c) Le jeu du verbe.
Pendant la représentation, Robert Macaire se tient
immobile, aux côtés du brigadier. Visiblement impatient, il attend
docilement que celui-ci ait terminé une tirade particulièrement
longue, dans laquelle il lui ordonne de ne pas essayer de fuir. Ce passage met
en évidence, l'inefficacité dramatique des tirades trop longues
qui figent le jeux des acteurs. Le bandit a le temps de s'évader au
moins encore une fois. Ce qu'il fait pour nous montrer que le texte trop long,
ne convient pas à la situation. Bizarrement, alors que dans son film,
Prévert reproche au théâtre l'excès de mots. Son
scénario propose des dialogues les plus longs qu'ait connu le
cinéma. Geneviève Sellier, dans son étude critique pour la
collection synopsis parle de primauté des dialogues, d'où une
impression de statisme des personnages qui parlent le plus souvent face
à la caméra. Les acteurs du film sont tous des acteurs de
théâtre dont la réputations n'est plus à faire. Ils
sont considérés au théâtre, comme des monstres
sacrés. Seuls des comédiens de cette envergure pouvaient
assumer des textes si proches du théâtre et donner toute sa mesure
à la poésie de Jacques Prévert.
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Théâtre et théâtralité dans les
Enfants du Paradis.
De longues tirades.
Après la représentation du Palais des
mirages, Frédérick rejoint Garance, en lui adressant de
longues tirades sur le
ton de la déclamation qui sied à ce discours.
Garance y répond brièvement, invitant son ami de changer de
style avec elle : Quand tu auras fini, Frédérick, tu me le
diras !
Lorsque, piqué, l'acteur répond à
Garance, il utilise le ton de la tragédie en lui empruntant le rythme du
phrasé, et le vocabulaire. Ingrate, qui veut faire taire la voix
même de l'amour ! est une réplique qui pourrait constituer le
début d'un monologue racinien en alexandrins. Il compare Garance
à une Perfide créature. Il exprime ce qu'il ressent en
personnifiant son coeur. Il se compare à Othello et Garance à
Desdémone. Il termine son discours par une rupture. Le mouchoir de
Desdémone devient celui de Baptiste et relance le dialogue.
Dans son échoppe de l'écrivain public,
Pierre-François Lacenaire se confie à Garance, il lui fait le
récit de son enfance, le plaidoyer d'un homme qui n'aime personne. Dans
ce soliloque, l'intervention de Garance est intéressante. Elle permet
à Lacenaire de préciser sa pensée. Mais il ne s'engage pas
vraiment de réelle discussion entre les deux protagonistes. Garance
confirme les dires de son ami : Vous avez raison Pierre-François, il
faut toujours écouter ses
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Théâtre et théâtralité dans les
Enfants du Paradis.
parents. Vous parlez tout le temps... On se croirait
au
théâtre. Ca distrait, et puis, c'est
reposant, confirme le caractère théâtral du discours
de Pierre-François qui parle seul.
Un langage poétique.
Prévert aime utiliser des métaphores pour
désigner ses personnages, habitudes des classes populaires qui aiment
inventer des surnoms aux gens qui leurs sont familiers en fonction de ce qu'ils
représentent.
Garance, de son vrai nom, Claire, n'a rien à cacher.
Comme elle le dit elle-même au commissaire : Garance, c'est le nom
d'une fleur. Elle est la fleur des jours et le tendre oiseau de son amant
Frédérick Lemaître qui la compare à un beau sphinx.
Sans doute, regrette-t'il qu'elle ne pas parle d'avantage, que ses mots
égalent sa beauté. Tandis que Lacenaire voit arriver son ange
gardien.
L'homme blanc qu'est Baptiste ne représente aucun
intérêt pour Lacenaire qui n'aime pas les courants d'air.
Jéricho aime s'attribuer à lui-même des
sobriquets. Nous ne savons pas son identité réelle. Ce dont on
est sûr c'est qu'il est marchand d'habits. Lorsqu'il se présente
la première fois, il dit aimer se faire appeler la Méduse en
référence au radeau de la méduse, le
Pleure-Misère, le
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Théâtre et théâtralité dans les
Enfants du Paradis.
Lésineur ou le rat. Ce qui laisse
présager un individu peu recommandable. Lorsque nous le retrouvons, au
Rouge-Gorge, il s'attribue d'autre pseudonymes comme le Marchand de sable. Il
change de pseudonyme en fonction des circonstances, en fonction des personnes
à qui il s'adresse, comme un caméléon, il s'adapte
à l'environnement qui l'entoure. Il est moins heureux quand Lacenaire
s'amuse à lui rappeler d'autres surnoms comme Vend la Mèche.
Avril, le complice de Lacenaire, comme son nom l'indique
rappelle le printemps. Son caractère juvénile est celui d'un
homme qui n'a pas encore été durci par la dure expérience
de la vie. Il est en effet très impressionnable. Il est effrayé
par le regard de L'encaisseur au moment de l'agression. Aux Lionceaux du
Temple, il prend un chocolat avec de la crème et un verre
d'alcool.
Fil de soie, est un homme sympathique, au visage
émacié et au corps longiligne.
Madame Hermine, avec sa chevelure claire et ses formes
généreuses et charnelles, fait penser à l'animal couleur
neige, à la chaude fourrure. Frédérick Lemaître,
coureur de jupons ne s'y trompe pas.
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Enfants du Paradis.
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