Le régime de l'administration transitoire des territoires en droit international.( Télécharger le fichier original )par Luc Yannick ZENGUE Université de Yaoundé II (SOA) - Diplôme d'études approfondies en droit international public et communautaire 2007 |
B. L'introuvable contrôle des actes du RSSGBien qu'elle soit temporaire, la compétence d'une administration intérimaire est presque plénière. Son confinement entre les mains du RSSG est un empêchement sérieux du contrôle de son exercice. L'on observe une carence des limites de droit et une absence des limites de fait du pouvoir. 1- La carence des limites de droit Les normes judiciaires des administrations transitoires semblent exclure l'existence de règles constitutionnelles pouvant limiter les pouvoirs du RSSG. D'une part, l'on a l'absence criarde d'un tribunal constitutionnel (ou d'un organe équivalent). D'autre part, aucun organe n'est chargé de vérifier la légalité des actes adoptés par la MINUK. L'absence totale d'un contrôle juridictionnel statutaire de l'action du RSSG choque la logique du droit et les théories traditionnelles d'organisation du pouvoir. Une seule limite semble s'opposer au chef de l'administration intérimaire : le respect de la Résolution du Conseil de sécurité instituant la Mission. Au Kosovo par exemple, la chambre spéciale de la Cour suprême du Kosovo peut exercer ses pouvoirs de contrôle sur les actes adoptés par l'Assemblée kosovare,372(*) mais non sur les actes adoptés par le RSSG. L'autorité de ce dernier dans l'exécution de son mandat n'est même pas contrebalancée par les pouvoirs des institutions provisoires locales d'auto-gouvernement. La carence des moyens de contrôle de l'action du RSSG peut être génératrice des décisions illégales. Deux mois après l'établissement de la présence internationale, le RSSG adopta le Règlement 1999/2 en matière de mesures individuelles d'éloignement à l'encontre de toute personne susceptible de menacer l'ordre ou la paix publics. Le critère établi pour le recours à ces mesures était celui de la nécessité « in the opinion of the law enforcement authorities and in light of the prevailing circumstances on the scene, to prevent a threat to public peace and order ».373(*) Aux termes du règlement, la menace à l'ordre et à la paix publics pouvait découler : (1) du non respect de la loi ; (2) d'une atteinte aux droits des individus ou à la propriété publique ou privée ; (3) d'une entrave à l'action des pouvoirs publics.374(*) Etaient également prévues des mesures de détention temporaire, « if this is necessary in the opinion of the law enforcement authorities and in light of the prevailing circumstances on the scene, to remove a person from a location, or to prevent access by a person to a location ».375(*) Cet acte fait primer les exigences de la sécurité sur l'observance des droits de l'homme. Quelques mois après, la MINUK clarifie sa position sur ce point dans un document portant le titre « Security and the Rule of Law in Kosovo », dont il convient de reproduire ce passage : « Human rights principles should not be viewed as operating to dogmatically bar action that must be taken to address urgent security issues. A number of rights, including the rights to privacy, freedom of expression, freedom of assembly and freedom of movement, are subject to limitations which are necessary in a democratic society in the interest of national security of public safety, for the maintenance of public order [and] for the prevention of crime. Within the framework of human rights, there is flexibility to take the necessary steps to promote public peace and order, even where such steps may constrain individual rights ».376(*) Sur cette base, les mesures en question ne semblent pas constituer un exemple de suspension ou de « dérogation » de certains droits de la personne, qui selon les termes de l'article 4 du Pacte sur les droits civils et politiques ainsi que de l'article 15 de la CEDH est autorisée « en cas de guerre ou d'autre danger public menaçant la vie de la nation ». La référence aux « limitations » dans le document de la MINUK paraît plutôt indiquer des cas de « restrictions », qui sont autorisées par plusieurs dispositions de ces instruments conventionnels même en temps ordinaire.377(*) L'exercice de ce pouvoir de « restriction » est soumis, tout comme celui relatif aux « dérogations », au principe de la proportionnalité.378(*) Mais puisqu'il n'existe pas d'organes compétents en la matière, le contrôle de proportionnalité ne pourra être effectué ; le Secrétaire général ne pouvant le cas échéant qu'exercer un contrôle d'opportunité. La situation du Kosovo n'est pas nouvelle : Suite à l'inaptitude du gouvernement bosniaque à diriger sans assistance en 1995, le Conseil institue une administration internationale dans le pays. La Mission internationale en Bosnie-Herzégovine, coexiste dès sa création avec les autorités de gouvernement de l'Etat hôte. Aux fins d'en déterminer la nature, la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine évalue les pouvoirs du Haut Représentant du Secrétaire général. Mais enfin de compte, les juges constitutionnels, au moyen de la notion de dualité fonctionnelle (« fonctional duality »), se sont reconnus incompétent pour exercer un contrôle sur des pouvoirs accordés au Haut Représentant en vertu des textes internationaux379(*). Si les moyens de droit du contrôle de l'action du RSSG sont quasiment impuissant, peut-il en être autrement des instruments de fait ? 2- L'insuffisance des limites de fait Au Timor oriental, un Conseil consultatif national a été institué en décembre 1999.380(*) Il s'agissait d'un organe mixte composé de représentants de la population locale et de l'ATNUTO, chargé de conseiller l'Administrateur transitoire au sujet de toutes les questions liées à l'exercice des fonctions législatives et exécutives. Toutefois, il ne portait en rien atteinte au pouvoir de l'Administrateur général d'exercer en dernier ressort toutes les fonctions confiées à la Mission.381(*) Une limite au pouvoir de nomination du représentant spécial réside le fait qu'il doit veiller à la représentativité des différentes couches sociologiques de la région concernée382(*). Il s'agit de l'application du principe de l'équilibre régional. Il doit également observer la pratique préexistante en matière de nomination. Mais ici encore, le RSSG n'est pas ligoté par ces exigences qu'il peut passer outre. Il faut aussi ajouter dans cette rubrique des limites dues au fonctionnement des Missions d'administration intérimaire, les limites constituées par la rareté des moyens financiers et humains. Cette désagréable situation est inquiétante pour un RSSG qui se voit souvent obligé d'actionner des sirènes d'alarmes en direction du Conseil afin de recevoir les ressources sans lesquelles il ne peut supporter le coût financier de l'administration. Au regard de tout ce qui précède, force est de constater que l'administration transitoire des territoires en droit international est loin d'être à l'abri de divers vices. D'où certainement les bilans mitigés qui peuvent être établis au Kosovo par exemple. Il est donc nécessaire que des stratégies puissent être élaborées pour extirper les freins de l'administration intérimaire, et ainsi assurer son succès. Nous nous proposons de présenter quelques améliorations souhaitables. * 372 Voir le « Cadre constitutionnel », aux termes de l'article 9.4.11 * 373 UNMIK/REG/1999/2, du 12 août 1999, par. 1.1. * 374 Ibidem, par. 1.3. * 375 Ibidem, par. 2. * 376 Document cité par STAHN, (C.), « The United Nations Transitional Administrations in Kosovo and East Timor : A First Analysis », Op. Cit., p. 163. * 377 Voir par exemple les articles 12 et 19 du Pacte sur les droits civils et politiques. * 378 Comme l'a affirmé le Comité des droits de l'homme dans son Observation générale n° 29 en matière d'états d'urgence (v. Doc. NU, CCPR/C/21/Rev.1/Add.11, du 31 août 2001) * 379 KOLB (R.)et ali., Op. Cit., p 112 * 380 Voir Règlement n° 2, section 1.1. * 381 Ibidem, section 1.3. * 382 GARCIA, Op. Cit., p. 67 |
|