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Le régime de l'administration transitoire des territoires en droit international.

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par Luc Yannick ZENGUE
Université de Yaoundé II (SOA) - Diplôme d'études approfondies en droit international public et communautaire 2007
  

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Paragraphe 2 : La question de l'intégration des droits humains à l'administration directe des Nations Unies

Une partie importante des règles de l'administration transitoire des territoires en droit international est liée à la limitation des pouvoirs de l'autorité provisoire d'une part, et à la protection des droits et libertés fondamentaux de la population d'autre part. Les normes internationales en matière de droits de l'homme sont considérées comme les plus efficaces dans cette optique. Seulement, l'on n'a pas enregistré un engagement très prononcé quant à l'apport des solutions dans la réflexion sur l'applicabilité de ce domaine normatif aux administrations civiles transitoires. Solutions qui tiennent à la levée des deux obstacles théoriques majeurs : Les obstacles ratione personae et ratione materiae.

A. L'applicabilité ratione personae des normes internationales en matière de droits humains

Les obligations du droit de l'homme pèsent sur l'Etat, précisément à cause de son autorité sur un territoire et sur des personnes : « [l]es droits de l'homme font [...] naître à l'égard de l'Etat des obligations internationales conditionnant non seulement l'exercice pourtant exclusif de sa compétence territoriale, mais encore, ce qui est plus original, l'organisation des rapports entre la puissance publique et les particuliers qui dépendent de son autorité ».268(*) Lorsque le Conseil de Sécurité met en place sur un territoire une administration intérimaire, l'organisation entend exercer à l'instar d'un Etat, les prérogatives de la puissance publique touchant à la vie et au statut juridique des personnes physiques et des personnes morales. Il est donc possible que l'ONU en tant que sujet du droit international, puisse devenir destinataire des normes internationales en matière de droits de l'homme du fait de ce « contrôle » territorial. Pour mieux cerner la question, il faut distinguer les paramètres de l'applicabilité du droit conventionnel de celle du droit international général en matière des droits de l'Homme.

1- Les paramètres de l'applicabilité du droit conventionnel et du droit international général en matière des droits de l'Homme

Il s'agit pour nous de déterminer si la sphère d'application subjective des traités sur les droits de l'homme s'étend aux organisations internationales.

A l'heure actuelle, les organisations internationales ne sont pas parties aux instruments internationaux pour la protection des droits de l'homme, et cela nonobstant le fait qu'elles aient souvent un rôle fondamental dans la promotion, l'élaboration et la conclusion de ces traités.269(*) Cependant, la constitution de cet état de chose en obstacle pour l'application des traités multilatéraux en droits de l'homme aux organisations reste aléatoire et pas absolue. A notre avis, les clauses d'adhésion ne mentionnent que les Etats pour la simple raison qu'à la date de leur élaboration, le phénomène de l'administration directe d'un territoire par une organisation internationale ne s'était pas encore manifesté dans la pratique. Vue l'évolution actuelle, l'absence d'un droit exprès autorisant les organisations à adhérer à certaines conventions ne peut pas exclure la possibilité d'une participation. En outre, un nombre important d'Etats membres sont normalement parties à ces instruments. L'on peut donc envisager l'applicabilité des normes conventionnelles en matière de droits de l'homme aux activités opérationnelles d'une organisation par le biais des engagements liant ses Membres participant aux opérations de paix.

Pour la participation des organisations aux conventions internationales, l'on pourrait penser à une modification de ces instruments, en vue d'en élargir les parties potentielles au-delà du cercle restreint des États. Une organisation internationale pourrait également participer à un ou plusieurs traités en matière de droits de l'homme par le biais d'un acte d'adhésion ad hoc conclu dans le cadre d'une opération particulière à l'instar d'une Mission d'administration intérimaire270(*).

Il semble clair que l'assimilation de facto d'une organisation internationale à un Etat, de par l'exercice de fonctions typiques de l'appareil étatique, peut se traduire dans une assimilation de jure pour ce qui est de la capacité des organisations de devenir parties aux instruments conventionnels en la matière. Il faudra prendre en considération, en plus du traité constitutif, le « droit dérivé » et la pratique ultérieure de l'organisation. Dès lors, et toutes proportions gardées, l'on pourrait s'accorder avec monsieur Pierre KLEIN que si les organisations se montrent réticentes à adhérer aux grands traités multilatéraux, les obstacles apparaissent « en réalité plus politiques - voire psychologiques ! - que véritablement juridiques ».271(*) La pratique internationale nous offre au moins un exemple d'affirmation de la possibilité d'une mise en oeuvre des obligations découlant des conventions en matière de droits humains. Il s'agit du système proposé en 1950 pour la Ville de Jérusalem sous l'administration internationale des Nations Unies. Le Conseil de tutelle, auteur du Projet de Statut, se réfère en premier lieu à la Déclaration universelle des droits de l'homme, adoptée en décembre 1948, et l'indique comme « idéal à atteindre par la Ville » en matière de droits de l'homme.272(*) Deuxièmement, le Conseil se réfère au futur « Pacte sur les droits de l'homme », dont l'élaboration était discutée à ce moment-là273(*) et établit que, après son entrée en vigueur, ses dispositions seraient entrées également en vigueur dans la Ville, conformément aux procédures réglant les affaires extérieures de la Ville.

Venons-en maintenant à la question de l'applicabilité ratione personae des normes internationales générales en matière de droits de l'homme aux administrations transitoires. A la lumière d'une jurisprudence de la Cour internationale de Justice caractéristique de l'évolution du droit international, certaines normes fondamentales sur les droits de l'homme acquièrent un caractère erga omnes274(*), indépendamment de tout engagement conventionnel. Il s'agit des normes qui lient tous les sujets d'un ordre juridique, indépendamment de leur assentiment individuel à leur être soumis.275(*) Dans l'arrêt du 5 février 1970 dans l'affaire de la Barcelona Traction, la Cour souligne l'existence de normes coutumières en la matière en se référant à des « droits de protection [qui s'étaient] intégrés au droit international général »276(*). En plus de l'avis consultatif sur la Convention contre le génocide et de l'arrêt en l'affaire de la Barcelona Traction, il est possible de se référer à cet égard aussi au célèbre avis consultatif sur la Namibie277(*).

La doctrine se réfère à la jurisprudence de la Cour internationale de Justice, notamment aux affaires des Réparations, de l'Interprétation de l'accord OMS-Egypte et de la Licéité des armes nucléaires278(*) pour en appliquer les contenus aux normes sur les droits de l'homme. L'objectif est de conclure à la titularité par les Nations Unies du droit international général en la matière.

Observons maintenant la traduction de la volonté d'appliquer le droit conventionnel et le droit international général en matière de droits de l'homme aux activités de l'ONU.

2- La traduction concrète de l'applicabilité du droit conventionnel et du droit international général en matière de droits de l'homme aux activités administratives de l'ONU

Nous aborderons l'application des droits de l'homme dans la pratique moins récente des Nations Unies avant que d'évoquer la même application avec la MINUK et l'ATNUTO.

Aux termes de l'article 17 du « Statut Permanent du Territoire Libre de Trieste »,279(*) il revient au Gouverneur, en sa qualité de représentant du Conseil de sécurité, de « surveiller l'application du Statut, notamment en ce qui concerne la protection des droits fondamentaux de l'homme ». Compte tenu du droit matériel et de la rédaction, ces normes auraient servies par la suite de modèle pour le développement normatif au sein des Nations Unies, car elles énoncent pour la première fois deux principes fondamentaux en la matière : l'universalité et la non-discrimination. En particulier, le principe de non-discrimination est largement développé dans les nombreux instruments adoptés dans l'après-guerre. La liste des motifs de non-discrimination est enrichie, notamment par la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 et par les Pactes internationaux de 1966.

La question de l'application des ces normes est abordée de manière beaucoup plus ponctuelle au moment de l'adoption du projet de Statut pour la Ville de Jérusalem.280(*) L'article 9 su projet de statut pour Jérusalem, sur les « droits de l'homme et libertés fondamentales », établit un véritable catalogue en quinze paragraphes, calqués sur la formulation de la Déclaration des Droits de l'homme, adoptée un peu plus d'une année avant. Une liste des droits et libertés est élevée au rang constitutionnel (« constitutionnalisée »), selon une technique typique des ordres juridiques internes. Cela permet aux particuliers d'invoquer ces droits devant les organes judiciaires contre tout acte des autorités publiques. La Déclaration universelle de 1948 est en quelque sorte érigée en source de rang supérieur dans l'ordre juridique du Territoire Libre de Trieste : « [d]'une manière générale, et sans préjudice des dispositions des paragraphes précédents, la Déclaration universelle des Droits de l'homme sera reconnue comme l'idéal à atteindre par la Ville »281(*)

Aux termes de l'article XXII de l'accord du 15 août 1962 entre l'Indonésie et les Pays-Bas établissant l'AETNU, cette dernière est tenue de garantir « pleinement les droits des habitants de la région, notamment le droit à la liberté d'expression, de mouvement et de réunion », et de prendre en charge « les engagements néerlandais existants en ce qui concerne les concessions et les droits de propriété ». Qu'en est-il de la MINUK et de l'ATNUTO ?

A la différence de leurs précédents, les deux administrations intérimaires instituées à la fin des années 1990 s'inscrivent dans un cadre juridique beaucoup plus évolué en matière de garanties internationales des droits et libertés de la personne, aussi bien au niveau conventionnel que sur le plan coutumier282(*). Le respect des standards internationaux sur les droits de l'homme par une administration transitoire semble de nos jours aller de soi. En effet, la Résolution 1244 du Conseil de sécurité, instituant la MINUK, lui confie, entre autres, la tâche de « défendre et promouvoir les droits de l'homme » (par. 11, j). Le Secrétaire général, dans son premier rapport sur la Mission, précise qu'elle se fonde sur les normes internationalement reconnues en matière de droits de l'homme et en intègre le respect à tous ses domaines d'activités à travers l'adoption de principes pour ses fonctions administratives.283(*)

Le Règlement n° 1 de la MINUK, du 25 juillet 1999, décrète l'application du droit en vigueur sur ce territoire au 10 juin 1999 sous réserve de sa compatibilité avec entre autre, les standards internationaux en matière des droits de l'homme. Le droit applicable au Timor oriental avant le 25 octobre 1999 continua de l'être, sous réserve de sa compatibilité avec la source susmentionnée284(*). Il faut noter que les standards internationaux pouvaient constituer des références pour la modification du droit existant. Le RSSG du Kosovo institue le « Joint Advisory Council on Legislative Matters », un organe chargé de passer en revue la législation en vigueur et d'en proposer, le cas échéant, une révision. Il faut à ce propos mentionner la révocation de certaines lois sur la propriété et les transactions immobilières, estimées incompatibles avec les standards internationaux en matière de droits de l'homme.285(*) Le RSSG, dans une lettre du 14 juin 2000 adressée au Président du barreau de Belgrade,286(*) eut l'occasion de préciser qu'aux termes de l'article 1.3 du Règlement 2000/59, les juges ne devaient pas appliquer les normes internes non conformes aux standards internationaux sur les droits de l'homme.

Le premier verrou théorique de l'application du droit international des droits de l'Homme aux administrations transitoires étant ainsi levé, envisageons maintenant le second.

* 268 DUPUY (P.-M.), Droit international public, 4e éd., 1998, Paris, Dalloz, p. 195.

* 269 FLAUSS (J.-F.) La protection des droits de l'homme et l'évolution du droit international (Colloque de Strasbourg de la Société française pour le droit international), Paris, Pedone, 1998, p. 15

* 270 KOLB (R.), L'application du droit international humanitaire et des droits de l'Homme aux organisations internationales : Forces de paix et administrations civiles transitoires, Op. Cit., p.127

* 271 KLEIN (P.), La responsabilité des organisations internationales, Op. Cit., p. 318.

* 272 Voir l'article 9, par. 16 du Projet de Statut (Doc. NU, T/L.72, du 28 mars 1950).

* 273 Il est notoire que, chemin faisant, le projet de ce pacte se transforma et aboutit à l'élaboration des deux pactes des Nations Unies de 1966. Pour une reconstruction de la genèse des pactes de 1966, voir DE VRIES REILINGH (J.), L'application des Pactes des Nations Unies relatifs aux droits de l'homme de 1966, Bâle/Genève/Munich, Helbing & Lichtenhahn, 1998, pp. 76ss.

* 274 CIJ, Barcelona Traction, Light and Power Company Limited, Arrêt du 5 février 1970, Recueil 1970, p. 3

* 275 BUZZINI, (G.), « La théorie des sources face au droit international général », RGDIP, vol. 106, 2002, p. 582.

* 276 CIJ, Barcelona Traction, Ibid., p.32.

* 277 CIJ, Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, Avis consultatif du 21 juin 1971, Recueil 1971, p. 16.

* 278 CIJ, Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, Avis consultatif du 11 avril 1949, Recueil 1949, p. 4. Interprétation de l'accord du 25 mars 1951 entre l'OMS et l'Egypte, Avis consultatif du 20 décembre1980, Recueil 1980, pp. 89. Licéité de l'utilisation des armes nucléaires par un Etat dans un conflit armé, Avis consultatif du 8 juillet 1996, Recueil 1996 , p. 226.

* 279 Voir supra, chapitre I, par. 2.1.a).

* 280 Voir supra, chapitre I, par. 2.1.b).

* 281 article 9, par. 16, du Statut Permanent du Territoire Libre de Trieste 

* 282 KOLB (R.), L'application du droit international humanitaire et des droits de l'Homme aux organisations internationales : Forces de paix et administrations civiles transitoires,Op Cit., p.141

* 283 Rapport du Secrétaire général sur la mission d'administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo, Doc. NU S/1999/779, 12 juillet 1999, par. 42.

* 284 Voir la section 3.1 du Règlement UNTAET/REG/1999/1, du 27 novembre 1999, reproduit dans le Doc. NU S/2000/53/Add.1, du 8 février 2000

* 285 Voir le Règlement 1999/10 du 13 octobre 1999 (UNMIK/REG/1999/13 « On the repeal of discriminatory legislation affecting housing and rights in property », UNMIK Official Gazette, Volume 1, 1999, p. 77), qui révoque deux lois serbes de 1991 jugées « discriminatory in nature and [...] contrary to international human rights standards »  V. aussi le Rapport du Secrétaire général du 16 septembre 1999, Doc. NU, S/1999/987, par. 33.

* 286 Citée dans le premier rapport du Department of Human Rights and Rule of Law de la Mission de l'OSCE au Kosovo, Review of the Criminal Justice System, February-July 2000, p. 15.

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