelles, quoique chacun d'eux ait un penchant
secret à s'en excepter soi-même. Il s'agit de leur donner une
constitution qui enchaîne tellement leurs passions personnelles l'une par
l'autre, que, dans leur conduite extérieure, l'effet en soit aussi
insensible que s'ils n'avaient pas du tout ces dispositions
hostiles24
II.2.1. Redéfinition de l'homme
L'homme a été défini depuis
l'antiquité comme animal politique. Chez Kant, l'homme
est conçu comme un animal dont la
caractéristique majeure est l'insociable sociabilité. Cette
caractéristique est un antagonisme que l'homme vit au-dedans de lui.
C'est dire que l'homme abuse à coup sûr de sa liberté
à l'égard de ses semblables. D'où la
nécessité, mieux le besoin d'un maître qui extirpe ses
penchants à une insociabilité accrue et sans frein.
Aussi Kant perçoit-il que « l'homme est un
animal qui, lorsqu'il vit parmi d'autres individus de son espèce, a
besoin d'un maître »25. C'est pourquoi, dit Kant,
Même s'il souhaite, en tant que créature
raisonnable, une loi qui mette des bornes à la liberté de tous,
son inclination animale et égoïste le conduit cependant à
s'en excepter lui-même lorsqu'il le peut. Il a donc besoin d'un
24 E. Kant, Projet de paix
perpétuelle, p.360.
25 E. Kant, op.cit., p. 195
19
maître qui brise sa volonté universellement
valable, afin que chacun puisse être libre26
Il est cependant évident que le maître dont il
s'agit est choisi dans l'espèce humaine. Autrement dit, le chef est
aussi soumis à l'insociable sociabilité et a, lui aussi, besoin
d'un maître. Car, dit Kant « chacune de personnes abusera
toujours de sa liberté si elle n'a personne au-dessus d'elle pour
exercer à son égard une puissance légale ». Il
s'avère donc difficile de choisir un maître du fait que le chef
suprême doit être juste par lui-même, et cependant être
un homme. La tâche du maître paraît donc la plus difficile de
toutes ; à vrai dire, sa solution parfaite est impossible. Mais la
nature, dit Kant, nous contraint à ne faire que nous approcher de cette
Idée.
En pratique, déclare Kant,
Pour maintes activités qui concernent
l'intérêt de la communauté, un certain mécanisme est
nécessaire, en vertu duquel quelques membres de la communauté
doivent se comporter de manière purement passive, afin d'être
dirigés par le gouvernement, aux termes d'une unanimité factice,
vers des fins publiques ou, du moins, afin d'être détournés
de la destruction de ces fins27
C'est dire que Kant reconnaît la place qui revient au
maître dans le gouvernement de la société. Car,
poursuit-il, « quand on a le pouvoir en main, (...), on ne se laissera
pas faire la loi par le peuple »28. Cela s'explique par la
loi de l'antagonisme dans la société. Et l'antagonisme se
définit comme la tendance à entrer dans la société,
mais cependant avec une constante résistance à entrer dans la
société, laquelle résistance menace sans cesse de scinder
cette société. Autrement dit, l'homme possède une
inclination à s'associer, car dans un tel état il se sent plus
homme, c'est-à-dire ressent le développent de ses dispositions
naturelles. Mais il a aussi une forte tendance à se singulariser
(s'isoler), car il rencontre en même temps en lui-même ce
caractère insociable qu'il a de vouloir tout diriger seulement selon son
point de vue ;
26 Ibidem
27 E. Kant, Réponse à la question
Qu'est-ce que les lumières?; p.313.
28 Ibidem, p.366.
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par suite, il s'attend à des résistances de
toute part, de même qu'il se sait lui-même enclin de son
côté à résister aux autres.
Et l'Etat demande à ces citoyens des périlleux
services s`explicitant en ces termes :
L'homme (...) en tant qu'il est citoyen, lequel doit toujours
être considéré dans l'Etat comme membre législateur
(non seulement comme moyen mais en même temps aussi comme fin en
lui-même) et doit donc donner son libre consentement, par la
médiation de ses représentants, non seulement à la guerre
en général, mais encore à chaque déclaration de
guerre particulière. C'est à cette seule condition restrictive
que l'Etat peut disposer de lui en exigeant ce périlleux
service29.
Les citoyens sont donc conviés tous ensemble à
édifier leur constitution afin de garantir leurs libertés
réciproques au moyen des lois universelles.
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