1.2. Espaces publics/ Espaces appartenant à tout
le monde
Cette deuxième définition de l'espace public
n'est théoriquement pas séparable de celle que nous venons de
voir. Ce qu'il y a de commun, c'est la relation qui existe entre le concept
d'Etat et la notion de « tout le monde ». L'Etat à travers ses
gouvernants assure la gestion de la chose publique dans toute
société politique ainsi organisée. Etymologiquement, la
République est d'ailleurs la chose publique. Ce mot se compose
de Res (chose) et Publica (publique). Donc si
on définit l'espace public comme étant ce qui appartient à
tout le monde, c'est en vertu de ce qu'il est une chose publique et non
privée. Il faut noter cependant que ces considérations sont
d'ordre purement théorique. Car en pratique l'espace de tout le
monde est convoqué très souvent pour justifier ou
dénoncer des usages à titre privé à l'oeuvre dans
les espaces publics à N'Djaména. Il s'agit
généralement de la mise en valeur de ces espaces pour
l'installation du petit commerce de quartier, pour le stockage de certain
matériau de construction, dans le parking des engins ou des animaux, la
création des décharges d'ordures anarchiques et même le
rejet, notamment dans les rues et tous les espaces publics des déchets
de consommation des agents.
L'explication fournie pour justifier ces usages se
résume en ces termes : « c'est la voie publique » ; «
c'est l'espace de tout le monde ». Mais il n'est jamais possible de
prendre cette justification à la source, c'est-à-dire fournie au
chercheur par l'agent même qui se sert de l'espace public comme
l'espace de tout le monde. Tous nos informateurs nous renseignent que
leurs voisins se justifient ainsi lorsqu' « on » leur demande
pourquoi ils jettent les ordures, les eaux sales dans les rues ou les
caniveaux. A titre d'exemple, Mme L.N, nous avoue ce qui suit lors d'une
journée de salubrité organisée par les jeunes d'une rue du
quartier Moursal et à laquelle nous avons pris part :
« mois je constate que ce sont les femmes du quartier qui jettent les
ordures dans les caniveaux et les rues. Elles nettoient pourtant bien chez
elles. Et quand « on » leur demande pourquoi elles font ça,
elles répondent que c'est la voie publique donc tout le monde peut y
jeter ses ordures ». Ce qui est désigné par caniveaux
ici est un canal creusé tout au long de chaque devanture des concessions
et servant à drainer hors de celles-ci les eaux de pluie et des
toilettes. Les voies publiques ci-dessus désignées sont
simplement les devantures des concessions des voisins puisque, comme le note
Max Weber, dans un
Gestion des ordures ménagères à
N'Djaména
Perceptions, espaces urbains et gestion des ordures
ménagères à N'Djaména (Tchad)
|
66
|
environnement urbain contrairement à celui rural les
habitations sont construites côte à côte. Ainsi, jeter les
ordures pardessus le mur de son habitation reviendrait à les jeter
devant l'habitation des voisins.
Enfin, il convient de mentionner également que la
définition des espaces publics, comme espaces de tout le monde
et les usages qu'une telle définition autorise découlent
d'une certaine incompréhension de ce qui caractérise le mieux les
espaces publics à savoir un bien d'utilité publique. Si un bien
est d'utilité publique, est-il le bien de tout le monde de sorte que
quiconque puisse en faire un usage à titre privé et a
fortiori un usage dangereux pour la santé publique ? Ce
questionnement au sujet des pratiques dont sont l'objet les espaces publics
définis comme bien d'utilité publique nous conduit
inéluctablement, du reste, à reposer l'épineuse
problématique, plus générale, de la gestion du bien commun
en milieu africain. En touchant à cette problématique de la
gestion du bien commun, nous adhérons peu ou prou à
l'idée largement partagée par les chercheurs qui investissent les
domaines du bien commun notamment dans l'administration publique en milieu
africain et qui partagent la thèse selon laquelle les africains n'ont
pas une culture du bien commun ou plus exactement, le bien commun se
présente aux yeux de ceux-ci comme une ressource que quiconque peut
exploiter, s'approprier et, toute chose étant égale par ailleurs,
en faire un usage à titre privé. Ce faisant, ce dernier perd sa
caractéristique fondamentale de bien d'utilité publique à
préserver par chacun ou, si l'on veut, à gérer par chacun
au bénéfice de l'ensemble de la communauté. Ce que l'on
constate en fin de compte est qu'une telle gestion du bien commun le voue
à la disparition.
Par ailleurs, pour comprendre les usages du bien commun (tel
que nous le faisons pour les espaces urbains et les ordures
ménagères) le savant ou le chercheur comme on aime le dire plus
modestement aujourd'hui se demandera quelles sont les représentations,
les connaissances et les (ou la )définition(s) que les acteurs
retiennent du bien commun. C'est ce qui donne sens, selon toute logique -
notamment interactionniste - à leurs actions.
La troisième catégorie de définition
donnée par les informateurs aux espaces publics qu'il convient
d'analyser est celle qui définit l'espace public comme étant
l'ensemble des espaces vides. A l'espace ceux-ci substituent tout
aisément le mot endroit de sorte qu'espace vide et endroit vide
renvoient à la même réalité que sont les espaces
publics. Qu'est-ce donc
Gestion des ordures ménagères à
N'Djaména
Perceptions, espaces urbains et gestion des ordures
ménagères à N'Djaména (Tchad)
|
67
|
l'espace public quand il est défini comme espaces ou
endroits vides et quelles sont ses implications en termes de pratiques sociales
?
|