II.3. Etat de droit ou Etats de droit ?
Nous nous proposons ici d'expliciter simplement le fait de la
diversité des peuples dans le monde. Car la constitution civile,
conduisant à l'état de droit, n'est pas singulière mais
plurielle. En d'autres mots, les peuples du monde se constituent non pas un
seul Etat de droit, mais en plusieurs Etats de droit qui ont entre eux des
relations réciproques. Et chaque Etat est appelé à
travailler pour la sortie de ses membres de l'état de nature, par le
biais d'une institution juridique. Il y a donc urgence et
nécessité d'étudier le rapport intra-étatique entre
les individus ainsi que le rapport inter-étatique. Pourquoi y-a-t-il des
guerres entre les Etats ? Quelle en est la cause ? Comment sortir dès
lors de cette situation turbulente et menaçante pour étendre la
paix perpétuelle à l'échelle étatique et globale
?
II.3.1. Indépendance des Etats
Il est clair que, pour Kant, chaque Etat est
indépendant. Autrement dit, chaque Etat est capable de se constituer
juridiquement et de choisir son dirigeant. Car, c'est par ce seul moyen que la
constitution civile garantit les libertés des individus, ceux-ci
prêtant une obéissance commune à leur souverain. C'est dire
que le besoin d'un maître reste le principe directeur et
fédérateur dans la constitution civile. Car, en y entrant,
« ils se garantissent réciproquement la sûreté
requise, par l'obéissance commune qu'ils prêtent au souverain.
»44
Aussi Kant souligne qu' « un Etat, parvenu une fois
à l'indépendance, ne se soumettra pas à la décision
d'autres Etats, sur la manière dont il doit soutenir ses droits, contre
eux. »45
43 E. Kant, Sur le lieu commun, p.286.
44 E. Kant, Projet de paix
perpétuelle, p.340
45 Ibidem, p.366.
46 ibidem
47 Ibidem, p.367
26
De cette situation, il convient de souligner le noyau de
l'argument kantien consistant à refuser à un Etat la
supériorité ni la puissance à l'égard d'autres
Etats. Car la position de domination et de puissance ne conduit que
difficilement à la paix perpétuelle.
C'est ce que Kant résume en ces termes :
Une partie même du monde, si elle se sent
supérieure à une autre, ne négligera pas d'agrandir sa
puissance, en se soumettant celle qui lui est inférieure en force. Et
ainsi s'évanouissent tous les beaux plans de droit civil, public et
cosmopolitique ; au lieu qu'une pratique, fondée sur des principes
déduits de la connaissance de la nature humaine et qui ne rougit pas
d'emprunter ses maximes de l'usage du monde, semble pouvoir seule
espérer de poser sur un fondement inébranlable l'édifice
de sa politique.46
D'après Kant l'évanouissent des beaux plans de
droit civil, public et cosmopolitique est nécessairement à
éviter. Car la domination d'un seul Etat peut entraîner de
perpétuels renversements de l'ordre de paix éternelle entre les
individus et entre les Etats. Cette situation peut émaner des
défauts venus de la constitution civile à telle enseigne que
S'il s'est glissé des défauts, soit dans la
constitution d'un Etat, soit dans les rapports des Etats entre eux, il est
principalement du devoir des chefs d'y faire aussitôt des amendements
conformes au droit naturel établi sur la raison ; dussent-ils même
sacrifier à ces changements leurs propres intérêts. 47
L'indépendance d'un Etat ne doit pas enfermer cet Etat
sur lui-même, car « l'état juridique
intra-étatique, affirme Habermas, doit déboucher sur un
état juridique global qui tout à la fois unit les peuples et
supprime la guerre ».
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