I. ESPACES PUBLICS : UN FAIT URBAIN EN MARGE
DE L'URBANISATION
1.1. Des espaces urbains sans aménagement
D'abord, la confusion faite entre espaces publics et espaces
non habités peut résulter du fait que dans leurs
définitions de l'espace public, les individus s'arrêtent au mot
espace. Il est vrai que cela se comprend parce que le mot espace tout
court renvoie aux grandes étendues non couvertes de construction ou au
grand vide céleste. Mais ce qui peut entretenir des confusions
sémantiques à propos de la définition d'espace public chez
une population qui commence une expérience de l'urbanisation dans une
ville, c'est le non aménagement des espaces publics. Ces espaces
demeurent au stade de réserves de l'Etat destinés aux travaux
d'intérêts publics. Ceci ne permet pas aux citadins d'être
renseignés sur les fonctions urbaines des espaces urbains. Ces espaces
sans infrastructures trouvent auprès des populations des fonctions
définies tacitement par celles-ci. Ainsi, lorsqu'un espace est vide - et
donc non seulement l'espace public défini ainsi mais également
des domaines des particuliers non construits - il devient un champ de
déploiement des comportements multiples : parking des troupeaux,
défécation, décharges d'ordures comme nous l'avons vu plus
haut. Selon un responsable du service d'hygiène et de santé
publique de la direction technique de la voirie, il y a plus de
décharges anarchiques spontanément créées par les
populations de la ville sur des espaces vides qui sont en fait des
réserves de l'Etat en vue de la création « des
édifices publics » que des décharges autorisées ; un
aveu que notre observation de la ville conforte. De façon
générale lorsqu'un espace est vide et demeure ainsi pendant
plusieurs années, il devient un lieu de défécation, de
dépôt d'ordures pour les populations environnantes, que cet espace
appartienne à l'Etat ou à un citoyen.
1.1.1. La non application de la réglementation des
espaces urbains
Il y a également la faiblesse d'une organisation et
d'une réglementation à travers lesquelles devraient
transparaître des définitions et des fonctions urbaines
précises des espaces publics. Certains espaces publics en milieu urbain
n'ont pas les mêmes fonctions qu'en milieu rural. Ceci est tout
particulièrement vrai des fonctions esthétiques urbaines. Les
espaces qui
Les facteurs structurant les représentations des espaces
urbains et rapports aux ordures
Perceptions, espaces urbains et gestion des ordures
ménagères à N'Djaména (Tchad)
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remplissent ces fonctions sont notamment les ronds-points et
les jardins publics. Et ces fonctions sont en principe définies par les
autorités administratives en charge de la gestion des espaces urbains.
Mais le défaut de la mise en oeuvre de ces fonctions pourtant bien
définies favorise l'apparition d'autres types de
représentations.
Selon un responsable du service d'hygiène et de
santé publique de la commune, le problème se situe à deux
niveaux : au niveau des gouvernants et au niveau de la population
n'djaménoise.
Au niveau du gouvernement, il dit que : « La loi est
là... mais on ne l'applique pas. Si on l'appliquait la population
n'utiliserait pas les espaces publics anarchiquement. » Selon lui
enfin, « le gouvernement n'aide pas la population à le
comprendre (le sens du bien public, cela s'entend). Le gouvernement
morcelle les espaces publics. »
Nous luis demandions ensuite : Vous parlez du gouvernement
?
Et il répondit : « mais oui ! Les personnes
proches du régime au pouvoir comme les militaires par exemple. Ils
occupent les espaces publics comme si c'était leurs propres espaces. Ils
construisent dessus, ils s'y installent... ».
Pour ce qui concerne la population, il dit ceci : «la
population n'djaménoise n'a jamais compris le sens de
l'intérêt public. Quelqu'un qui a un espace devant sa maison
préfère le morceler plutôt que de le conserver... Dans la
ville, les réserves mêmes si elles ne sont pas morcelées,
les populations ne veillent pas dessus, ça devient les lieux
d'aisance33, on y jette les ordures, les arbres sont coupés
etc. »
Le premier élément d'explication des
comportements à l'oeuvre dans ces espaces vides provient de ce que le
service n'installe pas de structures pouvant recevoir les déchets de
consommation des ménages dans les quartiers de N'Djaména. En
l'absence de poubelles et bacs à ordures publics etc. les ménages
se résument à abandonner dans l'espace vide le plus proche leurs
ordures.
Mais cette défaillance du service officiel ne suffit
pas pour expliquer tous les comportements induits par la représentation
de l'espace public comme espace vide. Ce qui affaiblit l'argument ci-dessus
semble être la nature même des espaces vides. En effet, selon les
informateurs, c'est « parce que c'est l'espace vide » qu'il est ainsi
géré et non nécessairement par défaut
d'infrastructures de gestion des ordures ménagères ou de w.c.
C'est une chose qui va de soi. Le défaut d'une mise oeuvre de
l'aménagement des espaces publics et de la
33 Le chef du service HSP nous confie, à
l'occasion d'un autre entretien portant sur la gestion des ordures
ménagères par les populations que « les gens
préfèrent déféquer en plein aire, même ceux
qui ont des latrines chez eux. Ils disent que c'est bon quand le vent fouette
leur derrière. »
Les facteurs structurant les représentations des espaces
urbains et rapports aux ordures
Perceptions, espaces urbains et gestion des ordures
ménagères à N'Djaména (Tchad)
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réglementation rend possible le déploiement des
comportements que l'anonymat de la ville favorise.
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