Le régime de l'administration transitoire des territoires en droit international.( Télécharger le fichier original )par Luc Yannick ZENGUE Université de Yaoundé II (SOA) - Diplôme d'études approfondies en droit international public et communautaire 2007 |
CHAPITRE II : DES AMELIORATIONS SOUHAITABLES
De manière progressive le Conseil de sécurité des Nations Unies a été amené à intervenir dans les crises intra étatiques au motif qu'elles constituent des menaces pour la paix et la sécurité internationale. L'une des réponses à une menace de ce type est la mise en place d'une administration internationale sur le territoire en cause. L'intervention peut être envisagée dans la perspective de reconstruction des conditions d'exercice des attributs de souveraineté. Mais la pratique a pu faire ressortir des Missions qui se sont inscrites dans l'irrespect de cette souveraineté. Il s'agit là d'une limite parmi tant d'autres, d'une institution au service de la pacification des relations internationales. Dès lors, il nous semble nécessaire, pour que les Nations Unies jouent efficacement leur rôle dans le domaine du maintien de la paix au moyen de l'administration transitoire, que l'on envisage des stratégies pour perfectionner ladite administration. Stratégies que nous concevons d'une part, en terme d'amélioration du cadre juridique (Section I), et d'autre part sous la forme de l'optimisation des capacités de fonctionnement (section II) de l'administration transitoire. SECTION I : L'AMELIORATION DU CADRE JURIDIQUE DE L'ADMINISTRATION INTERIMAIREAfin de renoncer à l'imbroglio juridique qu'entraine généralement la mise en place d'une administration transitoire d'un territoire, l'on suggère que l'ONU s'approprie résolument le concept de prévisibilité juridique (Paragraphe 1) et se soucie, en vue de lever tout équivoque, de la qualité sémantique de ses textes (Paragraphe 2). Paragraphe 1 : La prévisibilité juridiqueLorsque que l'on jette un regard dans la composition sociologique d'une Mission d'administration intérimaire, l'on se rend immédiatement compte qu'on est en présence d'un regroupement de divers élément appartenant à des cultures et systèmes juridiques tous aussi divers. Face à une question donnée, la Common Law par exemple, ne présente pas les mêmes solutions que celles proposées par le droit francophone. L'on ne pourrait donc pas s'attendre à une application extra territoriale mutatis mutandis du droit national de chaque entité participant à une administration internationale. Il est donc impérieux pour le Conseil de résoudre, concomitamment à sa décision, le problème des codes juridiques (A), tout comme il se doit d'objectiver l'application du droit local préexistant (B). A. La solution des codes juridiquesIl est nécessaire que, préalablement au déploiement sur le terrain d'une présence internationale, que celle-ci soit doté d'un code juridique gouvernant son action. En outre, l'on doit pouvoir encadrer l'activité législative de la Mission afin qu'elle puisse tenir compte des spécificités de la région concernée. 1- L'adoption préalable des codes juridiques Dans son Rapport, le Groupe Brahimi, en se référant aux expériences de la MINUK et de l'ATNUTO, que les tâches des présences internationales « ' auraient été beaucoup plus faciles à exécuter si la mission avait pu disposer d'un ensemble type de règles juridiques et judiciaires qui auraient servi à titre intérimaire de code juridique, et auquel le personnel aurait été formé au préalable, en attendant d'apporter une réponse définitive à la question du `droit applicable »383(*). C'est en effet que les normes souvent énumérées par la résolution du Conseil, sont extrêmement limitatives. Un cadre juridique pertinent d'une présence internationale ne saurait ignorer une branche importante du droit international comme le droit international économique. Dès lors que le Conseil peut fixer des objectif relevant du long terme dans le domaine de la reconstruction de l'Etat en faillite, il n'est plus question de considérer les questions qui en découlent par rapport au seul prisme de la sécurité collective traditionnelle qui relève davantage du court terme et d'une logique dérogatoire. De fait l'on note une parenté croissante entre sécurité collective et gestion économique. Au Kosovo et au Timor oriental, l'ONU se lance dans des opérations de très grande ampleur dépassant, de loin le maintien de la paix pour embrasser la reconstruction politique et économique. Les principes et règles du droit international économique à l'instar de ceux de non-discrimination et de transparence doivent aussi y trouver leur place en tant qu'outil de stabilité et de prévisibilité. Du moins, une explicitation du droit applicable aux échanges internationaux devrait être apportée. Dans une perspective de court terme, et vu le manque de cohérence de certaines solutions adoptées par la pratique, la solution Lakhdar Brahimi est très chaleureusement accueilli384(*) et le Secrétaire général a très vite fait des propositions quant à sa mise en oeuvre concrète.385(*) C'est uniquement concernant l'idée d'un code type qu'il a exprimé des réticences. Un groupe de travail qui s'est penché au sein du Secrétariat sur cette idée, exprima des doutes sur la question de savoir s'il était souhaitable ou même possible de définir un code juridique type, même si on distinguait les différents modèles basés sur le droit civil et la common law. Il a toutefois convenu qu'il serait fort utile de définir plus précisément une réglementation portant sur les aspects pratiques des procédures pénales (et non sur le fond). Il fait référence aux procédures d'arrestation, de détention, de fouilles et de saisie. Un ensemble commun, qui pourrait tenir pleinement compte des instruments de protection des droits de la personne ainsi que du Statut de la Cour pénale internationale, éviterait que le personnel international soit contraint d'appliquer les différentes procédures nationales de leur pays d'origine.386(*) Le Secrétaire général a donc demandé aux différents organes concernés du système des Nations Unies d'évaluer jusqu'en janvier 2001 les besoins et la possibilité "de rédiger une réglementation commune simple de procédures intérimaires". Quant à l'objet de cette réglementation, il mentionne toutefois étonnamment non seulement la procédure pénale, mais aussi le droit pénal. Il annonce qu'une fois que l'évaluation sera faite, une équipe pourrait rédiger un premier projet qui serait soumis aux États Membres pour consultation.387(*) Le Conseil de sécurité a, quant à lui, accueilli favorablement cette intention du Secrétaire général "d'entreprendre une évaluation des besoins dans les domaines dans lesquels il serait possible et utile de rédiger un recueil provisoire de règles de procédure pénale simples et unifiées."388(*) Jusqu'à présent, les résultats de cette évaluation ne sont pas encore connus. En effet, l'élaboration d'un nouveau système de droit applicable au territoire et la remise en état d'un système juridique local à partir du néant ne peuvent être réalisées que dans le long terme. La solution proposée par le Groupe d'étude est d'autant plus salutaire qu'elle comporte un volet formation et sensibilisation juridiques des personnes appelées à exercer des fonctions administratives sur un territoire étranger. Dans l'adoption du code juridique, le Conseil devra avoir en mémoire le souci de l'homogénéisation du droit et de la procédure applicables sur le territoire. En conséquence, il serait opportun que l'ONU dispose en permanence d'une banque de données juridiques des différentes régions de la société internationale. Des juristes experts en matière de droit comparé devront être d'une immense importance. L'efficacité de l'action de la Mission d'administration internationale en serait renforcée. L'autre moyen permettant de renforcer l'efficacité de l'action de l'administration internationale est l'encadrement de son activité législative. 2- L'encadrement de l'activité législative de la Mission La pratique des administrations transitoires est illustrative d'un RSSG faisant oeuvre législative. En la matière, il apparait comme un « legibus solutus », c'est-à-dire une autorité déliée des lois, bref, aux pouvoirs illimités. Le Représentant spécial du Secrétaire général légifère par le biais des règlements que l'on peut qualifier de règlements-lois. Pour des raisons pratiques, exception est faite au pouvoir législatif du RSSG en ce sens que le droit préexistant peut être applicable. Toutefois, le Représentant spécial se lance souvent dans un processus visant plutôt à abolir immédiatement un grand nombre de lois locales. La revue complète de la législation locale qui s'en suit aboutit très rapidement au décret d'un droit et d'une procédure intérimaires souvent inadaptés. Au Timor oriental, la procédure pénale intérimaire,389(*) adoptée dans ces conditions, avait l'inconvénient d'avoir été élaborée par un juriste Américain utilisant une terminologie propre à la common law que les juristes locaux ne connaissaient pas390(*), puisque la tradition juridique locale portugaise et indonésienne est romano-germanique. Pour éviter ce genre d'inconvénients, il est d'un grand intérêt que le RSSG, dans l'exercice de son pouvoir législatif, ait pou référence le droit et la procédure locale préexistante, desquels il ne devra pas se détourner a priori. Par ailleurs, il devra se faire entourer par des juristes formés dans la tradition qui est celle du territoire administré. Les faits qui ont été mentionnés plus haut montrent bien combien le pouvoir législatif du RSSG a besoin d'être encadré par le droit préexistant de qui il doit s'inspirer positivement. Les administrations internationales avec leurs juristes provenant de pays distincts et ayant différentes traditions juridiques, témoignent en premier lieu des grandes différences qui existent encore aujourd'hui entre les différents systèmes juridiques, malgré toutes les tendances d'harmonisation. Ne serait-ce que pour ce motif, il n'apparaît pas indiqué de laisser une autorité prise individuellement fut-elle le RSSG, se mouvoir de manière solitaire et en toute liberté, dans le vaste et délicat domaine des lois. Il est peut-être encore plus urgent de disposer d'un réseau de juristes comparativistes qui puissent être envoyés à court terme pour assurer au minimum la formation des juristes locaux dans le domaine des standards internationaux, et au mieux, assister le RSSG en matière de réformation du droit local, et de formation et de rédaction de nouvelles législations conciliant impératifs du droit international et nécessité de repères locaux. Ces experts qui ne feraient pas partie de l'administration internationale sur place symboliseraient mieux les idéaux d'indépendance et d'impartialité peuvent être fournie par le monde universitaire. En outre, le RSSG ne doit pas légiférer à tout prix. En attendant de bien s'informer et faute de mieux, le principe de la continuité de la législation antérieure doit s'appliquer de manière objective. * 383 Rapport du Groupe d'étude sur les opérations de paix de l'Organisation des Nations Unies, Doc. NU A/55/305-S/2000/809, du 21 août 2000, par 79-80. * 384 Cf. la Résolution 1318 (2000) du 7 septembre 2000, adoptée par le Conseil de sécurité réuni au niveau des chefs d'État et de gouvernement. * 385 Cf. le Rapport général du Secrétaire général A/55/502 du 21 octobre 2000 ainsi que le rapport A/55/507/Add.1 du 27 octobre 2000 sur les ressources nécessaires à cette mise en oeuvre. * 386 Cf. paras 31 et 32 du Rapport général du Secrétaire général A/55/502 du 21 octobre 2000. * 387 Cf. id., paras 33 et 34. * 388 Cf. point VII de l'annexe à la Résolution 1327 (2000) du 13 novembre 2000 du Conseil de sécurité. * 389 Cf. STROHMEYER (H.), «Building a New Judiciary for East Timor: Challenges of a Fledging Nation», Criminal Law Forum 11 (2000), (n. 41), pp. 267, 275/276. * 390 Cf. Report of the Australian Section, International Commission of Jurists, East Timor Assistance Project, Sydney, janvier 2001, chiffre 8.5.2 |
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