Le régime de l'administration transitoire des territoires en droit international.( Télécharger le fichier original )par Luc Yannick ZENGUE Université de Yaoundé II (SOA) - Diplôme d'études approfondies en droit international public et communautaire 2007 |
DEUXIEME PARTIE : UN REGIME JURIDIQUE PERFECTIBLEL'administration transitoire d'un territoire en droit international naît de l'identification dans la société internationale, d'une carence de l'autorité étatique sur un espace terrestre donné. La communauté internationale, par le biais des Nations Unies, se charge donc d'assumer de manière temporaire l'exercice des prérogatives de puissance publique sur un tel territoire. Il s'agit pour l'organisation mondiale, de préparer les conditions de l'exercice efficace et autonome par les autorités locales, des pouvoirs de gouvernement sur leur territoire. Ce peut être des conditions de création d'un nouvel Etat ou celles de restauration d'un Etat existant. Quoiqu'il en soit, les Nations Unies sont appelées à prêcher par l'exemple. Monsieur Jean D'ASPREMONT identifie cette formule comme une nouvelle forme de mission civilisatrice s'assimilant à « une machine à créer des Etats démocratiques »309(*). En effet, si la communauté internationale n'a pas toujours eu l'occasion de contrôler la naissance des Etats, elle n'en a pas moins entendu déterminer « le sexe » des « nouveau-nés », en marge de la modification congénitale des Etats anciens. Cet état de chose pourrait créer une certaine frustration : Certains auteurs y trouvent l'instauration d'un « double standard » en ce que l'on impose un model de gouvernement aux Etats nouveaux ou restaurés alors que l'on tolère par ailleurs le régime non démocratique d'Etats plus anciens310(*). Cela ne doit cependant étonner personne, puisque la logique reste qu'il est davantage difficile d'apprendre les « bonnes manières » à un adulte que de les inculquer à un « nouveau-né »311(*). Dans cette optique, l'exercice direct par l'ONU des pouvoirs de gouvernement sur un espace terrestre présente des limites regrettables (Chapitre I), et mérite d'être améliorée (Chapitre II). CHAPITRE I : DES LIMITES CONSIDERABLESComme indiqué dans nos précédents développements, l'un des insignes du régime de l'administration transitoire des territoires en droit international est des composantes de la communauté internationale impliquées peu ou prou dans la situation internationale en cause. Cependant, certaine réalités remettent en cause la participation de certains acteurs, tout en hypothéquant le succès de la Mission. Au-delà des limites relatives à la participation du souverain territorial et de la population locale (SECTION I), il faut cerner les limites liées à l'établissement et au fonctionnement de la Mission (SECTION II). SECTION I : LES LIMITES RELATIVES A LA PARTICIPATION DU SOUVERAIN TERRITORIAL ET DE LA POPULATION LOCALELe droit et la société internationales restent aujourd'hui encore dominés par des entités souveraines. Pour s'en convaincre, il faut par exemple, observer les fréquents hommages rendus à la souveraineté des Etats par la procédure contentieuse devant la Cour internationale de Justice. C'est pourquoi le Conseil de Sécurité n'a pas trouvé utile de s'écarter de cette tradition dans l'entreprise de l'administration transitoire d'un territoire. Il nous a cependant été donné de constater que les souverainetés concernées sont généralement controversées (le cas du Timor oriental) lorsqu'elles ne sont pas menacées (le cas du Kosovo). Cet état de chose entrave forcément la réalité et la portée de l'attachement des Nations Unies à la souveraineté des Etats hôtes de l'administration intérimaire. Après avoir décliné la fragilité d'un souverain territorial (Paragraphe 1) nous analyserons les conséquences de ladite fragilité (Paragraphe 2). Paragraphe 1 : La déclinaison de la fragilité du souverain territorialLa fragilité du souverain territorial peut être appréhendée dans deux principaux sites. D'abord au niveau de la validité du consentement de l'Etat hôte (A), ensuite au niveau du concours du territoire dans l'administration transitoire (B). A. Au niveau de la validité du consentement de l'Etat hôteLa volonté de l'Etat est un concept fondamental en droit international contemporain. Cela tient au rôle déterminant qu'y joue la notion de souveraineté étatique. D'où l'exigence du consentement de l'Etat pour les actes le concernant et qui lui sont étrangers. Cependant au regard de certains faits, l'on peut convenir avec le Professeur Robert KOLB que «la question de la validité du consentement exprimé par le souverain du territoire intéressé par une ACIT n'est pas toujours claire »312(*). Il s'agit notamment du consentement d'un représentant controversé ou contraint. 1- Le consentement d'un représentant controversé L'A.T.N.U.T.O. intervient afin de régler un conflit déterminé par un processus inachevé de décolonisation. Reconnu par le Portugal comme territoire non autonome en 1974, le Timor oriental fut envahi et occupé par l'armée l'Indonésie en 1975 et par la suite incorporé comme vingt-septième province à cet Etat. La question de la souveraineté sur le territoire resta cependant controversée. En effet, les Nations Unies condamnèrent l'annexion par l'Indonésie et rejetèrent toujours la position de Djakarta d'après laquelle la population est-timoraise avait choisi librement l'intégration à l'Indonésie dans l'exercice de son droit à l'autodétermination.313(*) Le Portugal, tout en reconnaissant que l'occupation indonésienne entraînait des limitations de facto à l'exercice de ses pouvoirs, insista sur sa qualité de puissance administrante. Une tentative plus tardive de faire connaître la Cour internationale du fond de la question échoua puisque la Cour estima ne pas pouvoir exercer sa compétence en présence d'une question qui mettait en jeu un tiers Etat à la procédure, Etat qui refusait de reconnaître sa compétence.314(*) En mai 1999, les deux Etats tombent d'accord pour une solution globale à leur dispute ; l'O.N.U. se joint à eux dans cet accord. L'établissement de l'A.T.N.U.T.O. par le Conseil représenta la mise en oeuvre de l'article 6 de l'Accord triparti de mai 1999, aux termes duquel l'Indonésie et le Portugal acceptent de transférer aux Nations Unies l'administration du Timor oriental. L'accord des deux parties pour le transfert de l'autorité aux Nations Unies fut réitéré le 28 septembre 1999. Au Timor oriental, la controverse autour de l'identité de l'Etat possédant la souveraineté sur le territoire pose un réel problème quant à la validité du consentement exprimé par l'Indonésie. En effet, le fait que la présence de l'Indonésie ne soit reconnue que par l'Australie, faisait de cet Etat un occupant tel que l'a indiqué le Portugal ; occupation contre laquelle s'érige l'O.N.U. Au regard de tout cela, l'Indonésie ne possédait aucun titre juridique sur la région du Timor oriental. En outre, sa possession de ce territoire est plus que contestée. La logique du droit aurait voulu dans ce cas que l'on s'interroge sur la validité du consentement donné par l'Indonésie pour céder aux Nations Unies l'administration du territoire. D'après la Cour Permanente de Justice Internationale, « [l]a faculté de contracter des engagements internationaux est précisément un attribut de la souveraineté de l'Etat »315(*) ; or, l'acceptation de clauses conventionnelles entraînant la renonciation volontaire par un Etat à ses pouvoirs souverains est envisageable en tant que manifestation de sa souveraineté territoriale. Chose que n'a jamais possédé l'Indonésie sur le Timor oriental. Sur ce fondement, il est probable que l'on n'aurait accordé aucun crédit au consentement exprimé par cet Etat vis-à-vis de l'A.T.N.U.T.O. De fait, deux maximes latines résument clairement la position du droit international sur les possessions contestées. Premièrement, le « Nemo dat quod non habet » veut dire que « personne ne peut transférer la propriété d'une chose qui ne lui appartient pas »316(*). En second lieu, le « Nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet » renvoie au fait qu' « une personne ne peut transférer à autrui plus de droits qu'elle n'en a elle-même »317(*). Il devient ainsi clair qu'une possession contestée emporte une souveraineté territoriale incertaine, et de ce fait, l'entité faisant office de représentante du territoire concerné, parle d'une voix mal assurée. L'administration directe effective des Nations Unies au Timor oriental semble bien corroborer notre propos au sujet du consentement exprimé par l'Indonésie. En effet, la Mission d'administration intérimaire opère, à la différence de la MINUK, en l'absence d'un gouvernement ayant la souveraineté sur le territoire concerné. Plus précisément, le Timor oriental demeura jusqu'à son indépendance sur la liste des territoires non-autonomes, mais avec l'ATNUTO comme autorité administrante.318(*) Si au Timor oriental la question de la validité du consentement s'était posée en terme d'authenticité de la volonté, au Kosovo elle se traduit en terme d'autonomie de la volonté. 2- Le consentement d'un représentant contraint En vertu de la prégnance du consensualisme et du volontarisme dans l'ordre juridique international, le droit des traités est fondé sur la volonté des traités. Il en résulte que les Etats ne sont tenus que pour les actes auxquels ils ont expressément et librement consenti. L'adverbe « librement » ici renvoie à un consentement exprimé sans aucune contrainte, d'aucune nature. La volonté ne lie donc que si elle est exprimée de manière autonome. C'est là toute la problématique de l'autonomie de la volonté bien connue en droit civil. L'erreur et la contrainte son les deux grande catégories n'entraves à l'autonomie de la volonté. Dès lors, la présence ou simplement la menace d'une contrainte de quelque nature qu'elle soit, constitue un vice de consentement de nature à invalider ledit consentement. La contrainte peut être exercée soit sur l'Etat lui-même, soit sur la personne de son représentant pour obtenir son consentement. Dans l'espèce du Kosovo, il s'est avéré que c'est alors qu'il était « acculé par les bombardements de l'OTAN, [que] le président Milosevic a, en effet, été contraint de négocier avec les Occidentaux »319(*). C'est le G8 dont la majorité des membres sont également membres de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN), qui est l'élément moteur de ces négociations. Cette organisation par ailleurs informelle adopte le 6 mai 1999, un accord sur les principes d'un règlement politique du conflit au Kosovo qui prévoit précisément dans cette région le déploiement de présences internationales civile et de sécurité sous l'égide des Nations Unies, et la mise en place d'une administration intérimaire sur décision du Conseil de Sécurité. Cet accord qui peut être querellé voit ses principes consacrés par la résolution 1244320(*). Parallèlement, c'est alors que la campagne de bombardements avait toujours lieu, que le Parlement serbe et le gouvernement fédéral de Yougoslavie acceptèrent le 3 juin 1999 un texte proposé par le président de la République de Finlande Martti Ahtisaari en vertu duquel ils s'engageaient à autoriser le déploiement de présences internationales civile et militaire au Kosovo.321(*) C'est également « sous les fortes pressions internationales, [que] l'Indonésie accepta que des forces internationales soient déployées au Timor oriental »322(*). Ce sont ces forces qui par la suite laisseront place à une administration intérimaire. Tous ces actes intervenus dans le contexte ci-dessus mentionné attestent bien de ce qu'il ya eu exercice de la contrainte aussi bien contre le représentant de l'Etat de Yougoslavie que sur les institutions de cette République. Faits sanctionnés la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités. L'article 51 de cet instrument juridique traite de la « contrainte exercée sur le représentant d'un Etat ». Il considère l'expression du consentement obtenu dans ces conditions comme « dépourvue de tout effet juridique ». Il est conforté par l'article 52 sur « contrainte exercée sur un Etat par la menace ou l'emploi de la force » qui déclare « nul tout traité dont la conclusion a été obtenu par la menace ou l'emploi de la force [...]». La contrainte fait partie des actes internationalement illicites qui dénature l'acte qu'elle a produit. L'article 51 ci-dessus mentionné frappe d'inexistence ab initio, le traité conclu sous l'emprise de la contrainte. Ainsi, l'accord du 6 mai 1999, voire la résolution 1244 qui s'en réfère, auraient pu subir le même sort. Il en aurait été autrement si l'intervention de l'OTAN au Kosovo par le biais de l'opération « Force Alliée » avait reçu l'aval du Conseil de Sécurité, et partant, rentrait sous le couvert du chapitre VII de la Charte. Les cas de contrainte identifiés au Kosovo et au Timor oriental font penser à la menace d'emploi de la force qui pesait sur le président ivoirien au moment de la signature de l'Accord de Marcoussis. Le président Laurent GBAGBO n'aurait accepté de signer ledit Accord et d'approuver les décisions de KLEBER que pour se soustraire des tenailles d'une rébellion qui contrôlait la moitié du territoire ivoirien. Il craignait en autre que la France, s'arc-boutant sur la communauté internationale, profite de sa réticence pour provoquer au moyen d'une force armée, la chute de son régime323(*). Le consentement de l'Etat intéressé représente la situation optimale. Une expression malheureuse de celui-ci a ipso facto, des conséquences sur la contribution du territoire concerné par une administration transitoire à la réussite de celle-ci. * 309 D'ASPREMONT (J.) « Les administrations internationales de territoires et la création d'Etats démocratiques », Op. Cit., p. 14 * 310 KOHEN (M.) « La création d'Etats en droit international contemporain », Cours euro-méditerranéen Bacanja de droit international, Vol. VI, 2002, p. 619 * 311 D'ASPREMONT (J.), Ibid., p. 15 * 312 KOLB (R.) PORETTO (G.) et VITE (S.), Op. Cit., p. 44 * 313 Voir les résolutions 384 (1975), du 22 décembre, et 389 (1976), du 22 avril, du Conseil de sécurité, réaffirmant le soutien des Nations Unies au droit à l'autodétermination et demandant à l'Indonésie de retirer sans délai ses forces du territoire. * 314 CIJ, Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt du 30 juin 1995, Recueil 1995, p. 90. Voir notamment la page 105, par. 35 : « La Cour conclut qu'elle ne saurait, en l'espèce, exercer la compétence qu'elle tient des déclarations faites par les Parties conformément au paragraphe 2 de l'article 36 de son Statut car, pour se prononcer sur les demandes du Portugal, elle devrait statuer à titre préalable sur la licéité du comportement de l'Indonésie en l'absence du consentement de cet Etat ». * 315 CPJI, affaire du Vapeur Wimbledon, arrêt, 17 août 1923, série A, n° 1, p. 25 * 316 GUINCHARD (S.) et MONTAGNIER (G.) (Dir.), Lexique des termes juridiques, 16éme édition, Dalloz, Paris, 2007, p. 441 * 317 GUINCHARD (S.) et MONTAGNIER (G.) (Dir.), Op. cit., p. 442 * 318 STAHN (C.), « The United Nations Transitional Administrations in Kosovo and East Timor: A First Analysis », Op. Cit., p. 115. * 319 GARCIA (T.), Op. Cit., p.61 * 320 Cf. Presse, information, communication, Ministère français des Affaires étrangères, 11 juin 1999, n° 112/99 * 321 Voir Military
Technical Agreement, Between the International Security Force
(« KFOR ») and the * 322 SASSOLI (M.), Op. CIt., p. 8 * 323 MANDJEM (Y. P.), Les gouvernements de transition issus des accords de paix en Côte d'Ivoire et en République Démocratique du Congo, Mémoire de D.E.A. de science politique, Université de Yaoundé II, 2004-2005, p. 20 |
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