I.2. Etat de nature ou état de guerre
C'est un truisme que Kant considère l'état de
nature comme un état anarchique. Autrement dit, l'état de nature
est un état où règnent la violence et la guerre entre les
hommes. C'est donc un état de guerre. Pour l'ermite de Konigsberg,
« la guerre n'est au fond qu'une triste ressource qu'il faut employer
dans l'état de nature pour défendre ses droits, la force tenant
lieu de tribunaux juridiques »3. Encore faut-il savoir que
« dans l'état de nature et sans une sorte d'état
juridique, qui unisse entre elles les diverses personnes physiques ou morales,
il ne peut y avoir qu'un droit particulier »4.
De ces deux citations kantiennes, il apparaît avec
clarté que la force est l'instance régulatrice des conflits
à l'état de nature. En d'autres termes, c'est l'issue de la
guerre qui décide du sort du bon droit. L'on pourrait alors conclure que
c'est au plus fort (le vainqueur) que revient le bon droit. C'est à
cette conclusion que Kant aboutit en stipulant
Qu'aucun des deux partis ne peut être accusé
d'injustice, puisqu'il faudrait pour cela une sentence de droit ; mais l'issue
du combat décide, comme autrefois dans les jugements de Dieu, de quel
côté est le bon droit ; puisque entre les Etats, il ne saurait y
avoir de guerre de punition, n'y ayant pas entre eux de
subordination5.
2 E. Kant, op.cit.,p.360. notes
3 Ibidem, p.337.
4 Ibidem, p.379.
5 E. Kant, op.cit., p.337.
6 Ibidem, p.338.
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Aussi Kant étaie-t-il le noyau de sa thèse en
argumentant qu' « une guerre à outrance, pouvant
entraîner la destruction des deux partis à la fois, avec
l'anéantissement de tout droit, ne permettrait la conclusion de la paix
éternelle que dans le vaste cimetière de l'espèce humaine
»6.
Par le biais de cette forte conviction kantienne,
l'idée de la guerre à outrance se révèle inefficace
et incompatible avec le projet de paix perpétuelle. Car cette
idée de guerre à outrance dégénère,
désaltère et dénaturalise la pacification permanente des
individus à l'état de nature. Aussi la permanence des
hostilités ne saurait-elle en aucune manière conduire à la
paix perpétuelle. Car les hostilités déboussolent la
quête de la paix à l'échelle tant individuelle que
nationale ou étatique. C'est dire que les hostilités ont
définitivement élu domicile à l'état de nature
à telle enseigne que l'identification entre l'état de nature et
l'état de guerre devient caractéristique essentielle, voire la
substance favorite de la compréhension de ce que Kant entend par
état de nature.
C'est ainsi que l'état de nature doit
nécessairement être évité en tout et partout de
telle sorte que la dégénérescence de l'état
anarchique aboutisse à l'état de paix, lequel ne se
réalise qu'en sortant de l'état de nature. Autrement dit,
l'établissement d'un état de paix est fonction de la sortie de
l'état de nature.
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