2.2. Où finit le « chez soi » et
où commence l'espace public ?
Le « chez soi » déborde ce cadre du fait de
son prolongement dans les espaces publics par appropriation des espaces publics
avoisinant ou morcellement regrettés par un responsable du service
d'hygiène et de santé publique de la voirie. Les devantures des
concessions qui sont en fait des veines qui desservent les quartiers perdent
leur statut public ou se dédoublent. La considération de la
devanture des concessions (qui coïncident avec les rues et ruelles des
quartiers) comme prolongement naturel de l'espace privé est
défendu comme un fait naturel.
Du point de vue éthologique, c'est un territoire
fortement marqué comme pour dire au monde « ici également
c'est chez moi ». Cette appropriation de l'espace public est la
résultante d'un processus qui s'inscrit dans le temps et qui d'ailleurs
est socialement construit et reconnu au moins tacitement. En effet, « la
fixité de l'habitat des usagers, l'accoutumance réciproque du
fait du voisinage, le processus de reconnaissance - d'identification - qui se
mettent en place grâce à la proximité, à la
coexistence concrète sur un même territoire urbain » (de
Certeau, 1994 : 18) notamment celui qui appartient à la catégorie
du public, tous ces éléments rendent bien compte des conditions
de possibilité d'appropriation de l'espace public. Mayol relève
que « c'est dans la tension [entre] le dedans et le dehors qui devient peu
à peu le prolongement d'un dedans, que s'effectue l'appropriation de
l'espace » (1994 : 21). Ce qui permet d'assurer la «
continuité entre ce qui est le plus intime (l'espace privé du
logement) et ce qui est le plus inconnu (l'ensemble de la ville ou même,
par extension le reste du monde.» (1994 : 21). De ce qui
précède, on peut conclure avec Mayol que « le public est le
privé ne sont pas renvoyés dos à dos comme deux
éléments exogènes, quoique coexistants ; il sont bien
plus, sans cesse interdépendants. L'un et l'autre puisque dans le
quartier, l'un n'a
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Perceptions, espaces urbains et gestion des ordures
ménagères à N'Djaména (Tchad)
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aucune signification sans l'autre » (1994 : 21). Antoine
Prost (1987 : 16 ) notait déjà, et plus largement, que la vie
privée n'a de sens que par rapport à la vie publique. »
L'appropriation du territoire public se traduit
concrètement à N'Djaména par une transformation de ces
espaces en parking d'engins, en lieux de commerce et de prière. Au
quartier Amrigébé, une section de rue
barrée retient notre attention et très rapidement, notre
traducteur31 engage une conversation en ces termes avec les
personnes qui vraisemblablement habitaient dans la concession dont la devanture
était ainsi barrée ; deux femmes et deux jeunes filles. En
désignant les pneus de voiture qui obstruaient le passage,
Abba demande :
« S'il vous plaît ! Pourquoi placez-vous ces
pneus au travers de la route ? »
Une femme : « Et alors ? Ce
n'est pas la bouche de notre maison32 ? »
Abba : « Non ! C'est la
route. C'est pour tous les usagers, la route. Attendez, je vais appeler la
police »
Toutes les femmes à la fois
: « Oui ! C'est ça, va vite les appeler ! Nous
t'attendons. »
Une autre femme : « Tu
penses que la police viendra nous chasser de chez nous ? Et puis tu imagines
que la police n'est jamais passée par ici pour constater ? Pourtant
c'est là ! »
La devanture est considérée ici comme une partie
du « chez » à en comprendre ces femmes qui sont convaincues
que la police ne les renverra pas de chez elles ; le chez nous
ici désigne la devanture de la concession. Ce discours
également permet de réaliser le laisser - aller qui
caractérise la gestion par les populations des espaces publics. La
police a vu que les rues sont barrées pour éviter que les usagers
passent très près d'une concession mais elle ne réagit pas
; de même qu'elle ne réprime pas le rejet dans les rues, les
caniveaux et les espaces vides des ordures ménagères, eaux
usées...
D'un autre côté, l'expression « chez nous
» est régulièrement convoquée pour justifier le
nettoyage des rues attenantes aux espaces privés des individus. L'espace
privé, au regard du discours qui précède, apparaît
comme un espace particulièrement défendu par ses occupants. Il
est défendu jusqu'au-delà de ses frontières les plus
immédiates. Il est même concrètement surveillé par
un chien méchant comme l'indiquent les plaques affichées aux
portails :
31 Nous nous servons d'un interprète pour
réaliser des entretiens avec les informateurs d'expression arabe
tchadien.
32 Littéralement la sortie, la porte, et par
extension la devanture de la maison ou de la concession. La concession tout
comme la maison est un intérieur, un dedans ou analogiquement c'est un
ventre dont l'accession est possible par une bouche. En langue Sara, ta ndogue
ou la bouche du secco est la porte d'entrer et de sortie du kem ndogue, le
ventre du secco soit l'intérieur de la concession qui n'est rien d'autre
que la cour.
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« Attention aux chiens méchants ! »Il faut
noter qu'aujourd'hui, les chiens sont remplacés ou
complétés par des vigiles qui renforcent la
sécurité des espaces privés.
En dernière analyse, nous noterons à la suite
des sociologues de l'école de Chicago que « l'action de chacun sur
l'environnement est déterminée par le sens donné à
cet environnement. Autrement dit, les humains agissent à l'égard
des choses en fonction du sens que les choses ont pour eux » (Alain
Cerclé et Alain Somat, 2002). Il n'est pas sûr en effet que
n'importe qui devinerait que les femmes dont nous venons de rapporter les
propos justifient leurs usages de l'espace public par ce qu'elles le
définissent comme faisant partie de leurs espaces privés.
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CHAPITRE IV : LES FACTEURS STRUCTURANT DES REPRESENTATIONS DES ESPACES ET
RAPPORTS AUX ORDURES MENAGERES
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Les facteurs structurant les représentations des espaces
urbains et rapports aux ordures
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Les représentations des espaces urbains n'existent pas
ex-nihilo. Quelques facteurs président à leur
élaboration. Nous identifions des facteurs qui tiennent à
l'aménagement et à l'organisation des espaces urbains et des
facteurs qui tiennent aux habitudes et aux rapports que les individus ont
quotidiennement avec les espaces.
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