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Le régime de l'administration transitoire des territoires en droit international.

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par Luc Yannick ZENGUE
Université de Yaoundé II (SOA) - Diplôme d'études approfondies en droit international public et communautaire 2007
  

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B. L'applicabilité ratione materiae des normes internationales en matière de droits humains

Le cas du Kosovo représente le contexte-type des problèmes liés à l'applicabilité ratione materiae du droit international des droits de l'homme dans les missions où une présence civile internationale s'accompagne d'une force militaire internationale. Pour mieux cerner la question, nous envisageons aborder l'applicabilité des normes internationales des droits humains d'abord à la présence internationale civile, et ensuite à la présence internationale de sécurité.

1- Les normes internationales des droits de l'Homme applicables à la présence internationale de sécurité d'une administration intérimaire

Les forces militaires terrestres déployées simultanément à la mise sur pied de la présence civile internationale sont souvent préparées à la conduite d'opérations armées.287(*) Le mandat de la KFOR comprenait également le « maintien de l'ordre et de la sécurité publics »,288(*) Il s'agit là de pouvoirs qui relèvent, en temps normal, de la compétence des autorités civiles. Ces tâches englobaient dès lors non seulement les fonctions de police administrative, mais aussi la police judiciaire. Les contingents déployés sur le terrain dans les premiers jours de vie de la MINUK agissent dans un cadre juridique plutôt incertain, puisque la résolution 1244 est imprécise quant à la place des normes internationales du droit de l'homme applicables à leur activité.

Afin de garantir le respect des normes internationales sur les droits de l'homme, les règles d'engagement ainsi que les ordres d'opération doivent être dictées et lues de manière à en adapter le contenu aux situations concrètes. En d'autres termes, il est question de moduler l'habilitation à l'emploi de la force selon un critère de nécessité et de proportionnalité. Ainsi, la réaction armée doit être modérée dans des situations de simple désordre public. Le recours à des interventions musclées doit être strictement justifié, par exemple pour mettre fin à la commission de crimes graves ou pour riposter à des attaques armées.289(*) C'est en cela que consiste l'application de la règle opérationnelle dite de la « montée en puissance », aujourd'hui répandue dans les forces de police de la plupart des Etats vivant sous un régime constitutionnel libéral, et qui veut que la force utilisée soit proportionnée à l'escalade de la violence.290(*)

Les standards sur le recours à la force et sur l'utilisation des armes à feu sont aujourd'hui codifiés dans certains documents internationaux. On peut mentionner le Code de conduite pour les responsables de l'application des lois, adopté par l'Assemblée générale des Nations Unies le 17 décembre 1979,291(*) ainsi que les Principes de base sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois adoptés par le huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants tenu à La Havane (Cuba) du 27 août au 7 septembre 1990. Ces textes n'énoncent pas des règles obligatoires. Les `Principes sur le recours à la force' s'ouvrent avec le rappel qu'il revient aux pouvoirs publics et aux autorités de police d'adopter et d'appliquer des réglementations en la matière. Cependant, pour les Nations Unies, ces instruments constituent l'expression d'une conviction par son organe suprême, à savoir l'Assemblée générale. Il est plus difficile de penser qu'une Mission mise sur pied par l'Organisation, puisse prendre à l'égard de ces normes la même liberté qu'un Etat membre, agissant en dehors de l'enceinte de l'Organisation. Il est dès lors regrettable que ces principes ne soient pas incorporés dans la Résolution 1244 du Conseil de sécurité.

Il fallait dès lors s'attendre à ce que chaque contingent ait recours par « réflexe professionnel » à son propre droit national,292(*) notamment le droit pénal et la procédure pénale avec lesquels ses membres étaient familiers. C'est exactement ce que font, par exemple, les gendarmes français agissant dans l'urgence, en attendant que le droit applicable au Kosovo soit déterminé.

2- Les normes internationales des droits de l'Homme applicables à la présence internationale civile d'une administration intérimaire

Au rang des mesures de police administrative adoptées par la MINUK figurent des mesures de sûreté telles que la création de zones de confiance, l'interdiction de séjour et la rétention de sécurité temporaire. Il s'agit de mesures, individuelles ou collectives, visant à faire respecter l'ordre et la loi.

Deux mois après l'établissement de la présence internationale, le RSSG adopte le Règlement 1999/2 en matière de mesures individuelles d'éloignement à l'encontre de toute personne susceptible de menacer l'ordre ou la paix publics. Les autorités en charge de l'application de la loi (« the relevant law enforcement authorities ») sont autorisées à interdire provisoirement à une personne l'accès à un espace donné ou à lui interdire provisoirement d'y demeurer.293(*) Le critère établi pour le recours à ces mesures est celui de la nécessité « in the opinion of the law enforcement authorities and in light of the prevailing circumstances on the scene, to prevent a threat to public peace and order ».294(*) Aux termes du règlement, la menace à l'ordre et à la paix publics pouvait découler : (1) du non respect de la loi ; (2) d'une atteinte aux droits des individus ou à la propriété publique ou privée ; (3) d'une entrave à l'action des pouvoirs publics.295(*) Sont également prévues, des mesures de détention temporaire, « if this is necessary in the opinion of the law enforcement authorities and in light of the prevailing circumstances on the scene, to remove a person from a location, or to prevent access by a person to a location ».296(*) Ces détentions doivent être strictement fonctionnelles aux mesures d'éloignement et d'interdiction et ne pouvaient pas excéder la durée de douze heures.

Cet acte semble faire primer les exigences de la sécurité sur l'observance des droits de l'homme. Quelques mois après, la MINUK clarifie sa position sur ce point dans un document portant le titre « Security and the Rule of Law in Kosovo », dont il convient de reproduire ce passage :

« Human rights principles should not be viewed as operating to dogmatically bar action that must be taken to address urgent security issues. A number of rights, including the rights to privacy, freedom of expression, freedom of assembly and freedom of movement, are subject to limitations which are necessary in a democratic society in the interest of national security of public safety, for the maintenance of public order [and] for the prevention of crime. Within the framework of human rights, there is flexibility to take the necessary steps to promote public peace and order, even where such steps may constrain individual rights ».297(*)

Sur cette base, les mesures en question ne semblent pas constituer un exemple de suspension ou de « dérogation » de certains droits de la personne, qui selon les termes de l'article 4 du Pacte sur les droits civils et politiques ainsi que de l'article 15 de la CEDH est autorisée « en cas de guerre ou d'autre danger public menaçant la vie de la nation ». La référence aux « limitations » dans le document de la MINUK paraît plutôt indiquer des cas de « restrictions », qui sont autorisées par plusieurs dispositions de ces instruments conventionnels même en temps ordinaire.298(*) L'exercice de ce pouvoir de « restriction » est tout de même soumis, tout comme celui relatif aux « dérogations », au principe de la proportionnalité.299(*)

Il faut remarquer que dans la mise en oeuvre de l'application des normes internationales sur les droits de l'Homme à une administration intérimaire, les procédures classiques reste applicables. L'on a retrouvé dans le cadre de la MINUK, les procédures spéciales de la Commission des droits de l'homme, organe subsidiaire du Conseil économique et social des Nations Unies. Elle a été créée en 1946 en application de l'article 68 de la Charte des Nations Unies.300(*) Ces procédures concernent notamment les procédures par pays et les procédures thématiques. En septembre 2002, le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants intervient à auprès du Représentant spécial au Kosovo pour lui transmettre des allégations de mauvais traitements mettant en cause, dans deux cas séparés, des soldats italiens de la KFOR et des membres italiens de la MINUK.301(*)

L'on note également un rôle du Haut-Commissariat aux droits de l'homme des Nations Unies et des organes de surveillance des traités. Sur la base de ses compétences largement définies,302(*) le bureau du Haut-Commissaire aux droits de l'homme des Nations Unies peut être habilité à exercer un droit de regard sur les activités des organisations internationales. Dans le cas du Kosovo, le Haut-Commissaire aux droits de l'homme déploya ainsi une « Opération d'urgence » dès mars 1999 « dans le but de prendre note des préoccupations concernant la situation qui régnait alors en matière de droits de l'homme au Kosovo et de recueillir des informations de première main sur ces violations afin que leurs auteurs en rendent compte ».303(*)

Nous avons aussi des mécanismes sur le terrain à l'instar de la réparation des préjudices résultant des activités opérationnelles des administrations transitoires, les recours judiciaires, les services des autorités indépendantes (l' « Ombudsperson »), et le Conseil d'appel des médias au Kossovo.

L'Ombudsperson Institution in Kosovo fut institué par le Règlement 2000/38, du 30 juin 2000, « for the purpose of enhancing the protection of human rights in Kosovo ».304(*) Ses services visent essentiellement à fournir une assistance pour garantir que toute personne se trouvant au Kosovo puisse jouir effectivement des droits et des libertés reconnus par les instruments conventionnels en la matière. Sa compétence s'étend à tout recours « from any person or entity in Kosovo concerning human rights violations and actions constituting an abuse of authority by the interim civil administration or any emerging central or local institution ».

Il est également possible de citer un exemple où la MINUK a instauré un système efficace pour la mise en oeuvre des droits de l'homme. C'est le Conseil d'appel des médias. Par les Règlements 2000/36 et 2000/37, le RSSG instaura une réglementation de l'activité des médias305(*) et  une autorité administrative indépendante, le Commissaire provisoire aux médias. S'y ajoutait un organe juridictionnel, le Conseil d'appel des médias. Le Conseil d'appel s'est révélé un instrument très important pour protéger la liberté d'expression. Il s'agit sans aucun doute d'un organe indépendant, comme le démontrent le fait qu'il est présidé par le responsable de l'OSCE et aussi le fait qu'il lui incombe de respecter les règles du procès équitable aux termes de l'article 6 de la CEDH. Des journaux kosovars ont ainsi pu contester devant cet organe les sanctions qui avaient été prononcées par le Commissaire à leur charge306(*).

La mise en place de la MINUK le 10 juin 1999 intervient dans un environnement où tout débat sur l'administration directe d'un territoire par les Nations Unies en dehors des dispositions de l'article 81 est éteint307(*). Dans le contexte de la décolonisation, contexte d'intervention de l'ATNUTO, le Professeur Patrick DALLIER considère que, pour mener à bien sa mission, les Nations Unies devaient « [...] disposer d'une compétence exclusive pendant un délai déterminé sur les populations, sur le territoire et sur les services publics »308(*). Toutefois, dans la pratique de l'administration transitoire des territoires en droit international, l'ONU n'a pas hésité à sacrifier le caractère « exclusif » qui devait gouverner son exercice des prérogatives de puissance publique, sur l'autel de la nécessaire synergie de la communauté internationale face aux mutations du maintien de la paix. Toute chose, mais pas l'unique, qui implique un éloignement de cette pratique onusienne relativement à ses devancières. De fait, si le maintien, le rétablissement et la consolidation de la paix constituent les objectifs généraux des opérations de paix, les tâches des Missions d'administration internationale qui nous intéressent ici, vont bien au-delà des opérations traditionnelles. Néanmoins, l'administration internationale directe de l'ONU, aussi innovatrice qu'elle puisse être, présente quelques insuffisances qui entravent son efficacité. Dès lors, il devient nécessaire d'entreprendre dans l'optique de l'amélioration, une évaluation des qualités de l'administration transitoire des territoires en droit international.

* 287 GUILLAUME (M.), MARHIC (G.), ETIENNE (G.), « Le cadre juridique de l'action de la KFOR au Kosovo », AFDI, vol. 45, 1999, p. 329.

* 288 Par. 9 d) de la Résolution 1244 du Conseil de sécurité

* 289 GUILLAUME (M.), MARHIC (G.), ETIENNE (G.), Ibidem. p. 325

* 290 Entretien avec Christian PEDRON, membre de la « Special Police Unit » de la MINUK, 14 mai 2003.

* 291 Voir la Résolution 34/169 de l'Assemblée générale des Nations Unies, et en particulier ses articles 2 et 3

* 292 GUILLAUME (M.), MARHIC (G.), ETIENNE (G.), « Le cadre juridique de l'action de la KFOR au Kosovo », Op. Cit., p. 333.

* 293 Ibidem, pp. 330s.

* 294 UNMIK/REG/1999/2, du 12 août 1999, par. 1.1.

* 295 Ibidem, par. 1.3.

* 296 Ibidem, par. 2.

* 297 Document cité par STAHN, (C.), « The United Nations Transitional Administrations in Kosovo and East Timor : A First Analysis », Op. Cit., p. 163.

* 298 Voir par exemple les articles 12 et 19 du Pacte sur les droits civils et politiques.

* 299 Comme l'a affirmé le Comité des droits de l'homme dans son Observation générale n° 29 en matière d'états d'urgence (v. Doc. NU, CCPR/C/21/Rev.1/Add.11, du 31 août 2001)

* 300 Rés. ECOSOC 9 (II) du 21 juin 1946. Pour un présentation détaillée de la Commission et de ses activités, voir http://www.unhchr.ch/french/html/menu2/2/chrintro_fr.htm.

* 301 Report of the Special Rapporteur on the question of torture, Theo van Boven, submitted pursuant to Commission resolution 2002/38, Addendum, UN Doc. E/CN.4/2003/68/Add.1, 27 February 2003, par. 2014-16.

* 302 Voir Rés. AG 48/141 du 20 décembre 1993

* 303 Rapport de la Haut-Commissaire aux droits de l'homme sur la situation des droits de l'homme au Kosovo (République fédérale de Yougoslavie), Doc. NU E/CN.4/2000/10, 29 septembre 1999, par. 1.

* 304 Le 11 juillet, le juriste Polonais Marek Antoni Nowicki est nommé Ombudsperson ; il l'est encore aujourd'hui.

* 305 Les Règlements encadrent respectivement l'activité de la presse audiovisuelle et écrite.

* 306 Voir « Chronique de jurisprudence internationale », administration intérimaire du Kosovo, Conseil d'appel des medias, Décision du 16 septembre 2000, Affaire Belul Beqaj et journal Dita c. Commissaire provisoire des medias, in RGDIP, Tome 105/2001/1, Pedone, Paris, p. 217s.

* 307 LAUTERPACHT (E.), «Contemporary Practise I: Capacity of the United Nations to Administer a territory», Op. Cit., p. 409

* 308 DALLIER (P.), « L'administration internationale directe dans le contexte de la décolonisation », Revue juridique et politique, indépendance et coopération, tome 27, n° 1, p. 53

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus