CONCLUSION
Parvenu au terme de notre analyse sur les conséquences
de la faute, et la mise en oeuvre de la responsabilité administrative,
force est de procéder à un double constat.
Le premier découle de l'idée force selon
laquelle la terre est source de richesses inestimables au Cameroun, et par
conséquent, la gestion qu'en fait les services administratifs des
domaines et affaires foncières doit se consolider dans un environnement
non frelaté au risque de générer de véritables
dommages aux personnes privées. Le foncier mobilise en effet des enjeux
importants que sont la cohésion sociale, la paix et l'avenir des
familles.
Le second constat a trait à l'effectivité de la
responsabilité administrative en matière foncière. Il ne
fait aucun doute que la gestion administrative de la chose foncière est
scrutée de près ou de loin. Le Ministère de tutelle qu'est
le MINDAF met en oeuvre un important arsenal de mesures tendant au
contrôle des services en charge de l'administration foncière, la
mise sur pied d'une cellule anti-corruption au sein du ministère en dit
long sur les intentions des responsables de ce département
ministériel. Cela laisse augurer que l'inertie, le laxisme et
l'indélicatesse ne resteront plus impunis. Mais que dire alors de la
réparation du préjudice subi par les victimes au cours de ces
opérations foncières ?
Chapitre 2 : La réparation du préjudice subi
par la victime de la faute administrative.
Une valeur sociale protégée est-elle
transgressée quelque part, qu'immédiatement, doit-on
procéder à l'application de la sanction prévue à
cet effet. La sanction se définit comme une mesure répressive
prise par une autorité en vue d'infliger une peine ou une
récompense à l'auteur d'un acte. Il s'agit en fait des
conséquences juridiques du non respect d'une règle de droit, d'un
usage ou de l'ordre établi. En présence d'une faute, la sanction
renvoie à la punition, au blâme, aux pénalités
encourues du fait de la commission de la faute.
En matière de contentieux administratif, il n'existe
véritablement pas de sanctions répressives à l'encontre de
l'administration. Lorsqu'une faute est commise, on procède au
rattachement au service, si cela est avérée, la
responsabilité administrative est une responsabilité
réparatrice et non sanctionnatrice. C'est lorsque l'auteur du
préjudice est identifié que l'on peut procéder soit
à une responsabilité disciplinaire, soit à une
responsabilité civile ou pénale.
Cela étant, le constat clair qui découle de ces
allégations, est celui suivant lequel, lorsque l'administration est mise
en cause dans un litige, la sanction véritable que l'on appliquera aura
un caractère réparateur ; il s'agira de replacer la victime
dans un même et semblable état avant la survenance du
préjudice.
Dans le prolongement de ce constat, il s'agira dans notre
analyse d'examiner les mesures réparatrices des dommages causés
aux particuliers par la faute administrative en matière foncière.
Tout d'abord la réparation qu'en fait l'administration elle-même,
en vertu du principe de l'administration active (section 1), ensuite la
réparation par voie juridictionnelle du préjudice subi en
matière foncière (section 2).
C.
Section 1 : La réparation du préjudice subi par voie
administrative.
La réparation se définit comme le
dédommagement d'un préjudice par la personne qui en est
responsable, et ceci, soit par le rétablissement de la situation
antérieure, soit par le versement d'une somme d'argent au titre de
dommages-intérêts. En droit administratif, en vertu des principes
du recours gracieux préalable et celui de l'administration active, la
demande en réparation du préjudice subi par les individus est
d'abord adressée à l'administration avec laquelle on est en
litige. En matière foncière, le recours est adressé au
Ministre des domaines et des affaires foncières qui conformément
à la législation, prend des mesures contre
l'illégalité de l'action administrative. De ce fait, il est
judicieux d'énumérer ces mesures, étant entendu que
l'immatriculation et l'expropriation sont deux procédures bien
distinctes, et ceci dans un souci de mieux rendre compte de l'état des
lieux de la réparation des fautes commises dans
l'immatriculation(§1), et dans l'expropriation (§2).
§ 1 : Les mesures administratives palliatives de
l'immatriculation fautive
En matière foncière, notamment au cours de
l'immatriculation, la faute administrative qui préjudicie aux
intérêts des particuliers est réparée aux travers de
plusieurs procédés : soit la décision entachée
de faute faisant grief est annulée par l'autorité statutairement
habiletée, soit la décision entachée est redressée.
L'hypothèse de redressement n'intervient que lorsque l'acte ne fait pas
grief aux particuliers. Dès lors qu'elle cause un dommage aux
requérants, elle doit être retirée. Parce que
l'immatriculation et l'expropriation sont deux procédures bien
distinctes, il s'agit, dans un souci de mieux rendre compte de l'état
des lieux, d'examiner tour à tour les mesures administratives
réparatrices des fautes commises au cours de ces procédures qui
attentent au droit de propriété.
A-
L'anéantissement du titre foncier
Au regard des caractéristiques du titre foncier à
savoir qu'il est réputé définitif, intangible et
inattaquable, la possibilité de l'anéantir apparaît
comme une sanction lourde. La réforme du 16 décembre 2005
prévoit deux causes d'anéantissement du titre foncier : cela
peut survenir à la suite du retrait, ou de l'annulation
ministérielle du titre de propriété.
1- Le retrait
ministériel des titres fonciers irrégulièrement
délivrés
Aux termes de l'article 2 du décret n°2005/481 du
16 décembre 2005, « (1) toute personne dont les droits ont
été lésés par suite d'une immatriculation n'a pas
de recours sur l'immeuble, mais seulement en cas de dol, une action personnelle
en dommages- intérêts contre l'auteur du dol [...].
(3) Toutefois, le Ministre chargé des affaires
foncières, peut ,en cas de faute de l'administration, résultant
notamment d'une irrégularité commise au cours de la
procédure d'obtention du titre foncier, et au vu des actes
authentiques, procéder au retrait du titre foncier
irrégulièrement délivré ;
(5) Le retrait du titre foncier prévu à
l'alinéa 3 du présent article, ne peut sauf cas de fraude du
bénéficiaire, intervenir que dans le délai du recours
contentieux ».
A la lecture de ce texte, il découle que le titre foncier
ne peut être retiré que dans deux hypothèses : la
faute de l'administration et la fraude du bénéficiaire.
S'agissant de cette dernière, on peut dire laconiquement que la fraude
est une action faite de mauvaise foi dans le but de tromper, ou encore une
falsification punie par la loi en application de la règle
« fraus omnia corrumpit ».
Le retrait du titre foncier est exercé par le ministre des
domaines à l'initiative, soit de l'administration elle-même,
soit par le biais d'un tiers lésé par une immatriculation
fautive. Ainsi, dans un délai de deux mois à compter de la
notification de la décision faisant grief, en l'occurrence
l'établissement d'un titre foncier entaché de faute
administrative, le requérant peut introduire sa demande tendant au
retrait du titre irrégulièrement délivré. Ce fut le
cas avec l'arrêté n°00030/Y II/MINDAF/D130 du 10 octobre
2007 portant retrait du titre foncier n°34883/Wouri
irrégulièrement délivré. La possibilité
ainsi offerte au Ministre en charge des questions foncières de
procéder au retrait des titres fonciers irrégulièrement
délivrés traduit la détermination des pouvoirs publics
à traquer tous les titres fonciers entachés de fraude et
d'illégalité. Mais elle constitue en même temps un danger
pour le droit de propriété, notamment en ce qui concerne ses
caractères inattaquable, intangible et définitif qui fondent sa
force probante. Cette possibilité de remettre en cause le titre de
propriété laissée entre les mains de l'administration
réputée "juge et partie" de la question foncière au
Cameroun, mais dont la propension à piétiner les droits
fondamentaux et libertés individuelles, pourrait embarrasser plus d'une
personne. Cela pourrait constituer un recul dans la garantie accordée
à la protection de la propriété dont le juge est
réputé gardien dans les systèmes juridiques modernes. La
soupape de sécurité viendrait de ce que le juge administratif
reste compétent pour s'assurer de la soumission de l'administration au
droit.
2 - L'annulation
ministérielle du titre foncier irrégulièrement
délivré
L'annulation ministérielle du titre foncier est
prévue par les alinéas 6 et 7 du même article 2 du
décret de 2005 aux termes desquels il est disposé
que:
« al.6 : un titre foncier est nul d'ordre
public dans les cas suivants :
-lorsque plusieurs titres fonciers sont
délivrés sur un même terrain ; dans ce cas, ils sont
tous déclarés nuls de plein droit, et les procédures sont
réexaminées pour déterminer le légitime
propriétaire. Un nouveau titre foncier est alors établi au
profit de celui-ci ;
-lorsque le titre foncier est délivré
arbitrairement sans suivi d'une quelconque procédure ; ou obtenu
par une procédure autre que celle prévue à cet
effet ;
-lorsque le titre foncier est établi en
totalité ou en partie sur une dépendance du domaine
public ;
-lorsque le titre foncier est établi en
totalité ou en partie sur une parcelle du domaine privé de
l'Etat, d'une collectivité publique ou d'un organisme public, en
violation de la réglementation ;
(7) La nullité du titre foncier prévue à
l'alinéa 6 ci-dessus est constatée par arrêté du
Ministre chargé des affaires foncières susceptible de recours
devant les juridictions administratives compétentes. »
Cette annulation d'ordre public du titre foncier vise à
sanctionner la méconnaissance flagrante de l'arsenal juridique en
matière foncière ; on constate en effet que les causes
d'annulations sont relatives aux règles et formalités
substantielles à accomplir avant tout établissement du titre
foncier.
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