III.4. la nature comme garant de la paix
perpétuelle
Kant déclare dans son ouvrage intitulé
Projet de paix perpétuelle que « le garant de ce
traité n'est rien moins que l'ingénieuse et grande
ouvrière, la nature ( nature daedala
77 Kant cité par Habermas, p. 65.
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rerum) »78 Il souligne en outre que
« le grand but de la nature est de faire naître parmi les
hommes, contre leur intention, l'harmonie du sein même de leurs discordes
»79.
Partant de ces affirmations et parlant de la nature, Kant stipule
que
L'ordonnance mesurée que nous observons dans le cours
des événements du monde, fait qu'on la nomme Providence, en tant
que nous voyons en elle la sagesse profonde d'une cause supérieure, qui
prédétermine la marche des destinées et les fait tendre au
but objectif du genre humain80.
Avant de déterminer la manière même dont
la Nature garantit la paix perpétuelle, il sera nécessaire
d'examiner la situation où elle place les personnages qui figurent sur
ce vaste théâtre et les mesures qu'elle a prises pour leur rendre
cette paix nécessaire. Voici ses arrangements
préparatoires81 :
i) Elle a mis les hommes en état de vivre dans tous les
climats.
ii) Elle les a dispersés au moyen de la guerre, afin
qu'ils peuplassent les régions les plus inhospitalières.
iii) Elle les a contraints par la même voie à
contracter des relations plus ou moins légales.
Aussi Kant reconnaît-il que
Si la Nature sépare sagement les peuples, que chaque
Etat voudrait combiner, soit par ruse soit de force, et cela d'après les
principes mêmes du droit des gens ; elle se sert, au contraire, de
l'esprit d'intérêt de chaque peuple pour opérer entre eux
une union, que l'idée seule du droit cosmopolitique n'aurait pas
suffisamment garantie de la violence et des guerres. Je parle de l'esprit de `
commerce qui s'empare tôt ou tard de chaque nation et qui est
incompatible avec la guerre' 82.
La nature est donc le garant de la paix perpétuelle,
car si la Nature veut qu'une chose arrive, elle en fait aux hommes un devoir.
C'est-à-dire, poursuit Kant, que « la raison
78 E. Kant, Projet de paix
perpétuelle, p. 353.
79 Ibidem
80 Ibidem
81 Ibid., p.356.
82 Ibid., p.362.
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pratique qui puisse prescrire à des êtres
libres des lois sans les contraindre ; mais cela veut dire que la Nature le
fait elle-même, que nous le voulions ou non »83.
Il s'agit maintenant d'examiner ce qu'il y a de plus essentiel
relativement à la paix perpétuelle, à savoir ce que la
Nature fait à cet égard. Car, renchérit Kant, «
tout ce que l'homme serait tenu de faire librement d'après le droit
civil, public et cosmopolitique, s'il le néglige, il soit forcé
à le faire, par une contrainte de la Nature, sans préjudice de sa
liberté »84.
Disons grosso modo, à la suite de Kant, que
La nature garantit la paix perpétuelle par le moyen des
penchants humains ; et quoique l'assurance qu'elle nous en donne ne suffise pas
pour la prophétiser théoriquement, elle nous empêche du
moins de la regarder comme un but chimérique et nous fait par
lui-même un devoir d'y concourir85.
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