ANNEXES
AFFAIRE RELATIVE AU PROJET
GABCÍKOVO-NAGYMAROS
(HONGRIE/SLOVAQUIE)
Arrêt du 25 septembre 1997
Dans son arrêt sur l'affaire relative au Projet
Gabcíkovo-Nagymaros(Hongrie/Slovaquie), la Cour a
décidé que la Hongrie n'était pas en droit de
suspendre puis d'abandonner, en 1989, la partie des travaux qui
lui incombait dans le cadre du projet de barrage, tels qu'ils
étaient déterminés dans le Traité signé
en 1977 par la Hongrie et la Tchécoslovaquie et dans les
instruments y afférents; la Cour a décidé en
outre que la Tchécoslovaquie était en droit
d'entreprendre, en novembre 1991, les travaux préparatoires en
vue de la mise en oeuvre d'une solution alternative et provisoire (la
« variante C »), mais non de la mettre
unilatéralement en service en octobre 1992; que la
notification, le 19 mai 1992, par la Hongrie de la terminaison du
Traité de 1977 et des instruments y afférents n'a pas eu
pour effet juridique d'y mettre fin (et que par conséquent ils
sont toujours en vigueur et régissent les relations entre les
Parties); et que la Slovaquie, en tant que successeur de la
Tchécoslovaquie, est devenue partie au Traité de
1977.
Quant au futur comportement des Parties, la Cour a conclu :
que la Hongrie et la Slovaquie doivent conduire des négociations de
bonne foi en tenant compte de la situation existante, et qu'elles doivent
prendre toutes les mesures nécessaires afin d'assurer la
réalisation des objectifs du Traité de 1977; que, sauf si les
Parties en conviennent autrement, un régime opérationnel conjoint
pour le barrage en territoire slovaque doit être établi
conformément au Traité de 1977; que chaque Partie doit indemniser
l'autre Partie pour les dommages causés par son comportement; et que le
règlement des comptes concernant la construction et le fonctionnement
des ouvrages doit être effectué conformément aux
dispositions pertinentes du Traité de 1977 et des instruments y
afférents. De plus, la Cour a décidé que des normes du
droit de l'environnement, récemment apparues, étaient pertinentes
à l'exécution du Traité et que les Parties pouvaient, d'un
commun accord, en tenir compte en appliquant plusieurs de ses articles. Elle a
conclu que les Parties, pour concilier le développement
économique et la protection de l'environnement, « devraient
examiner à nouveau les effets sur l'environnement de l'exploitation de
la centrale de Gabcíkovo. En particulier, elles doivent trouver une
solution satisfaisante en ce qui concerne le volume d'eau à
déverser dans l'ancien lit du Danube et dans les bras situés de
part et d'autre du fleuve ».
La Cour était composée comme suit : M. Schwebel,
Président; M. Weeramantry, Vice-Président; MM. Oda, Bedjaoui,
Guillaume, Ranjeva, Herczegh, Shi, Fleischhauer, Koroma, Vereshchetin,
Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek, juges; M. Skubiszewski, juge ad hoc; M.
Valencia-Ospina, Greffier.
*
* *
Le dispositif de l'arrêt se lit comme suit :
« 155. Par ces motifs,
LA COUR,
1) Vu le paragraphe 1 de l'article 2 du compromis,
A. Dit, par quatorze voix contre une, que la Hongrie
n'était pas en droit de suspendre puis d'abandonner, en 1989, les
travaux relatifs au projet de Nagymaros ainsi qu'à la partie du projet
de Gabcíkovo dont elle était responsable aux termes du
Traité du 16 septembre 1977 et des instruments y afférents;
POUR : M. Schwebel, Président; M. Weeramantry,
Vice-Président; MM. Oda, Bedjaoui, Guillaume, Ranjeva, Shi,
Fleischhauer, Koroma, Vereshchetin, Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek, juges;
M. Skubiszewski, juge ad hoc;
CONTRE : M. Herczegh, juge;
B. Dit, par neuf voix contre six, que la
Tchécoslovaquie était en droit de recourir, en novembre 1991,
à la « solution provisoire » telle que décrite aux
termes du compromis;
POUR : M. Weeramantry, Vice-Président; MM. Oda,
Guillaume, Shi, Koroma,Vereshchetin, Parra-Aranguren, Kooijmans, juges; M.
Skubiszewski, juge ad hoc;
CONTRE : M. Schwebel, Président; MM. Bedjaoui, Ranjeva,
Herczegh, Fleischhauer, Rezek, juges;
C. Dit, par dix voix contre cinq, que la
Tchécoslovaquie n'était pas en droit de mettre en service,
à partir d'octobre 1992, cette « solution provisoire »;
POUR : M. Schwebel, Président; M. Weeramantry,
Vice-Président; MM. Bedjaoui, Guillaume, Ranjeva, Herczegh, Shi,
Fleischhauer, Kooijmans, Rezek, juges;
CONTRE : MM. Oda, Koroma,Vereshchetin, Parra-Aranguren, juges;
M. Skubiszewski, juge ad hoc;
D. Dit, par onze voix contre quatre, que la
notification, le 19 mai 1992, de la terminaison du Traité du 16
septembre 1977 et des instruments y afférents par la Hongrie n'a pas eu
pour effet juridique d'y mettre fin;
POUR : M. Weeramantry, Vice-Président; MM. Oda,
Bedjaoui, Guillaume, Ranjeva, Shi, Koroma, Vereshchetin, Parra-Aranguren,
Kooijmans, juges;
M. Skubiszewski, juge ad hoc;
CONTRE : M. Schwebel, Président; MM. Herczegh,
Fleischhauer, Rezek, juges;
2) Vu le paragraphe 2 de l'article 2 et l'article 5 du
compromis,
A. Dit, par douze voix contre trois, que la
Slovaquie, en tant que successeur de la Tchécoslovaquie, est devenue
partie au Traité du 16 septembre 1977 à compter du 1er janvier
1993;
POUR : M. Schwebel, Président; M. Weeramantry,
Vice-président; MM. Oda, Bedjaoui, Guillaume, Ranjeva, Shi, Koroma,
Vereshchetin, Parra-Aranguren, Kooijmans, juges; M. Skubiszewski, juge ad
hoc;
CONTRE : MM. Herczegh, Fleischhauer, Rezek, juges;
B. Dit, par treize voix contre deux, que la Hongrie
et la Slovaquie doivent négocier de bonne foi en tenant compte de la
situation existante et doivent prendre toutes mesures nécessaires
à l'effet d'assurer la réalisation des objectifs du Traité
du 16 septembre 1977, selon des modalités dont elles conviendront;
POUR : M. Schwebel, Président; M. Weeramantry,
Vice-président; MM. Oda, Bedjaoui, Guillaume, Ranjeva, Shi, Koroma,
Vereshchetin, Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek, juges; M. Skubiszewski, juge
ad hoc;
CONTRE : MM. Herczegh, Fleischhauer, juges;
C. Dit, par treize voix contre deux, que, sauf si les
Parties en conviennent autrement, un régime opérationnel conjoint
doit être établi conformément au Traité du 16
septembre 1977;
POUR : M. Schwebel, Président; M. Weeramantry,
Vice-président; MM. Oda, Bedjaoui, Guillaume, Ranjeva, Shi, Koroma,
Vereshchetin, Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek, juges; M. Skubiszewski, juge
ad hoc;
CONTRE : MM. Herczegh, Fleischhauer, juges;
D. Dit, par douze voix contre trois, que, sauf si les
Parties en conviennent autrement, la Hongrie devra indemniser la Slovaquie pour
les dommages subis par la
Tchécoslovaquie et par la Slovaquie du fait de la
suspension et de l'abandon par la Hongrie de travaux qui lui incombaient; et la
Slovaquie devra indemniser la
Hongrie pour les dommages subis par cette dernière du
fait de la mise en service de la « solution provisoire » par la
Tchécoslovaquie et de son maintien en service par la Slovaquie;
POUR : M. Schwebel, Président; M. Weeramantry,
Vice-président; MM. Bedjaoui, Guillaume, Ranjeva, Herczegh, Shi,
Fleischhauer, Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek, juges; M. Skubiszewski, juge
ad hoc;
CONTRE : MM. Oda, Koroma, Vereshchetin, juges;
E. Dit, par treize voix contre deux, que le
règlement des comptes concernant la construction et le fonctionnement
des ouvrages doit être effectué conformément aux
dispositions pertinentes du Traité du 16 septembre 1977 et des
instruments y afférents, compte dûment tenu des mesures qui auront
été prises par les Parties en application des points 2 B et C du
présent dispositif.
POUR : M. Schwebel, Président; M. Weeramantry,
Vice-président; MM. Oda, Bedjaoui, Guillaume, Ranjeva, Shi, Koroma,
Vereshchetin, Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek, juges; M. Skubiszewski, juge
ad hoc;
CONTRE : MM. Herczegh, Fleischhauer, juges.
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* *
M. Schwebel, Président, et M. Rezek ont joint des
déclarations à l'arrêt de la Cour; M. Weeramantry, Vice-
Président, et MM. Bedjaoui et Koroma ont joint à l'arrêt
les exposés de leur opinion individuelle; MM. Oda, Ranjeva, Herczegh,
Fleischhauer, Vereshchetin, Parra-Aranguren et M. Skubiszewski, juge ad hoc,
ont joint à l'arrêt les exposés de leur opinion
dissidente.
*
* *
Rappel de la procédure et exposé des
demandes
(par. 1 à 14)
La Cour commence par rappeler que l'instance a
été introduite, le 2 juillet 1993, par la notification conjointe,
par la Hongrie et la Slovaquie, d'un compromis, signé à Bruxelles
le 7 avril 1993. Après avoir cité le texte du compromis, la Cour
expose les étapes successives de la procédure, mentionnant, en
autres choses, la visite sur les lieux qu'elle a effectuée, à
l'invitation des Parties, du 1er au 4 avril 1997. Elle énonce ensuite
les conclusions des Parties.
Historique du différend
(par. 15 à 25)
La Cour rappelle que la présente affaire trouve son
origine dans la signature, le 16 septembre 1977, par la République
populaire hongroise et la République socialiste tchécoslovaque
d'un traité « relatif à la construction et au fonctionnement
du système d'écluses de Gabcíkovo-Nagymaros »
(dénommé ci-après le « Traité de 1977 »).
Le nom des deux États contractants a varié au cours des ans; ils
sont dénommés ci-après la Hongrie et la
Tchécoslovaquie. Le Traité de 1977 est entré en vigueur le
30 juin 1978. Il prévoit la construction et l'exploitation du
système d'écluses par les Parties « en tant
qu'investissement conjoint ». Selon le préambule du Traité,
le système avait pour but « de mettre en valeur, de façon
générale, les ressources naturelles de la section
Bratislava-Budapest du Danube aux fins du développement des secteurs des
ressources hydrauliques, de l'énergie, des transports et de
l'agriculture et des autres secteurs de l'économie nationale des Parties
contractantes ». L'investissement conjoint tendait ainsi essentiellement
à la production d'hydroélectricité, à
l'amélioration de la navigation sur le tronçon en cause du Danube
et à la protection des régions riveraines contre les inondations.
En même temps, les Parties contractantes, selon les termes du
Traité, s'engageaient tant à veiller à ce que la mise en
oeuvre du projet ne compromette pas la qualité des eaux du Danube
qu'à s'acquitter de leurs obligations concernant la protection de la
nature et découlant de la construction et du fonctionnement du
système d'écluses. Le secteur du Danube auquel se rapporte la
présente affaire est un tronçon d'environ 200 kilomètres,
entre
Bratislava, en Slovaquie, et Budapest, en Hongrie. En aval de
Bratislava, la déclivité du fleuve diminue sensiblement,
créant une plaine alluviale de gravier et de sédiments sableux.
La frontière entre les deux États est constituée dans la
majeure partie de cette région par le chenal principal du fleuve. Cunovo
et, plus en aval, Gabcíkovo sont situés dans ce secteur du
fleuve, en territoire slovaque; Cunovo est situé sur la rive droite du
fleuve et Gabcíkovo sur la rive gauche.
Plus bas, après jonction des divers bras, le fleuve
entre en territoire hongrois. Nagymaros se trouve dans une vallée
étroite à un endroit où le Danube fait un coude juste
avant de se diriger vers le sud, entourant la grande île fluviale de
Szentendre avant d'atteindre Budapest (voir le croquis no 1). Les principaux
ouvrages à construire en exécution du projet sont décrits
dans le Traité de 1977. Deux séries d'écluses
étaient prévues, l'une à Gabcíkovo (en territoire
tchécoslovaque), l'autre à Nagymaros (en territoire hongrois), en
vue de constituer « un système d'ouvrages opérationnel,
unique et indivisible » (voir le croquis no 2). Le Traité
prévoyait en outre que les spécifications techniques concernant
le système seraient fixées dans le « plan contractuel
conjoint », qui devait être établi conformément
à l'accord signé à cette fin par les deux gouvernements le
6 mai 1976; il prévoyait également que la construction, le
financement et la gestion des travaux seraient menés à bien
conjointement et que les Parties y participeraient à parts
égales. Sur un grand nombre de points, le plan contractuel conjoint
précisait à la fois les objectifs du système et les
caractéristiques des ouvrages. Il comprenait également des «
consignes provisoires d'exploitation et d'entretien » dont l'article 23
précisait que « Les consignes d'exploitation définitives
[seraient] agréées dans un délai d'un an à compter
de la mise en service du système. »
La Cour observe que le projet devait donc se présenter
comme un projet conjoint intégré dans lequel les deux Parties
contractantes seraient sur un pied d'égalité en ce qui concerne
le financement, la construction et l'exploitation des ouvrages. Son
caractère unique et indivisible devait être
concrétisé grâce au plan contractuel conjoint qui
complétait le Traité. C'est sous le contrôle de la Hongrie,
en particulier, que se seraient trouvés les vannes de Dunakiliti et les
ouvrages de Nagymaros, tandis que les ouvrages de Gabcíkovo auraient
été placés sous le contrôle de la
Tchécoslovaquie.
*
* *
Le calendrier de réalisation des travaux avait pour sa
part été fixé dans un accord d'assistance mutuelle
signé par les deux Parties le 16 septembre 1977, en même temps que
le Traité lui-même. L'accord apportait quelques retouches à
la répartition des travaux entre les Parties telle
qu'opérée par le Traité. Les travaux relatifs au projet
commencèrent en 1978. À l'initiative de la Hongrie, les deux
Parties convinrent d'abord, par deux protocoles signés le 10 octobre
1983, de ralentir les travaux et de différer la mise en
service des centrales, puis, par un protocole signé le 6 février
1989, d'accélérer le projet. À la suite de vives critiques
que le projet avait suscitées en Hongrie, le Gouvernement hongrois
décida le 13 mai 1989 de suspendre les travaux à Nagymaros en
attendant l'achèvement de diverses études que les
autorités compétentes devaient mener à bien avant le 31
juillet 1989. Le 21 juillet 1989, le Gouvernement hongrois prolongea jusqu'au
31 octobre 1989 la suspension des travaux à Nagymaros et suspendit en
outre les travaux à Dunakiliti jusqu'à la même date. Enfin,
le 27 octobre 1989, la Hongrie décida d'abandonner les travaux à
Nagymaros et de maintenir le statu quo à Dunakiliti. Au cours de cette
période, des négociations furent tenues entre les Parties. La
Tchécoslovaquie mit aussi à l'étude des solutions de
rechange. L'une d'entre elles, solution de rechange dénommée par
la suite « variante C », impliquait le détournement
unilatéral du Danube par la Tchécoslovaquie sur son territoire
à quelque 10 kilomètres en amont de Dunakiliti (voir le croquis
no 3). Dans son dernier état, la variante C comportait la construction
à Cunovo d'un barrage déversoir et d'une digue reliant ce barrage
à la rive sud du canal de dérivation. Des ouvrages accessoires
étaient prévus.
Le 23 juillet 1991, le Gouvernement slovaque décida de
« commencer en septembre 1991 les constructions en vue de permettre la
mise en exploitation du projet de Gabcíkovo grâce à la
solution provisoire ». Les travaux relatifs à la variante C
commencèrent en novembre 1991. Les discussions se poursuivirent en vain
entre les deux Parties et, le 19 mai 1992, le Gouvernement hongrois transmit au
Gouvernement tchécoslovaque une note verbale mettant fin, à
compter du 25 mai 1992, au Traité de 1977. Le 15 octobre 1992, la
Tchécoslovaquie entama les travaux devant permettre la fermeture du
Danube et elle procéda, à partir du 23 octobre, au barrage du
fleuve.
La Cour enfin prend note du fait que le 1er janvier 1993, la
Slovaquie devint un État indépendant; que dans le compromis
conclu par la suite entre la Hongrie et la Slovaquie les Parties étaient
convenues d'établir et d'appliquer un régime temporaire de
gestion des eaux pour le Danube; et qu'elles ont conclu finalement, le 19 avril
1995, un accord à cet effet, qui doit prendre fin quatorze jours
après le prononcé de l'arrêt de la Cour. La Cour observe
également que le préambule du compromis s'applique non seulement
au Traité de 1977, mais aussi aux « instruments y afférents
»; et que les Parties, tout en concentrant leur argumentation sur le
Traité de 1977, paraissent avoir étendu leur démonstration
aux «instruments y afférents ».
Suspension et abandon par la Hongrie en 1989 des
travaux relatifs au projet
(par. 27 à 59)
Aux termes de l'article 2, paragraphe 1, alinéa
a, du compromis, il est demandé en premier lieu à la
Cour de dire « si la République de Hongrie était en droit de
suspendre puis d'abandonner, en 1989, les travaux relatifs au projet de
Nagymaros ainsi qu'à la partie du projet de Gabcíkovo dont la
République de Hongrie est responsable aux termes du Traité
».
La Cour observe qu'elle n'a pas à s'attarder sur la
question de l'applicabilité ou de l'inapplicabilité en
l'espèce de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des
traités qu'ont invoquée les Parties. Il lui suffit de rappeler
qu'à plusieurs reprises déjà, elle a eu l'occasion de dire
que certaines des règles énoncées dans ladite convention
pouvaient être considérées comme une codification du droit
coutumier existant. La Cour est d'avis qu'à bien des égards tel
est le cas des règles de la Convention de Vienne afférentes
à l'extinction et à la suspension de l'application des
traités, énoncées à ses articles 60 à 62. La
Cour ne perd pas non plus de vue que la Convention de Vienne est en tout
état de cause applicable au Protocole du 6 février 1989 par
lequel la Hongrie et la Tchécoslovaquie étaient convenues
d'accélérer les travaux relatifs au projet
Gabcíkovo-Nagymaros. La Cour n'a pas davantage à s'étendre
sur la question des relations qu'entretiennent le droit des traités et
le droit de la responsabilité des États, à laquelle les
Parties ont consacré de longs développements. Ces deux branches
du droit international ont en effet, à l'évidence, des champs
d'application distincts. C'est au regard du droit des traités qu'il
convient de déterminer si une convention est ou non en vigueur, et si
elle a ou non été régulièrement suspendue ou
dénoncée. C'est en revanche au regard du droit de la
responsabilité des États qu'il y a lieu d'apprécier dans
quelle mesure la suspension ou la dénonciation d'une convention qui
serait incompatible avec le droit des traités engage la
responsabilité de l'État qui y a procédé. La Cour
ne peut suivre la Hongrie lorsque celle-ci soutient qu'en suspendant puis en
abandonnant en 1989 les travaux dont elle avait encore la charge à
Nagymaros et à Dunakiliti, elle n'a pas suspendu l'application du
Traité de 1977 lui-même, puis rejeté ce traité. Le
comportement de la Hongrie à l'époque ne peut être
interprété que comme traduisant sa volonté de ne pas
exécuter au moins certaines dispositions du Traité et du
protocole du 6 février 1989, telles que précisées dans le
plan contractuel conjoint. L'effet du comportement de la Hongrie a
été de rendre impossible la réalisation du système
d'ouvrages que le Traité qualifiait expressément d'« unique
et indivisible ». La Cour examine ensuite la question de savoir s'il
existait, en 1989, un état de nécessité qui eût
permis à la Hongrie, sans engager sa responsabilité
internationale, de suspendre et d'abandonner des travaux qu'elle était
tenue de réaliser conformément au Traité de 1977 et aux
instruments y afférents. La Cour observe tout d'abord que l'état
de nécessité constitue une cause, reconnue par le droit
international coutumier, d'exclusion de l'illicéité d'un fait non
conforme à une obligation internationale. Elle considère en outre
que cette cause d'exclusion de l'illicéité ne saurait être
admise qu'à titre exceptionnel. Dans la présente affaire, les
conditions de base suivantes, énoncées à l'article 33 du
projet d'articles sur la responsabilité internationale des États
de la Commission du droit international sont pertinentes : un «
intérêt essentiel » de l'État auteur du fait contraire
à l'une de ses obligations internationales doit avoir été
en cause; cet intérêt doit avoir été menacé
par un « péril grave et imminent »; le fait incriminé
doit avoir été le « seul moyen » de sauvegarder ledit
intérêt; ce fait ne doit pas avoir « gravement porté
atteinte à un intérêt essentiel » de l'État
à l'égard duquel l'obligation existait; et l'État auteur
dudit fait ne doit pas avoir « contribué à la survenance de
l'état de nécessité ». Ces conditions
reflètent le droit international coutumier.
La Cour ne voit aucune difficulté à
reconnaître que les préoccupations exprimées par la Hongrie
en ce qui concerne son environnement naturel dans la région
affectée par le projet Gabcíkovo-Nagymaros avaient trait à
un « intérêt essentiel » de cet État. La Cour
estime cependant que, s'agissant aussi bien de Nagymaros que de
Gabcíkovo, les périls invoqués par la Hongrie, sans
préjudice de leur gravité éventuelle, n'étaient en
1989 ni suffisamment établis, ni « imminents »; et que, pour y
faire face, la Hongrie disposait à l'époque d'autres moyens que
la suspension et l'abandon de travaux dont elle avait la charge. Qui plus est,
des négociations étaient en cours, qui auraient pu aboutir
à une révision du projet et au report de certaines de ses
échéances, sans qu'il fût besoin de l'abandonner. La Cour
de plus observe que la Hongrie, lorsqu'elle a décidé de conclure
le Traité de 1977, était - à ce que l'on peut supposer -
consciente de la situation telle qu'elle était alors connue; et que la
nécessité d'assurer la protection de l'environnement n'avait pas
échappé aux Parties. Elle ne peut manquer de noter les positions
adoptées par la Hongrie après l'entrée en vigueur du
Traité de 1977. En 1983, la Hongrie a sollicité le ralentissement
des travaux prescrits par le Traité. En 1989, elle a sollicité
l'accélération desdits travaux. La Cour infère qu'en
l'espèce, même s'il avait été établi qu'il
existait en 1989 un état de nécessité lié à
l'exécution du Traité de 1977, la Hongrie n'aurait pas
été admise à s'en prévaloir pour justifier le
manquement à ses obligations conventionnelles, car elle aurait
contribué, par action ou omission, à sa survenance.
Au vu des conclusions auxquelles elle est parvenue ci-dessus,
la Cour conclut que la Hongrie n'était pas en droit de suspendre puis
d'abandonner, en 1989, les travaux relatifs au projet de Nagymaros ainsi
qu'à la partie du projet de Gabcíkovo dont elle était
responsable aux termes du Traité de 1977 et des instruments y
afférents.
Recours par la Tchécoslovaquie, en novembre
1991,
à la « variante C » et mise en service,
à partir
d'octobre 1992, de cette variante
(par. 60 à 88)
Aux termes de l'article 2, paragraphe 1, alinéa
b, du compromis, il est demandé en second lieu à la Cour
de dire « b) si la République fédérative
tchèque et slovaque était en droit de recourir, en novembre 1991,
à la «solution provisoire» et de mettre en service, à
partir d'octobre 1992, ce système ».
La Tchécoslovaquie avait soutenu que le recours
à la variante C et la mise en service de celle-ci ne constituaient pas
des faits internationalement illicites; la Slovaquie a repris cette
thèse. Au cours de la procédure devant la Cour, la Slovaquie a
affirmé que la décision de la Hongrie de suspendre puis
d'abandonner la construction des ouvrages à Dunakiliti avait mis la
Tchécoslovaquie dans l'impossibilité d'effectuer les travaux tels
qu'ils avaient initialement été envisagés par le
Traité de 1977 et que cette dernière était en
conséquence en droit de recourir à une solution qui était
aussi proche que possible du projet initial. La Slovaquie a invoqué ce
qu'elle a décrit comme un « principe d'application par
approximation » pour justifier la construction et la mise en service de la
variante C. Elle a expliqué que c'était là la seule
possibilité qui lui restait « non seulement d'atteindre les buts
visés par le Traité de
1977, mais encore de respecter l'obligation continue de mettre
en oeuvre ledit traité de bonne foi ». La Cour observe qu'elle n'a
pas à déterminer s'il existe un principe de droit international
ou un principe général de droit d'« application par
approximation » car, même si un tel principe existait, il ne
pourrait par définition y être recouru que dans les limites du
traité en cause. Or, de l'avis de la Cour, la variante C ne satisfait
pas à cette condition primordiale au regard du Traité de 1977.
Comme la Cour l'a déjà observé, la caractéristique
fondamentale du Traité de 1977 est, selon son article premier, de
prévoir la construction du système d'écluses de
Gabcíkovo-Nagymaros en tant qu'investissement conjoint constituant un
système d'ouvrages opérationnel, unique et indivisible. Cet
élément est également reflété aux articles 8
et 10 du Traité, qui prévoient la propriété
conjointe des ouvrages les plus importants du projet Gabcíkovo-Nagymaros
et l'exploitation de cette propriété conjointe comme une
entité unique et coordonnée. Par définition, tout cela ne
pouvait être réalisé par voie d'action unilatérale.
En dépit d'une certaine ressemblance physique extérieure avec le
projet initial, la variante C en diffère donc nettement quant à
ses caractéristiques juridiques. La Cour conclut en conséquence
que la Tchécoslovaquie, en mettant en service la variante C, n'a pas
appliqué le Traité de 1977 mais, au contraire, a violé
certaines de ses dispositions expresses et, de ce fait, a commis un acte
internationalement illicite.
La Cour note qu'entre novembre 1991 et octobre 1992, la
Tchécoslovaquie s'est bornée à exécuter sur son
propre territoire des travaux qui étaient certes nécessaires pour
la mise en oeuvre de la variante C, mais qui auraient pu être
abandonnés si un accord était intervenu entre les Parties et ne
préjugeaient dès lors pas de la décision définitive
à prendre. Tant que le Danube n'avait pas été barré
unilatéralement, la variante C n'avait en fait pas été
appliquée. Une telle situation n'est pas rare en droit international,
comme d'ailleurs en droit interne. Un fait illicite ou une infraction est
fréquemment précédé d'actes préparatoires
qui ne sauraient être confondus avec le fait ou l'infraction
eux-mêmes. Il convient de distinguer entre la réalisation
même d'un fait illicite (que celui-ci soit instantané ou continu)
et le comportement antérieur à ce fait qui présente un
caractère préparatoire et « qui ne saurait être
traité comme un fait illicite ». La Slovaquie a aussi soutenu que
son action était motivée par une obligation d'atténuer des
dommages lorsqu'elle a réalisé la variante C. Elle a
déclaré que « c'est un principe de droit international
qu'une partie lésée du fait de la non-exécution d'un
engagement pris par une autre partie doit s'employer à atténuer
les dommages qu'elle a subis ». Mais la Cour observe que si ce principe
pourrait ainsi fournir une base pour le calcul de dommages et
intérêts, en revanche, il ne saurait justifier ce qui constitue
par ailleurs un fait illicite. La Cour estime de plus que le
détournement du Danube effectué par la Tchécoslovaquie
n'était pas une contre-mesure licite, faute d'être
proportionnée.
Au vu des conclusions auxquelles elle est parvenue ci-dessus,
la Cour conclut que la Tchécoslovaquie était en droit de
recourir, en novembre 1991, à la variante C, dans la mesure où
elle se bornait alors à entamer des travaux qui ne préjugeaient
pas de la décision définitive qu'elle devait prendre. En
revanche, la Tchécoslovaquie n'était pas en droit de mettre en
service cette variante à partir d'octobre1992.
Notification par la Hongrie, le 19 mai 1992,
de la terminaison du Traité de 1977
et des instruments y afférents
(par. 89 à 115)
Aux termes de l'article 2, paragraphe 1, alinéa
c, du compromis, il est demandé à la Cour en
troisième lieu de dire « quels sont les effets juridiques de la
notification, le 19 mai 1992, de la terminaison du Traité par la
République de Hongrie ».
Au cours de la procédure, la Hongrie a
présenté cinq motifs en vue de démontrer que la
notification de terminaison était licite, et par suite effective :
l'existence d'un état de nécessité, l'impossibilité
d'exécuter le Traité, la survenance d'un changement fondamental
de circonstances, la violation substantielle du Traité par la
Tchécoslovaquie et, enfin, l'apparition de nouvelles normes de droit
international de l'environnement. La Slovaquie a contesté chacun de ces
motifs.
État de nécessité
La Cour observe que même si l'existence d'un état
de nécessité est établie, il ne peut être mis fin
à un traité sur cette base. L'état de
nécessité ne peut être invoqué que pour
exonérer de sa responsabilité un État qui n'a pas
exécuté un traité.
Impossibilité d'exécution
La Cour estime qu'elle n'a pas à déterminer si
le mot « objet » figurant à l'article 61 de la Convention de
Vienne de 1969 sur le droit des traités (qui mentionne « la
disparition ou destruction définitives d'un objet indispensable à
l'exécution [du] traité ») peut aussi être
interprété comme visant un régime juridique car en tout
état de cause, même si tel était le cas, elle aurait
à conclure qu'en l'espèce ce régime n'avait pas
définitivement disparu. Le Traité de 1977 - et en particulier ses
articles 15, 19 et 20- offrait en effet aux parties les moyens
nécessaires pour procéder à tout moment, par voie de
négociation, aux réajustements requis entre impératifs
économiques et impératifs écologiques.
Changement fondamental de circonstances
De l'avis de la Cour, les conditions politiques de
l'époque n'étaient pas liées à l'objet et au but du
Traité au point de constituer une base essentielle du consentement des
parties et, en se modifiant, de transformer radicalement la portée des
obligations qui restaient à exécuter. Il en va de même du
système économique en vigueur au moment de la conclusion du
Traité de 1977. La Cour ne considère pas davantage que les
nouvelles connaissances acquises en matière d'environnement et les
progrès du droit de l'environnement aient présenté un
caractère complètement imprévu. Bien plus, le
libellé des articles 15, 19 et 20 est conçu dans une perspective
d'évolution. De l'avis de la Cour, les changements de circonstances que
la Hongrie invoque ne sont pas, pris séparément ou conjointement,
d'une nature telle qu'ils aient pour effet de transformer radicalement la
portée des obligations qui restent à exécuter pour
réaliser le projet.
Violation substantielle du Traité
L'argument principal de la Hongrie lorsqu'elle invoque une
violation substantielle du Traité est la construction et la mise en
service de la variante C. La Cour relève qu'elle a déjà
conclu que la Tchécoslovaquie n'a violé le Traité que
lorsqu'elle a détourné les eaux du Danube dans le canal de
dérivation en octobre 1992. En construisant les ouvrages qui devaient
conduire à la mise en service de la variante C, la
Tchécoslovaquie n'a pas agi de façon illicite. En
conséquence, la Cour est d'avis que la notification par la Hongrie, le
19 mai 1992, de la terminaison du Traité était
prématurée. Il n'y avait pas encore eu de violation du
Traité par la Tchécoslovaquie; la Hongrie n'était donc pas
en droit d'invoquer semblable violation du Traité comme motif pour y
mettre fin au moment où elle l'a fait.
Apparition de nouvelles normes de droit international de
l'environnement
La Cour note qu'aucune des Parties n'a prétendu que des
normes impératives du droit de l'environnement soient nées depuis
la conclusion du Traité de 1977; et la Cour n'aura par suite pas
à s'interroger sur la portée de l'article 64 de la Convention de
Vienne sur le droit des traités, qui traite de la nullité et de
la terminaison d'un traité à cause de l'apparition d'une nouvelle
norme impérative de droit international général (jus
cogens). En revanche, la Cour tient à relever que de nouvelles
normes du droit de l'environnement, récemment apparues, sont pertinentes
pour l'exécution du Traité et que les parties pouvaient, d'un
commun accord, en tenir compte en appliquant les articles 15, 19 et 20 du
Traité. Ces articles ne contiennent pas d'obligations spécifiques
de faire, mais ils imposent aux parties, en s'acquittant de leurs obligations
de veiller à ce que la qualité des eaux du Danube ne soit pas
compromise et à ce que la protection de la nature soit assurée,
de tenir compte des nouvelles normes en matière d'environnement lorsque
ces parties conviennent des moyens à préciser dans le plan
contractuel conjoint. En insérant dans le Traité ces dispositions
évolutives, les parties ont reconnu la nécessité d'adapter
éventuellement le projet. En conséquence, le Traité n'est
pas un instrument figé et est susceptible de s'adapter à de
nouvelles normes du droit international. Au moyen des articles 15 et 19, de
nouvelles normes en matière d'environnement peuvent être
incorporées dans le plan contractuel conjoint. La conscience que
l'environnement est vulnérable et la reconnaissance de ce qu'il faut
continuellement évaluer les risques écologiques se sont
affirmées de plus en plus dans les années qui ont suivi la
conclusion du Traité. Ces nouvelles préoccupations ont rendu les
articles 15, 19 et 20 du Traité d'autant plus pertinents. La Cour
reconnaît que les Parties s'accordent sur la nécessité de
se soucier sérieusement de l'environnement et de prendre les mesures de
précaution qui s'imposent, mais elles sont fondamentalement en
désaccord sur les conséquences qui en découlent pour le
projet conjoint. Dans ces conditions, le recours à une tierce partie
pourrait se révéler utile et permettre de trouver une solution,
à condition que chacune des Parties fasse preuve de souplesse dans ses
positions. Enfin, bien qu'elle ait constaté que tant la Hongrie que la
Tchécoslovaquie avaient manqué à leurs obligations
découlant du Traité de 1977, la Cour estime que ces comportements
illicites réciproques n'ont pas mis fin au Traité ni
justifié qu'il y fût mis fin.
Au vu des conclusions auxquelles elle est parvenue ci-dessus,
la Cour conclut que la notification de terminaison faite par la Hongrie le 19
mai 1992 n'a pas eu pour effet juridique de mettre fin au Traité de 1977
et aux instruments y afférents.
Dissolution de la Tchécoslovaquie
(par. 117 à 124)
La Cour examine ensuite la question de savoir si la Slovaquie
est devenue partie au Traité de 1977 en tant qu'État successeur
de la Tchécoslovaquie. À titre d'argument subsidiaire, la Hongrie
a en effet soutenu que, même s'il avait survécu à la
notification de terminaison, le Traité aurait en tout état de
cause cessé d'être en vigueur en tant que Traité le 31
décembre 1992, à la suite de la « disparition de l'une des
parties ». À cette date, la Tchécoslovaquie a cessé
d'exister comme entité juridique et, le 1er janvier 1993, la
République tchèque et la République slovaque ont vu le
jour.
La Cour ne juge pas nécessaire, aux fins de
l'espèce, de discuter du point de savoir si l'article 34 de la
Convention de Vienne de 1978 sur la succession d'États en matière
de traités (qui prévoit une règle de succession
automatique à tous les traités) reflète ou non
l'état du droit international coutumier. Pour son analyse actuelle, la
nature et le caractère particuliers du Traité de 1977
présentent davantage de pertinence. Un examen de ce traité
confirme que ce dernier, outre qu'il prévoit incontestablement un
investissement conjoint, porte principalement sur un projet de construction et
d'exploitation conjointe d'un vaste complexe intégré et
indivisible d'ouvrages et d'installations sur des parties bien définies
des territoires respectifs de la Hongrie et de la Tchécoslovaquie, le
long du Danube. Le Traité a aussi établi le régime de
navigation applicable à un tronçon important d'un cours d'eau
international, notamment en faisant désormais passer le chenal principal
de navigation internationale par le canal de dérivation. Ce faisant, il
a inévitablement créé une situation qui a une incidence
sur les intérêts des autres utilisateurs du Danube. De plus, les
intérêts d'États tiers ont été
expressément reconnus à son article 18, aux termes duquel les
parties se sont engagées à veiller à ce que « la
navigation puisse se poursuivre de façon ininterrompue et dans des
conditions de sécurité dans le chenal international »,
conformément aux obligations qui sont les leurs en vertu de la
Convention relative au régime de la navigation sur le Danube du 18
août 1948.
La Cour fait ensuite référence à
l'article 12 de la Convention de Vienne de 1978 sur la succession
d'États en matière de traités qui reflète le
principe selon lequel tant la doctrine traditionnelle que les auteurs modernes
considèrent qu'une succession d'États était sans effet sur
« les traités territoriaux ». La Cour considère que
l'article 12 traduit une règle de droit international coutumier; elle
prend note de ce qu'aucune des Parties ne le conteste. La Cour conclut que le
Traité de 1977, de par son contenu, doit être
considéré comme établissant un régime territorial
au sens de l'article 12 de la Convention de Vienne de 1978. Il a
créé des droits et obligations « attachés » aux
secteurs du Danube auxquels il se rapporte; ainsi, une succession
d'États ne saurait avoir d'incidence sur le Traité
lui-même. La Cour en conclut que le Traité de 1977 lie la
Slovaquie depuis le 1er janvier 1993.
Conséquences juridiques de l'arrêt
(par. 125 à 154)
La Cour fait observer que la partie de l'arrêt où
elle répond aux questions posées au paragraphe 1 de l'article 2
du compromis revêt un caractère déclaratoire. Elle y traite
du comportement passé des Parties et détermine la
licéité ou l'illicéité de ce comportement de 1989
à 1992, ainsi que ses effets sur l'existence du Traité. Il
revient maintenant à la Cour, sur la base de ses conclusions
précédentes, d'établir quel devrait être le
comportement des Parties à l'avenir. La présente partie
de l'arrêt est plus normative que déclaratoire, parce qu'elle
définit les droits et obligations des Parties. C'est à la
lumière de cette définition que les Parties devront rechercher un
accord sur les modalités d'exécution de l'arrêt, ainsi
qu'elles en sont convenues à l'article 5 du compromis. À cet
égard, il est d'une importance primordiale que la Cour ait
constaté que le Traité de 1977 est toujours en vigueur et
régit par conséquent les relations entre les Parties. Ces
relations sont certes aussi soumises aux règles des autres conventions
pertinentes auxquelles les deux États sont parties, aux règles du
droit international général et, en l'espèce, aux
règles de la responsabilité des États; mais elles sont
gouvernées avant tout par les règles applicables du Traité
de 1977 en tant que lex specialis. La Cour observe qu'elle ne saurait
toutefois ignorer qu'aucune des parties n'a pleinement exécuté le
Traité depuis des années, ni d'ailleurs que les Parties, par
leurs actes et leurs omissions, ont contribué à créer la
situation de fait qui prévaut aujourd'hui. En se prononçant sur
les exigences auxquelles le comportement à venir des Parties devra
satisfaire en droit, la Cour ne peut négliger de tenir compte de cette
situation de fait et des possibilités et impossibilités pratiques
qui en résultent. C'est pourquoi il est essentiel de replacer la
situation de fait, telle qu'elle s'est développée depuis 1989,
dans le contexte de la relation conventionnelle qui s'est maintenue et qui est
appelée à évoluer, afin de réaliser son objet et
son but dans toute la mesure du possible. Car ce n'est qu'à cette
condition qu'il pourra être porté remède à la
situation irrégulière due aux manquements des deux Parties
à leurs obligations conventionnelles. La Cour souligne que le
Traité de 1977 ne prévoyait pas seulement un plan
d'investissement conjoint pour la production d'énergie, mais servait
également d'autres objectifs : l'amélioration de la navigation
sur le Danube, la maîtrise des crues, la régulation de
l'évacuation des glaces et la protection de l'environnement naturel.
Pour les atteindre, les Parties ont accepté d'assumer des obligations de
comportement, des obligations de faire et des obligations de résultat.
La Cour est d'avis que les Parties sont juridiquement tenues, au cours des
négociations qu'elles mèneront en application de l'article 5 du
compromis, d'envisager dans le contexte du Traité de 1977 de quelle
façon elles peuvent servir au mieux les objectifs multiples du
Traité, en gardant à l'esprit qu'ils devraient tous être
atteints. Il est clair que les incidences du projet sur l'environnement et ses
implications pour celui-ci seront nécessairement une question clef. Aux
fins de l'évaluation des risques écologiques, ce sont les normes
actuelles qui doivent être prises en considération. Non seulement
le libellé des articles 15 et 19 le permet, mais il le prescrit
même dans la mesure où ces articles mettent à la charge des
Parties une obligation continue, et donc nécessairement
évolutive, de maintenir la qualité de l'eau du Danube et de
protéger la nature. La Cour ne perd pas de vue que, dans le domaine de
la protection de l'environnement, la vigilance et la prévention
s'imposent en raison du caractère souvent irréversible des
dommages causés à l'environnement et des limites
inhérentes au mécanisme même de réparation de ce
type de dommages. De nouvelles normes et exigences ont été mises
au point, qui ont été énoncées dans un grand nombre
d'instruments au cours des deux dernières décennies. Ces normes
nouvelles doivent être prises en considération et ces exigences
nouvelles convenablement appréciées, non seulement lorsque des
États envisagent de nouvelles activités, mais aussi lorsqu'ils
poursuivent des activités qu'ils ont engagées dans le
passé. Aux fins de la présente espèce, cela signifie que
les Parties devraient, ensemble, examiner à nouveau les effets sur
l'environnement de l'exploitation de la centrale de Gabcíkovo. En
particulier, elles doivent trouver une solution satisfaisante en ce qui
concerne le volume d'eau à déverser dans l'ancien lit du Danube
et dans les bras situés de part et d'autre du fleuve.
Ce que la règle pacta sunt servanda, telle que
reflétée à l'article 26 de la Convention de Vienne de 1969
sur le droit des traités, exige en l'espèce des Parties, c'est de
trouver d'un commun accord une solution dans le cadre de coopération que
prévoit le Traité. L'article 26 associe deux
éléments, qui sont d'égale importance. Il dispose que
« Tout traité en vigueur lie les parties et doit être
exécuté par elles de bonne foi. » De l'avis de la Cour, ce
dernier élément implique qu'au cas particulier c'est le but du
Traité, et l'intention dans laquelle les Parties ont conclu celui-ci,
qui doivent prévaloir sur son application littérale. Le principe
de bonne foi oblige les Parties à l'appliquer de façon
raisonnable et de telle sorte que son but puisse être atteint. Le
Traité de 1977 ne prévoit pas seulement un programme
d'investissement conjoint, il établit aussi un régime. Selon le
Traité, les principaux ouvrages du système d'écluses sont
la propriété conjointe des Parties; ils seront
gérés en tant qu'unité unique coordonnée; et les
bénéfices du projet seront partagés à parts
égales. Puisque la Cour a conclu que le Traité est toujours en
vigueur et qu'aux termes de celui-ci le régime conjoint en est un
élément fondamental, elle est d'avis qu'à moins que les
Parties n'en disposent autrement un tel régime devrait être
rétabli. La Cour estime que les ouvrages de Cunovo devraient devenir une
unité exploitée conjointement au sens du paragraphe 1 de
l'article 10, compte tenu de leur rôle central dans le fonctionnement de
ce qui reste du projet et dans le régime de gestion des eaux. Le barrage
de Cunovo a assumé le rôle qui avait été
prévu à l'origine pour les ouvrages de Dunakiliti, et il devrait
donc bénéficier d'un statut analogue.
La Cour conclut également que la variante C, qu'elle a
estimé fonctionner d'une manière incompatible avec le
Traité, devrait être mise en conformité avec ce dernier. La
Cour observe que le rétablissement du régime conjoint
reflétera aussi de façon optimale le concept d'une utilisation
conjointe des ressources en eau partagées pour atteindre les
différents objectifs mentionnés dans le Traité. Ayant
jusqu'ici indiqué quels devraient être, d'après elle, les
effets de sa décision suivant laquelle le Traité de 1977 est
toujours en vigueur, la Cour en vient aux conséquences juridiques des
actes internationalement illicites commis par les Parties, car elle a
été priée par les deux Parties de déterminer les
conséquences de son arrêt en ce qui est du paiement de dommages et
intérêts.
La Cour n'a pas été priée à ce
stade de déterminer le montant des dommages et intérêts
dus, mais d'indiquer sur quelle base ils doivent être versés. Les
deux Parties ont prétendu avoir subi des pertes financières
considérables et elles demandent toutes deux à en être
indemnisées. Dans l'arrêt, la Cour a conclu que les deux Parties
avaient commis des actes internationalement illicites et elle a constaté
que ceux-ci sont à l'origine des dommages subis par les Parties; en
conséquence, la Hongrie et la Slovaquie sont toutes deux tenues de
verser des indemnités et sont toutes deux en droit d'en recevoir. La
Cour observe cependant que compte tenu de ce que les deux Parties ont commis
des actes illicites croisés, la question de l'indemnisation pourrait
être résolue de façon satisfaisante, dans le cadre d'un
règlement d'ensemble, si chacune des Parties renonçait à
toutes ses demandes et contre-demandes d'ordre financier ou les annulait. La
Cour tient en même temps à souligner que le règlement des
comptes concernant la construction des ouvrages est une question distincte de
celle de l'indemnisation et doit être effectué conformément
au Traité de 1977 et aux instruments y afférents. Si la Hongrie
participe à l'exploitation du complexe de Cunovo et reçoit sa
part de bénéfices, elle devra payer une part proportionnelle des
coûts de construction et de fonctionnement.
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Conférence de Rio 1992
Rapport de la Conférence des Nations
Unies
sur l'environnement et le
développement
Rio de Janeiro, 3-14 juin 1992
Annexe I - Déclaration de Rio sur
l'environnement et le développement
La Conférence des Nations Unies sur l'environnement et
le développement, réunie à Rio de Janeiro du 3 au 14 juin
1992, réaffirmant la Déclaration de la Conférence des
Nations Unies sur l'environnement adoptée à Stockholm le 16 juin
1972, et cherchant à en assurer le prolongement,
Dans le but d'établir un partenariat mondial sur une
base nouvelle et équitable en créant des niveaux de
coopération nouveaux entre les Etats, les secteurs clefs de la
société et les peuples,
OEuvrant en vue d'accords internationaux qui respectent les
intérêts de tous et protègent l'intégrité du
système mondial de l'environnement et du développement,
Reconnaissant que la Terre, foyer de l'humanité,
constitue un tout marqué par l'interdépendance,
Proclame ce qui suit :
Principe 1
Les êtres humains sont au centre des
préoccupations relatives au développement durable. Ils ont droit
à une vie saine et productive en harmonie avec la nature.
Principe 2
Conformément à la Charte des Nations Unies et
aux principes du droit international, les Etats ont le droit souverain
d'exploiter leurs propres ressources selon leur politique d'environnement et de
développement, et ils ont le devoir de faire en sorte que les
activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous
leur contrôle ne causent pas de dommages à l'environnement dans
d'autres Etats ou dans des zones ne relevant d'aucune juridiction nationale.
Principe 3
Le droit au développement doit être
réalisé de façon à satisfaire équitablement
les besoins relatifs au développement et à l'environnement des
générations présentes et futures.
Principe 4
Pour parvenir à un développement durable, la
protection de l'environnement doit faire partie intégrante du processus
de développement et ne peut être considérée
isolément.
Principe 5
Tous les Etats et tous les peuples doivent coopérer
à la tâche essentielle de l'élimination de la
pauvreté, qui constitue une condition indispensable du
développement durable, afin de réduire les différences de
niveaux de vie et de mieux répondre aux besoins de la majorité
des peuples du monde.
Principe 6
La situation et les besoins particuliers des pays en
développement, en particulier des pays les moins avancés et des
pays les plus vulnérables sur le plan de l'environnement, doivent se
voir accorder une priorité spéciale. Les actions internationales
entreprises en matière d'environnement et de développement
devraient également prendre en considération les
intérêts et les besoins de tous les pays.
Principe 7
Les Etats doivent coopérer dans un esprit de
partenariat mondial en vue de conserver, de protéger et de
rétablir la santé et l'intégrité de
l'écosystème terrestre. Etant donné la diversité
des rôles joues dans la dégradation de l'environnement mondial,
les Etats ont des responsabilités communes mais
différenciées. Les pays développés admettent la
responsabilité qui leur incombe dans l'effort international en faveur du
développement durable, compte tenu des pressions que leurs
sociétés exercent sur l'environnement mondial et des techniques
et des ressources financières dont ils disposent.
Principe 8
Afin de parvenir à un développement durable et
à une meilleure qualité de vie pour tous les peuples, les Etats
devraient réduire et éliminer les modes de production et de
consommation non viables et promouvoir des politiques démographiques
appropriées.
Principe 9
Les Etats devraient coopérer ou intensifier le
renforcement des capacités endogènes en matière de
développement durable en améliorant la compréhension
scientifique par des échanges de connaissances scientifiques et
techniques et en facilitant la mise au point, l'adaptation, la diffusion et le
transfert de techniques, y compris de techniques nouvelles et
novatrices.
Principe 10
La meilleure façon de traiter les questions
d'environnement est d'assurer la participation de tous les citoyens
concernés, au niveau qui convient. Au niveau national, chaque individu
doit avoir dûment accès aux informations relatives à
l'environnement que détiennent les autorités publiques, y compris
aux informations relatives aux substances et activités dangereuses dans
leurs collectivités, et avoir la possibilité de participer aux
processus de prise de décision. Les Etats doivent faciliter et
encourager la sensibilisation et la participation du public en mettant les
informations à la disposition de celui-ci. Un accès effectif
à des actions judiciaires et administratives, notamment des
réparations et des recours, doit être assuré.
Principe 11
Les Etats doivent promulguer des mesures législatives
efficaces en matière d'environnement. Les normes écologiques et
les objectifs et priorités pour la gestion de l'environnement devraient
être adaptés à la situation en matière
d'environnement et de développement à laquelle ils s'appliquent.
Les normes appliquées par certains pays peuvent ne pas convenir à
d'autres pays, en particulier à des pays en développement, et
leur imposer un coût économique et social
injustifié.
Principe 12
Les Etats devraient coopérer pour promouvoir un
système économique international ouvert et favorable, propre
à engendrer une croissance économique et un développement
durable dans tous les pays, qui permettrait de mieux lutter contre les
problèmes de dégradation de l'environnement. Les mesures de
politique commerciale motivées par des considérations relatives
à l'environnement ne devraient pas constituer un moyen de discrimination
arbitraire ou injustifiable, ni une restriction déguisée aux
échanges internationaux. Toute action unilatérale visant à
résoudre les grands problèmes écologiques au-delà
de la juridiction du pays importateur devrait être évitée.
Les mesures de lutte contre les problèmes écologiques
transfrontières ou mondiaux devraient, autant que possible, être
fondées sur un consensus international.
Principe 13
Les Etats doivent élaborer une législation
nationale concernant la responsabilité de la pollution et d'autres
dommages à l'environnement et l'indemnisation de leurs victimes. Ils
doivent aussi coopérer diligemment et plus résolument pour
développer davantage le droit international concernant la
responsabilité et l'indemnisation en cas d'effets néfastes de
dommages causés à l'environnement dans des zones situées
au-delà des limites de leur juridiction par des activités
menées dans les limites de leur juridiction ou sous leur
contrôle.
Principe 14
Les Etats devraient concerter efficacement leurs efforts pour
décourager ou prévenir les déplacements et les transferts
dans d'autres Etats de toutes activités et substances qui provoquent une
grave détérioration de l'environnement ou dont on a
constaté qu'elles étaient nocives pour la santé de
l'homme.
Principe 15
Pour protéger l'environnement, des mesures de
précaution doivent être largement appliquées par les Etats
selon leurs capacités. En cas de risque de dommages graves ou
irréversibles, l'absence de certitude scientifique absolue ne doit pas
servir de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption de
mesures effectives visant à prévenir la dégradation de
l'environnement.
Principe 16
Les autorités nationales devraient s'efforcer de
promouvoir l'internalisation des coûts de protection de l'environnement
et l'utilisation d'instruments économiques, en vertu du principe selon
lequel c'est le pollueur qui doit, en principe, assumer le coût de la
pollution, dans le souci de l'intérêt public et sans fausser le
jeu du commerce international et de l'investissement.
Principe 17
Une étude d'impact sur l'environnement, en tant
qu'instrument national, doit être entreprise dans le cas des
activités envisagées qui risquent d'avoir des effets nocifs
importants sur l'environnement et dépendent de la décision d'une
autorité nationale compétente.
Principe 18
Les Etats doivent notifier immédiatement aux autres
Etats toute catastrophe naturelle ou toute autre situation d'urgence qui risque
d'avoir des effets néfastes soudains sur l'environnement de ces
derniers. La communauté internationale doit faire tout son possible pour
aider les Etats sinistrés.
Principe 19
Les Etats doivent prévenir suffisamment à
l'avance les Etats susceptibles d'être affectés et leur
communiquer toutes informations pertinentes sur les activités qui
peuvent avoir des effets transfrontières sérieusement nocifs sur
l'environnement et mener des consultations avec ces Etats rapidement et de
bonne foi.
Principe 20
Les femmes ont un rôle vital dans la gestion de
l'environnement et le développement. Leur pleine participation est donc
essentielle à la réalisation d'un développement
durable.
Principe 21
Il faut mobiliser la créativité, les
idéaux et le courage des jeunes du monde entier afin de forger un
partenariat mondial, de manière à assurer un développement
durable et à garantir à chacun un avenir meilleur.
Principe 22
Les populations et communautés autochtones et les
autres collectivités locales ont un rôle vital à jouer dans
la gestion de l'environnement et le développement du fait de leurs
connaissances du milieu et de leurs pratiques traditionnelles. Les Etats
devraient reconnaître leur identité, leur culture et leurs
intérêts, leur accorder tout l'appui nécessaire et leur
permettre de participer efficacement à la réalisation d'un
développement durable.
Principe 23
L'environnement et les ressources naturelles des peuples
soumis à oppression, domination et occupation doivent être
protégés.
Principe 24
La guerre exerce une action intrinsèquement
destructrice sur le développement durable. Les Etats doivent donc
respecter le droit international relatif à la protection de
l'environnement en temps de conflit armé et participer à son
développement, selon que de besoin.
Principe 25
La paix, le développement et la protection de
l'environnement sont interdépendants et indissociables.
Principe 26
Les Etats doivent résoudre pacifiquement tous leurs
différends en matière d'environnement, en employant des moyens
appropriés conformément à la Charte des Nations Unies.
Principe 27
Les Etats et les peuples doivent coopérer de bonne foi
et dans un esprit de solidarité à l'application des principes
consacrés dans la présente Déclaration et au
développement du droit international dans le domaine du
développement durable.
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