Le contrôle de la régularité des élections législatives au Cameroun( Télécharger le fichier original )par Diane MANDENG Université de Douala Cameroun - Diplôme d'études approfondies en droit public interne 2005 |
CHAPITRE II :L'EXERCICE D'UN CONTROLE LACUNAIRE PAR LES ORGANES JURIDICTIONNELSLes opérations électorales sont de plus en plus polluées par des comportements irréguliers au regard de la loi électorale. Afin de pallier cet état de chose, le législateur a, non seulement renforcé le droit électoral par des dispositions de fond, mais il a aussi eu à coeur d'en assurer l'effectivité par un dispositif original de sanction de la violation du droit électoral, par l'attribution au juge du contrôle de la régularité des élections et par la création d'un juge électoral dont le rôle est d'assurer le respect du suffrage dans l'intérêt de la démocratie. Face à la suspicion qui entoure l'existence et le fonctionnement des commissions électorales, il est apparu impératif de créer un contrôle juridictionnel devant compléter le contrôle administratif afin de le rendre plus crédible, plus garant de la sincérité, de la transparence et de l'authenticité du scrutin. Le juge possède de ce fait une grande liberté pour apprécier les irrégularités et les conséquences à en tirer. Il est exceptionnel qu'une irrégularité entraîne par elle-même et de manière automatique l'annulation de l'élection. Le rôle du juge sera ici de rechercher quelles ont été les incidences de l'irrégularité sur les résultats du scrutin et si elles sont de nature à fausser les résultats du scrutin. De ce point de vue, le juge est considéré plus comme le juge de l'exactitude du résultat que de la légalité des opérations électorales ou de la moralité de l'élection, ce qui assoupli l'efficacité du contrôle juridictionnel exercé par le juge. La loi électorale n° 91/010 du 19 décembre 1991 met en place un contrôle juridictionnel du processus électoral, toutefois, il faut noter que ce contrôle est inégalement organisé et est réparti entre diverses juridictions au gré du législateur et du constituant dans des conditions où la raison politique l'emporte sur la rationalité juridique (Section I). En outre l'on note l'existence d'un cadre procédural controversé qui crée un goût d'inachevé dans le corps électoral (Section II). SECTION I : UN CONTRÔLE INÉGALEMENT ORGANISÉInégalement organisé, le contrôle juridictionnel l'est très certainement du fait que la loi électorale camerounaise attribue de manière discrétionnaire et subjective des attributions aux différents organes juridictionnels qui devraient normalement être compétents dans le contrôle de la régularité des élections législatives. L'on note ainsi d'une part la répudiation du juge de sa compétence normale (paragraphe I) et d'autre part l'attribution excessive de compétences au conseil constitutionnel établi juge électoral (paragraphe II). PARAGRAPHE I : LA RÉPUDIATION DU JUGE DE SA COMPÉTENCE NORMALELes organes juridictionnels qui doivent normalement intervenir dans le contrôle de la régularité des élections législatives devraient être tout d'abord le juge judiciaire en tant que juge de l'état des personnes. Et conformément à l'ordonnance du 29 juin 1981 relative à l'état-civil. Ce dernier est de ce fait compétent pour connaître de tout recours tendant à la reconnaissance par un citoyen de son droit de vote. Cela implique nécessairement le droit de se faire inscrire sur une liste électorale et par conséquent de se faire délivrer une carte électorale en matière civile. Cependant, le juge judiciaire voit ses compétences restreintes au profit des commissions électorales d'une part (A) et d'autre part le juge administratif, en tant que juge de la régularité des actes administratifs, à qui l'article 32 de la Constitution du 02 juin 1972 reconnaissait la compétence de connaître des « recours en annulation pour excès de pouvoir, dirigé contre un acte administratif », est marginalisé ici par la contradiction qui existe entre l'article précité et l'article 40 de la Constitution du 18 janvier 1996, ce dernier article lui donne désormais des attributions bien précises. Aux termes de cet article, la chambre administrative « connaît en appel du contentieux des élections régionales et municipales, elles statuent souverainement sur les décisions rendues en dernier ressort par les juridictions inférieures en matière de contentieux administratif ». Au vu de ce qui précède, on peut dire que le droit électoral camerounais répudie le juge administratif de ce qui devrait être sa compétence normale (B). A - UNE RESTRICTION DES POUVOIRS DU JUGE JUDICIAIRECompétence à lui dévolue par l'ordonnance du 29 juin 1981 relative à l'état civil, le juge judiciaire en tant que juge de droit commun connaît de l'état des personnes dont la capacité des personnes. De ce fait, il est compétent pour garantir la protection des libertés individuelles des citoyens. Dès lors, il est chargé en matière électorale de garantir l'exercice par les citoyens de leur droit de vote, droit de vote lié à la capacité électorale telle que prévue par l'article 11 de la loi n° 91/020. Ce droit implique la possibilité de se faire inscrire sur une liste électorale ; et c'est l'exercice régulier de ces droits que le juge judiciaire doit garantir en réglant les litiges qui découlent de leur violation. Toutefois l'on note que les pouvoirs du juge judiciaire sont restreints en matière d'élections législatives dans la mesure où il voit ses compétences, pour ce qui est de l'inscription sur les listes électorales, limitées à une juridiction de second degré. Le contentieux de l'inscription sur les listes électorales lui est attribué lorsqu'il ne trouve pas un dénouement satisfaisant devant la Commission Départementale de Supervision qui y statue alors comme premier degré de juridiction 54(*) Cette restriction de la compétence du juge est illustrée par l'arrêt n° 002/cc rendu par la Cour d'appel de Bafoussam le 11 Août 1995 dans l'affaire KAGO LELE Jacques. 55(*) Il faut toutefois noter que la restriction de la compétence du juge en matière d'élection législative est préjudiciable à la transparence et à la régularité des dites opérations. Les opérations d'établissement et de révision des listes électorales apparaissent pourtant davantage comme une tâche proprement administrative devant par conséquent revenir à la compétence du juge administratif. * 54 Article 43 alinéa 1-3 de la loi électorale * 55 Dans cette affaire, le requérant KAGO LELE Jacques, alors même qu'il avait été élu conseiller municipal de Bafoussam en 1987, se voit refuser son inscription sur les listes électorales de cette ville en 1994. Sur ce, il saisit la Commission locale de supervision qui rejette sa requête au motif que l'intéressé a son domicile à Yaoundé. C'est contre cette décision de la commission que KAGO LELE interjette appel devant la commission communale de supervision qui infirme la décision et ordonne non seulement l'inscription du requérant, mais aussi celle des membres de sa famille. |
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