Développement
durable et théorie de la régulation : des apports
mutuels
Certes, le DD et la TR ne se comparent pas sans
précaution, étant entendu qu'ils ne se situent pas sur le
même plan épistémologique. La TR est une
théorie cherchant à expliquer les dynamiques
d'accumulation, leurs caractéristiques, leur entrée en crise,
leur enchaînement. Le DD, à l'évidence, n'est pas une
théorie. Il constitue, en premier lieu, un référentiel
analytique mettant l'accent sur un triple registre
d'interdépendances : de domaines (économique, social,
écologique, institutionnel), de temps, et d'espaces (Boltanski,
Chiapello, 1999).
Mais le DD est aussi un référentiel
normatif d'action publique et privée, avec pour dessein le plus
fondamental, une conjonction entre équité
intergénérationnelle et équité intra
générationnelle. En cela, il s'apparente à un
« projet ». A l'origine une charge critique et alternative
importante, mais un projet de plus en plus approprié par les entreprises
et les décideurs politiques et faisant alors office de principe
général de développement (Rumpala, 2003).
La différence de positionnements
épistémologiques n'empêche nullement le rapprochement. Au
contraire, la TR est susceptible d'apporter ses schèmes explicatifs pour
ordonner les éléments de problématique offerts par le DD
et d'appuyer des projets orientés vers la durabilité. Cette
première remarque étant faite, il apparaît que les deux
ensembles en présence se situent diversement à l'aune d'un
même registre de critères. Les différences sont sensibles.
Ce que l'un des ensembles met en exergue est, pour une large part,
laissé dans l'ombre par l'autre. Dès lors, les deux registres
semblent utilement complémentaires et leur conjonction permet de couvrir
un champ bien plus large que ne le fait leur seul regard exclusif.
Le tableau suivant résume la situation
différenciée du DD et de la TR face à plusieurs
critères, estimés pertinents pour l'exercice de comparaison. La
suite de la section en détaillera le contenu.
Tableau 2.1 : DD et TR : manques respectifs
et complémentarités
Concepts
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Problématique du DD
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Théorie de la régulation
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Conceptualisation du système économique
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Globale et mettant l'accent sur la dimension productiviste
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Détaillée : régimes d'accumulation et
modes
de régulations variables
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Rapport aux institutions
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Vague ou ad hoc
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Précis : 5 formes institutionnelles
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Prise en compte de l'environnement
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Essentielle dans l'approche
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Non explicitée
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Rapport au temps
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Long terme a-historique
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Dimension historique
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Analyse des ruptures
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Irréversibilités, incertitude, etc.
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Grandes et petites crises
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Cadre spatial privilégié
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Global
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Principalement national
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Source : Copyright 2011
Le
rapport à l'environnement
Il est vrai, pour y parvenir, il conviendrait que la TR se
penche davantage sur le rôle de l'environnement naturel dans la dynamique
économique. Au milieu des années 90, Alain on faisait le constat
que la TR avait durablement ignoré la question écologique. Cette
apparente indifférence était d'autant plus surprenante que les
auteurs régulationnistes sont fréquemment engagés comme
militants de la cause écologiste (Lipietz 1995).
Pour expliquer ce paradoxe, on invoquait deux raisons. D'une
part, ces auteurs sont justement des « écologistes
politiques » et non des environnementalistes. Pour eux, dans une
tradition althussérienne, l'environnement n'est qu'une production
artificielle dans laquelle se matérialisent les rapports sociaux. De
là, résulte un intérêt plus marqué pour
l'urbain et le cadre bâti que pour l'environnement naturel, au sens
strict. D'autre part, l'approche régulationniste est traditionnellement
axée sur le fordisme et sa remise en cause et, de ce point de vue,
« il est difficile de prétendre que le fordisme soit
entré en crise par le côté du rapport
société-environnement » (Lipietz, 1995, p. 351).
Par contre, d'autres concernent plus particulièrement
l'évolution récente de l'entreprise face à
l'environnement. Se situant à un niveau plus général,
plusieurs travaux sont partis de l'idée que les caractéristiques
du rapport économique à l'environnement étaient
influencées par l'état et l'évolution de la conjonction
« régime d'accumulation / mode de
régulation », et ont même, pour certains, discuté
l'hypothèse que le rapport social à l'environnement pouvait
constituer une « forme institutionnelle » (Becker, Raza,
2000 ; Rousseau, 2002, 2003).
Quel que soit l'intérêt de ces différents
apports, il est clair, cependant, qu'ils sont trop peu nombreux et
insuffisamment coordonnés pour former une véritable
théorie régulationniste de l'environnement. De fait,
l'intégration de l'environnement dans le corpus régulationniste
demeure un exercice encore largement inachevé. Les travaux sur le DD,
insistent, pour leur part, sur la question environnementale, pourraient
utilement contribuer à cette possible orientation nouvelle. En effet,
s'il est une composante qui parcourt l'ensemble de la littérature sur le
DD, qu'il s'agisse d'apports théoriques ou des documents d'origine
institutionnelle, c'est bien la question environnementale Côté
économie standard, la théorie de la croissance soutenable se
fonde sur la théorie des externalités environnementales, issue de
l'économie des ressources naturelles (Hotelling, 1931 ; Solow,
1974a, 1974b ; Hartwick, 1977, 1978).
Pour leur part, les partisans de la durabilité forte,
en particulier les tenants de l'économie écologique, mettent la
spécificité de la logique écologique au coeur de leur
analyse et adoptent une position critique vis-à-vis de
l'hypothèse de substituabilité des facteurs
généralement avancée par le courant standard. Ils
reconnaissent ainsi le concept de « capital naturel
critique » (Ekins et al. 2003)
Selon lequel un certain nombre de phénomènes
naturels sont proprement irremplaçables (régulations climatiques,
protection par l'ozone stratosphérique, biodiversité, etc.) et
leur dégradation, au-delà d'un certain niveau, est porteuse
d'irréversibilités ruineuses pour la nature comme pour l'Homme.
Finalement, dans l'ensemble de la littérature non théorique sur
le DD, émanant des diverses organisations s'estimant concernées
par cette problématique (institutions internationales, administrations
d'État, collectivités territoriales, entreprises et leurs
représentants, associations...), l'environnement naturel occupe une
place centrale, voire exclusive (Ibid.).
Dans ce registre particulier, les contributions portent alors
sur les impacts environnementaux des activités économiques, sur
les moyens possibles permettant de limiter ces impacts en privilégiant
en l'occurrence l'intervention préventive, ainsi que sur la possible
conciliation entre efficacité économique et préservation
de l'environnement. Sans doute de telles contributions manquent-elles à
dégager une véritable « historicisation » du
rapport entre activités économiques et environnement. Tout comme
pour le DD en général, il n'est pas recherché une
périodisation de ce rapport en lien avec les modes de
développement prévalant. Pour le moins cependant, les travaux
existants pourraient apporter un matériau de choix pour alimenter une
telle problématique à laquelle s'attellerait la TR, munie quant
à elle de son appareillage conceptuel.
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