Le régime de l'administration transitoire des territoires en droit international.( Télécharger le fichier original )par Luc Yannick ZENGUE Université de Yaoundé II (SOA) - Diplôme d'études approfondies en droit international public et communautaire 2007 |
Paragraphe 2 : Les implications de la fragilité de l'Etat hôteLa fragilité de l'Etat intéressé dans une administration intérimaire emporte des conséquences qui se répertorient au moins dans deux sites : La légitimité interne de l'administration internationale directe (A), et la subsistance du souverain territorial (B). A. Sur le plan de la légitimité interne de l'administration intérimaireLe Professeur Serge SUR évoquant la légalité internationale du Conseil de Sécurité, appréhende celle-ci comme « la perception qu'une décision donnée ne peut être contestée au nom d'une légalité ou de principes de comportements qui lui soient supérieurs »329(*). La légitimité internationale de l'administration transitoire ne soufre presque d'aucun doute, puisque la résolution mettant en place une telle institution s'appuie sur la volonté de la communauté internationale souvent exprimée dans des accords en vue de la paix. Au niveau interne par contre, cette légitimité est remise en cause à travers la mise entre parenthèse contestée des autorités locales, et l'action négative de certaines populations. 1- La mise entre parenthèse et les oppositions des autorités déchues Les administrations transitoires sont appelées à exercer tous les pouvoirs de gouvernement. Cet exercice est cependant souvent assortit comme au Kosovo, de la mention respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de l'Etat hôte. Mais malgré cette réserve, l' « administrateur intérimaire »330(*) a plutôt tendance à s'accaparer tous les pouvoirs au détriment du souverain territorial. Ce dernier réagit le plus souvent au moyen de vives oppositions. Ainsi, dans le cadre de la MINUK, le RSSG fait montre de sa volonté d'étendre sa sphère de compétences au domaine réservé à la République fédérale de Yougoslavie. Après avoir réduit à sa plus petite expression le droit yougoslave applicable, il adopte des mesures législatives331(*) qui, à l'évidence, auraient dû relever plutôt des compétences de la République fédérale de Yougoslavie. La devise officielle ayant cours au Kosovo, à savoir le dinar yougoslave, est remplacée par le Deutsche Mark332(*). Face à ces décisions, la République fédérale de Yougoslavie manifeste son opposition résolue. Elle affirme que les activités de la MINUK et de la KFOR dépassent de loin la lettre de la résolution 1244 et qu'elles ont pour effet de priver le gouvernement de Belgrade de certaines prérogatives de la puissance publique. En d'autres termes, ces activités sont de nature à porter atteinte à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie que protège pourtant la résolution suscitée. A titre d'exemple, aucune autorisation ne fut donnée aux agents de douane yougoslave de reprendre leur poste et maintenir une présence aux principaux postes frontière avec l'Albanie et la Macédoine, tel que prévu par le plan Ahtishaari-Tchernomydin. A travers une lettre adressée au Secrétaire général par le Chargé d'Affaires par intérim de la Mission permanente de la Yougoslavie auprès des Nations Unies333(*), il est affirmé que le paragraphe 35 du Rapport du Secrétaire général du 12 juillet 1999334(*) « non seulement introduit la catégorie qui n'existe pas, de population du Kosovo, mais [...] donne en plus à penser que la MINUK retire aux autorités et organes gouvernementaux légitimes de la République fédérale de Yougoslavie leur souveraineté inviolable [...] ». Pour appréhender davantage l'opposition yougoslave à la MINUK, il faut voir le Mémorandum du Gouvernement fédéral concernant l'application de la résolution 1244335(*) qui, entre autre, conteste la conformité de la résolution 1244 au système de surveillance de la frontière concernant les étrangers, allègue la perpétration d'actes de terrorisme et d'autres actes de violence commis dans la province suite au déploiement de la présence internationale. Le Chargé d'Affaires par intérim a protesté énergiquement contre l'établissement de contrôles douaniers sans l'accord ni la participation des autorités yougoslaves compétentes336(*). Suite à la visite du Ministre des affaires étrangères de la République d'Albanie le 16 octobre 1999 (qui n'avait pas demandé de visa d'autorisation aux autorités yougoslaves) ,il demanda que soient respectées les procédures prévues par le droit international coutumier en matière de visite des représentants officiels d'Etats étrangers337(*). Le même Chargé d'Affaires s'oppose à l'ouverture de la ligne aérienne Pristina-Tirana par « Albanian Airlines » sans le consentement des autorités compétentes de Belgrade338(*). Les faits précédents témoignent de l'absence d'identification des désirata du souverain territorial dans l'action de l'administration internationale. D'où la crise de légitimité manifestée dans les soubresauts de l'Etat hôte dont le prolongement atteint la population concernée. 2- Les réticences de la population locale L'annexe 1 de la résolution 1244 (1999) prévoie que l' « autonomie substantielle du Kosovo doit prendre en compte [...] les principes de souveraineté et d'intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie ». En d'autres mots, il s'agit de concilier la recherche d'une large autonomie du Kosovo au respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de l'Etat hôte de la MINUK : Une contradiction qui attribue à la Mission des objectifs politiques ambigus qui imposent une attitude tout aussi ambiguë de la part des populations locales. D'une part, la population ne participe pas activement aux activités d'administration intérimaire. Pourtant, l'on enregistre l'institution par la MINUK d'un Conseil transitoire du Kosovo qui se réunit chaque semaine sous la présidence du RSSG et qui regroupe tous les grands partis politiques, et les principaux groupes ethniques. La première réunion du Conseil transitoire est boycottée par la Ligue démocratique du Kosovo (LDK) d'Ibrahim RUGOVA339(*). D'autre part, le Rapporteur spécial de l'ONU sur la situation des droits de l'Homme au Kosovo, monsieur DIENSTBIER indique que les institutions de l'administration civile de la MINUK n'ont pas supplanté les institutions parallèles, contrôlées par l'Armée de libération du Kosovo (ALK)340(*). Le siège des Serbes de Mitrovica est longtemps demeuré vacant au sein du Conseil transitoire. En dépit des patients travaux d'approche entrepris par le R.S.S.G.341(*), la participation des Serbes achoppait encore, au printemps 2000, sur des dissensions internes excitées par la dégradation des conditions de sécurité dans la ville mixte mais divisée de Mitrovica342(*). Le conseil national des Serbes de Gracanica rallia le 2 avril 2000 le Conseil transitoire du Kosovo où le siège des Serbes de Mitrovica demeurait vacant343(*). En outre, au sein des communautés des Bosniacs et des Turcs du Kosovo, les dissensions persistantes les empêchaient de participer activement à la structure mixte. Il faut également relever que la majorité des Kosovars souhaite l'indépendance344(*) que ne prévoit pas la résolution 1244. Il s'installe ainsi un désamour entre l'administration internationale et la population concernée qui refuse d'observer l'annexe 2 de la résolution qui prévoit contre leurs espoirs, le respect de la « souveraineté et de l'intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie ». La tâche de la MINUK en pâtit et devient davantage compliquée. Ces faits illustrent bien une certaine méfiance, voire une défiance de la population locale envers la MINUK ; toute chose qui rendait aléatoire la mise en oeuvre des phases suivantes de l'administration intérimaire. La subsistance de l'Etat hôte est l'autre domaine où l'on identifie les effets de la fragilité du souverain territorial. * 329 SUR (S.), « Eloge du Conseil de Sécurité », Annuaire français de Relations internationales, vol. VI, 2005, p. 78 * 330 Nous empruntons cette expression au Professeur Robert KOLB voir. KOLB (R.), Op. Cit., p. 147 * 331 C'est le Rapport du secrétaire général du 12 juillet 1999 dans son paragraphe 41, qui définit les règlements comme des mesures législatives * 332 Voir respectivement le règlement 1999/4 du 2 septembre 1999 et l'instruction administrative 1999/1 * 333 Doc. NU /S1999/800, 19 juillet 1999 * 334 Doc. NU /1999/779 * 335 Doc NU S/1999/828 * 336Doc NU S/1999/850, 5 août 1999 * 337 Doc NU S/1999/1075, 20 octobre 1999 * 338 Doc NU S/1999/1089, 22 octobre 1999 * 339 Le Monde, 19 juillet 1999, p. 4 * 340 Rapport sur la situation des droits de l'Homme en Bosnie-Herzégovine, en République de Croatie et en République fédérale de Yougoslavie, A/54/396/Add.1, 2 novembre 1999, p. 13 * 341 Voir Rapport du Secrétaire général en date du 3 mars 2000, S/2000/177, par. 7 * 342 Ibidem, par. 4 * 343 Voir Kosovo News Report, 3 avril 2000 * 344 Le Monde, 13 novembre 1999, p. 1 |
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