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Perceptions, espaces urbains et gestion des ordures ménagères à  N'Djaména au Tchad

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par Emmanuel Ngueyanouba
Université catholique d'Afrique Centrale - Maà®trise en sciences sociales- socio- anthropologie 2005
  

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CHAPITRE III REPRESENTATIONS ET USAGES
DES ESPACES URBAINS

Gestion des ordures ménagères à N'Djaména

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D'entrée de jeu, il convient de rappeler que c'est à travers l'étude des représentations que nous entendons saisir la perception des phénomènes sur lesquels porte notre objet d'étude. En trame de fond de notre démarche se trouve l'idée selon laquelle l'agrégation de différentes représentations que les individus peuvent avoir d'un objet social donné, permet de déterminer la nature de la perception ou des perceptions que ces individus ont dudit objet.

Nous observons ces représentations sous multiples facettes. « Elles circulent [en effet] dans les discours, sont portées par les mots, véhiculées dans les messages et images médiatiques, cristallisées dans les conduites et les agencements matériels ou spatiaux. » (Jodelet et al., 1989 : 32).

Nous commençons par la définition qui nous semble être le premier exercice pouvant renseigner sur les représentations des gens. Car il nous semble évident que lorsque les individus se représentent un objet, ils lui forgent d'abord une définition spécifique, ils le nomment. Ce sont ces définitions qui renseignent sur le contenu matériel ou empirique de la chose représentée. Au plus, « ces définitions, partagées par les membres d'un même groupe construisent une vision consensuelle de la réalité pour ce groupe » (Jodelet et al, 1989 : 35). C'est dire qu'on peut observer ces représentations aussi bien au niveau individuel qu'au niveau social.

Les espaces urbains sont des données physiques qui existent indépendamment des perceptions que les individus peuvent en avoir. Nous les avons définis comme étant « l'ensemble des espaces publics et privés. »

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REPRESENTATIONS DES ESPACES PUBLICS ET CONDUITES
SUBSEQUENTES

Les espaces publics sont constitués de « l'ensemble des espaces qui sont accessibles à tous les citoyens et dont l'Etat est le premier gestionnaire. » Il faut voir que les représentations de ces espaces publics ne coïncident pas nécessairement avec leurs définitions officielles. Ce qui rend flou la notion d'espaces publics tant dans leur énonciation que dans leurs conséquences. Notre préoccupation majeure ici est de montrer que les représentations des espaces publics qui sont plurielles participent d'une construction de l'environnement urbain plus ou moins distinct de ce qu'on appelle espaces publics en milieu urbain. De cela découle le degré d'attention que l'on peut porter à ces espaces du point de vue de l'assainissement ou de tout autre action réalisée sur ces espaces. Mais qu'est-ce qu'un espace public du point de vue des N'Djaménois (néologidme que nous utilisons pour désigner les habitants de la ville de N'Djaména) ou tout au moins des personnes qui ont été touchées par nos enquêtes ?

Cette préoccupation nous a permis de recueillir les définitions suivantes qui rendent compte de la diversité des représentations des espaces publics à N'Djaména

Les espaces publics sont perçus comme une réalité tout à fait distincte des espaces privés. Trois catégories de représentations sont identifiées : les espaces publics sont des espaces appartenant à l'Etat ; ce sont des espaces appartenant à tout le monde et enfin ce sont des espaces vides, non habités ni plus, ni moins.

Par ailleurs, il faut noter que certaines personnes ont défini par des exemples ce qu'elles entendent par espaces publics.

Mlle Y. niveau baccalauréat : « Moi, je pense que les espaces publics ce sont les marchés, les rues, les églises... »

M. D. M., niveau terminal : « Les espaces publics ? Ce sont les endroits comme le centre Don Bosco27, le lieu de travail, les églises, la présidence, la mairie... »

On constate, au regard de ces données que lorsque les personnes ne définissent pas les espaces publics dans des termes englobant tels qu'énumérer ci-dessus, ils empruntent le détour d'une citation d'exemples d'espaces qu'ils entendent ainsi. C'est le lieu de dire en plus que lorsque les personnes interrogées rencontrent une difficulté à cerner le concept d'espace urbain dans la question, nous leur demandions de nous dire en quels termes ils désignent les

27 Le centre Don Bosco est un centre culturel catholique situé au quartier Chagoua. Gestion des ordures ménagères à N'Djaména

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espaces autres que ceux qui leur appartiennent ou appartiennent aux individus à titre personnel.

1.1. Espaces publics/ Espaces appartenant à l'Etat

Nous avons rencontré de façon récurrente, notamment auprès des informateurs ne s'exprimant pas en français et n'ayant pas été à l'école, les termes de « akouma » en Arabe, d'une et d'autre part de « gogue », la dent ou de « Ngé kon bée ge28 » en Sara, ceux qui mangent le village, le pays. Ces termes renvoient tous à l'Etat. Cette dernière observation nous fait dire que le niveau d'instruction n'est pas un indicateur pertinent dans la connaissance des espaces publics comme réalité distincte des espaces privés. On peut soutenir sans ambages que les espaces publics sont normalement perçus comme une réalité factuelle, matérielle. Ceci correspond à notre sens au premier moment de la représentation à savoir l'identification de l'objet qui peut exister empiriquement ou de façon imaginaire. Dans notre cas, les espaces urbains existent empiriquement et sont perçus comme tels. Ils sont envisagés cependant de façon plus ou moins différente.

Dans cette considération où les espaces publics sont représentés comme étant des espaces appartenant à l'Etat, il faudrait tenir compte du rapprochement qui existe entre le terme public et celui de l'Etat. Le terme public comporte un double sens. Jurgën Habermas(1992, 14) indique que c'est un pole d'attraction de tous les citoyens. Il écrit à ce propos que « nous qualifions de publiques certaines manifestations lorsqu'au contraire de celles fermées, elles sont accessibles à tous - de même que nous parlons de places publiques ou de maisons publiques ». Mais le public est, dans un deuxième sens, tout ce qui abrite les institutions de l'Etat. On dit aisément pouvoirs publics

Les espaces publics définis ici comme espaces appartenant à l'Etat sont des espaces qui abritent d'une part les instituons de l'Etat et d'autre part, tous les espaces qui sont investis du pouvoir de ce dernier. Il faut néanmoins relever la nuance suivante, à savoir que les espaces publics abritant les institutions de l'Etat ne sont pas nécessairement accessibles à tous mais seulement à une catégorie de personnes dans des conditions bien précises (fonctionnaires, usagers des services publics etc.).

Par ailleurs, les espaces appartenant à l'Etat recouvrent un domaine plus vaste que les territoires où sont implantées les institutions de celui-ci. Ils coïncident, dans le jargon de

28 Littéralement ceux qui mangent le village, le pays.

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l'administration publique à ce que cette dernière nomme domaine public. Le concept d'espaces publics n'apparaît, en effet, que de façon allusive dans les textes portant sur l'administration du territoire urbain. Nous avons plutôt rencontré des termes tels que « périmètre urbain », « domaine public », « territoire urbain », « domaine de l'Etat »... qui sont plus englobant et dont les espaces urbains ne sont qu'un sous-ensemble. Selon l'article 1er de la loi n°23 du 22 juillet 1967 portant statut des biens domaniaux, le domaine public constitue avec le domaine privé le domaine national de l'Etat. Dans le domaine public, on distingue le domaine public naturel29 et le domaine public artificiel. C'est dans le domaine public artificiel que sont énumérés les territoires qui rentrent dans notre définition des espaces publics. Le domaine privé par contre correspond à ce que nous définissons comme espace privé. Le domaine public artificiel est défini à l'article 3 paragraphe1 de cette loi comme suit :

« Le domaine public artificiel comprend les canaux de navigation et de distribution, les conduits d'eau de toute nature, les dispositifs d'évacuation et d'assainissement d'eaux usées ; les voies de communication de toute nature ; les aérodromes ; les moyens de transmission de toute nature : matériels et immatériels ; les ouvrages de production et de transport d'énergie à condition que ces ouvrages ou moyens aient été réalisés ou acquis dans un but d'utilité publique ; les dispositifs de production et fonctionnement de ses ouvrages, les signaux, bornes et repères géodésiques et topographiques. »

Finalement, en faisant l'hypothèse que le domaine public artificiel ainsi défini désigne la même réalité que l'espace public dans la conscience des populations de N'Djaména, l'Etat que l'on désigne ici comme propriétaire de cet espace est-il considéré comme l'organe qui gère l'espace public au profit de la collectivité urbaine ? Il nous semble que seule l'effectivité d'une gestion des espaces par les institutions en charge à savoir le service de l'urbanisme, d'aménagement du territoire et de l'habitat et le service municipal et qui consiste dans sa mise en valeur pour la communauté urbaine et son entretien, permet de répondre par l'affirmative. Au regard des usages dont font si librement les populations de N'Djaména des espaces publics et que beaucoup de journalistes tchadiens qualifient d'actes inciviques30, on pencherait d'avantage pour l'hypothèse de l'assimilation de l'espace de l'Etat à l'espace de tout le monde. « L'espace de l'Etat, c'est l'espace de tout le monde donc je peux y faire tout ce que bon me semble, voire déféquer à l'air libre, quitte à défier les règles de la pudeur ». Ce qui

29 Voir l'article de la loi ci-dessus citée

30 Occupation anarchique des espaces réservés, notamment les aires de ventilation, ou réservées à la construction des infrastructures publiques, dépôts des ordures sur les voies publiques ou dans les caniveaux etc.

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nous fait déboucher immanquablement sur la deuxième catégorie de définition de l'espace public à N'Djaména.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault