Le régime de l'administration transitoire des territoires en droit international.( Télécharger le fichier original )par Luc Yannick ZENGUE Université de Yaoundé II (SOA) - Diplôme d'études approfondies en droit international public et communautaire 2007 |
B. L'application du principe de la continuité objective du droit antérieurLe droit « local » existant n'est pas en lui-même nécessairement lacunaire et inutile. Au contraire il regorge parfois d'un certain nombre d'avantages. De ce fait il ne doit pas être évalué à la base des sentiments et opinions personnelles. Le cas échéant, l'on devra lui appliquer des techniques de sélection précises et objectives. 1- Les avantages du droit local préexistant La pratique des administrations internationales transitoires telle que perçue au Kosovo et au Timor oriental, peut être résumée comme manifestant un principe avec quelques exceptions. Le principe veut qu'une administration civile internationale applique le droit national qui était en vigueur avant qu'elle n'ait pris le contrôle d'un territoire. Cette solution est conforme à celle que le droit international prescrit pour un cas analogue d'une présence étrangère provisoire: celle d'une occupation militaire pendant un conflit armé. Il s'agit de l'affirmation de la tendance générale du droit à continuer à s'appliquer sur un territoire donné, même si celui-ci tombe sous la souveraineté d'un autre État. C'est ainsi que des règles du droit civil allemand sont applicables aujourd'hui encore en Alsace-Lorraine, plus de 80 années après que celle-ci est redevenue française. Le Québec, quant à lui, applique aujourd'hui encore un droit civil français bien qu'il soit tombé en 1763 sous souveraineté anglaise. Même les peuples décolonisés ont conservé jusqu'à nos jours de larges parties de la législation de l'ancien État colonisateur, y compris dans la matière judiciaire (domaine de prédilection de la souveraineté), sans qu'ils aient entendus reconnaître par là une légitimité quelconque à la colonisation antérieure.391(*) Le Cameroun, en attendant l'adoption et la promulgation de son Code des personnes et de la famille, continu à appliquer le Code civil français de 1804. En effet, la solution de l'application du droit antérieur comporte des avantages pratiques, dans la mesure où ledit droit est nécessairement le mieux connu. La solution correspond aussi à une exigence démocratique, confirmée par le droit international des droits de l'Homme: La volonté du peuple est le fondement de l'autorité des pouvoirs publics392(*) et la tâche de légiférer, en particulier en matière pénale, appartient à celles et à ceux qui ont été élus à cette fin par la population. Une administration civile internationale ne représente pas le peuple. Elle n'a pas été désignée par le peuple. Elle ne connaît pas le principe de la séparation des pouvoirs et est nécessairement plus ou moins autocratique. Elle ne devrait donc pas jouir de la légitimité de légiférer à son gré. L'alternative au principe de la continuité se révèle moins satisfaisante. Soit, l'administration civile adopte une législation toute nouvelle, ce en quoi elle n'a en principe, ni le temps, ni les ressources, ni la légitimité démocratique nécessaires. Soit alors, elle choisit une législation d'un Etat participant ou celle qui a été applicable dans le territoire à administrer à un moment antérieur de l'histoire. De telles solutions préjugent des enjeux politiques à résoudre pour mettre fin à l'administration internationale. Elles sont souvent partiales vis-à-vis de certains groupes de la population. Comment justifier l'application de la législation d'avant 1989 au Kosovo? Pourquoi n'a-t-on pas choisi la législation ottomane de l'époque avant que le Kosovo ne retombe sous domination serbe? Le choix d'une législation antérieure à celle qui était en vigueur au début de l'administration civile internationale pourrait à la rigueur se justifier si l'introduction de la législation postérieure violait le droit international. En appliquant un tel standard de légitimité, on aurait ainsi plutôt du écarter la législation indonésienne au Timor oriental que la législation serbe au Kosovo. En effet, la législation indonésienne ne pouvait être introduite au Timor oriental que dans le cadre de l'annexion indonésienne. Or, cette annexion était illégale selon l'avis des Nations Unies et violait le droit du peuple du Timor oriental à l'autodétermination.393(*) L'administrateur transitoire ne s'est probablement pas fondé sur de telles considérations parce que la législation portugaise précédente n'était pas plus autochtone et locale que celle de l'Indonésie. Pendant que la simple règle de la continuité du droit local peut être justifiée par des facteurs objectifs, le choix d'une autre législation implique toujours un jugement de valeur sur des faits historiques. Etat de chose sans fondement juridique et peu recommandable. 2- Les techniques de sélection du droit local préexistant applicable L'application du droit antérieure peut paraître délicate là où il s'agit du droit émanant d'autorités qui sont rejetées par la population locale, du fait qu'elles ont commis des exactions contre cette population, et si la présence internationale a été établie précisément suite à un conflit entre la population locale et les autorités dont la législation devrait être appliquée. Ce fut le cas au Kosovo et au Timor oriental. Mais en réalité, le rapport conflictuel entre l'autorité auteure du droit local et la population, ne doit pas être considéré comme un critère déterminant l'applicabilité du droit local. Seules les normes résultant du droit international, de la mission d'une administration intérimaire et des règlements subséquents du RSSG, qu'elles soient capables d'être directement appliquées ou qu'elles nécessitent une législation de mise en oeuvre par l'administration civile internationale, constituent l'exception au principe de continuité du droit local. A cet égard, vu qu'elle tire son mandat du droit international et qu'elle ne se heurte à aucune souveraineté étatique, il est logique qu'une administration civile internationale adopte une approche strictement moniste des rapports entre droit international et droit interne. Toutefois, le simple énoncé de la primauté des règles internationales n'est pas suffisant. Les juristes doivent plutôt comparer, de façon générale et dans chaque cas d'espèce, le droit local avec les exigences internationales, ce qui est une tâche difficile mais non insurmontable. En conclusion, il nous semble que le droit antérieur ne doit en aucun cas et d'aucune manière être écarté du fait du législateur dont elle provient, mais uniquement à cause de son contenu. Pour finir sur les améliorations possibles du cadre juridique de l'administration intérimaire en droit international, abordons maintenant la question de la qualité sémantique des textes. * 391 PRADEL (J.), Droit pénal comparé, Paris, 1995, p. 199. * 392 Cf. art. 21 (3) de la Déclaration universelle des droits de l'Homme * 393 Cf. Résolution 384 (1975) du Conseil de Sécurité |
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