III.3.2. De l'hospitalité universelle
Le troisième article définitif pour la paix
perpétuelle stipule que le droit cosmopolitique doit se borner aux
conditions d'une hospitalité universelle. Il s'agit du droit d'une
hospitalité universelle. En d'autres termes, l'hospitalité ici
signifie uniquement le droit qu'a chaque étranger de ne pas être
traité en ennemi dans le pays où il arrive. C'est-à-dire,
on peut refuser de le recevoir, mais on n'ose pas agir hostilement contre lui,
tant qu'il n'offense personne.
Notons cependant qu'il n'est pas question du droit
d'être reçu et admis dans la maison d'un particulier, mais
seulement du droit qu'ont tous les hommes de demander aux étrangers
d'entrer dans leur société. Ce droit est fondé sur celui
de la possession commune de la surface de la terre, dont la forme
sphérique oblige les hommes à se supporter les uns à
côté des autres, parce qu'ils ne sauraient s'y disperser à
l'infini et qu'originairement l'un n'a pas plus de droit que l'autre à
une contrée.
Aussi Kant est-il convaincu que c'est les droits de la nature
qui ordonnent cette hospitalité, car la nature se contente de fixer les
conditions sous lesquelles on peut essayer de former des liaisons avec les
indigènes d'un pays. C'est ce qu'il exprime en ces termes : «
De cette manière des régions éloignées les uns
des autres peuvent contracter des relations amicales, sanctionnées enfin
par des lois publiques, et le genre humain se rapprocher insensiblement d'une
constitution cosmopolitique »72.
L'idée d'une constitution cosmopolitique, mieux, d'un
droit cosmopolitique ne pourra plus passer pour une exagération
fantastique du droit ; elle est, dit Kant, le dernier degré de
perfection nécessaire au code tacite du droit civil et public ; car il
faut que ces systèmes conduisent enfin à un droit public des
hommes en général.
72 E. Kant, Projet de paix
perpétuelle, p.351.
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III.3.3. De la fédération des Etats libres
(ou alliance des peuples)
La fédération des peuples n'a pour objet que le
maintien de la paix entre les peuples. C'est pourquoi, d'après Kant, le
but de l'état légal qu'il s'agit d'établir entre les
peuples, se conçoit comme l'abolition de la guerre : « il ne
doit pas y avoir de guerre, il s'agit de mettre fin aux funestes menées
guerrières »73.
Afin d'expliquer pourquoi la formation d'une alliance des
peuples pourrait servir l'intérêt bien compris des Etats,
Kant74 évoque notamment trois tendances naturelles favorables
à la raison :
i) Le caractère pacifique des républiques
ii) La force socialisatrice du commerce international et
iii) La fonction de l'espace public politique. Parlant de
l'espace public civil, Habermas cite Kant en écrivant que
L'espace public civil détient en premier lieu une
fonction de contrôle ; il peut en effet empêcher par la critique
publique la mise en oeuvre de projets `ténébreux' incompatibles
avec des maximes publiquement défendables. D'après Kant, elle
doit cependant acquérir une fonction programmatique, dans la mesure
où les philosophes, en leur qualité de `maîtres de droit'
ou, comme nous dirions aujourd'hui, d'intellectuels, ont le droit de publier
librement les maximes générales qui concernent la guerre et la
paix, ce qui leur permet de convaincre le public des citoyens du bien
fondé de leurs principes 75.
Kant perçoit dans l'interdépendance croissante
des sociétés t dans l'extension du commerce une tendance
favorable à l'union pacifique des peuples. Pour Kant donc, cette
interdépendance est favorisée elle-même par
l'échange des informations, des personnes et des marchandises.
Développés au début de la
modernité, « les relations commerciales s'intensifient pour
constituer un marché mondial qui, selon la conception de Kant, se sert
de l'esprit d'intérêt de chaque peuple pour justifier
l'intérêt qu'il y a à garantir des conditions pacifiques.
»76
73 E. Kant cité par Habermas, op.
cit., p.11
74 Kant cité par Habermas, op.cit, p.27.
75 Ibidem, p.39.
76 J. Habermas, op.cit., p.32.
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Signalons en passant que Kant avait conçu l'expansion
de l'association formée par des Etats libres comme la cristallisation
d'un nombre croissant d'Etats autour du noyau constitué par une
avant-garde de républiques pacifiques : « car si le bonheur
voulait qu'un peuple, aussi puissant qu'éclairé, pût se
constituer en république(...), il y aurait dès lors un centre
pour cette association fédérative ; d'autres Etats pourraient y
adhérer(...) et cette alliance pourrait s'étendre insensiblement
»77.
L'organisation mondiale réunit aujourd'hui tous les
Etats, indépendamment du fait de savoir s'ils ont déjà une
constitution républicaine et s'ils respectent les droits de l'homme.
L'unité politique du monde trouve son expression dans l'assemblée
générale des Nations unies où tous les gouvernements sont
également représentés.
On peut appeler une telle union de quelques Etats,
destinée à maintenir la paix, le congrès permanent des
Etats, auquel tous les Etats voisins sont libres de se joindre. Sous le terme
de congrès, écrit Habermas, on n'entend toutefois qu'un conseil
formé arbitrairement par différents Etats, à tout moment
révocable, non pas une confédération (telle celle des
Etats américains) fondée sur une constitution politique et donc
indissoluble - c'est seulement par un tel congrès que peut être
réalisée l'idée d'instaurer un droit public des gens qui
tranche leurs conflits de manière civile, comme par un procès, et
non pas de façon barbare (à la manière des sauvages),
c'est-à-dire par la guerre.
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